Tribunal du travail, 2 décembre 1999, j-m BO c/ la Société des bains de mer et du cercle des étrangers (SBM)

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Abstract🔗

Clause d'exclusivité de services d'un employé de jeux

Condamnation pénale pour complicité et recel de tricherie

Rappel de salaires pour dénonciation tardive de la clause

- Salaire dû en contrepartie du travail

- Agrément du salarié retiré

- Impossibilité d'exécuter sa prestation

- Salaires non dus

Résumé🔗

Un employé de jeux (pitboss) condamné pénalement pour délits de complicité et recel de tricherie fit citer son employeur en paiement de salaires non versés pendant la période courant de sa sortie de prison jusqu‘à la levée de la clause d'exclusivité de services le liant à son employeur.

Le tribunal du travail le déboute de ses demandes dès lors que, si constitutionnellement la liberté du travail est garanti, le salaire, suivant l'article 1er de la loi n° 739, est la rémunération contractuellement due en contrepartie du travail ou des services accomplis au profit de l'employeur.

En l'espèce, il existait une impossibilité matérielle d'exécuter le travail en raison de la suspension de l'agrément conditionnant ce type d'activité. La responsabilité de cette situation n'est pas imputable à l'employeur et cette inexécution entrainait nécessairement le non- paiement des salaires en raison de la stricte correspondance des obligations en matière de contrat synallagmatique.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 9 février 1998 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le bureau de jugement du tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date du 3 mars 1998 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Georges BLOT, avocat-défenseur, au nom de Monsieur j-m BO, en date du 18 juin 1998 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE SOCIÉTÉ DES BAINS DE MER ET DU CERCLE DES ÉTRANGERS, en date du 11 février 1999 ;

Ouï Maître Maxime GORRA, avocat au barreau de Nice, assisté de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, au nom de Monsieur j-m BO, et Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE SOCIÉTÉ DES BAINS DE MER ET DU CERCLE DES ÉTRANGERS, en leurs plaidoiries et conclusions ;

Vu les pièces du dossier ;

j-m BO a été embauché le 1er juin 1976 par la SOCIÉTÉ DES BAINS DE MER en qualité de PITBOSS ;

Dans le cadre de la procédure ouverte à son encontre du chef de complicité et recel du délit de tricherie, il a été placé sous mandat d'arrêt par le Juge d'Instruction du Tribunal de Première Instance de MONACO et écroué du 31 juillet au 3 octobre 1996 ;

Aux termes d'un jugement rendu le 18 mars 1997 par le Tribunal Correctionnel de la Principauté de MONACO, il a été déclaré coupable des délits spécifiés ci-dessus et condamné à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à une amende de 20.000 F ;

Par arrêt de la Cour d'Appel de la Principauté de MONACO, il a en outre été condamné, solidairement avec Messieurs LO, NI, RA, SB, CA, CO, MA et CI à payer à la SBM la somme de 1.500.000,00 F ;

Suspendu dans un premier temps à titre conservatoire de ses fonctions à partir du 31 juillet 1996, dans l'attente du déroulement des procédures judiciaires le concernant, j-m BO a été licencié de son emploi le 24 mars 1997 pour faute grave ;

Ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 2 avril 1998, enregistré, j-m BO a attrait par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail pour l'audience du 2 avril 1998 son ancien employeur, la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE SOCIÉTÉ DES BAINS DE MER ET DU CERCLE DES ÉTRANGERS (en abrégé SBM) afin d'obtenir le paiement :

- de ses salaires pour la période du 1er AOÛT 1996 au 28 FEVRIER 1997

- soit une somme de.........................................................................................255.828,72 Frs

- du prorata de parts bénéficiaires ou de « produits de cagnotte » lui revenant, à chiffrer sur communication des documents utiles par la SBM ........................................... MÉMOIRE

- de dommages et intérêts à hauteur d'une somme de...................................... 20.000,00 Frs

Sous toutes réserves.

la date fixée par la convocation, les parties ont régulièrement comparu par leurs conseils respectifs puis après onze renvois contradictoires intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été évoquée à l'audience du 28 octobre 1999, puis mise en délibéré pour être le jugement rendu ce jour, 2 décembre 1999 ;

Après avoir dans un premier temps limité, dans ses conclusions déposées le 18 juin 1998, sa demande au titre des salaires à la somme de 182.734,80 F couvrant la période du 3 octobre 1996 au 28 février 1997, j-m BO a expressément indiqué à l'audience du 28 octobre qu'il ne réclamait désormais que les salaires échus du 3 octobre 1996, date de la fin de son incarcération, au 15 novembre 1996, date à laquelle la SBM l'avait libéré de la clause contractuelle d'exclusivité de services ;

Il a exposé, à l'appui de ses prétentions, qu'il n'entendait pas critiquer son licenciement, mais uniquement voir sanctionner l'attitude anormale de son employeur ;

