Tribunal du travail, 13 avril 2000, k. TO. c/ SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL

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Abstract🔗

Reçu pour solde de tout compte - Conditions de validité de sa dénonciation - Degré de précision de la motivation

Résumé🔗

La nécessaire motivation de la dénonciation du reçu pour solde de tout compte ne requiert pas le détail de l'argumentation.

La dénonciation, par le salarié, du reçu pour solde de tout compte doit, aux termes de l'article 7 de la loi n° 638 du11 janvier 1958, être dûment motivée, c'est-à-dire préciser les droits dont il entend se prévaloir. Il n'est cependant pas obligatoire, à ce stade de la procédure, d'indiquer le détail de l'argumentation qui, le cas échéant, sera développée ultérieurement.

En l'espèce, la lettre de dénonciation d'un tel reçu, signée par la salariée, a été jugée valable par le Tribunal du Travail. Elle apparaissait suffisamment motivée. Elle comportait l'indication du motif de la dénonciation : « je conteste le motif de licenciement ». Elle contenait également les divers chefs de demande : dommages et intérêts, préavis, indemnités de congédiement et de licenciement.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 27 juillet 1998 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date du 15 septembre 1998 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de Madame k. TO., en date des 22 octobre 1998, 4 février 1999, 17 juin 1999 et 4 novembre 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE LOEWS HÔTEL, devenue la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MONTE CARLO GRAND HÔTEL, en date des 17 décembre 1998, 29 avril 1999 et 7 octobre 1999 ;

Ouï Maître Alexis MARQUET, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco, substituant Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame k. TO., et Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE LOEWS HÔTEL, devenue la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MONTE CARLO GRAND HÔTEL en leurs plaidoiries et conclusions ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauchée le 29 décembre 1989 par la SAM LOEWS HÔTEL, aujourd'hui dénommée « MONTE CARLO GRAND HÔTEL » en qualité de réceptionniste, k. TO. s'est vu notifier par lettre recommandée avec avis de réception en date du 29 mai 1998 (datée par erreur du 29 janvier 1998), son licenciement pour faute grave ;

Estimant que son congédiement avait été mis en œuvre sans motif valable et qu'il présentait en outre un caractère manifestement abusif, k. TO., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 14 septembre 1998, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir sa condamnation, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et avec intérêts de droit, au paiement des sommes suivantes :

  • indemnité de congédiement 9.832,88 F

  • indemnité de licenciement déduction faite de l'indemnité de congédiement non cumulable 35.178,95 F

  • indemnité compensatrice de préavis 19.559,26 F

  • indemnité de congés payés sur le préavis 1.955,93 F

  • dommages et intérêts 280.000,00 F

Ensuite de cette convocation les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis, après neuf renvois contradictoires, intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été plaidée à l'audience du 2 mars 2000 et mise en délibéré pour être le jugement rendu ce jour 13 avril 2000 ;

k. TO. fait valoir à l'appui de ses prétentions que les trois griefs articulés à son encontre dans la lettre de licenciement, à savoir :

  • la mauvaise tenue de la feuille d'enregistrement,

  • l'absence de contrôle des clefs du vestiaire,

  • le mauvais suivi des abonnements, ne sont pas établis ;

Elle indique à cet effet :

  • que si certaines mentions ne figurent certes pas sur la feuille d'enregistrement, elle n'a fait en l'espèce qu'appliquer les instructions en ce sens de la Direction, la dispensant de cette procédure afin d'éviter les doublons,

  • qu'elle ne peut être responsable de la deuxième remise de clés, dès lors qu'elle avait alors quitté l'établissement,

  • qu'elle ne saurait être tenue pour responsable des retards légendaires du service facturation ;

Elle soutient par ailleurs que les autres fautes invoquées à son encontre par l'employeur, qui ne figurent pas dans la lettre de licenciement, ne peuvent constituer une faute grave dès lors qu'aucun de ces faits, pris isolément, ne revêt une quelconque gravité ; qu'il s'agit en outre pour la plupart d'éléments anciens, incompatibles avec la notion même de faute grave et qui ont au surplus déjà été sanctionnés par des avertissements ;

Elle prétend par ailleurs et en toute hypothèse que le manque de professionnalisme qui lui est reproché est contradictoire avec d'une part l'ensemble des attestations émanant d'abonnés du Health Spa qu'elle verse aux débats et d'autre part le diplôme de la meilleure employée du mois qui lui a été décerné le 1er août 1991 ;

Soulignant enfin qu'au regard des circonstances particulières dans lesquelles il est intervenu (après deux convocations devant le délégué syndical puis le responsable du personnel qui lui auraient proposé une sanction alternative à savoir une mise à pied disciplinaire sans solde de trois jours contre la reconnaissance de l'ensemble des faits qui lui étaient reprochés), ce licenciement présente un caractère manifestement abusif, k. TO. demande au Tribunal du Travail de faire droit à l'intégralité de ses prétentions, telles qu'elles ont été détaillées ci-dessus ;

La SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL conclut pour sa part à titre principal à l'irrecevabilité et à titre subsidiaire à l'entier débouté des demandes formées à son encontre ;

Elle fait valoir à cet effet que la lettre en date du 22 juillet 1998, au moyen de laquelle k. TO. a dénoncé le reçu pour solde de tout compte régulièrement établi le 8 juin 1998, ne satisfait pas aux prescriptions de l'article 7 de la loi n° 638 du 11 janvier 1958 dans la mesure où elle est rédigée en des termes généraux ; qu'en outre, la convocation en conciliation qui contient pour la première fois le détail des demandes de la salariée, lui a été adressée le 11 août 1998, soit postérieurement à l'expiration du délai de forclusion ;

Elle soutient par ailleurs d'une part que la faute grave peut résulter d'un fait unique mais également d'un ensemble de faits rendant impossible le maintien des relations contractuelles pendant la durée du préavis et d'autre part que le dernier manquement professionnel constaté permet au juge du fond de retenir l'ensemble des précédents, même s'ils avaient été sanctionnés en leur temps, pour apprécier la gravité des faits reprochés au salarié ;

Elle estime dès lors qu'en l'espèce les antécédents de k. TO. constitués de fautes déjà sanctionnées soulignent la gravité des manquements professionnels invoqués lors du licenciement, dont la réalité et les conséquences financières pour l'entreprise ont été amplement démontrées par les divers documents versés aux débats ;

SUR QUOI,

1) Sur la fin de non recevoir tirée de l'absence de motivation de la lettre de dénonciation

Contrairement à ce que soutient, à tort, la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL, la lettre en date du 22 juillet 1998 par laquelle k. TO. a dénoncé le reçu pour solde de tout compte qu'elle avait signé le 8 juin 1998, satisfait aux exigences de l'article 7 de la loi n° 638, dans la mesure où elle comporte d'une part l'indication du motif de cette dénonciation (« je conteste le motif de licenciement invoqué et je considère avoir fait l'objet d'un licenciement abusif ») et d'autre part l'énoncé des divers chefs de demande (dommages et intérêts, préavis, indemnités de congédiement et de licenciement) ;

L'article 7 de la loi n° 638 qui impose que la dénonciation soit dûment motivée ne fait en effet nullement obligation au salarié de préciser en outre à ce stade de la procédure les arguments ou les moyens de droit ou de preuve qu'il entend ultérieurement faire valoir à l'appui de sa contestation ;

Dès lors au surplus qu'il ne s'agit pas en l'espèce de demandes de rappels de salaires ou d'heures supplémentaires mais d'indemnités directement liées à la rupture dont le montant et le mode de calcul qui découlent de la loi ou des conventions collectives sont parfaitement connus de l'employeur, il ne saurait être exigé de k. TO. qu'elle fournisse, dans la lettre de dénonciation du reçu pour solde de tout compte, les chiffres exacts de ses prétentions ;

La forclusion instaurée par le texte susvisé ne s'appliquant par définition que dans le cas où le délai lui-même de dénonciation n'est pas observé, (Tribunal de Première Instance du 4 juillet 1996 DU. contre LABORATOIRES ASEPTA) aucune irrecevabilité ne peut en toute hypothèse être opposée en l'absence de texte à la dénonciation par k. TO. du reçu pour solde de tout compte ;

2) Au fond

Il apparaît tout d'abord, à la lecture de la lettre de notification de la rupture, que l'employeur a procédé au licenciement de k. TO. en raison du non respect par cette dernière des procédures en vigueur au sein du Health Spa concernant :

  • la tenue de la feuille d'enregistrement des recettes,

  • le contrôle des clés vestiaires et clients,

  • la surveillance des dates d'échéance des abonnements des membres du centre ;

La SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL s'est également prévalue, en cours de procédure, d'une part d'un certain nombre de fautes professionnelles commises entre août 1993 et octobre 1996 par k. TO. ayant donné lieu à quatre avertissements et d'autre part de plaintes qu'elle aurait reçues à deux reprises de clients (incidents WA. le 29 septembre 1992 et SP. le 25 mai 1996) ;

S'agissant d'un licenciement prononcé pour faute grave, la charge de la preuve des éléments propres à le justifier incombe à l'employeur ;

Il ressort en l'espèce suffisamment des pièces versées aux débats que k. TO. a fait preuve d'une carence certaine dans la tenue des feuilles d'enregistrement des recettes, en omettant notamment d'indiquer le numéro des clés de vestiaires attribués à chaque client ; que ces négligences ont entraîné des conséquences financières non négligeables pour l'établissement qui s'est trouvé contraint, après que la clé d'un même vestiaire ait été successivement attribuée à deux clients différents, d'indemniser l'un d'eux victime du vol de divers objets mobiliers ;

