Tribunal du travail, 17 mai 2001, p. CH. c/ la Société en Nom Collectif CARREFOUR

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Abstract🔗

Clause de mobilité licite - Mise en œuvre non abusive - Refus du salarié - Faute grave

Résumé🔗

Un salarié, chef de rayon d'un magasin libre-service, refuse d'exécuter une clause de mobilité parce qu'elle ne correspondait pas, selon lui, à une évolution de carrière et que la société qui l'employait ne lui avait pas communiqué les éléments essentiels du nouveau contrat. Il avait alors attrait son employeur devant le tribunal du travail. Il demandait des indemnités de préavis, de congés payés sur préavis, indemnité de congédiement, licenciement et des dommages intérêts pour rupture qu'il estimait abusive.

De son côté, l'employeur estimait que si la clause litigieuse, rédigée en termes explicites et conformes à la convention collective applicable, pouvait être un moyen privilégié de développement de carrière, elle n'en constituait pas pour autant l'objectif essentiel. Le salarié avait d'ailleurs refusé de rencontrer le directeur du magasin de Chambéry, lieu de la mutation, et n'avait donc pas pris connaissance des modalités financières et conditions de travail offertes, alors même que, lors d'entretiens, il avait manifesté son souhait « d'évolution vers l'étranger ou la France ». L'inexécution délibérée des obligations de ce cadre constituait, pour l'employeur, une faute grave privative d'indemnités.

Le tribunal, s'assurant tout d'abord de la conformité de la clause de mobilité à la Convention Collective Nationale d'alimentation et d'approvisionnement général, précise qu'elle a pour conséquence « de faire varier, en augmentant le champ du pouvoir de direction, les conditions de travail ». Il énonce que le refus d'accepter la mutation constitue une faute grave sauf abus dans l'exercice du pouvoir de direction ou refus du salarié justifié par un motif légitime.

En l'occurrence, il résultait des pièces versées aux débats que la clause répondait aux aspirations antérieurement exprimées par le salarié dont l'avancement de carrière immédiat n'était pas- selon les stipulations de la convention Collective applicable- la condition de mise ne œuvre. Cette dernière ne traduisait pas un exercice abusif du pouvoir de direction.

Le licenciement, consécutif au refus abusif et injustifié d'un salarié d'obéir à un ordre de son employeur, repose sur une faute grave privative du droit au préavis et aux indemnités de rupture.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 22 mars 2000 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 11 avril 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur p. CH., en date des 11 mai 2000 et 30 novembre 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Étienne LEANDRI, avocat-défenseur, au nom de la Société en Nom Collectif CARREFOUR, en date des 12 octobre 2000 et 25 janvier 2001 ;

Après avoir entendu Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur p. CH., et Maître Étienne LEANDRI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la Société en Nom Collectif CARREFOUR, en leurs plaidoiries ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

p. CH. a été embauché par la SNC CARREFOUR le 1er octobre 1994 en qualité d'employé libre service, coefficient 115 et affecté au magasin de NICE TNL.

À compter du 27 juillet 1995, il a fait l'objet d'une mutation au magasin de MONACO en qualité de responsable de rayon BAZAR, emploi classé au coefficient 200 de la filière cadres.

Aux termes d'un avenant au contrat de travail initial en date du 26 mars 1998, il a été promu à compter du 1er janvier 1998 aux fonctions de chef de rayon, emploi classé au coefficient 300 de la filière des cadres.

Cet avenant, que p. CH. a revêtu de sa signature après y avoir porté de sa main la mention « Lu et Approuvé », comportait en outre une clause dite « de mobilité ».

Au cours du mois de septembre 1999, la SNC CARREFOUR a indiqué à p. CH. son intention de lui confier le poste de « Manager Métier Rayon 32 » au magasin de CHAMBERY CHAMNORD.

Par lettre en date du 27 septembre 1999, p. CH. a refusé la mutation qui lui avait été proposé.

Estimant que ce refus de respecter la clause de mobilité inscrite dans le contrat de travail constituait une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise, la SNC CARREFOUR a notifié le 6 octobre 1999 à p. CH. son licenciement immédiat, sans préavis ni indemnité de rupture.

