Tribunal du travail, 28 septembre 2000, m. RA. c/ la SAM LABORATOIRES ASEPTA

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Abstract🔗

Contrat de travail - Rupture - Inaptitude physique - Tentatives infructueuses de reclassement - Licenciement Caractère abusif - Légèreté blâmable (non)

Résumé🔗

La constatation de l'incapacité d'exercice de la totalité des attributions d'un salarié exclut le licenciement abusif après tentatives de reclassement.

Constitue un licenciement abusif, celui qui révèle un comportement fautif de l'employeur dans l'usage du droit de résiliation unilatérale qui lui est reconnu par la loi, lorsqu'il a agi, sans motif légitime, avec une légèreté blâmable ou une intention de nuire.

Tel n'est pas le cas, en l'espèce, du licenciement d'un salarié auquel l'employeur avait proposé, afin de le conserver à son service, une solution de reclassement, à la suite de la constatation de son inaptitude physique à l'emploi qu'il occupait, et qui ne s'est résolu à le licencier que devant la constatation médicale de son incapacité à exercer, dans des conditions normales, la totalité des attributions pour lesquelles il avait été embauché.


Motifs🔗

P R I N C I P A U T E D E M O N A C O

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 28 SEPTEMBRE 2000

En la cause de Madame Veuve m. RA., demeurant : « X » X MC 98000 MONACO, seule héritière de Monsieur a. RA. décédé le 5 mars 1998, et ayant exercé la profession de VRP,

demanderesse, plaidant par Maître Patricia REY, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son étude ;

d'une part ;

Contre la SOCIETE ANONYME MONEGASQUE LABORATOIRES ASEPTA, sise à MONACO - 4, Rue du Rocher, prise en la personne de son représentant légal en exercice, ou de son mandataire dûment habilité,

défenderesse, plaidant par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son étude ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 26 juin 1998 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date du 14 juillet 1998 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Patricia REY, avocat, au nom de Madame Veuve m. RA., en date des 26 novembre 1998, 27 mai 1999, 18 novembre 1999 et 10 février 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE LABORATOIRES ASEPTA, en date des 4 mars 1999, 1er juillet 1999 et 6 janvier 2000 ;

Ouï Maître Patricia REY, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame Veuve m. RA. et, Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE LABORATOIRES ASEPTA en leurs plaidoiries et conclusions ;

Lesdits avocat et avocat-défenseur ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauché par la SAM ASEPTA le 21 février 1972 en qualité d'emballeur, a. RA. a été successivement nommé au poste d'agent de planning à compter du 1er janvier 1983 puis à compter du 1er février 1984 à celui de VRP exclusif ;

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 16 janvier 1998, la SAM ASEPTA a notifié à a. RA. son licenciement dans les termes suivants :

« Je fais suite aux deux entretiens que j'ai eu avec vous ce matin. Au cours du premier entretien je vous ai demandé de me faire part de votre position définitive au regard de notre proposition de reclassement du 12 janvier 1998.

» Bien qu'aucune obligation de reclassement ne nous soit imposée par le droit monégasque en cas d'inaptitude, nous vous avons proposé, afin de vous permettre d'assumer une fonction compatible avec votre état de santé, de modifier votre contrat de travail de VRP en prenant en charge un poste d'agent de conditionnement aux conditions financières de notre lettre du 12 janvier 1998 ;

« Vous m'avez indiqué que votre métier était celui de représentant, que vous demandiez le maintien de votre contrat de travail de représentant et qu'en conséquence vous refusiez de nous donner votre accord écrit sur notre proposition.

» Je vous ai confirmé que votre inaptitude portée à notre connaissance le 5 janvier 1998 et confirmée le 15 janvier 1998 par un deuxième certificat de la Médecine du Travail, ne nous « permettait pas de maintenir votre contrat de représentant.

» Vous savez que votre état de santé vous a amené à « suspendre votre contrat de travail :

» - en 1995 durant 85 jours calendaires,

« - en 1996 durant 51 jours calendaires,

» - en 1997 durant 346 jours calendaires.

