Tribunal du travail, 17 mai 2001, d PE c/ la SAM Transocéan Martime Agencies

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Abstract🔗

Licenciement sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 - Office du Tribunal du Travail en cas de contestation - Éventuel abus lié à l'absence de sanction précédant le licenciement (non)

Résumé🔗

La forclusion instaurée par l'article 7 de la loi n° 638 du 11 janvier 1998 ne s'applique que dans le cas où le délai de dénonciation n'est pas observé, à l'exclusion de la forme que doit revêtir cette dénonciation. L'employeur, sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, dispose d'un droit autonome et unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon implicite ou explicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci. Le tribunal du Travail doit vérifier non la cause de la rupture mais le respect, par l'employeur, des droits du salarié et des circonstances ayant entouré la résiliation qui doivent être exemptes de faute.

Un ingénieur naval ayant près de huit années d'ancienneté est licencié au mois de janvier 1999 par une lettre non motivée dans laquelle il est indiqué que son dynamisme, son sérieux et sa bonne humeur au travail ont été appréciés pendant ces années. Le salarié estimant son contrat rompu sans motif et de mauvaise foi car l'employeur qui se révèle incapable de justifier des motifs de rupture, confirme, selon lui, son abus du droit de licencier a attrait son employeur devant le Tribunal du travail en demandant que soit indemnisé le préjudice par lui subi, car il se retrouve arbitrairement privé d'emploi à 55 ans. L'agence maritime qui l'employait, soutient, outre la dénonciation tardive du reçu pour solde de tout compte, la validité du licenciement même non motivé et la preuve non rapportée par le salarié à qui incombe la charge de l'abus allégué.

Le Tribunal du Travail écarte tout d'abord la forclusion instaurée par l'article 7 de la loi n° 638 du 11 janvier 1998 qui ne prévoit pas de sanction à l'obligation de motivation de la dénonciation du reçu, car le délai de dénonciation a bien été observé. Puis, rappelant son rôle en cas de contestation judiciaire d'un licenciement non motivé, le Tribunal, qui se doit de vérifier, non la cause du licenciement, mais le respect des droits et prérogatives du salarié et les circonstances éventuellement fautives de la rupture, ne trouve, en l'espèce, aucun élément qui permettrait de déceler un éventuel abus de l'employeur. L'absence de toute sanction préalable à la mise ne œuvre du licenciement ne permet pas à elle seule de caractériser la légèreté ou la précipitation dont aurait fait preuve l'agence dans la mise ne œuvre de la rupture. Le salarié est débouté de l'intégralité de ses prétentions.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 24 septembre 1999 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 19 octobre 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur d PE, en date des 18 novembre 1999, 4 mai 2000, 16 novembre 2000 et 1er mars 2001 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES, en date des 10 février 2000, 13 juillet 2000 et 14 décembre 2000 ;

Après avoir entendu Maître Alexis MARQUET, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco, substituant Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur d PE, et Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES, en leurs plaidoiries ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauché le 20 mars 1991 par la SAM TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES, en qualité d'ingénieur naval, d PE a été licencié de cet emploi par une lettre datée du 18 janvier 1999, dont le contenu est le suivant :

« Je confirme par écrit notre entretien du 7 janvier » dernier, au cours duquel je vous ai notifié de (sic) votre « licenciement pour les motifs qui vous ont été présentés par » votre chef hiérarchique, Monsieur HO.

« Il est entendu que votre emploi dans notre société se » terminera le 16 avril 1999. Vous aurez donc bénéficié des trois « mois de préavis prévus par la législation monégasque.

» Lors de vos huit années chez nous, nous avons beaucoup « apprécié le dynamisme, le sérieux et la bonne humeur que vous » avez apportés à votre travail. «.

Soutenant que ce licenciement revêtait un caractère manifestement abusif, d PE, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 18 octobre 1999, a attrait la SAM TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit, avec intérêts de droit et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de la somme de 1.250.000,00 F, à titre de dommages et intérêts.

