Tribunal du travail, 1 mars 2001, i QU épouse FU c/ la S.C.S. DA et Cie

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Abstract🔗

Modification de l'horaire d'une salariée à temps partiel - Refus - Simple modification des conditions de travail sauf preuve du caractère déterminant de l'horaire dans l'accord donné

Résumé🔗

L'aménagement de l'horaire, en principe simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction, peut constituer un élément essentiel du contrat lorsque les parties en sont convenues lors de sa conclusion ou lorsque la preuve est rapportée du caractère déterminant de l'horaire dans l'accord donné, en raison de la nature de l'emploi, de la situation personnelle du salarié ou de ses contraintes familiales.

Une vendeuse à temps partiel est licenciée pour faute grave par le repreneur du fonds de commerce dans lequel elle travaille, au motif qu'elle ne s'était pas conformée aux horaires fixés. Soutenant que ces horaires étaient imposés unilatéralement, sans concertation préalable et de façon intempestive, la salariée qui s'estimait, en réalité, sanctionnée par suite d'un manque d'assiduité lié à deux grossesses successives, avait attrait son employeur devant le Tribunal du Travail. Elle demandait des indemnités de préavis, congés payés sur préavis, de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement, un solde de salaires et des dommages et intérêts pour licenciement abusif.

L'employeur se fondait sur son pouvoir de direction qui lui permet de déterminer, seul, et répartir la durée et les horaires de travail, pour légitimer la mesure prise à l'encontre de cette salariée qui, malgré différents avertissements, avait manifesté une volonté délibérée de désobéissance, en ne respectant pas les horaires fixés.

Le Tribunal du travail, après avoir rappelé le principe voulant que la détermination des horaires relève des conditions de travail soumises au pouvoir de direction de l'employeur, énonce qu'il en va autrement lorsque les parties ont manifesté leur intention, lors de la conclusion du contrat, d'ériger l'horaire convenu comme un élément essentiel. Ce dernier, lorsqu'il ne résulte pas d'une clause particulière dans le contrat, peut résulter de la nature de l'emploi, de la situation personnelle du salarié ou de ses contraintes familiales. En l'espèce, la pratique suivie par les parties au cours de l'exécution du contrat de travail, démontrait que l'horaire de travail de la salariée constituait un élément essentiel de la relation contractuelle qui lui permettait de concilier les impératifs de sa vie professionnelle avec ses lourdes charges familiales. Le nouvel horaire qui lui avait été notifié s'analysait ainsi comme une modification du contrat et son refus d'y souscrire ne constituait ni une faute grave ni même un motif valable de licenciement. Si une indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement non cumulable était due, en revanche, le licenciement de la dame I.F. ne pouvait être qualifié d'abusif, au regard des contraintes de l'employeur et des perturbations occasionnées dans le fonctionnement de l'entreprise par les absences répétées et prolongées de cette salariée.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 21 mars 2000 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 11 avril 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur, au nom de Madame i QU épouse FU, en date des 11 mai 2000 et 12 octobre 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de la S.C.S. DA et Cie, en date du 7 septembre 2000 ;

Ouï Maître Yann LAJOUX, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, assisté de Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame i FU, et Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la S.C.S. DA et Cie, en leurs plaidoiries et conclusions ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauchée en qualité de vendeuse à temps partiel d'abord par Monsieur QUAY puis, à la suite de la cession du fonds à l'enseigne Geneviève LE, par la SCS DA et Cie, i FU a été licenciée de son emploi, sans préavis ni indemnités de rupture, le 9 août 1999 pour le motif suivant :

« Suite à nos différents courriers, vous ne vous êtes » toujours pas conformée aux horaires qui vous avaient été « soumis. » ;

Soutenant d'une part qu'elle n'avait pas été intégralement remplie de ses droits au cours de l'exécution du contrat de travail, et d'autre part que son licenciement avait été mis en œuvre pour un motif non valable et qu'il revêtait en outre un caractère manifestement abusif, i FU, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 10 avril 2000, a attrait devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail son ancien employeur, afin d'obtenir l'allocation à son profit des sommes suivantes :

