Tribunal du travail, 25 mai 2000, m PR c/ a-m PI et la SCA LE BISTROQUET

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Abstract🔗

Modification de la situation juridique de l'entreprise

Action en paiement de salaires dirigée contre l'ancien employeur

Résumé🔗

L'action en paiement de solde de salaires dirigée contre l'ancien employeur cédant est recevable.

Une secrétaire comptable voit son contrat de travail transféré au profit d'un tiers qui lui notifie aussitôt son licenciement pour suppression de poste. Elle fait citer son ancien employeur devant le Tribunal du travail en paiement de solde de congés payés qui lui restent dus, en soutenant que cette action n'est pas prohibée par les textes. De son côté, le nouvel employeur estime que le dernier employeur est seul débiteur.

Le tribunal du travail décide que si le nouvel employeur est tenu, en application des dispositions de l'article 15 de la loi n° 729, vis-à-vis des salariés dont le contrat subsiste, des obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, à charge pour ce dernier de rembourser les sommes acquittées pour son compte, ce texte ne fait pas obstacle à ce que le salarié exerce son action en paiement directement à l'encontre de son ancien employeur, avec lequel il demeure uni par un lien de droit.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les requêtes introductives d'instance en date des 20 octobre 1997 et 19 décembre 1997 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date des 18 novembre 1997 et 6 janvier 1998 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur, au nom de Madame M PR, en date des 26 mars 1998 conclusions de jonction, 26 mars 1998, 28 mai 1998, 20 juillet 1998, 10 décembre 1998 et 20 janvier 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de la SCA LE BISTROQUET, en date des 18 décembre 1997, 4 juin 1998, 15 octobre 1998 et 6 mai 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Monsieur a-m PI, en personne, en date des 30 avril 1998, 4 juin 1998 et 24 février 1999 ;

Ouï Maître Danièle RIEU, avocat au barreau de Nice, assistée de Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame M PR, et Maître Alexis MARQUET, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco, substituant Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SCA LE BISTROQUET, en leurs plaidoiries et conclusions ;

Ouï Monsieur a-m PI, comparaissant en personne, en ses explications et observations ;

lesdits avocats-défenseurs et partie ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

Employée depuis le 22 novembre 1993 par la SCA LE BISTROQUET en qualité de secrétaire-comptable, m PR a vu son contrat de travail transféré le 1er février 1997 au profit d'a-m PI, lequel lui a aussitôt notifié son licenciement pour suppression de poste ;

Ensuite de deux procès-verbaux de non-conciliation en date des 17 novembre 1997 et 5 janvier 1998, m PR a respectivement attrait devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail la SCA LE BISTROQUET d'une part et a-m PI d'autre part, afin d'obtenir l'allocation à son profit, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des sommes suivantes :

  • 18.135,03 F, outre intérêts de droit à compter du 31 janvier 1997, représentant un solde de congés payés,

  • 8.000,00 F, à titre de dommages et intérêts pour non-paiement de cette somme en temps voulu ;

À la date fixée par les convocations les parties ont régulièrement comparu, par leurs conseils en ce qui concerne m PR et la SCA LE BISTROQUET et en personne en ce qui concerne a-m PI et, après plusieurs renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été plaidée le 6 avril 2000 et mise en délibéré pour être le jugement rendu ce jour 25 mai 2000 ;

m PR expose à l'appui de ses prétentions que lors de la cessation de ses fonctions le 31 janvier 1997 le représentant de la SCA LE BISTROQUET ne lui a pas réglé, comme il s'était engagé à le faire, l'intégralité des sommes qui lui étaient dues, au titre des congés payés à savoir :

  • 7.968,63 F, pour la période du 1er mai 1995 au 30 avril 1996,

  • 10.963,26 F, pour la période du 1er mai 1996 au 31 janvier 1997 ;

Elle souligne que le décompte des droits à congés payés lui restant dus a été établi par ses soins sur la base des seuls documents fiables, à savoir les indications portées sur les bulletins de salaire ;

Elle rappelle par ailleurs que si l'article 15 de la loi n° 729 lui permet également d'agir à l'encontre de a-m PI, son nouvel employeur, ce texte ne fait nullement obstacle à ce qu'elle exerce son action en paiement directement à l'encontre de son premier employeur, avec lequel elle est liée par un lien de droit ;

Elle rappelle enfin que le Tribunal de Simple Police, par décision en date du 7 juillet 1999, a définitivement jugé qu'elle n'avait pas reçu paiement des indemnités de congés payés durant seize jours pour la période comprise entre le 1er mai 1995 et le 30 avril 1996 et durant vingt-trois jours pour la période du 1er mai 1996 au 1er février 1997, soit au total durant trente-neuf jours, et déclaré en conséquence Monsieur PA, en sa qualité de gérant de la SCA LE BISTROQUET, coupable des trente-neuf contraventions qui lui étaient reprochées ;

Qu'en outre le Tribunal Correctionnel, saisi d'un appel limité aux dispositions civiles du jugement susvisé, a confirmé le 30 novembre 1999 le bien-fondé de la condamnation à 3.000,00 F de dommages et intérêts prononcée à son bénéfice, en spécifiant expressément qu'il n'était pas établi qu'elle ait commis une faute professionnelle, à l'origine de son préjudice ;

Soutenant que ces deux jugements passés en force de chose jugée s'imposent aux juridictions civiles, m PR sollicite la condamnation conjointe et solidaire de la SCA LE BISTROQUET et d'a-m PI au paiement de la somme de 18.931,89 F, outre 8.000,00 F, à titre de dommages et intérêts ;

La SCA LE BISTROQUET conclut à l'entier débouté des demandes formées à son encontre ;

Elle fait valoir en substance à cet effet :

