Tribunal du travail, 29 mars 2001, l RO c/ S.C.S. MO et Cie

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Abstract🔗

Proposition de modification du contrat de travail refusée par une salariée - Intérêt réel pour l'entreprise - Licenciement justifié par un motif valable et non abusif

Résumé🔗

Le Juge ne peut substituer son appréciation à celle de l'employeur, seul responsable de la bonne marche de l'entreprise, dans un choix d'embauche à temps partiel ou temps plein.

Une vendeuse à temps partiel refuse la proposition formulée par son employeur de modifier son contrat de travail à mi-temps en un plein temps. Elle est licenciée et demande, devant le bureau de jugement du Tribunal du travail, à son employeur, l'allocation d'une indemnité de licenciement et des dommages et intérêts, estimant que ce travail à temps complet lui a été proposé, avec intention de nuire, à son retour de maternité alors que ses nouvelles charges familiales ne lui permettraient pas de satisfaire cette offre. La SCS MO et Cie estime, quant à elle, que la proposition de modification du contrat de travail était indispensable au bon fonctionnement de la boutique et qu'une vendeuse à temps complet a bien été embauchée à la suite du refus de la vendeuse à temps partiel.

Le Tribunal du travail constate que la modification proposée répond à un intérêt réel pour l'entreprise et rappelle que le Juge ne peut substituer son appréciation à celle de l'employeur, seul responsable de la bonne marche de l'entreprise, et juge de l'opportunité de l'embauche d'un second salarié. Le motif légitime de modifier les conditions substantielles du contrat de travail fait du refus de la salariée un motif valable de licenciement. Les indemnités demandées ne sont donc pas dues. La présence d'un enfant en bas âge ne constituant plus, selon le Tribunal, un obstacle au travail des femmes, la proposition de modification formulée n'est pas emprunte d'intention de nuire. Les dommages intérêts ne sont pas exigibles.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 24 mai 2000 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 20 juin 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de Madame l RO, en date des 13 juillet 2000 et 16 novembre 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Richard MULLOT, avocat, au nom de la S.C.S. MO et Cie, en date des 12 octobre 2000 et 14 décembre 2000 ;

Ouï Maître Alexis MARQUET, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame l RO, et Maître Richard MULLOT, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la S.C.S. MO et Cie, en leurs plaidoiries et conclusions ;

Lesdits avocat-défenseur et avocat ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauchée à compter du 1er janvier 1998 par la SCS MO et Cie en qualité de vendeuse à temps partiel, l RO a été licenciée de cet emploi par lettre en date du 4 novembre 1999, pour le motif suivant :

«Ainsi que nous vous en avons fait part oralement, par » l'intermédiaire de notre responsable Madame PE DES GA, le développement de notre boutique nécessite à « l'heure actuelle la présence d'une vendeuse à plein temps.

» Nous vous avons proposé, en priorité, de modifier votre « contrat de travail de mi-temps à plein temps.

» Devant votre refus d'accepter ce changement, nous nous « voyons malheureusement dans l'obligation de renoncer à vos » services et de mettre fin à votre contrat de travail après un « préavis d'un mois à compter de la première présentation de la » présente lettre. « ;

Soutenant que son licenciement avait été mis en œuvre pour un motif non valable, et qu'il revêtait en outre un caractère manifestement abusif, l RO, ensuite d'un procès-verbal de défaut en date du 19 juin 2000, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des sommes suivantes :

  • 3.879,36 F, à titre d'indemnité de licenciement ;

  • 24.246,00 F, à titre de dommages et intérêts ;

À la date fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis, après quatre renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 15 février 2001 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 29 mars 2001 ;

l RO soutient en premier lieu que si elle a certes refusé la modification de son contrat de travail qui lui avait été proposée au cours du mois de septembre 1999 par son employeur, ce refus ne peut constituer un motif valable de licenciement dès lors d'une part que la SCS MO ne justifie pas avoir procédé à l'embauche d'un salarié à temps plein et que d'autre part son ancien employeur » aurait très bien pu engager une seconde employée à temps partiel « ;

Elle prétend en second lieu à titre principal que la SCS MO a agi avec l'intention délibérée de lui nuire et à titre subsidiaire et en tout état de cause que cette dernière a fait preuve en l'espèce d'une légèreté » que l'on ne peut que qualifier de blâmable « ;

Elle souligne à cet effet qu'alors qu'elle travaillait pour le compte de la SCS MO depuis près de deux ans cette dernière a attendu son retour de congé de maternité pour lui proposer de travailler à temps complet, sachant très bien que ses nouvelles charges familiales ne lui permettraient pas de satisfaire à cette offre ;