Soutenant d'une part que ce licenciement ne reposait ni sur une faute grave, ni même sur un motif valable et d'autre part que cette mesure revêtait, au regard des circonstances l'ayant entourée, un caractère manifestement abusif, p. CH., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 10 avril 2000, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail afin d'obtenir l'allocation à son profit des sommes suivantes :

  • 97.136,01 F, au titre du préavis,

  • 9.713,61 F, au titre des congés payés sur le préavis,

  • 129.514,70 F, à titre d'indemnité de congédiement,

  • 51.805,89 F, à titre d'indemnité de licenciement,

  • 388.544,04 F, à titre de dommages et intérêts,

le tout avec intérêts de droit et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

À la date fixée par la convocation les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis, après six renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 29 mars 2001 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 17 mai 2001.

Après avoir liminairement souligné qu'il n'a jamais refusé l'idée d'une mutation et l'a même sollicitée, p. CH. soutient en premier lieu à l'appui de ses prétentions que la mutation à CHAMBERY qui lui a été proposée par son employeur ne correspondait pas à une évolution de carrière, que ce soit en termes de fonction ou de rémunération ; qu'en effet le poste de « Manager Métier Région 32 » qui lui a été offert n'existe pas dans la Convention Collective et correspond en réalité très exactement au poste de chef de rayon 32 qu'il occupait à MONACO ; qu'en conséquence la clause de mobilité stipulée à son contrat de travail n'ayant vocation à s'appliquer que dans le cadre d'une progression dans la prise de responsabilités ou tout au moins d'une évolution de carrière, son refus d'accepter ladite mutation ne peut être interprété comme une inexécution de ses obligations contractuelles.

Il prétend par ailleurs que la SNC CARREFOUR aurait du, lorsqu'elle lui a proposé le poste de CHAMBERY, lui fournir tous les éléments essentiels du nouveau contrat de travail afin de le mettre en mesure de constater que cette mutation était bien conforme à son avancement de carrière ; qu'en conséquence, à partir du moment où ces éléments ne lui ont pas été fournis, il était fondé à refuser ladite mutation.

Il souligne à cet effet que le courrier qui lui a été adressé le 25 septembre 1999 par son employeur, aux termes duquel celui-ci a subordonné l'exposé des modalités de la mutation à l'acceptation préalable du principe de cette mesure, est révélateur de la méthode employée.

Estimant ainsi en définitive que la mise en œuvre par la SNC CARREFOUR de la clause de mobilité du contrat de travail s'est effectuée de manière abusive, il demande au Tribunal du Travail de faire droit à l'intégralité des prétentions contenues dans sa requête introductive d'instance, telles qu'elles ont été exposées ci-dessus.

La SNC CARREFOUR conclut pour sa part à l'entier débouté des demandes formées à son encontre par p. CH.

Ses moyens sont, en substance, les suivants :

  • la clause de mobilité insérée au contrat de travail de p. CH. en date du 27 juillet 1995 et rappelée par l'avenant du 26 mars 1998 est rédigée en des termes explicites et répond ainsi aux prescriptions de l'article 4 de la Convention Collective,

  • si cette clause de mobilité, inhérente aux métiers de la distribution, peut certes être un moyen privilégié de développement de carrière, elle n'en constitue pas pour autant nécessairement l'objectif essentiel,

  • p. CH. ne peut sérieusement prétendre que la mutation qui lui a été proposée par son employeur ne correspondait pas à une évolution de sa carrière alors qu'il a refusé de rencontrer le directeur du magasin de CHAMBERY CHAMNORD et n'a donc pris connaissance ni des modalités financières de cette mutation, ni des conditions de travail qui lui étaient offertes,

  • à partir du moment où p. CH., lors des entretiens ayant trait à la gestion de carrière qui se sont déroulés notamment le 22 mars 1999, avait clairement manifesté son souhait « d'évolution vers l'étranger ou la France », son refus de se soumettre à la clause de mobilité, dont il avait lui-même requis l'application, constitue bien une inexécution délibérée de ses obligations contractuelles rendant impossible son maintien dans l'entreprise, même pendant la seule période du préavis.

