Tribunal du travail, 2 décembre 1999, D. c/ SCS A. et M. A. P.

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Abstract🔗

Contrat de travail - Contrat à durée déterminée

- Rupture avant terme par l'employeur

- Absence de justes motifs

- Inaptitude professionnelle invoquée, non démontrée

- Indemnisation de l'employée

- Paiement des sommes qu'elle aurait pu percevoir

- Dommages-intérêts - art. 13 - préjudice moral

Résumé🔗

En application des dispositions de l'article 12 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, le contrat de travail à durée déterminée ne peut cesser avant terme par la volonté d'une seule partie que pour de justes motifs ou dans les cas de faute grave, de force majeure ou dans ceux prévus au contrat ou déterminés par le règlement intérieur.

L'employeur invoque devant cette juridiction, comme juste motif de rupture, l'incompétence flagrante de Mlle V. D., et, plus particulièrement, son incapacité à évoluer dans un environnement nécessitant impérativement la maîtrise courante de l'allemand et de l'anglais.

Si l'insuffisance professionnelle peut certes constituer le juste motif de rupture exigé par l'article 12 susvisé, encore faut-il toutefois que l'inaptitude du salarié au travail qui lui est confié, soit établie par des éléments réels et précis.

En l'espèce, alors que l'employeur soutient expressément dans ses écritures du 22 avril 1999 avoir rencontré des « difficultés de compréhension » avec ses clients, du fait des erreurs de traduction commises par son employée, force est de constater toutefois qu'il ne justifie de l'existence de ces manquements professionnels de la salariée par aucun document, de quelque nature que ce soit ; il ne verse pas davantage aux débats les lettres de plainte qu'il prétend pourtant avoir reçues, en nombre, de sa clientèle.

Les différences existant dans les deux curriculum vitae successivement rédigés par Mlle V. D. ne suffisant pas, en l'absence de tout autre élément, à caractériser l'inaptitude soudaine de celle-ci, après huit mois de bons et loyaux services, au poste de secrétaire trilingue qui lui avait été confié, la rupture avant terme du contrat à durée déterminée (contrat d'une durée d'un an à compter du 22 septembre 1997) par la SCS A. et M. A. P. n'est pas fondée sur de justes motifs, au sens de la loi précitée.

Elle est dès lors nécessairement illégitime.

L'employeur sera en conséquence condamné à verser à Mlle D., à titre de dommages-intérêts, une indemnité correspondant au montant des salaires qu'elle aurait dû percevoir jusqu'au terme du contrat, soit une somme de 33 230 F.

Au regard du contexte très particulier dans lequel elle est intervenue (trois mois à peine avant l'échéance du contrat...) cette rupture anticipée du contrat de travail présente, en outre, un caractère manifestement abusif.

Il sera donc au surplus alloué à Mlle V. D., en application des dispositions de l'article 13 de la loi susvisée, en réparation de son préjudice moral une somme complémentaire de 5 000 F à titre de dommages et intérêts.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Ensuite d'un procès-verbal de défaut à l'encontre de la SCS A. et M. A. P. en date du 13 juillet 1998, enregistré, Mademoiselle V. D., a attrait, par-devant le bureau de jugement du Tribunal du travail, pour l'audience du 15 octobre 1998, son ancien employeur, la SCS A. et M. A. P., en vue d'obtenir paiement des sommes suivantes :

  • 2 650,00 F à titre de solde de congés payés,

  • 33 230,00 F représentant les salaires restant à courir jusqu'à l'échéance du contrat, à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

  • 10 000,00 F à titre de dommages et intérêts complémentaires, en réparation de son préjudice moral,

À l'audience fixée par les convocations, les parties ont comparu par leur conseil respectif et, après cinq renvois contradictoires intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été plaidée à l'audience du 28 octobre 1999, puis mise en délibéré pour être le jugement rendu ce jour, 2 décembre 1999 ;

Mademoiselle V. D. a exposé, à l'appui de ses prétentions, qu'aux termes d'un contrat à durée déterminée en date du 22 septembre 1997, elle avait été recrutée par la SCS A. et M. A. P. et Compagnie pour une durée d'une année, en qualité de secrétaire trilingue ;

Qu'alors qu'elle avait toujours fait preuve de sérieux et de régularité dans son travail, ce contrat avait toutefois été rompu unilatéralement, avant son terme, par l'employeur ;

Soutenant d'une part que le motif invoqué par ce dernier, à savoir son incapacité à rédiger des courriers en langue anglaise ou allemande, était à la fois fallacieux et erroné, et d'autre part qu'eu égard aux conditions de brutalité dans lequel il était intervenu, ce licenciement lui avait causé un important préjudice moral, elle a demandé au Tribunal du travail de faire droit à l'intégralité de ses prétentions, telles qu'elles avaient été exposées dans sa requête introductive d'instance ;

Estimant pour sa part que le licenciement intervenu était fondé sur un juste motif, la SCS A. et M. A. P. et Compagnie a conclu à l'entier débouté des demandes formulées par Madame V. D. ;

Elle a fait valoir à cet effet que l'incompétence flagrante de Mademoiselle V. D. et l'incapacité de celle-ci à évoluer avaient placé son employeur dans une situation fort délicate à l'égard de ses clients, les traductions faites étant bardées d'erreurs ; qu'elle avait donc été contrainte, en raison de l'insuffisance professionnelle de la salariée et de son incapacité à occuper le poste pour lequel elle avait postulé, de mettre prématurément un terme aux relations contractuelles ;

Elle a soutenu par ailleurs qu'en modifiant de sa propre initiative le curriculum vitae datant du mois d'août 1997 qu'elle avait transmis à l'agence B., Mademoiselle V. D. avait elle-même reconnu avoir surestimé son niveau en langues ;

