Tribunal du travail, 20 septembre 2000, d. BI. c/ la SAM WA

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Abstract🔗

Licenciement économique - Réduction d'activité alléguée mais non prouvée - Salarié remplacé par un tiers non salarié - Préavis supprimé - Autorisation d'absence refusée et enfreinte

Résumé🔗

La suppression de poste apparait fictive, dans le cadre d'un licenciement économique lorsque le salarié a été remplacé par un tiers, même non salarié.

Embauché par une société en qualité d'auditeur interne le 25 septembre 1986, promu directeur des services comptables de l'audit interne des agences de voyages, en 1992, un salarié fut licencié pour suppression de poste le 30 mai 1998. S'étant absenté sans autorisation durant 2 jours pendant son préavis, il s'était vu interrompre celui-ci. Soutenant que la suppression de poste alléguée était fictive, il avait attrait son ancien employeur devant le tribunal du travail en paiement des indemnités de licenciement et de congédiement, solde de préavis et dommages intérêts pour rupture abusive.

Le tribunal a estimé que le motif de licenciement n'était pas valable dès lors que la réduction d'activités alléguée par l'employeur n'était pas établie et que le salarié avait été évincé au profit d'un tiers dont il importait peu qu'il n'ait pas le statut de salarié, dès lors qu'il était signataire de notes de services, que ses initiales figuraient sur le planning mensuel et qu'il était présenté comme le supérieur hiérarchique du salarié.

L'indemnité de licenciement déduction faite de l'indemnité de congédiement non cumulable déjà versée, ainsi que des dommages intérêts pour licenciement abusif à hauteur de 252.000 F ont été alloués. En revanche, le salarié a été débouté de sa demande de paiement de l'indemnité de préavis, le fait d'avoir outrepassé le refus d'autorisation d'absence s'analysant comme une faute grave.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 18 janvier 1999 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date du 9 février 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur d. BI., en date des 22 avril 1999 et 9 décembre 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christiane PALMERO, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE WA, en date des 24 juin 1999 et 3 février 2000 ;

Ouï Maître Alexis MARQUET, avocat-stagiaire à la Cour d'appel de Monaco, assisté de Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, au nom de Monsieur d BI, et Maître Christiane PALMERO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE WA en leurs plaidoiries et conclusions ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauché par la SAM WA en qualité d'auditeur interne du 25 septembre 1986 au 30 juin 1991, puis du 1er octobre 1991 au 31 mai 1992, d. BI. a été promu le 1er juin 1992 au poste de Directeur des Services Comptables de l'Audit Interne et de l'Informatisation des agences de voyage ;

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 30 mai 1998, distribuée le 5 juin 1998 à son destinataire, la SAM WA a notifié à d BI son licenciement dans les termes suivants :

« En confirmation de l'entretien de ce matin, nous avons le » regret de vous confirmer la suppression de votre poste de « travail, et, par conséquence, (sic) la résiliation de votre contrat » de travail à compter de ce jour et le début de la période de « préavis. » ;

Se prévalant par ailleurs du fait que d. BI. s'était absenté du 22 au 24 juin de son poste de travail, nonobstant l'interdiction qui lui avait été expressément signifiée en présence de témoins, la SAM WA a notifié à ce dernier, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 10 juillet 1998, l'interruption de sa période de préavis ;

Soutenant d'une part que son licenciement ne reposait sur aucun motif valable, la suppression de poste alléguée par l'employeur présentant un caractère purement fictif, d'autre part qu'en l'état des manœuvres dolosives exercées, en violation de la législation monégasque du travail, la SAM WA avait fait un usage abusif de son droit de mettre fin au contrat de travail et enfin qu'en l'absence de faute grave de sa part cette dernière n'était pas fondée à le priver du bénéfice de son indemnité de préavis, d BI, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 8 février 1999, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, afin d'obtenir sa condamnation, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, au paiement des sommes suivantes :

  • 67.296,00 F, au titre du solde lui restant dû sur l'indemnité de préavis,

  • 149.047,00 F, à titre d'indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement, non cumulable,

