Tribunal du travail, 21 décembre 2000, t. SU. c/ m. CA.

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Abstract🔗

Licenciement économique masquant un licenciement pour motif personnel - Licenciement abusif

Résumé🔗

En usant d'un faux motif, un employeur fait un usage abusif du droit qui lui est reconnu par la loi de mettre unilatéralement un terme au contrat de travail.

Embauché en qualité d'agent de propreté par une entreprise de nettoyage et promu chef d'équipe quelques mois plus tard, un salarié est licencié au motif de difficultés financières rendant nécessaire la suppression de son poste. Il conteste la validité du motif devant le bureau de jugement du tribunal du Travail où il a attrait son employeur, soutenant que la réalité des difficultés financières alléguées n'est pas établie et que le véritable motif de la rupture est personnel. Il estime aussi qu'il aurait dû bénéficier d'une priorité de reclassement dont il a été privé. De son côté l'employeur estime suffisamment justifiées les difficultés de trésorerie par une attestation du comptable et souligne qu'il a accepté de réintégrer le salarié suite à l'intervention de l'inspecteur du Travail.

Le Tribunal du Travail décide que le seul document versé aux débats n'est pas suffisamment démonstratif des « graves problèmes de trésorerie » qui auraient rendu nécessaire, selon l'employeur, la « restructuration de l'entreprise ». La non validité du motif de licenciement justifie l'allocation de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, déduction faite de l'indemnité de congédiement non cumulable, déjà versée. Si la proposition de réintégration, à laquelle il n'a pas été donné suite par le salarié, exclut la violation des dispositions de l'article 6 de la loi n° 629 modifiée, en revanche, l'usage d'un faux motif économique masquant, en réalité, un motif personnel, rend le licenciement abusif. Une somme de 30.000 F est allouée au salarié eu égard à son ancienneté de quinze mois et au licenciement concomitant de son épouse.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 19 mars 1999 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date du 20 avril 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur, au nom de Monsieur t. SU., en date des 18 novembre 1999 et 10 février 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Madame m. CA., en date des 6 janvier 2000 et 23 mars 2000 ;

Ouï Maître Yann LAJOUX, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco, assisté de Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur t. SU., et Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame m. CA., en leurs plaidoiries et conclusions ;

Vu les pièces du dossier ;

t. SU. a été embauché le 18 août 1997 par m. CA., exploitant le commerce sous l'enseigne C'NET en qualité d'agent de propreté, coefficient 150 ;

Il a été promu chef d'équipe, au coefficient 180 à compter du 1er mars 1998 ;

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 15 octobre 1998, il s'est vu notifier son licenciement pour le motif suivant « suppression de votre poste de chef d'équipe », cette rupture étant, selon les indications fournies par l'employeur, générée par « une conjoncture actuelle difficile et des raisons économiques » ;

Contestant d'une part la validité du motif économique invoqué par m. CA. et soutenant d'autre part que cette dernière avait en l'espèce non seulement fait un usage abusif de son droit de mettre fin au contrat de travail, mais également contrevenu aux dispositions de la loi n° 629 du 17 juillet 1957, t. SU., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 19 avril 1999, a attrait devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail son ancien employeur afin d'obtenir l'allocation à son profit des sommes suivantes :

• 3.706,17 F, à titre d'indemnité de licenciement (après déduction de l'indemnité de congédiement non cumulable),

• 100.000,00 F, à titre de dommages et intérêts.

À la date fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis, après huit renvois contradictoires intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été débattue lors de l'audience du 16 novembre 2000 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour, 21 décembre 2000 ;

t. SU. fait valoir, à l'appui de ses prétentions, que le motif économique invoqué par son employeur n'est pas avéré, l'attestation établie par Monsieur VE. n'étant pas suffisante pour établir la réalité des difficultés financières alléguées alors, au surplus, que l'entreprise avait fait l'acquisition, quelques mois avant son licenciement, d'une camionnette et d'un ordinateur ;

Il soutient que son congédiement visait en réalité à sanctionner le refus d'effectuer au domicile des époux CA. des travaux ne relevant pas de ses obligations contractuelles, qu'il avait opposé le 14 octobre 1998 au mari de l'employeur ;

Il estime enfin qu'en le licenciant alors qu'il pouvait prétendre par déclassement au poste occupé par un salarié disposant d'un rang de priorité inférieur au sien, m. CA. a violé les dispositions de la loi n° 629 ;

Il demande en conséquence au Tribunal du Travail de faire droit à l'intégralité de ses prétentions, telles qu'elles ont été exposées ci-dessus ;

m. CA. conclut pour sa part à l'entier débouté des demandes formulées à son encontre ;

Elle indique à cet effet que si t. SU. lui a certes toujours donné entière satisfaction dans ses prestations et son comportement, les problèmes de trésorerie « suffisamment importants » rencontrés par l'entreprise au cours de l'année 1998 et dont elle justifie par une attestation émanant de son comptable l'ont contrainte à revoir la structure du personnel et à supprimer le poste de chef d'équipe ;

