Tribunal du travail, 29 juin 2000, e CU née BI c/ l FR

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Abstract🔗

Reçu pour solde de tout compte - Effet non libératoire compte tenu des réserves figurant sur le document - Insuffisance professionnelle avérée en l'état d'erreurs de caisse fréquentes même d'un montant peu élevé - Article 10 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 accordant 12 heures de liberté par semaine au salarié pour rechercher un emploi - Droit à dommages intérêts dans le seul cas où l'impossibilité d'utiliser ces heures est le fait de l'employeur

Résumé🔗

L'insuffisance professionnelle d'une caissière peut être constatée même en l'état d'erreurs de caisse d'un montant peu élevé mais fréquentes. Le salarié qui n'a pas bénéficié des dispositions de l'article 10 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 octroyant 12 heures de liberté pendant le préavis ne peut prétendre à des dommages intérêts que si cette impossibilité d'utiliser ces heures est le fait de l'employeur.

Une caissière gondolière, embauchée le 2 septembre 1997, était licenciée le 28 janvier 1998 pour « erreurs et difficultés » dans son travail. Estimant cette mesure injustifiée, elle avait attrait son employeur devant le tribunal du travail en paiement d'une indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement abusif ainsi que pour la privation des 12 heures par semaine permettant la recherche d'un emploi.

L'employeur soutenait, de son côté, outre l'absence de dénonciation régulière du reçu pour solde de tout compte, la réalité du motif de licenciement et le fait que la salariée n'avait pas demandé à bénéficier pendant son préavis d'heures de liberté.

Le Tribunal du travail relève tout d'abord les réserves manuscrites figurant sur le reçu pour lui dénier tout effet libératoire, lui attribuant la seule valeur d'un reçu des sommes y figurant. S'agissant du licenciement et de sa motivation, les erreurs de caisse qui se sont révélées très nombreuses et affectant la fiabilité des résultats comptables de l'entreprise, caractérisent suffisamment l'insuffisance professionnelle d'une salariée embauchée comme caissière. Enfin, il est décidé que si l'article 10 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 accorde au salarié dont le contrat est rompu douze heures de liberté par semaine pendant la durée de son préavis, il ne peut prétendre à des dommages intérêts que s'il démontre que l'impossibilité d'utiliser ces heures est le fait de l'employeur.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 20 avril 1998 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date du 9 juin 1998 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de Madame e CU, en date des 28 janvier 1999, 7 octobre 1999 et 6 janvier 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur, au nom de Madame l FR, en date des 25 mars 1999, 11 novembre 1999 et 10 février 2000 ;

Ouï Maître Christophe SOSSO, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, assisté de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame e CU, et Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame l FR, en leurs plaidoiries et conclusions ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauchée le 2 septembre 1997 par l FR en qualité de caissière gondolière, e CU a été licenciée par lettre recommandée avec avis de réception en date du 28 janvier 1998, pour le motif suivant :

« Suite à nos diverses observations et remarques que nous avons dû vous faire au sujet de vos erreurs et difficultés que vous rencontrez dans votre travail, nous sommes dans le regret de vous informer que nous n'avons pas constaté d'amélioration et que la perturbation créée par votre négligence est telle que » nous sommes dans l'obligation de procéder à votre « licenciement. » ;

Soutenant d'une part que son congédiement ne reposait sur aucun motif valable d'autre part qu'au regard des circonstances de fait entourant la rupture cette mesure revêtait un caractère abusif et enfin qu'elle avait été privée, en violation des règles législatives monégasques en vigueur, de la possibilité de rechercher un emploi, e CU, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 8 juin 1998, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit des sommes suivantes :

• 1.599,28 F, à titre d'indemnité de licenciement,

• 79.964,04 F, à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et injustifié,

• 10.000,00 F, à titre de dommages et intérêts pour privation des 12 H par semaine permettant la recherche d'un emploi ;

À la date fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis, après douze renvois contradictoires intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été plaidée à l'audience du 25 mai 2000 et mise en délibéré pour être le jugement rendu ce jour 29 juin 2000 ;

e CU expose à l'appui de ses prétentions que si elle a certes pu commettre dans l'exécution de son travail quotidien de petites erreurs, comme en font tous les salariés dans toutes les entreprises, ces fautes, qui n'ont donné lieu à aucun reproche, ne constituent pas un motif valable de licenciement ; qu'il ressort au contraire des attestations émanant de clients et de fournisseurs du Marché Royal qu'elle a versées aux débats qu'elle a toujours exécuté son travail consciencieusement et avec soin, faisant preuve d'un caractère « dévoué et accueillant » et d'une attitude sérieuse, sympathique et soignée ;