  • 2.153.472,00 F, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et moral,

lesdites sommes portant intérêts à compter de la prise d'effet de la rupture de préavis soit le 15 juillet 1998 ;

Il fait valoir, à l'appui de ses prétentions, que le poste qu'il occupait n'a aucunement été supprimé, mais déplacé au sein d'une autre Direction et attribué à Monsieur d'AG., lequel, nonobstant le statut de consultant qui lui a été attribué pour contourner la législation de la Principauté en matière de droit du travail, a bien été « incorporé », à compter du 1er mai 1998 à l'équipe dirigeante de la Société WA ;

Il soutient par ailleurs que son licenciement n'était pas fondé sur une nécessité économique impérieuse dès lors que :

– l'activité du groupe WA n'était nullement réduite, mais se trouvait au contraire en pleine expansion,

– le coût des honoraires demandé par Monsieur D'AG. pour le seul mois de septembre 1998 excédait sa propre rémunération brute mensuelle salariale ;

Il estime enfin que son absence du 22 au 24 juin ne constitue nullement un abandon de poste injustifié.

Il fait observer à cet effet :

– qu'il a participé durant ces trois jours au séminaire organisé par la Société AM, premier prestataire mondial de service de réservations informatiques pour les agences de voyage, dans le but de nouer des contacts lui permettant de retrouver un emploi,

– qu'il avait pris le soin d'informer verbalement Monsieur Claude MARTIN, Directeur Général Adjoint, de son absence,

– que Monsieur D'AG., compte tenu de son statut de consultant juridique, n'avait pas le pouvoir de refuser à un employé de la Société une demande de congés

– que s'il n'a certes présenté sa demande de congés qu'à son retour, il s'agissait là d'une pratique courante au sein de la Société ;

Il demande en conséquence au Tribunal du travail de faire droit à l'intégralité de ses prétentions, telles qu'elles ont été exposées ci-dessus ;

La SAM WA conclut pour sa part à l'entier débouté des demandes formées à son encontre ;

Elle invoque, à cette fin, les arguments suivants :

– il y a bien eu suppression de la Direction Comptabilité Audit, laquelle s'est avérée inutile lorsque chacune des Sociétés clientes s'est trouvée en mesure de tenir sa comptabilité sur son propre système informatique,

– la fonction de d BI a bien été supprimée et non pas déplacée pour être attribuée à Monsieur D'AG., ce dernier étant uniquement chargé, en sa qualité de membre du cabinet CENTORE E ASSOCIATI, d'effectuer une mission d'étude comptable et de réorganisation ;

– d. BI. n'a jamais été subordonné à Monsieur D'AG., mais se devait seulement, en sa qualité de Directeur Comptabilité Audit, d'apporter son aide à ce dernier pour qu'il puisse mener à bien sa mission,

– le licenciement de d. BI. est réellement fondé sur une nécessité économique à savoir « la forte réduction de l'activité de la SAM WA dans les domaines de l'organisation et l'informatisation de la comptabilité et de l'audit des sociétés étrangères du groupe WA »,

– la rupture de la période de préavis est justifiée par l'insubordination de d. BI., lequel nonobstant le refus qui lui avait été clairement et à plusieurs reprises signifié s'est délibérément absenté trois jours de son travail ;

Soutenant que la demande formée à son encontre par d BI lui cause non seulement un préjudice matériel, mais également compte tenu des accusations portées à son encontre, un important préjudice moral, la SAM WA sollicite reconventionnellement l'allocation à son profit d'une somme de 20.000,00 F, à titre de dommages et intérêts ;

SUR CE,

1) Sur la validité du motif de licenciement

Il apparaît à la lecture de la lettre de notification de la rupture d'une part et des conclusions de la SAM WA d'autre part que le licenciement de d BI a été prononcé au motif d'une prétendue suppression de poste de travail consécutive à « l'importante réduction de l'activité de cette société dans les domaines de l'organisation et l'informatisation de la comptabilité et de l'audit des sociétés étrangères du groupe » ;