« Ces arrêts de maladie débouchent aujourd'hui sur une inaptitude à la fonction de VRP que nous indique la Médecine du Travail et que l'entreprise ne peut que constater. Il nous appartient par ailleurs dans l'intérêt de l'entreprise, de prendre toutes dispositions en conséquence.

» Prenant acte de votre inaptitude et de votre prise de position au regard de notre proposition de modification du contrat de travail, je vous ai reçu une deuxième fois afin de vous faire part que la Direction Générale était en conséquence amenée à mettre un terme à votre collaboration, dès ce jour et vous ai libéré immédiatement.

« Je vous confirme par la présente que vous cesserez de faire partie de notre personnel dès réception de la présente et que la Direction du Personnel vous remettra sous quinzaine votre solde de tout compte et tous les documents consécutifs à ce » licenciement « ;

Soutenant que son licenciement ne reposait sur aucun motif valable, l'aptitude limitée prononcée par le Médecin du Travail ne pouvant être assimilée à une inaptitude totale à l'exercice de la fonction de VRP et qu'en l'état de la légèreté blâmable dont avait fait preuve l'employeur cette mesure revêtait, en outre, un caractère abusif, m. RA., agissant en qualité de veuve et seule héritière d'a. RA., décédé le 5 mars 1998, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 13 juillet 1998 a attrait la SAM ASEPTA devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, sa condamnation au paiement des sommes suivantes :

  • 53.832,34 F, à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

  • 5.383,23 F, au titre des congés payés sur le préavis,

  • 430.658,76 F, à titre de dommages et intérêts,

le tout majoré des intérêts au taux légal à compter de leur échéance pour les salaires et de la date de l'audience de conciliation pour les dommages et intérêts ;

À la date fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis, après douze renvois contradictoires intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été débattue lors de l'audience du 13 juillet 2000 et mise en délibéré pour être le jugement rendu le 28 septembre 2000 ;

m. RA. expose, à l'appui de ses prétentions, qu'à la suite d'une opération très délicate du cœur son époux est resté plusieurs mois en incapacité de travail ; qu'au terme de cette période d'incapacité médicalement justifiée, le Médecin du Travail, lors de la visite de reprise, après l'avoir examiné a déclaré a. RA. apte à reprendre son emploi de VRP mais ce sans efforts physiques importants ni déplacements hors département (MONACO - Alpes Maritimes) ;

Qu'à l'issue d'une nouvelle visite de contrôle, réalisée à la demande d'a. RA., le Docteur MO. a précisé le 15 janvier 1998 que les restrictions qu'il avait précédemment émises présentaient un caractère temporaire » jusqu'au prochain contrôle du cardiologue « ; qu'enfin le 23 janvier 1998, après un contrôle cardiologique, lequel s'était avéré excellent, le Médecin du Travail a considéré qu'a. RA. était à nouveau apte, sans aucune restriction, à son emploi de VRP ;

Elle fait valoir, en premier lieu, qu'en considérant les avis d'aptitude, assortis de restrictions temporaires, prononcés les 5 et 15 janvier 1998 par le Docteur MO. comme une inaptitude totale à exercer les fonctions de VRP, alors qu'une fiche d'aptitude rédigée par un Médecin du Travail s'impose à l'employeur et ne laisse place à aucune interprétation, la SAM ASEPTA a licencié a. RA. pour un motif qui ne peut être considéré comme valable ; qu'en outre cette dernière ne pouvait d'avantage se prévaloir des dispositions de l'article 16 de la loi n° 729, dès lors qu'à la date du 16 janvier 1998 le contrat de travail d'a. RA. n'était pas suspendu ;