Elle soutient par ailleurs qu'aucun élément objectif ne permet de prouver sa responsabilité dans l'incident de la carte bleue qui lui est reproché ;

Elle estime en outre qu'en procédant à son licenciement, alors qu'elle avait permis par son travail sa présence et son comportement une hausse de la clientèle, l FR a fait preuve de légèreté blâmable, lui causant ainsi un préjudice tant matériel que moral dont elle lui doit réparation ;

Elle demande en conséquence au Tribunal du Travail de faire droit à l'intégralité des prétentions contenues dans sa requête introductive d'instance, telles qu'elles ont été détaillées ci-dessus ;

Soutenant en premier lieu que le reçu pour solde de tout compte en date du 5 mars 1998 n'a pas été régulièrement dénoncé par e CU dans le délai et selon les formes prévues par l'article 7 de la loi n° 638 du 11 janvier 1958, l FR conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité, pour cause de forclusion, des demandes dirigées à son encontre ;

Soulignant pour le surplus d'une part qu'en versant aux débats le relevé des erreurs de caisse commises par e CU ainsi qu'une attestation de Mademoiselle WI relative à la non restitution d'une carte bleue à un client, elle a suffisamment caractérisé l'insuffisance professionnelle d'e CU et donc justifié de la réalité du motif invoqué pour mettre fin au contrat de travail, et d'autre part qu'au regard des circonstances ci-dessus décrites le licenciement de cette salariée ne présente aucun caractère abusif, l FR sollicite, à titre subsidiaire, du Tribunal du Travail qu'il déboute e CU de ses demandes d'indemnité de licenciement et de dommages et intérêts ;

Elle prétend également que cette dernière, qui n'a pas demandé pendant son préavis à bénéficier d'heures de liberté pour rechercher un autre emploi et qui a en outre bénéficié d'un arrêt de travail pour maladie du 11 février 1998 au 1er mars 1998, ne peut obtenir les dommages et intérêts qu'elle réclame à ce titre ;

Estimant qu'au vu de ces divers éléments la demande introduite à son encontre revêt un caractère non seulement abusif, mais aussi vexatoire, l FR demande reconventionnellement qu'e CU soit condamnée à lui verser la somme de 1 F à titre de dommages et intérêts ;

Soutenant enfin que le dernier paragraphe de la page cinq des conclusions déposées le 6 janvier 2000 par le conseil d'e CU comporte une allégation portant atteinte à son honorabilité, l FR souhaite que le Bâtonnement de ces écrits soit ordonné et qu'il lui soit en outre donné acte de la suite pénale qu'elle pourrait réserver à de telles allégations ;

SUR QUOI,

1) Sur l'irrecevabilité de la demande pour cause de forclusion

Si le reçu pour solde de tout compte établi le 5 mars 1998 comporte certes les mentions exigées par l'article 7 de la loi n° 638 du 11 janvier 1958, ce document ne revêt toutefois aucun effet libératoire pour l'employeur, dès lors qu'e CU y a porté de sa main une mention faisant état de réserves ;

Une telle indication, exclusive de tout accord de la part du salarié, dénaturant en effet le reçu pour solde de tout compte, celui-ci ne peut avoir, dans ces conditions, que la valeur d'un simple reçu des sommes y figurant ;

La forclusion ne pouvant en conséquence être utilement opposée à e CU, l'action engagée par cette dernière à l'encontre de l FR doit être déclarée recevable ;

2) Sur les demandes présentées par e CU à l'encontre de l FR

a) sur la validité du motif de licenciement

Si e CU justifie certes, en versant aux débats des attestations émanant de clients et de fournisseurs de ses qualités humaines et notamment de son sérieux, de son dévouement et de l'accueil qu'elle réservait à la clientèle, il n'en demeure pas moins, au vu des indications figurant sur le permis de travail, que cette dernière avait été engagée comme caissière ;

Qu'à ce titre l'employeur était en droit d'attendre d'elle, avant toute autre chose, que les comptes de sa caisse soient justes ;

Or il résulte toutefois du relevé certifié exact par Madame m PE ainsi que du témoignage établi par celle-ci, qui occupait jusqu'au 8 décembre 1998 un poste de comptable au sein de l'entreprise dirigée par l FR, que les contrôles de caisse effectués quotidiennement ont révélé l'existence de très nombreuses erreurs commises par e CU ;