Il a fait valoir à cet effet que la SBM, en maintenant d'une part la clause d'exclusivité de services, alors pourtant qu'elle ne l'employait plus dans sa fonction contractuelle d'employé de jeux, et en s'abstenant d'autre part de lui offrir un emploi de substitution, dans une catégorie ne nécessitant aucun agrément administratif, l'avait en réalité privé du droit fondamental de travailler, et donc de se sustenter ;

Il a souligné enfin qu'il avait dû entreprendre « moultes démarches » pour que son employeur, prenant enfin « conscience de la gravité de la situation », le libère le 15 novembre 1996 de la clause d'exclusivité l'empêchant d'exercer toute activité professionnelle ;

La SBM a conclu pour sa part au débouté de l'intégralité des prétentions formées à son encontre par Monsieur j-m BO ;

Ses moyens étaient les suivants :

- il appartenait à Monsieur j-m BO de démissionner de son emploi afin d'exercer une activité salariée pour le compte d'un autre employeur, ou de lui demander dès avant le 23 octobre 1996 l'autorisation d'exercer une activité salariée à l'extérieur pendant la durée de suspension de ses fonctions ;

- il n'incombait pas à l'employeur de prendre l'initiative de proposer à son employé malhonnête des mesures d'aide, alors que les dispositions législatives le contraignait, au contraire, à prendre à son encontre des mesures de suspension ;

SUR QUOI,

Si la Constitution du 17 décembre 1962 garantit certes en son article 25 la liberté du travail, l'article 1er de la loi n° 739 du 16 mars 1963 dispose pour sa part que le salaire est la rémunération contractuellement due au travailleur placé sous l'autorité d'un employeur en contrepartie du travail ou des services qu'il a accomplis au profit de ce dernier ;

Il est constant en l'espèce que Monsieur j-m BO n'a fourni aucune prestation de travail pour le compte de son employeur entre le 3 octobre 1996, date de sa mise en liberté provisoire, et le 15 novembre 1996, date à laquelle la SBM l'a autorisé à exercer toute activité extérieure de son choix ;

Monsieur j-m BO ne peut sérieusement imputer à la SBM la responsabilité de cette situation, alors que cette société n'a fait qu'appliquer la réglementation particulière de la police des jeux ;

Embauché par la SBM comme employé de jeux, j-m BO devait en effet pour exercer ses fonctions être titulaire, en application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 1103 du 12 juin 1987, d'un agrément administratif ;

Dès lors que cet agrément lui avait été provisoirement (jusqu'à l'issue de la procédure pénale) retiré dès le 26 août 1996 par le Conseiller de Gouvernement en charge de l'Économie et des Finances, j-m BO se trouvait dans l'impossibilité matérielle d'exécuter la prestation de travail convenue ;

Si cet empêchement, compte tenu de son caractère temporaire, ne remettait certes pas en cause l'existence même du contrat de travail, il en suspendait en revanche indiscutablement l'exécution ;

La SBM, en suspendant à compter du 31 juillet 1996 Monsieur j-m BO à titre conservatoire de ses fonctions « dans l'attente du déroulement des procédures judiciaires le concernant » n'a donc pas placé ce dernier dans l'impossibilité de travailler, mais a seulement tiré les conséquences qui s'imposaient du retrait provisoire d'agrément, ainsi que le lui imposait d'ailleurs l'article 2 de l'Ordonnance n° 8929 en date du 15 juillet 1987 ;

L'inexécution par j-m BO, du fait de la suspension du contrat de travail, de la prestation convenue entraînant nécessairement le non-paiement du salaire, en vertu de la stricte correspondance des obligations en matière de contrats synallagmatiques, celui-ci ne peut prétendre conserver le bénéfice de sa rémunération pendant la période considérée ;

Il lui appartenait de tirer les conséquences de la situation particulière, dans laquelle il s'était lui-même placé, en demandant à son employeur soit de l'affecter dans un autre emploi, soit de le relever de la clause contractuelle d'exclusivité de services afin de pouvoir exercer une activité extérieure ;

Force est de constater en l'espèce, à l'examen des correspondances échangées entre les parties, que Monsieur j-m BO, contrairement à ce qu'il soutient dans ses conclusions, n'a accompli aucune démarche en ce sens ; qu'il s'est en effet borné dans la seule lettre qu'il a adressée le 23 octobre 1996 au Directeur de la SBM à réclamer le bénéfice de sa « rémunération » ou d'un « dérivé de celle-ci » ; qu'ainsi et en toute hypothèse si Monsieur j-m BO a bien été autorisé dès le 15 novembre 1996 à exercer toute activité extérieure de son choix, cette décision a été prise à la seule initiative de l'employeur ;

Aucune faute n'étant en conséquence caractérisée à l'encontre de la SBM, Monsieur j-m BO ne pourra qu'être débouté de l'intégralité de ses prétentions ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré ;

Déboute Monsieur j-m BO de l'intégralité de ses prétentions ;

Le condamne aux dépens envers le Trésor.

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