Elle estime dans ces conditions que cette proposition ne lui a été adressée par la SCS MO que pour pouvoir ultérieurement lui opposer les conséquences de son refus ; Que son licenciement revêt ainsi un caractère manifestement abusif ;

Elle demande en conséquence au Tribunal du travail de faire droit à l'intégralité des prétentions contenues dans sa requête introductive d'instance, telles qu'elles ont été détaillées ci-dessus ;

La SCS MO et Cie conclut pour sa part au rejet de l'ensemble des demandes formées à son encontre par l RO ;

Elle invoque à cette fin en substance les arguments suivants :

– dès lors d'une part que la proposition de modification du contrat de travail adressée à l RO était » indispensable « au bon fonctionnement de l'entreprise, et d'autre part qu'elle démontre, par les pièces versées aux débats, avoir effectivement procédé dès le 1er novembre 1999 à l'embauche d'un salarié à temps complet, le refus opposé par la demanderesse en réponse à l'offre qui lui avait été faite constitue bien un motif valable de licenciement ;

– en proposant par priorité à l RO le poste à plein temps à pourvoir aux lieu et place du poste à mi-temps qu'elle occupait, et qui a été ultérieurement supprimé, elle a respecté ses obligations envers cette salariée ;

En conséquence l'intention de nuire, dont elle aurait été animée en l'espèce et sa légèreté blâmable ne sont pas caractérisées ;

SUR CE,

1) Sur la validité du motif

Il est constant en l'espèce que l RO n'a pas accepté la proposition de modification d'un élément essentiel de son contrat de travail (transformation d'un emploi à mi-temps en un emploi à temps complet) qui lui avait été proposée au cours du mois de septembre 1999 par la SCS MO ;

La rupture imputable à l'employeur, qui découle de sa volonté maintenue d'imposer au salarié des conditions nouvelles que celui-ci refuse n'étant pas illégitime en elle-même, il convient, pour apprécier s'il existe un motif valable de licenciement, de rechercher si la modification proposée par l'employeur répond à un intérêt réel pour l'entreprise ;

Force est de constater en l'espèce en premier lieu que le » développement de la boutique BR ", n'a jamais été contestée par l RO ;

Le Juge ne pouvant par ailleurs substituer son appréciation à celle de l'employeur, seul responsable de la bonne marche de l'entreprise, il ne peut sérieusement être reproché à la SCS MO de n'avoir pas envisagé l'embauche d'un second employé à temps partiel ;

Dès lors enfin qu'il résulte des pièces produites par la SCS MO que le poste de vendeuse à temps complet a bel et bien été créé et pourvu dès le 1er novembre 1999 par une salariée recrutée, sous contrat à durée indéterminée (cf. attestation d'embauche de Madame a AM et fiches de paie de l'intéressée), la proposition de modification substantielle de son contrat de travail faite à l RO au cours du mois de septembre 1999 ne constitue pas un prétexte fallacieux destiné à l'évincer à moindres frais de l'entreprise ;

L'employeur ayant ainsi en définitive un motif légitime de modifier les conditions substantielles du contrat de travail de l RO, le refus de cette dernière d'accepter la transformation de son emploi à temps partiel en un temps plein doit être considéré comme un motif valable de licenciement ;

l RO ne peut en conséquence prétendre au bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845 ;

2) Sur le caractère abusif de ce licenciement

Il appartient au salarié qui réclame l'allocation des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729 de rapporter la preuve non seulement du préjudice qu'il estime avoir subi, mais aussi de la faute que l'employeur aurait commise dans l'exercice où la mise en œuvre de son droit de mettre fin au contrat de travail ;

Il n'est pas établi en premier lieu par les pièces versées aux débats par l RO qu'en proposant à cette dernière, dans le contexte social et économique actuel, où la présence d'un enfant en bas âge ne constitue plus un obstacle au travail des femmes, la transformation de son emploi à mi-temps en un emploi à temps complet, et donc l'augmentation dans les mêmes proportions de sa rémunération, la SCS MO ait manifesté son intention de nuire aux intérêts de cette salariée ;

Dès lors en outre que la SCS MO a non seulement respecté en tous points la procédure applicable, mais en outre laissé à l RO un temps de réflexion suffisant pour examiner la proposition qui lui avait été soumise, la précipitation ou la légèreté dont l'employeur auraient fait preuve en l'espèce ne sont pas davantage caractérisés ;

Le licenciement ne pouvant ainsi être qualifié d'abusif, l RO sera également déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de l RO a été mis en œuvre pour un motif valable ;

Dit en outre que cette mesure ne revêt aucun caractère abusif ;

Déboute en conséquence l RO de l'intégralité de ses prétentions ;

Condamne l RO aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions régissant l'assistance judiciaire.

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