À la date fixée par les convocations, les parties ont comparu par leurs conseils puis, après onze renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue le 29 mars 2001 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 17 mai 2001.

d PE fait valoir en premier lieu à l'appui de ses prétentions qu'ayant dénoncé par lettre recommandée avec accusé de réception postée le 14 juin 1999 et réceptionnée le 15 juin 1999 par son ancien employeur le reçu pour solde de tout compte délivré par ses soins le 16 avril 1999, il est recevable à contester devant le Tribunal du Travail le licenciement dont il a été l'objet.

Qu'en tout état de cause le reçu pour solde de tout compte ne visant que les salaires – accessoires de salaires et toutes indemnités dues au titre de l'exécution et de la cessation du contrat de travail, la forclusion ne peut être opposée à sa demande de dommages et intérêts.

Qu'en outre ces dommages et intérêts, dont le montant ne peut être fixé que par le Juge, n'étaient pas » dus « au moment de la signature du reçu.

Qu'enfin la lettre de dénonciation, contrairement à ce que prétend l'employeur, est suffisamment explicite.

Il soutient par ailleurs que si les dispositions de l'article 6 de la loi n° 629 autorisaient certes la SAM TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES à ne pas énoncer les motifs du licenciement dans la lettre de notification de la rupture, l'article 13 de ladite loi lui fait en revanche obligation, à partir du moment où le licenciement a été contesté, d'en exposer les motifs devant le Tribunal, afin notamment de dégager sa responsabilité civile, » compte tenu des conséquences que cela implique pour celui qui subit la rupture «.

Il prétend par ailleurs, après avoir rappelé que le contrat de travail, comme tout contrat civil, doit être exécuté de bonne foi, » qu'il ne peut y avoir de bonne foi dès lors que l'employeur licencie un salarié sans savoir pourquoi ou sans être capable de l'expliquer alors qu'il y est invité devant la juridiction compétente «.

Estimant ainsi en définitive que l'employeur qui se révèle incapable de justifier du ou des motifs de la rupture, confirme son » abus du Droit de licencier « et la légèreté blâmable de son acte lourd de conséquences pour le salarié victime d'un arbitraire justifiant réparation, il demande au Tribunal d'indemniser à sa juste valeur l'important préjudice qu'il a subi en se retrouvant à 55 ans et après huit ans de bons et loyaux services privé d'emploi, et de faire en conséquence droit à l'intégralité des prétentions contenues dans sa requête introductive d'instance, telles qu'elles ont été exposées ci-dessus.

La SAM TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES conclut pour sa part à titre principal à l'irrecevabilité, et à titre subsidiaire à l'entier débouté de la demande formée à son encontre.

Ses moyens sont en substance les suivants :

– le reçu pour solde de tout compte signé par d PE a été dénoncé tardivement et sans véritable motivation par celui-ci,

– l'absence de motif allégué ne rendant pas le licenciement sans motif valable, il appartient à d PE de rapporter la preuve de l'abus qui aurait été commis par son employeur dans la mise en œuvre de cette mesure,

– en l'espèce à défaut pour le demandeur d'établir que son congédiement aurait été conduit avec une soudaineté ou une légèreté fautive, la rupture du contrat de travail ne revêt aucun caractère abusif.

SUR CE,

1) Sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion instaurée par l'article 7 de la loi n° 638

Il résulte des pièces produites aux débats que le reçu pour solde de tout compte délivré le 16 avril 1999 à la SAM TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES par d PE a été dénoncé par ce dernier, aux termes d'une lettre recommandée datée du 14 juin 1999 effectivement réceptionnée par l'employeur, au vu des mentions portées sur l'accusé de réception, le 15 juin 1999.

Le délai de deux mois qui lui était imparti par l'article 7 de la loi n° 638 du 11 janvier 1998 a donc bien été respecté par le salarié.

Pour le surplus, si la dénonciation par d PE du reçu pour solde de tout compte ne peut certes être considérée comme » dûment motivée «, dans la mesure où elle n'invoque aucun élément concret constituant une faute de son ancien employeur, mais se borne à affirmer que ce dernier n'aurait pas exécuté le contrat avec bonne foi, que son licenciement est abusif et qu'il aurait subi un préjudice du fait de la rupture, il est constant toutefois que la sanction de l'inobservation par le salarié de cette obligation de motivation n'est pas prévue par la loi ; qu'en effet, la forclusion instaurée par l'article 7 ne peut trouver à s'appliquer, par définition, que dans le cas où le délai de dénonciation n'est pas observé, à l'exclusion de la forme que doit revêtir cette dénonciation (TPI 4 juillet 1996 DU c/ Laboratoire AS).