Si k. TO., qui ne conteste pas les insuffisances relevées dans la tenue des feuilles d'enregistrement, soutient certes que la procédure dont se prévaut l'employeur n'était plus en vigueur au sein de l'établissement, force est de constater toutefois qu'elle n'est pas en mesure de justifier des instructions en sens contraire qu'elle prétend avoir reçues, alors pourtant qu'elles auraient pris, selon ses propres affirmations, la forme d'une note provenant de la Direction ;

Il importe peu par ailleurs que cette dernière, qui avait effectivement terminé son service le 22 mai à 14 h 45, (cf. planning de sa semaine) n'ait plus été présente dans l'établissement lors de la remise de la seconde clé ouvrant le vestiaire 114, dès lors que l'omission commise par ses soins lors de l'enregistrement du premier client se trouve incontestablement directement à l'origine du vol et donc du préjudice subi par la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL ;

Les deux premiers griefs visés à la lettre de licenciement sont ainsi bien établis ;

Il ne peut en revanche être sérieusement reproché à k. TO. de ne pas avoir suivi les dates d'échéance des abonnements des clients du Health Spa alors d'une part que ce manquement professionnel, que la salariée conteste formellement, n'est étayé par aucune pièce et d'autre part et en toute hypothèse que l'attestation émanant de Monsieur TA., que celle-ci a versée aux débats et les documents qui y sont annexés démontre que les difficultés rencontrées sont exclusivement imputables au mauvais fonctionnement du service facturation ;

C'est à juste titre que la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL soutient que les fautes commises au cours du mois de mai 1998 par k. TO. autorisent le Tribunal, pour apprécier la gravité des faits reprochés au salarié, à retenir les manquements antérieurs et ce même s'ils ont été sanctionnés en leur temps ;

Il résulte toutefois des pièces du dossier que les trois avertissements infligés à k. TO. les 9 août 1993, 27 juin 1994 et 18 octobre 1996, que cette dernière n'a pas contestés, sanctionnaient des fautes mineures ;

Il n'est pas démontré dès lors par l'employeur, en dépit de l'existence de ces avertissements antérieurs, que les fautes commises par k. TO. au cours du mois de mai 1998 aient rendu impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis ;

En outre, si ces manquements ont certes généré un préjudice financier pour l'entreprise, il doit être observé qu'il ne s'agit à l'origine que de simples négligences matérielles qui auraient pu au surplus être aisément évitées si l'employeur s'était doté d'un système d'enregistrement plus moderne et plus conforme à son standing (établissement quatre étoiles luxe) que ces feuillets, quelque peu obsolètes à l'heure de l'informatique, versés aux débats ;

Le licenciement de k. TO. ayant ainsi été mis en œuvre non pour une faute grave mais pour un motif valable, celle-ci est en droit de prétendre à l'allocation des sommes suivantes, dont le montant n'a pas été discuté par l'employeur :

  • 9.832,88 F, au titre de l'indemnité de congédiement,

  • 19.559,26 F, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

  • 1.955,93 F, au titre des congés payés sur le préavis ;

Le fait que le secrétaire général du syndicat autonome de la SAM LOEWS HÔTEL ait proposé à la salariée d'intervenir en sa faveur auprès de la Direction afin que la mesure de licenciement envisagée soit commuée en un avertissement avec mise à pied disciplinaire, ne permettant pas à lui seul de qualifier d'abusif le congédiement ultérieurement mis en œuvre, k. TO. sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

En l'absence d'argumentation spécifique sur ce point, l'exécution provisoire sollicitée, qui n'apparaît pas opportune, ne sera pas ordonnée ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort après en avoir délibéré ;

Rejette la fin de non recevoir tirée de l'absence de motivation de la lettre de dénonciation du reçu pour solde de tout compte ;

Dit que le licenciement de k. TO. est intervenu non pas pour une faute grave, mais pour un motif valable ;

Dit en outre qu'il ne présente pas de caractère abusif ;

Condamne en conséquence la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE LOEWS HÔTEL devenue SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MONTE CARLO GRAND HÔTEL à payer à k. TO. les sommes suivantes :

  • 9.832,88 Francs, (neuf mille huit cent trente deux francs et quatre vingt huit centimes) au titre de l'indemnité de congédiement,

  • 19.559,26 Francs, (dix neuf mille cinq cent cinquante neuf francs et vingt six centimes) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

  • 1.955,93 Francs, (mille neuf cent cinquante cinq francs et quatre vingt treize centimes) au titre des congés payés sur le préavis,

le tout avec intérêts de droit à compter du 11 août 1998 date de la convocation en conciliation ;

Déboute k. TO. du surplus de ses prétentions ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Condamne la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE LOEWS HÔTEL devenue SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MONTE CARLO GRAND HÔTEL aux dépens.

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