Elle estime par ailleurs qu'à partir du moment où, suite à l'intervention de l'inspecteur du travail, elle a expressément accepté de réintégrer t. SU. dans son entreprise au poste d'agent de nettoyage, il ne peut lui être reproché d'avoir contrevenu aux dispositions de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 ;

SUR CE,

1) Sur la validité du motif

Il résulte à la fois de la lettre de notification de la rupture en date du 15 octobre 1999 et des conclusions de m. CA. devant cette juridiction que le motif économique l'ayant conduite à licencier t. SU. résiderait dans les « graves problèmes de trésorerie » rencontrés au cours de l'exercice 1998, lesquels auraient rendu nécessaire une « restructuration » de l'entreprise ;

Pour rapporter la preuve, dont la charge lui incombe, de la réalité de ce motif, m. CA. verse aux débats en tout et pour tout une seule pièce, constituée par une lettre de son comptable, aux termes de laquelle celui-ci atteste que le bilan établi pour l'exercice 1998 « fait apparaître une perte » (sans autres précisions) ;

Dès lors d'une part que le montant de la perte subie n'est absolument pas précisé et d'autre part qu'il n'est pas accompagné des documents comptables correspondant (le bilan lui-même n'a pas été produit), ce document n'est pas suffisant pour caractériser l'existence des graves difficultés économiques alléguées ;

Il ne démontre pas davantage la nécessité dans laquelle l'employeur se serait trouvé de supprimer le poste de chef d'équipe occupé par t. SU. ;

La non validité du motif de licenciement invoqué par m. CA. ouvre droit au profit de t. SU. à l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, soit une somme de

(7.326,15 x 15) / 25 = 4.395,60 F, dont à déduire la somme de 741,23 F, versée à titre d'indemnité de congédiement, les deux indemnités n'étant pas cumulables, soit un solde de 3.654,37 F ;

2) Sur le caractère abusif du licenciement

Si l'examen de la liste du personnel en fonction dans l'entreprise de m. CA., transmise par cette dernière à l'inspecteur du travail le 26 octobre 1998, confirme certes que t. SU. disposait d'un rang de priorité supérieur à celui de Monsieur PE. lui permettant de prétendre, par déclassement, au poste d'agent de nettoyage occupé par ce salarié, il résulte toutefois de l'« Historique de l'affaire » établie par Monsieur BE., inspecteur principal du travail :

• qu'en suite de l'intervention de ce haut fonctionnaire, m. CA. a accepté de réintégrer t. SU. au sein de son entreprise aux lieu et place de Monsieur PE.,

• que cette information a été communiquée à la fois oralement et par écrit à t. SU.,

• qu'en l'absence de toute réponse de celui-ci l'inspecteur du travail a considéré qu'il n'entendait pas donner suite à la proposition qui lui avait été faite.

Au vu de ces divers éléments et en l'absence de demande de t. SU. tendant à être versé dans la catégorie des agents de nettoyage, aucune violation des dispositions de l'article 6 de la loi n° 629 modifiée du 17 juillet 1957 n'est en l'espèce caractérisée ;

Il ressort en revanche indiscutablement de la combinaison de l'attestation de Monsieur PE., de la lettre de dénonciation du solde de tout compte adressée le 16 janvier 1999 à m. CA. et enfin des écritures de cette dernière, que le licenciement qualifié d'économique notifié à t. SU. masque en réalité un licenciement disciplinaire, visant à sanctionner le refus par ce salarié de se rendre, en dehors de ses horaires de travail, au domicile de son employeur pour y effectuer, semble-t-il à titre bénévole, pour le compte personnel de celui-ci divers travaux d'entretien et de peinture ;

En usant ainsi d'un faux motif m. CA. a fait un usage abusif du droit qui lui est reconnu par la loi de mettre unilatéralement un terme au contrat de travail de t. SU. ;

Le préjudice, à la fois matériel et moral, subi par ce salarié à la suite de ce licenciement, sera, eu égard aux éléments dont le Tribunal dispose (ancienneté de 15 mois - salaire brut de 7.326,15 F - concomitance des licenciements de t. SU. et de son épouse), justement réparé par l'allocation, à son profit, d'une somme de 30.000,00 F, à titre de dommages et intérêts ;

Succombant en toutes ses prétentions, m. CA. sera condamnée aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions des articles 49 et suivants du Code de procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de t. SU. a été mis en œuvre pour un motif non valable ;

Dit en outre qu'il revêt un caractère abusif ;

Condamne en conséquence m. CA. à payer à t. SU. les sommes suivantes :

  • 3.654,37 Francs, (trois mille six cent cinquante-quatre francs et trente-sept centimes), à titre d'indemnité de licenciement,

  • 30.000,00 Francs, (trente mille francs), à titre de dommages et intérêts.

Condamne m. CA. aux dépens, qui seront recouvrés par l'Administration de l'enregistrement conformément aux dispositions des articles 49 et suivants du Code de procédure civile.

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