Dès lors, aucune irrecevabilité ne pouvant être opposée, en l'absence de texte, à la dénonciation par d PE du reçu pour solde de tout compte, la fin de non-recevoir tirée de la forclusion opposée à ce dernier par la SAM TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES doit être rejetée.

2) Au fond

Il est constant en droit qu'en application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, l'employeur dispose d'un droit autonome et unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer, de façon explicite ou implicite, à un motif inhérent à la personne de celui-ci.

Dans ces conditions le refus de la SAM TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES d'énoncer le ou les motifs du licenciement ne peut en soi être considéré comme un exercice abusif par cette société du droit unilatéral de rupture qui lui est reconnu par le texte susvisé.

Il appartient dès lors uniquement au Tribunal du Travail de vérifier, NON LA CAUSE DE LA RUPTURE, mais le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié d'une part et les circonstances ayant entouré la résiliation qui doivent être exemptes de faute, d'autre part.

En l'espèce il résulte de l'examen des fiches de paie délivrées à d PE que celui-ci a bénéficié, en sa qualité de cadre, d'un délai de préavis de trois mois pendant lequel sa rémunération lui a été normalement et intégralement servie ; que son employeur lui a par ailleurs versé une somme de 166.471,42 F à titre d'indemnité de licenciement, laquelle s'avère supérieure au montant de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, compte tenu de l'ancienneté de services de l'intéressé.

d PE ayant ainsi perçu l'intégralité des indemnités de rupture auxquelles il était en droit de prétendre, il incombe à la présente juridiction dans un second temps de vérifier si la rupture du contrat de travail n'a pas été mise en œuvre par l'employeur avec une soudaineté et une légèreté fautives ouvrant droit à des dommages et intérêts sur le fondement de l'abus de droit, en application des dispositions de l'article 1229 du Code Civil, étant rappelé toutefois que la charge de la preuve d'un tel abus incombe à celui qui s'en prévaut et donc en l'espèce à d PE.

Si ce dernier soutient certes avec force que la SAM TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES aurait d'une part » abusé de son pouvoir en intimidant le salarié et en le laissant sans moyen «, et d'autre part » agi avec la plus grande légèreté «, force est de constater qu'il n'étaye ces affirmations par aucune pièce.

Il n'est ainsi nullement établi que l'employeur ait verbalement invoqué, lors d'une discussion antérieure à la notification du licenciement, l'existence de fautes graves ni encore moins que ce dernier ait tenté, en agissant de la sorte, d'intimider son salarié afin de » décourager toute action contre lui ".

Par ailleurs l'absence de toute sanction préalable à la mise en œuvre du licenciement ne permet pas à elle seule de caractériser la légèreté ou la précipitation dont l'employeur aurait fait preuve en l'espèce, alors au contraire qu'il résulte des pièces du dossier que la décision de licenciement prise le 18 janvier 1999 a été précédée d'un entretien qui s'est tenu le 7 janvier 1999 et au cours duquel les raisons de cette décision ont été exposées à d PE par son supérieur hiérarchique Monsieur HOPE ; qu'ainsi le salarié, contrairement à ce qu'il soutient, a bien été en mesure de se défendre ou tout au moins de donner son avis sur les raisons qui lui ont été indiquées.

Dès lors enfin que d PE a exécuté à son poste de travail le délai de préavis de trois mois qui lui était applicable, en sa qualité de cadre, la SAM TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES n'a pas en l'espèce commis d'abus dans l'exercice de son droit de rupture du contrat de travail.

d PE ne pourra dans ces conditions qu'être débouté de l'intégralité de ses prétentions.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré.

Rejette la fin de non-recevoir tirée du caractère tardif et non suffisamment motivé de la dénonciation du solde de tout compte.

Dit que la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES n'a pas commis d'abus dans l'exercice de son droit de rupture du contrat de travail de d PE.

Déboute en conséquence d PE de sa demande de dommages et intérêts.

Condamne d PE aux dépens.

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