Pour rapporter la preuve, dont la charge lui incombe de la réalité et de la validité du motif de licenciement allégué, la SAM WA, verse aux débats les pièces suivantes :

– les fiches de déclaration des salaires aux caisses sociales pour les mois de novembre 1997, mars 1999 et juillet 1998,

– une attestation de Monsieur CE. aux termes de laquelle celui-ci déclare que Monsieur D'AG. est associé de son cabinet de consultant, ainsi que la facture n° 7A en date du 2 septembre 1998 que lui a adressée le « studio professionale Centore et Associati pour le mois de septembre 1998 »,

– diverses lettres émanant de sociétés filiales du groupe WA, aux termes desquelles celles-ci indiquent toutes ne plus faire appel aux prestations de service de la SAM WA, qu'il s'agisse de la comptabilité de l'informatisation ou de l'audit

– quatre documents intitulés « listing des factures émises pour les années 1995 - 1996 - 1997 - 1998 »,

Force est de constater, toutefois, que ces pièces n'établissent nullement l'importante réduction d'activité alléguée par la Société défenderesse ; qu'elles ne caractérisent pas davantage la nécessité dans laquelle celle-ci se serait trouvée de supprimer le poste de d. BI. ;

Le fait que certaines sociétés étrangères dépendant du groupe WA aient déclaré ne plus avoir recours aux prestations de service de la SAM WA pour la quasi-totalité d'entre elle depuis l'année 1996 voire même auparavant ne peut à l'évidence servir de fondement à la décision de supprimer le poste de d BI, prise en mai 1998, soit près de deux années plus tard ;

L'analyse comparative des quatre listings des frais de mission facturés aux diverses sociétés du groupe ne révèle par ailleurs aucun ralentissement notable de l'activité de conseil et d'audit de d. BI. celui-ci ayant au contraire effectué au cours des quatre années considérées un nombre de missions équivalent, se rendant encore au cours du 1er semestre 1998 successivement à MADRID, BRUXELLES, BAGNOLET, COLOGNE, ROME et LA GARDE ;

La SAM WA ne peut enfin se prévaloir sérieusement d'une importante réduction de son activité, alors que dans le même temps elle a considéré qu'il était nécessaire « depuis un certain temps déjà » de renforcer l'équipe de direction de MONACO et fait appel pour cela à deux personnes supplémentaires, l'une chargée du suivi de la gestion journalière et l'autre du suivi juridique fiscal financier etc. (cf. Note de Monsieur Laurent WA. aux dirigeants du groupe en date du 10 avril 1998) ;

Il importe peu que la SAM WA n'ait pas voulu donner à ses deux nouveaux collaborateurs le statut de salariés, dès lors que la nature exacte de leurs fonctions ressort suffisamment des pièces produites aux débats par le demandeur ;

Si Monsieur D'AG. est certes associé du cabinet de consultants CE ET ASSOCIATI et rémunéré en tant que tel au moyen d'honoraires, ce dernier n'exerçait pas à l'évidence qu'une simple mission d'étude comptable et de réorganisation puisque :

– ses initiales figurent sur le planning mensuel de la SAM WA au même titre que les salariés de cette société,

– il est le signataire de « notes de service » adressées à des membres du personnel (note de service du 22 juin 1998 à l'attention de d. BI.),

– il est présenté, par la note de service du Président Délégué en date du 7 mai 1998 comme le supérieur hiérarchique de d. BI., ayant le pouvoir à ce titre de « lui donner toutes directives concernant son travail » ;

Dès lors en définitive d'une part que l'importante réduction de l'activité de la SAM WA dans le domaine de l'organisation et l'informatisation de la comptabilité et de l'audit des sociétés étrangères du groupe n'est nullement établie, et d'autre part que d. BI. a démontré que son poste n'avait pas été supprimé mais qu'il en avait seulement été évincé au profit de Monsieur D'AG., le motif de licenciement invoqué par l'employeur ne peut être considéré comme valable ;