Elle estime par ailleurs qu'à partir du moment ou a. RA. se trouvait à la disposition de son employeur pour exécuter, dans les conditions fixées par le Médecin du Travail, son emploi de VRP, celui-ci était en droit de prétendre au bénéfice de l'indemnité de préavis prévue par l'article 6 de la loi n° 629 ; qu'en tout état de cause, en lui proposant un poste d'agent de conditionnement, la SAM ASEPTA a reconnu qu'a. RA. ne se trouvait pas dans l'incapacité totale de travailler ;

Soutenant enfin qu'en licenciant avec précipitation pour inaptitude un salarié qui était en réalité apte à son poste de travail, la SAM ASEPTA a agi avec une légèreté particulièrement blâmable, m. RA. demande au Tribunal du Travail de faire droit à l'intégralité de ses demandes, telles qu'elles ont été détaillées ci-dessus ;

La SAM ASEPTA conclut pour sa part à l'entier débouté des demandes formées à son encontre par m. RA. ;

Elle fait valoir à cet effet, en premier lieu, que le licenciement d'un salarié pour cause d'inaptitude médicalement constatée, repose sur un motif valable et ne revêt de surcroît aucun caractère abusif ;

Après avoir liminairement rappelé que les déplacements caractérisent indubitablement la fonction de VRP, laquelle ne constitue pas une activité sédentaire, mais un travail itinérant de représentation, elle soutient qu'en l'espèce, au regard de l'ampleur des restrictions émises (sans efforts physiques importants et sans déplacements en dehors de la Principauté de MONACO et du département des Alpes Maritimes) l'avis d'aptitude délivré par le Médecin du Travail doit en réalité s'analyser en un avis d'inaptitude d'a. RA. aux fonctions de VRP ;

Elle prétend par ailleurs qu'aucune intention de nuire ne peut lui être reprochée, dès lors :

  • qu'au lieu de licencier a. RA. dès le 5 janvier 1998, elle lui a offert un reclassement, qu'elle n'était nullement contrainte de proposer,

  • que seul le refus du salarié d'accepter la solution de reclassement qui lui avait été proposée a motivé son licenciement,

  • qu'elle aurait pu, en tout état de cause, licencier a. RA. pour cause de maladie excédant six mois dès le courant de l'année 1997,

  • qu'en outre le décès de celui-ci, intervenu le 5 mars 1998, vient confirmer que le choix de l'employeur était fondé sur la conscience de ses responsabilités, non seulement vis à vis du salarié, mais également à l'égard des tiers.

Elle estime enfin qu'à partir du moment où a. RA. était inapte à assurer son travail de VRP, aucun préavis ne lui est dû ;

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur la validité du motif du licenciement

Il résulte des termes de la lettre de notification de la rupture, que le licenciement repose d'une part sur l'inaptitude d'a. RA. à exercer son emploi de VRP et d'autre part sur le refus de ce dernier d'accepter la proposition de reclassement qui lui avait été faite par la SAM ASEPTA ;

Il est constant, en droit, que l'inaptitude d'un salarié à exercer les fonctions qui lui sont confiées constitue un motif valable de licenciement ;

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats qu'a. RA. s'était vu confier, à compter du 1er février 1984, les fonctions de voyageur représentant placier ; qu'il était chargé, à ce titre, de prospecter le secteur géographique suivant :

  • Principauté de MONACO,

  • Département des Alpes Maritimes,

  • Département des Alpes de Haute Provence,

  • Département de la Savoie,

  • Département de la Haute Savoie,

dans lequel il comptait au total 750 clients, dont 60 % dans les seuls départements de la Savoie et de la Haute Savoie ;

Si le Docteur MO. a certes indiqué dans les deux certificats délivrés par ses soins les 5 et 15 janvier 1998 qu'a. RA. était apte à exercer son emploi, il a toutefois subordonné, » jusqu'au prochain contrôle du spécialiste ", ces avis d'aptitude à la double réserve suivante :

• absence d'efforts physiques importants,

• limitation des déplacements (à la Principauté de MONACO et au département des Alpes Maritimes).