SUR CE,

Il est constant en l'espèce que l'avenant au contrat de travail en date du 27 juillet 1995, nommant p. CH. au poste de chef de Rayon à compter du 1er janvier 1998, comporte une clause dite de mobilité dont la liceïté n'est pas contestable en l'état d'une part des dispositions de l'article 5-4 de l'annexe III de la Convention Collective Nationale d'alimentation et d'approvisionnement général, et d'autre part de la jurisprudence en la matière et dont le libellé est le suivant :

« L'évolution des carrières au sein de notre entreprise repose sur la mobilité – Dans ce contexte, nous pourrons être amenés à vous proposer une mutation dans un autre établissement du groupe en France – Le refus d'une telle mutation constituerait une inexécution de vos obligations professionnelles. ».

Dès lors qu'une telle clause a pour conséquence de faire varier, en augmentant le champ du pouvoir de direction de l'employeur, le domaine des conditions de travail, le refus du salarié d'accepter la mutation qui lu est proposée constitue en principe une faute grave.

Ce refus ne revêt, en revanche, aucun caractère fautif, s'il est établi que la décision de l'employeur n'était pas dictée par l'intérêt de l'entreprise mais constituait en réalité un abus par celui-ci de l'exercice de son pouvoir de direction.

Il en va de même lorsque le refus du salarié est justifié par un motif légitime.

En l'espèce il résulte des pièces produites aux débats par la SNC CARREFOUR (cf. entretien gestion de carrières) que la mise en œuvre de la clause susvisée correspondait aux aspirations du salarié, ce dernier ayant exprimé le 22 mars 1999 à son supérieur hiérarchique son attachement à la mobilité, confirmant en outre son souhait d'une évolution rapide (pas tous les dix ans) VERS LA FRANCE OU L'ETRANGER.

Par ailleurs, et contrairement à ce que soutient erronément le demandeur, le domaine d'application de la clause de mobilité reproduite ci-dessus n'est nullement limité aux seules hypothèses où la mutation proposée constitue un avancement de carrière immédiat.

En stipulant clairement :

1) Que la mobilité est une des caractéristiques inhérentes aux métiers de la distribution,

2) Qu'elle peut (et non doit) d'ailleurs être un moyen privilégié de développement de carrière,

l'article 5-4 de l'annexe III Cadres et assimilés de la Convention Collective Nationale d'alimentation et d'approvisionnement général confirme, si besoin était, cette analyse.

p. CH. n'était pas fondé dans ces conditions à subordonner son acceptation du poste qui lui était offert à la démonstration préalable par son employeur que la mutation proposée constituait bien un avancement de carrière.

Il convient de relever en outre à cet égard que le demandeur n'a même pas pris la peine de se rendre au rendez-vous qui lui avait été fixé à CHAMBERY le 28 septembre 1999 pour connaître les modalités précises de sa mutation, parmi lesquelles figuraient notamment le montant de sa rémunération et ses conditions de travail.

Le refus qu'il a opposé le 27 septembre 1999 à la SNC CARREFOUR ne peut dans ces conditions être qualifié de légitime.

Dès lors enfin d'une part que la mise en œuvre rapide de la clause de mobilité répondait aux vœux de l'intéressé, et d'autre part que le poste proposé à celui-ci au magasin de CHAMBERY était sans contestation possible d'un niveau hiérarchique au moins équivalent à celui qu'il occupait jusque là, p. CH. ne démontre pas que l'employeur ait fait un usage abusif du dispositif contractuel.

Le refus délibéré et injustifié d'un salarié d'obéir à un ordre qui lui a été donné par son employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, rendant impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis, le licenciement de p. CH. repose bien en l'espèce sur une faute grave, privative du droit au préavis et aux indemnités de rupture.

Ce licenciement ne revêtant en outre, au regard des circonstances l'ayant entouré, aucun caractère abusif, p. CH. ne pourra en définitive qu'être débouté de l'intégralité de ses prétentions.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré.

Déboute p. CH. de l'intégralité de ses prétentions.

Le condamne aux entiers dépens.

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