  • 5.485,79 F, à titre « d'indemnité compensatrice de congés payés sur 21 jours »,

  • 13.583,88 F, à titre d'indemnité compensatrice de préavis (deux mois),

  • 679,19 F, à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

  • 5.161,88 F, représentant, après déduction de l'indemnité de congédiement non cumulable, le montant de l'indemnité de licenciement lui revenant,

  • 2.427,67 F, représentant le solde du salaire d'août 1999,

  • 50.000,00 F, à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, « préjudice moral et financier », le tout avec intérêts de droit à compter de la citation en conciliation.

À la date fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis, après quatre renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 18 janvier 2001 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 1er mars 2001 ;

i FU soutient en premier lieu, à l'appui de ses prétentions, que le non-respect des horaires de travail qui lui ont été imposés unilatéralement et sans concertation préalable par son employeur, le plus souvent par de simples notifications remises la veille pour le lendemain, ne peut constituer une faute grave, ni même un motif valable de licenciement ;

Elle prétend par ailleurs que la lecture du récapitulatif exhaustif de ses absences, établi par la S.C.S. DA, démontre que son employeur a en réalité voulu sanctionner son manque d'assiduité dans l'exercice de son activité professionnelle, provoqué par deux grossesses successives, ayant donné lieu, outre les congés de pré et post maternité, à des arrêts de travail nombreux et prolongés ;

Qu'en conséquence son éviction brutale et précipitée de l'entreprise ayant été mise en œuvre sur la base d'un faux motif, son licenciement revêt nécessairement un caractère abusif ;

La S.C.S. DA et Cie conclut pour sa part à l'entier débouté des demandes formées à son encontre ;

Elle fait valoir, en substance, à cet effet :

– que la charge de la fixation et de la répartition de la durée du travail entre les employés selon les circonstances et en fonction de la nécessité de la bonne marche de l'établissement qu'il exploite appartient exclusivement à l'employeur, le salarié devant pour sa part se soumettre aux instructions et aux directives qui lui sont données ; qu'en conséquence le non-respect par i FU de l'horaire de travail qui lui avait été imparti par son employeur constitue bien une faute ; qu'en outre la réitération par cette dernière de la même faute, en dépit des avertissements qui lui ont été successivement notifiés, illustre sa volonté délibérée de désobéissance et d'insubordination et justifie donc un licenciement immédiat, sans préavis ni indemnités de rupture ;

– qu'à partir du moment où le motif allégué au soutien de la rupture du contrat de travail n'est ni fallacieux, ni mensonger, ni caractéristique d'une légèreté pouvant être blâmable, le licenciement ne peut être qualifié d'abusif ;

SUR CE,

Il résulte de la lecture tant de la lettre de notification de la rupture que des conclusions des parties que le non-respect par i FU des horaires de travail qui lui avaient été impartis par son employeur constitue l'unique motif de son licenciement ;

Il est constant, en droit, que l'employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, peut imposer unilatéralement à un salarié un changement de ses conditions de travail ; qu'il ne lui est pas possible, en revanche, de modifier un élément essentiel du contrat de travail, sans avoir obtenu au préalable l'assentiment du salarié concerné ;

Si l'aménagement de l'horaire, lorsqu'il n'a pas d'incidence sur la durée du travail ou sur le montant de la rémunération, constitue en principe un simple changement des conditions de travail et relève donc du pouvoir de direction de l'employeur, il en va autrement toutefois lorsque les parties ont manifesté leur intention, lors de la conclusion du contrat, d'ériger l'horaire convenu en un élément essentiel ;

Ce caractère essentiel, qui se traduit le plus souvent par l'insertion d'une clause particulière dans le contrat de travail, peut également résulter de la preuve que l'horaire était déterminant dans l'accord du salarié, compte tenu notamment de la nature de son emploi, de sa situation personnelle ou de ses contraintes familiales ;

