Tribunal du travail, 28 septembre 2000, j.-p. BO. c/ la SAM Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen

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Abstract🔗

Cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social - Conditions non réunies - Fonctions distinctes ; Lien de subordination nécessaire- Rémunération séparée - Absence de qualité de salarié

Résumé🔗

Embauché le 16 juin 1975, en qualité de conseiller technique, par une société de produits pharmaceutiques, un salarié fut ultérieurement nommé aux fonctions d'administrateur en 1981, puis désigné Président du Conseil d'administration en 1995. Il fut démis de ses fonctions le 21 février 1997. Soutenant n'avoir jamais perdu la qualité de salarié, il fit valoir devant le tribunal du travail saisi par ses soins, qu'en lui refusant l'accès à son poste de travail et en suspendant le paiement de ses salaires, l'employeur avait rompu son contrat sans motif valable et de façon abusive.

L'employeur, de son côté, estimait que le demandeur n'exerçait pas de fonctions techniques distinctes de son mandat social et qu'il n'existait pas de lien de subordination entre la société et lui-même.

Le tribunal rappelle que le contrat de travail peut se cumuler avec l'exercice d'un mandat social à la triple condition de fonctions salariées distinctes du mandat social, d'une rémunération elle aussi distincte et de l'existence d'un lien de subordination juridique entre la société et l'intéressé. Ces conditions n'étant pas réunies en l'espèce, puisqu'il n'existait pas de fonctions techniques distinctes, que l'intéressé disposait de pouvoirs très larges et que sa rémunération était unique.

Le demandeur ne disposait donc plus de la qualité de salarié depuis 1981.

Aucune des indemnités par lui demandées, liées à la rupture d'un contrat de travail, n'était due.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 9 octobre 1998 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date du 10 novembre 1998 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur j.-f. BO., en date des 9 février 1999 et 11 novembre 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE COMPTOIR PHARMACEUTIQUE MÉDITERRANÉEN, en date des 6 mai 1999 et 10 février 2000 ;

Ouï Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur j.-f. BO., et Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE COMPTOIR PHARMACEUTIQUE MÉDITERRANÉEN, en leurs plaidoiries et conclusions ;

Vu les pièces du dossier ;

Ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 9 novembre 1998, j.-f. BO. a attrait la SAM COMPTOIR PHARMACEUTIQUE MÉDITERRANÉEN devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'une part de voir constater que nonobstant sa nomination aux fonctions d'administrateur, puis de Président Délégué au sein de cette société, il n'a jamais perdu sa qualité de salarié, d'autre part de voir dire qu'il a été victime d'une rupture brutale et abusive de son contrat de travail, par le refus de le laisser accéder à son poste et la suspension du règlement de ses salaires et d'obtenir en conséquence l'allocation à son profit, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des sommes suivantes :

  • prime de bilan 1996 555.080,00 F

  • prorata sur trois mois 138.770,00 F

  • préavis (trois mois) 347.426,13 F

  • congés payés sur préavis 104.227,84 F

  • indemnité de licenciement 949.631,42 F

  • dommages et intérêts (trois ans de salaires) 4.169.113,56 F

le tout majoré des intérêts de droit à compter du 1er mars 1997 ;

Il fait valoir, à cet effet, à l'appui de ses prétentions qu'il a été embauché le 7 juin 1975 par la SAM COMPTOIR PHARMACEUTIQUE MÉDITERRANÉEN en qualité de conseiller technique au coefficient 300, ainsi qu'en attestent la demande d'autorisation d'embauchage et le permis de travail produits aux débats ; qu'il a poursuivi sa carrière au sein de cet établissement pour atteindre, in fine, le rang de Directeur et le coefficient 800 ;

Il précise par ailleurs que parallèlement à ses fonctions de salarié il a été nommé au Conseil d'Administration du Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen, d'abord en qualité d'Administrateur puis en qualité de Président Délégué jusqu'au 21 février 1997 date à laquelle il a été démis de ses fonctions ;

Rappelant que la loi n'interdit pas le cumul du contrat de travail et du mandat social, il soutient que le Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen, à qui il appartient de démontrer que le contrat de travail ne serait qu'apparent, ne verse aucune pièce probante aux débats ; qu'il établit au contraire pour sa part :

  • que son contrat de travail était largement antérieur au mandat social,

  • qu'il exerçait réellement les fonctions de Directeur,

  • qu'il percevait pour son activité salarié une rémunération qualifiée de salaire, enregistrée comme telle dans les déclarations sociales de l'entreprise, distincte de son mandat social, lequel, après avoir été rémunéré pendant un temps par une allocation d'administrateur, n'a par la suite donné lieu à aucun défraiement, conformément aux usages des groupes OCP et GEHE,

  • que ses fonctions d'administrateur délégué, puis de Président Délégué n'étaient que « le respect d'un formalisme imposé, au sein du groupe OCP par les structures des filiales », chaque dirigeant de filiale se trouvant au Conseil d'Administration des filiales de niveau inférieur dépendant de lui.