– que le contrat de travail de m PR ayant été transféré au profit d'a-m PI, locataire gérant de l'établissement, par l'effet non contesté de l'article 15 de la loi n° 729, ce dernier est seul débiteur des salaires et indemnités pouvant être dus à la demanderesse ;

– que les documents autres que les bulletins de salaire démontrent que M PR, qui prenait ses congés comme elle le souhaitait, a été entièrement remplie de ses droits ; qu'en conséquence sa demande tendant à se' voir régler une seconde fois les droits dont elle a d'ores et déjà bénéficié, qui ne repose que sur le flou qu'elle a créé au sein de la société par ses erreurs ou ses omissions, ne pourra qu'être rejetée ;

Soulignant qu'il a pour sa part versé à m PR l'intégralité des salaires et indemnités dont la charge lui incombait, a-m PI conclut pour sa part dans le dernier état de ses conclusions à sa mise hors de cause ;

SUR QUOI,

Sur la jonction

Compte tenu du lien de connexité existant entre les procédures introduites par m PR à l'encontre des exploitants successifs du restaurant LE BISTROQUET dans lequel elle exerçait ses fonctions, il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 34/97-98 et 48/97-98 et de statuer en conséquence sur les deux affaires par un seul et même jugement ;

Sur le fond du litige

1) Sur le débiteur de l'indemnité réclamée,

Si le nouvel employeur, en application des dispositions de l'article 15 de la loi n° 729, est certes tenu, vis à vis des salariés dont le contrat subsiste, des obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, à charge pour ce dernier de rembourser les sommes acquittées pour son compte, ce texte ne saurait toutefois faire obstacle à ce que le salarié exerce son action en paiement directement à l'encontre de son ancien employeur, avec lequel il demeure uni par un lien de droit ;

La SCA LE BISTROQUET est donc bien redevable envers m PR des sommes pouvant être dues à cette dernière à la date du 1er février 1997, au titre des congés payés ;

Il convient en conséquence de prononcer la mise hors de cause pure et simple d'a-m PI ;

2) Sur le montant des sommes dues à titre de congés payés,

Il résulte des mentions portées sur les bulletins de paie de m PR qu'à la date du 1er février 1997 la SCA LE BISTROQUET lui devait trente-neuf jours de congés payés ;

Il a par ailleurs été définitivement jugé par la juridiction pénale compétente que m PR n'avait pas reçu paiement des indemnités de congés payés durant seize jours pour la période comprise entre le 1er mai 1995 et le 30 avril 1996 et durant vingt-trois jours pour la période du 1er mai 1996 au 1er février 1997 soit au total durant trente-neuf jours ;

Enfin, en confirmant sur l'action civile la décision ayant alloué à m PR des dommages et intérêts en réparation de son préjudice, le Tribunal Correctionnel de MONACO a en outre jugé, alors que Monsieur PA en sa qualité de gérant de la SCA LE BISTROQUET invoquait comme en l'espèce les erreurs et omissions qu'auraient commises m PR dans sa gestion, «qu'il n'était pas établi que celle-ci ait commis une faute professionnelle à l'origine de son préjudice» ;

Ces décisions, en vertu de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, s'imposent au Tribunal du Travail ;

Il doit être observé en toutes hypothèses que les pièces que la SCA LE BISTROQUET verse aux débats ne prouvent pas que m PR ait bénéficié de plus de congés que ceux auxquels elle avait droit ;

En effet, si cette dernière a bien demandé à prendre les quinze jours lui restant dus sur l'exercice 1994/1995 et les trente jours de l'exercice 1995/1996 comme suit :

– du 10 juin 1996 au 20 juin 1996,

– du 1er juillet 1996 au 31 août 1996 à raison d'une demi-journée par jour,

il n'est pas possible d'affirmer, alors d'une part qu'aucune réponse du service du personnel ne figure sur le formulaire en date du 8 janvier 1996 et d'autre part que la fiche manuelle de congés payés de l'exercice correspondant n'a pas été produite aux débats, que cette dernière ait réellement bénéficié de tous ces congés ;

Il convient dès lors de considérer qu'à la date du 31 janvier 1997 la SCA LE BISTROQUET devait à m PR trente-neuf jours de congés payés ;

Le calcul de la somme lui revenant à ce titre ayant été effectué par la demanderesse conformément aux dispositions de la loi n° 619, notamment en ce qui concerne les salaires de référence, la SCA LE BISTROQUET doit être condamnée à verser à m PR la somme de 18.135,03 F, réclamée dans la requête introductive d'instance, majorée des intérêts au taux légal échus à compter du 21 octobre 1997, date de la convocation en conciliation valant mise en demeure ;

3) Sur la demande de dommages et intérêts,

Cette demande, qui fait manifestement double emploi avec la condamnation prononcée au même titre par le Tribunal de Simple Police et confirmée par le Tribunal de Première Instance, ne pourra qu'être rejetée ;

4) Sur l'exécution provisoire,

Compte tenu de l'ancienneté de la créance dont se prévaut m PR à l'encontre de son ancien employeur et de son caractère non sérieusement contestable, il y a lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement, dans les limites définies par l'article 60 de la loi du 16 mai 1946 ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort après en avoir délibéré ;

Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 34 et 48 de l'année judiciaire 1997/1998 ;

Prononce la mise hors de cause de a-m PI ;

Condamne la SCA LE BISTROQUET à payer à m PR la somme de :

  • 18.135,03 Francs, (dix-huit mille cent trente-cinq francs et zéro trois centimes), outre intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 1997 ;

Déboute m PR du surplus de ses prétentions ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement, dans les limites définies par l'article 60 de la loi du 16 mai 1946 ;

Condamne la SCA LE BISTROQUET aux dépens.

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