En l'espèce, si la demande de modification du contrat de travail adressée le 25 août 1997 par la S.C.S. DA et Cie au service de l'emploi ne comporte certes aucune mention particulière, seul le nombre d'heures de travail (30 heures par semaine) étant expressément précisé, il apparaît toutefois, à la lecture des conclusions concordantes des parties sur ce point, que dès sa prise de fonction au service de cette société en septembre 1997, i FU a demandé et obtenu de son employeur un aménagement particulier de son horaire de travail, afin de lui permettre d'être disponible pour ses enfants à la sortie de l'école ; qu'ainsi cette dernière a été autorisée par son employeur dans un premier temps à effectuer l'horaire de travail suivant :

9 H 30 - 11 H 30

12 H 00 - 16 H 00

du lundi au vendredi soit un total de 30 H 00.

Que cet horaire, après une modification temporaire liée aux contraintes particulières du Grand-Prix, s'est par la suite établi, à compter du lundi 25 mai 1998, comme suit :

10 H 00 - 16 H 00

du lundi au vendredi soit un total de 30 H 00.

Il résulte ainsi de la pratique suivie par les parties au cours de l'exécution du contrat de travail que l'horaire de travail constituait indiscutablement pour i FU un élément essentiel de la relation contractuelle, en ce qu'il lui permettait de concilier les impératifs de sa vie professionnelle avec ses lourdes charges familiales ;

Le nouvel horaire notifié a i FU par la S.C.S. DA le 12 juillet 1999, dès lors qu'il obligeait cette dernière à venir travailler à compter du 19 juillet 1999, en sus des matinées, chaque soir de 16 H 30 à 19 H 00 s'analyse incontestablement en une modification du contrat de travail ;

L'employeur ne pouvant imposer cette modification à i FU, sans avoir obtenu l'accord de l'intéressée, le refus de cette dernière de se conformer à ce nouvel horaire ne constitue ni une faute grave, ni même un motif valable de licenciement ;

Cette dernière est donc en droit, compte tenu de son ancienneté et du montant de la rémunération mensuelle convenue, de prétendre à l'allocation à son profit des sommes suivantes :

  • 13.583,88 F, représentant deux mois de salaires, au titre du préavis,

  • 1.358,38 F, au titre des congés payés sur ledit préavis,

le Tribunal ne pouvant toutefois statuer ultra petita, il sera alloué à la demanderesse la somme réclamée à ce titre dans sa requête introductive d'instance, soit 679,19 F ;

  • 5.161,88 F, au titre de l'indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement non cumulable ;

En l'absence d'indication du fondement exact de ces demandes et de production des justificatifs correspondants, les demandes formulées par i FU au titre des congés payés et du solde de salaire du mois d'août 1999 ne pourront en revanche qu'être rejetées ;

Le licenciement d'i FU ne pouvant, au regard des contraintes de l'employeur et des perturbations occasionnées dans le fonctionnement de l'entreprise par les absences répétées et prolongées de cette salariée, être qualifié d'abusif, cette dernière sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré ;

Dit que le licenciement d'i FU a été mis en œuvre pour un motif non valable ;

Dit en revanche que cette mesure ne revêt pas de caractère abusif ;

Condamne en conséquence la S.C.S. DA et Cie à payer à i FU les sommes suivantes :

  • 13.583,88 Francs, (treize mille cinq cent quatre-vingt-trois francs et quatre-vingt-huit centimes), à titre d'indemnité de préavis ;

  • 679,19 Francs, (six cent soixante-dix-neuf francs et dix-neuf centimes), au titre des congés payés sur le préavis ;

  • 5.161,88 Francs (cinq mille cent soixante et un francs et quatre-vingt-huit centimes), au titre de l'indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement non cumulable ;

Déboute i FU du surplus de ses prétentions ;

Condamne la S.C.S. DA et Cie aux entiers dépens.

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