Au regard de son ancienneté de services dans l'entreprise, d. BI. est en droit de prétendre à une indemnité de licenciement calculée comme suit :

(45.139,87 x 81) / 25 = 146.253,17 F

dont à déduire l'indemnité de « licenciement » versée par l'employeur en application de la Convention Collective des Bureaux d'Études Techniques, laquelle constitue en réalité l'indemnité de congédiement prévue par la loi monégasque soit un solde de :

  1. 253,17 F - 102.191,65 F = 44.061,52 F,

2) Sur le caractère abusif du licenciement

Compte tenu d'une part du caractère fallacieux du motif invoqué par l'employeur et d'autre part des artifices utilisés par celui-ci pour tenter de contourner la législation monégasque du travail, le licenciement de d. BI. présente un caractère abusif ;

En l'état de son ancienneté de services, du montant de son salaire mensuel, et de son âge (47 ans), le préjudice matériel et moral subi par d. BI. sera justement réparé par l'allocation à son profit d'une somme de 252.000,00 F à titre de dommages et intérêts ;

3) Sur la demande au titre du préavis

Il est constant en droit que l'absence ou le congé non autorisé, lorsque le salarié n'a pas au préalable demandé l'autorisation ou qu'il est passé outre le refus d'autorisation de l'employeur, constitue une faute grave privative du droit à l'indemnité de préavis ;

En l'espèce d. BI. ne conteste nullement s'être absenté de son poste de travail pendant trois jours du lundi 22 au mercredi 24 juin 2000 ;

S'il soutient certes dans ses écritures dans un premier temps avoir obtenu l'autorisation verbale de son employeur, puis dans un second temps avoir « informé verbalement » le Directeur Général Adjoint (Monsieur MA.) et le Directeur (Monsieur WA.) de son intention de se rendre au séminaire organisé par le voyagiste AM, force est de constater toutefois qu'il n'en justifie par aucune pièce, la demande de congés présentée à l'employeur le jour de son retour étant, à cet égard, inopérante ;

Le crédit d'heures accordé, en vue de la recherche d'un emploi, au salarié licencié pendant la durée de son préavis ne pouvant être utilisé au seul gré de celui-ci, d BI ne peut davantage invoquer à son profit les dispositions de l'article 10 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 ;

Selon ce texte, les absences doivent en effet être fixées alternativement, un jour au gré de l'employeur, un jour au gré du travailleur, à la condition, toutefois, que ce choix se concilie avec les nécessités du service ;

Dès lors enfin qu'il ressort des témoignages mis en conformité avec les dispositions de l'article 326 du Code de procédure civile monégasque établis par Messieurs D'AG. et MA. que l'autorisation de participer au séminaire susmentionné sollicitée par d. BI. lui avait été expressément refusée par Monsieur WA, le fait pour le demandeur d'avoir passé outre à ce refus d'autorisation constitue bien une faute grave, rendant impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis ;

d. BI. ne pourra en conséquence qu'être débouté de la demande d'indemnité qu'il a formée, à ce titre ;

4) Sur l'exécution provisoire

La demande tendant à voir assortir le présent jugement du bénéfice de l'exécution provisoire n'étant motivée par aucune considération particulière, il n'y a pas lieu d'y faire droit ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de Monsieur d. BI. a été mis en œuvre pour un motif non valable et qu'il présente en outre un caractère abusif ;

Dit en revanche que Monsieur d. BI. s'est rendu coupable pendant l'exécution de son préavis, d'une faute grave ;

Condamne en conséquence la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE WA à payer à Monsieur d. BI. les sommes suivantes :

  • 44.061,52 Francs (quarante-quatre mille soixante et un francs et cinquante-deux centimes), représentant après déduction de l'indemnité de congédiement non cumulable, l'indemnité de licenciement lui revenant,

  • 252.000,00 Francs (deux cent cinquante-deux mille francs), à titre de dommages et intérêts,

Déboute Monsieur d. BI. du surplus de ses prétentions ;

Condamne la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE WA aux entiers dépens.

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