Si le montant de ces erreurs apparaît certes dans l'ensemble peu élevé, il convient toutefois d'observer d'une part que celles-ci étaient extrêmement fréquentes et d'autre part qu'elles affectaient en toute hypothèse la fiabilité des résultats comptables de l'entreprise et préjudiciaient ainsi aux intérêts de celle-ci ;

Ces éléments précis caractérisant suffisamment l'insuffisance professionnelle d'une employée embauchée comme caissière, le motif de licenciement avancé par l FR doit être considéré comme valable ;

e CU ne peut, en conséquence, prétendre au bénéfice de l'indemnité de licenciement qu'elle sollicite ;

b) sur le caractère abusif du licenciement

Il résulte des pièces versées aux débats que l FR, nonobstant la fréquence des erreurs commises par e CU, a patienté pendant plusieurs mois, espérant vraisemblablement une amélioration, avant de mettre en œuvre la procédure de licenciement ;

Il ressort par ailleurs des termes de la lettre de licenciement et du reçu pour solde de tout compte que l FR, alors qu'elle n'y était tenue par aucune disposition législative ou conventionnelle, a fait bénéficier e CU, qui disposait d'une ancienneté inférieure à six mois, d'un délai de préavis d'un mois ;

Dès lors, au regard des circonstances qui ont entouré la rupture, ce congédiement, qui n'a été mis en œuvre ni avec hâte, ni avec légèreté, ne revêt aucun caractère abusif et ne saurait en conséquence ouvrir droit à des dommages et intérêts ;

c) sur la demande de dommages et intérêts pour privation des heures de liberté destinées à la recherche d'un emploi

Si l'article 10 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 accorde certes au salarié dont le contrat est rompu pendant la durée de son préavis douze heures de liberté par semaine, payées par l'employeur, en vue de la recherche d'un autre emploi, le salarié qui n'a pas bénéficié de ces dispositions ne peut toutefois prétendre à l'octroi de dommages et intérêts que s'il démontre que l'impossibilité d'utiliser ces heures est le fait de l'employeur ;

Force est de constater que cette preuve n'est nullement rapportée en l'espèce ; qu'en outre et en toute hypothèse e CU qui se trouvait en arrêt de maladie du 11 février 1998 au 1er mars 1998, ne peut prétendre, pour toute la période considérée, au bénéfice des heures de liberté prévues par le texte susvisé ;

Cette dernière ne pourra, dans ces conditions, qu'être déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

3) Sur la demande reconventionnelle formulée par l FR

a) Dommages et intérêts pour procédure abusive

En contestant devant le Tribunal du Travail la validité du motif de licenciement invoqué par l FR et la légitimité de cette mesure, e CU n'a fait qu'user du droit qui lui est reconnu par l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946 ;

La procédure introduite par celle-ci ne pouvant en tout état de cause être qualifiée d'abusive ou de vexatoire, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande reconventionnelle en dommages et intérêts formulée par l FR ;

b) Bâtonnement

En reproduisant dans ses écritures du 6 janvier 2000 (page 5 in fine) sans précautions ni réserves, les allégations attentatoires à l'honneur et à la réputation de l FR et de Madame WI proférées par Monsieur CR, le conseil d'e CU a à la fois manqué à l'obligation de réserve à laquelle il est tenu devant les juridictions de la Principauté et contrevenu aux dispositions de l'article 23 de la loi n° 1047 du 28 juillet 1982 ;

Il convient dès lors de faire droit à la demande de bâtonnement formée par l FR en ordonnant la suppression des passages injurieux ou diffamatoires pour celle-ci contenus dans les écrits judiciaires d'e CU ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Le Tribunal du Travail statuant publiquement, contradictoirement en premier ressort après en avoir délibéré,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la forclusion ;

Dit que le licenciement d'e CU repose sur un motif valable et qu'il ne revêt en outre aucun caractère abusif ;

Déboute en conséquence e CU de l'intégralité de ses prétentions ;

Déboute l FR de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;

Ordonne le Bâtonnement du passage suivant dans les conclusions d'e CU en date du 6 janvier 2000, déclaré injurieux ou diffamatoire pour l FR ;

« et d'autre part quant au fait que l FR et la Demoiselle WI avaient tendance certaines fois à confondre la caisse enregistreuse du Marché Royal avec leur porte-monnaie personnel, ce qui éventuellement n'apparaît pas critiquable sauf si l'on reproche ensuite des erreurs de caisse aux salariés car on omet de tenir compte desdits retraits. » ;

Donne acte à l FR de la suite pénale qu'elle pourrait réserver à telles allégations ;

Condamne e CU aux entiers dépens, qui seront recouvrés conformément à la législation régissant l'assistance judiciaire.

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