Il estime dans ces conditions qu'à partir du moment où il n'a jamais perdu la qualité de salarié au sein du Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen, en lui refusant l'accès à son poste de travail et en suspendant unilatéralement le paiement de ses salaires, ce dernier a rompu, sans motif valable et de manière abusive, son contrat de travail ;

Il demande dans ces conditions au Tribunal du Travail de faire droit à l'intégralité de ses prétentions, telles qu'elles ont été exposées ci-dessus ;

La SAM Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen conclut pour sa part à l'entier débouté des demandes formées à son encontre ;

Elle soutient essentiellement à cet effet que si le cumul d'un mandat social et de fonction salariées est certes juridiquement possible, encore faut-il d'une part que ces dernières soient réelles et distinctes des fonctions de direction sociale, et d'autre part que dans l'exercice de son emploi salarié le dirigeant se trouve en état de subordination à l'égard de la société ;

Elle estime pour sa part qu'au delà de l'analyse strictement formelle faite par j.-f. BO. ces critères ne sont nullement réunis en l'espèce ; qu'en effet ce dernier n'exerçait pas de fonctions techniques distinctes de son mandat social dès lors ;

  • que n'étant pas pharmacien, il ne pouvait assumer la responsabilité pharmaceutique,

  • que le Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen disposait d'un directeur général chargé notamment de l'aspect financier, d'un directeur commercial, d'un directeur qualité et enfin d'une direction administrative et comptable ; qu'en outre j.-f. BO., au regard de l'étendue des pouvoirs qui lui étaient conférés en sa qualité de Président Délégué par le Conseil d'Administration, ne se trouvait pas à l'égard de la société en l'état de subordination caractéristique d'une relation salariée ;

Elle relève en dernier lieu que j.-f. BO. ne percevait qu'une seule et unique rémunération ;

SUR CE,

Il résulte des pièces versées aux débats par j.-f. BO. que ce dernier a été embauché à compter du 16 juin 1975 en qualité de conseiller technique par la SAM Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen ; qu'il a par ailleurs, par une délibération de l'Assemblée Générale des actionnaires en date du 19 mars 1981 été nommé aux fonctions d'administrateur ; qu'en outre par délibération en date du même jour le Conseil d'Administration lui a délégué « les pouvoirs les plus étendus sans limitation ni réserve pour agir au nom de la société et faire toutes les opérations relatives à son objet » ; qu'enfin par décision en date du 19 janvier 1995 le Conseil d'Administration l'a nommé aux fonctions de Président de cet organe, le cumul de ses fonctions de Président et d'Administrateur Délégué lui conférant le titre de Président Délégué ;

Dès lors que l'antériorité du contrat de travail, par rapport à la nomination en qualité de mandataire social est ainsi clairement établie, il incombe en l'espèce au Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen, qui soutient qu'il a été mis fin au contrat de travail de j.-f. BO. par sa nomination aux fonctions d'administrateur, puis d'administrateur délégué et enfin de Président délégué d'en rapporter la preuve ;

Il est constant, en droit, que le contrat de travail peut se cumuler avec l'exercice d'un mandat social ;

L'existence matérielle et formelle d'un permis de travail, de déclarations à la C.C.S.S. ou de bulletins de salaires ne suffisant pas toutefois pour bénéficier de la qualité de salarié et de la protection qui s'y attache, le cumul entre un contrat de travail et un mandat social ne peut être admis qu'aux trois conditions suivantes :

  • les fonctions salariées doivent être effectives et distinctes du mandat social ;

  • cet emploi devant répondre aux conditions du salariat, il doit exister un lien de subordination juridique entre l'intéressé et la société ;

  • la rémunération servie au titre du contrat de travail doit être distincte de celle allouée au titre du mandat social.

C'est à juste titre que la SAM Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen soutient que les conditions du cumul ne sont pas réunies en l'espèce ;

Il ressort en effet des pièces produites aux débats par ses soins :

1 * que j.-f. BO. (contrairement aux autres cadres de l'équipe dirigeante) n'exerçait aucune fonction technique effective et distincte du mandat social, la Direction de la société ne relevant pas de par sa généralité d'un contrat de travail, mais du mandat social dont celui-ci était investi ;

2 * que j.-f. BO., s'il a certes vu ses prérogatives limitées par le Conseil d'Administration à compter du 30 juin 1992, étant désormais contraint de solliciter l'autorisation de cet organe pour fournir caution, et garanties de quelque nature que ce soit, acheter, vendre, réaliser toutes valeurs de bourse, céder ou acquérir tous biens ou droits immobiliers et enfin engager des dépenses d'un montant supérieur à 500.000,00 F, exception faite des transactions commerciales courantes avec les fournisseurs ne se trouvait pas pour autant soumis à un contrôle continu de la part de cet organe, générateur de subordination ; qu'en effet il disposait au contraire de pouvoirs très larges et très étendus puisqu'il lui appartenait, entre autres fonctions, de nommer et révoquer tous employés et ouvriers (y compris le Directeur Général de la Société) et de fixer les conditions de leur admission et de leur renvoi ainsi que le montant de tous les traitements et salaires y compris le sien (cf. attestation BR.) ;

3 * que j.-f. BO. ne percevait en tout et pour tout qu'une seule rémunération ;

j.-f. BO. n'ayant plus en définitive depuis le 18 mars 1981 la qualité de salarié de la société dont il a été successivement l'Administrateur Délégué, puis le Président Délégué, il ne pourra dans ces conditions qu'être débouté de l'intégralité de ses prétentions ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré ;

Dit que Monsieur j.-f. BO. n'avait plus la qualité de salarié de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE COMPTOIR PHARMACEUTIQUE MÉDITERRANÉEN dont il était, en dernier lieu, le Président Délégué ;

Déboute en conséquence Monsieur j.-f. BO. de l'intégralité de ses prétentions ;

Le condamne aux dépens.

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