Mademoiselle V. D. a répliqué à cette argumentation :

1) que si son incompétence professionnelle avait été aussi flagrante que le prétend la SCS A. et M. A. P., celle-ci n'aurait pas manqué de mettre à profit la période d'essai d'un mois pour rompre le contrat de travail ;

2) qu'en toutes hypothèses la preuve du grief allégué à son encontre n'était nullement rapportée, alors au contraire qu'elle avait quotidiennement eu des interlocuteurs étrangers au téléphone, auxquels elle avait en outre adressé des fax et des lettres en anglais ainsi qu'en allemand ;

SUR QUOI :

1) SUR LA RUPTURE :

Si le contrat de travail produit aux débats est certes intitulé de manière erronée « contrat de travail à durée indéterminée », il ressort toutefois des mentions portées à l'article 2 qu'il a été en réalité conclu pour une durée déterminée d'une année à compter du 22 septembre 1997, lesdites mentions étant au demeurant corroborées à la fois par l'autorisation d'embauchage, le permis de travail et l'attestation destinée à l'ASSEDIC ;

En application des dispositions de l'article 12 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, le contrat de travail à durée déterminée ne peut cesser avant terme par la volonté d'une seule partie que pour de justes motifs ou dans les cas de faute grave, de force majeure ou dans ceux prévus au contrat ou déterminés par le règlement intérieur ;

La SCS A. et M. A. P. et Compagnie invoque devant cette juridiction, comme juste motif de rupture, l'incompétence flagrante de Mademoiselle V. D., et plus particulièrement son incapacité à évoluer dans un environnement nécessitant impérativement la maîtrise courante de l'allemand et de l'anglais ;

Si l'insuffisance professionnelle peut certes constituer le juste motif de rupture exigé par l'article 12 susvisé, encore faut-il toutefois que l'inaptitude du salarié au travail qui lui est confié soit établie par des éléments réels et précis ;

En l'espèce, alors que l'employeur soutient expressément dans ses écritures du 22 avril 1999 avoir rencontré des « difficultés de compréhension » avec ses clients du fait des erreurs de traduction commises par Mademoiselle V. D., force est de constater toutefois qu'il ne justifie de l'existence de ces manquements professionnels de la salariée par aucun document, de quelque nature que ce soit ; qu'il ne verse pas davantage aux débats les lettres de plaintes qu'il prétend pourtant avoir reçues, en nombre, de sa clientèle ;

Les différences existant dans les deux curriculum vitae successivement rédigés par Mademoiselle V. D. ne suffisant pas, en l'absence de tout autre élément, à caractériser l'inaptitude soudaine de celle-ci, après huit mois de bons et loyaux services, au poste de secrétaire trilingue qui lui avait été confié, la rupture, avant terme, du contrat de travail à durée déterminée par la SCS A. et M. A. P. n'est pas fondée sur de justes motifs, au sens de la loi précitée ;

Elle est dès lors nécessairement illégitime ;

La SCS A. et M. A. P. sera en conséquence condamnée à verser à Mademoiselle V. D., à titre de dommages et intérêts, une indemnité correspondant au montant des salaires qu'elle aurait dû percevoir jusqu'au terme du contrat, soit une somme de 33 230,00 F ;

Au regard du contexte très particulier dans lequel elle est intervenue (trois mois à peine avant l'échéance du contrat et après que trois lettres de licenciement, dont la première en anglais, aient été successivement adressées à la salariée), justifiant d'ailleurs l'intervention de l'Inspection du travail, cette rupture anticipée du contrat de travail présente en outre un caractère manifestement abusif ;

Il sera donc en outre alloué à Mademoiselle V. D., en application des dispositions de l'article 13 de la loi susvisée, en réparation de son préjudice moral une somme complémentaire de 5 000,00 F, à titre de dommages et intérêts ;

2) SUR LA DEMANDE AU TITRE DES CONGES PAYES : Au vu des mentions portées sur le bulletin du mois correspondant, il restait à Mademoiselle V. D. 10,75 jours de congés à prendre au 30 avril 1998, auxquels il convient d'ajouter les droits ouverts au titre du mois de mai de la même année soit un total de 10,75 + 2,50 = 13,25 ;

Eu égard au salaire mensuel de l'intéressée (10 000 F brut par mois) celle-ci pouvait donc prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés s'élevant à 4 416,66 F ;

Mademoiselle V. D. n'ayant perçu à ce titre qu'une somme de 1 873,05 F, elle est en droit d'obtenir un rappel de 2 543,61 F ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal du travail, statuant publiquement, contradictoirement en premier ressort et après en avoir délibéré ;

Vu les articles 12 et 13 de la loi n° 729 du 19 mars 1963 ;

  • Dit que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée conclu entre la SCS A. et M. A. P. et Compagnie et Mademoiselle V. D. n'est pas fondée sur de justes motifs ;

  • Dit en outre qu'elle présente un caractère abusif ;

  • Condamne en conséquence la SCS A. et M. A. P. et Compagnie à payer à Mademoiselle V. D. les sommes suivantes :

• 38 230,00 Francs (trente huit mille deux cent trente francs) à titre de dommages et intérêts,

• 2 543,61 Francs (deux mille cinq cent quarante trois francs et soixante et un centimes) à titre de solde de congés payés,

  • Déboute Mademoiselle V. D. du surplus de ses prétentions.

Composition🔗

Mme Coulet-Castoldi juge de paix, prés. : Mlle Leclercq, MM. Morando, Morra, Cognet membres employeurs et salariés ; Mes Pastor, Brugnetti, av. déf. ; Lajoux av. stag. ; Gorra av. bar. de Nice.

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