L'exercice des fonctions de VRP supposant par définition à la fois l'accomplissement d'efforts physiques et la réalisation de déplacements incessants, souvent lointains et prolongés, c'est à juste titre que la SAM ASEPTA a considéré que les deux avis d'aptitude partielle susvisés ne pouvaient en réalité s'analyser, compte tenu de l'ampleur des restrictions émises, qu'en une constatation médicale de l'inaptitude d'a. RA. à l'exercice de sa profession ;

Il ressort en effet de l'étude effectuée par cette société, dont les résultats n'ont pas été contestés par a. RA. ni par ses ayants droits, qu'en l'état des réserves formulées par le Docteur MO. ce salarié n'était apte qu'à visiter 18 % de sa clientèle et à produire 10 % de son chiffre d'affaires, à condition, en outre, de ne pas produire d'efforts physiques importants ;

Dès lors, en définitive, d'une part qu'à la date de la notification de la rupture a. RA. n'était pas apte à assurer normalement et pleinement ses fonctions de VRP, et d'autre part que ce dernier n'a pas accepté la solution de reclassement qui lui avait été proposée par son employeur, le licenciement de ce salarié a été mis en œuvre pour un motif valable au sens de l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 ;

2) Sur la demande d'indemnité de préavis

Durant la période de préavis, il est de principe que chacune des parties doit continuer à exécuter les obligations découlant du contrat de travail,

Il en résulte donc que l'employeur doit fournir du travail au salarié, tandis que celui-ci est tenu pour sa part d'exécuter normalement l'activité pour laquelle il a été embauché dans les conditions définies au contrat de travail ;

Dès lors en l'espèce, qu'en l'état de la double restriction émise par le Médecin du Travail, a. RA. se trouvait dans l'incapacité, du fait de son inaptitude physique, d'exécuter durant la période de préavis la totalité de ses attributions dans les conditions contractuellement définies, l'indemnité compensatrice qu'il sollicite ne lui est pas due ;

3) Sur les dommages et intérêts

En application des dispositions de l'article 13 de la loi n° 729 il appartient à m. RA. de rapporter la preuve de l'abus de droit qu'aurait commis la SAM LABORATOIRES ASEPTA lors de la mise en œuvre de son droit unilatéral de résiliation ;

Si m. RA. soutient certes, en l'espèce, que le licenciement de son défunt mari aurait été décidé de façon précipitée et pour un motif qu'elle qualifie de fallacieux, force est de constater toutefois qu'elle n'en justifie par aucune pièce ;

Il ressort au contraire des pièces versées aux débats qu'alors qu'elle n'y était juridiquement aucunement tenue, la SAM ASEPTA, compte tenu notamment de la grande ancienneté de son salarié, lui a spontanément proposé, afin de le conserver à son service, une solution de reclassement qui ne présentait, à l'examen des conditions salariales offertes, aucun caractère humiliant ou dégradant et dont rien ne permet d'affirmer qu'elle avait un caractère définitif ;

Il convient de relever par ailleurs qu'alors que les nombreuses absences d'a. RA. au cours des années 1991 à 1997, et notamment les 346 jours consécutifs d'arrêt de travail pour maladie, au cours de l'année 1997, auraient constitué un motif valable de licenciement de ce salarié, la SAM ASEPTA ne s'est résolu à se séparer de lui que devant la constatation médicale de son incapacité à exercer dans des conditions normales la totalité des attributions qui lui étaient confiées ;

Le licenciement d'a. RA. ne pouvant dès lors être qualifié d'abusif, m. RA. sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement d'a. RA. a été mis en œuvre pour un motif valable et qu'il ne présente en outre aucun caractère abusif ;

Déboute en conséquence Madame Veuve m. RA. de l'intégralité de ses prétentions ;

La condamne aux entiers dépens.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt huit septembre deux mille, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Juge de Paix, Président, Messieurs Jacques WOLZOK, Georges BELLE, membres employeurs, Pierre COGNET, Jean-Marie PASTOR, membres salariés, assistés de Madame Joëlle DOGLIOLO, Secrétaire en Chef.

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