Tribunal du travail, 25 mars 1971, Delle L. c/ S.A.M. « SODEC ».

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Abstract🔗

Licenciement

Réorganisation de l'entreprise. Pouvoirs de l'employeur. Suppression d'emploi. Transfert au directeur général de fonctions techniques.

Résumé🔗

L'employeur est seul juge de la nécessité d'organiser son entreprise sur de nouvelles bases qu'il détermine librement et n'a d'autres obligations, lorsque la réorganisation entraîne le licenciement d'un salarié, de respecter le préavis et de verser l'indemnité de congédiement.


Motifs🔗

Le Tribunal du Travail,

Attendu qu'ensuite d'un procès-verbal régulier de non-conciliation en date du premier juin mil neuf cent soixante-dix, enregistré, la demoiselle A. L., Directrice technique, a attrait, devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, la Société Anonyme Monégasque dénommée « SODEC », afin d'obtenir paiement de la somme de cinquante mille francs à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif ; sous toutes réserves ;

Attendu que la demanderesse expose qu'elle a été employée pendant plus de sept ans en qualité de Directrice technique par la « SODEC » ; qu'elle a été licenciée par lettre du vingt-sept novembre mil neuf cent soixante-neuf, avec un préavis de trois mois, au prétexte d'une réorganisation de la Société ayant entraîné la suppression de son poste ; qu'il s'agit en fait d'un licenciement abusif car elle a été en réalité remplacée dans ses attributions et que, de toute façon, la Société défenderesse avait la possibilité de lui offrir un autre emploi vu son ancienneté ; qu'elle s'estime fondée à solliciter la somme de cinquante mille francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice occasionné ;

Qu'elle fait valoir en réplique qu'une certaine contradiction existe entre le motif invoqué en la cause par la « SODEC » pour justifier ses agissements à son égard et les termes de la lettre de licenciement dans laquelle il était précisé qu'il avait été créé une seule organisation centralisée à Paris avec un seul directeur technique pour toutes les usines de lingerie françaises, alors que la Société reconnaît que le poste de directeur technique n'a pas été supprimé mais est actuellement occupé par son nouveau directeur général en raison de sa haute qualification professionnelle ; qu'ainsi est démontrée son éviction pure et simple et la légèreté blâmable de l'entreprise légitimant sa demande ; qu'elle offre subsidiairement d'établir par voie d'enquête que la réorganisation de la Société n'a été qu'un prétexte, que son poste n'a pas été supprimé et que son employeur avait la possibilité de lui offrir un autre emploi ;

Attendu que la « SODEC » soutient que la réorganisation de la Société Monégasque a été réelle et qu'elle a été dictée par une diminution de l'activité commerciale sanctionnée en mil neuf cent soixante-neuf par des pertes qui ont été constatées dans le rapport des commissaires aux comptes ; que cette situation a entraîné le licenciement ou le départ volontaire de huit préposés ; que par ailleurs la mise au point des modèles, la politique générale de fabrication et les directives techniques ne sont plus élaborées par la Société à Monaco mais à Paris ; que s'il est exact que la fabrication a continué après le départ de la demanderesse, il est constant que l'actuel Directeur Général de la « SODEC », outre ses fonctions d'organisation générale, assure la direction technique de la fabrication, étant professionnellement qualifié à cet égard puisqu'il est ingénieur textile de l'Ecole Supérieure de Mulhouse ; que la nouvelle politique d'exploitation ne permettait pas à la Société d'offrir un autre emploi à la demoiselle L. qui a d'ailleurs été presque immédiatement réembauchée à Monaco puis à Nice ; que celle-ci, n'étant pas en mesure d'établir que son licenciement a revêtu un caractère abusif, doit être déboutée de sa demande ;

Qu'elle maintient par conclusions responsives que le poste de directrice technique d'une fabrication autonome et indépendante à Monaco ne se justifiant plus, du fait de la réorganisation des Sociétés du Groupe, le motif de licenciement correspond exactement à la réalité, alors même que le Directeur Général, en raison de sa formation, suffit amplement pour surveiller sur place l'application à la fabrication des directives qu'il reçoit de Paris ; que la demanderesse ne conteste pas que la compression du personnel de Monaco ne se soit pas limitée à elle ; que son congédiement n'a donc été inspiré ni par un mobile de légèreté blâmable ni par une quelconque volonté de lui nuire et qu'elle ne saurait être admise dans son offre de preuve qui n'est ni pertinente ni admissible ;

Attendu qu'il résulte de documents produits par la demanderesse elle-même que la « SODEC » a entrepris une étude d'organisation de ses différents services au cours de l'année mil neuf cent soixante-neuf ;

Que la réorganisation de l'entreprise et une réduction de ses frais généraux se justifiaient d'autant plus que le rapport des commissaires aux comptes et le bilan de l'année mil neuf cent soixante-neuf font apparaître un très important déficit de gestion ;

Que la demoiselle L. ne conteste d'ailleurs pas que la « SODEC » ait été amenée à procéder à d'autres licenciements ;

Attendu qu'elle fait valoir en la cause, au support nécessaire de son action et pour démontrer le caractère abusif de son congédiement, que son poste n'a pas été supprimé et qu'elle a été en fait remplacée dans ses fonctions par le nouveau Directeur Général de la Société ainsi que l'établissent les écrits judiciaires de cette dernière ;

Mais attendu que la Société défenderesse, après avoir exposé que le maintien du poste de directrice technique d'une fabrication autonome et indépendante ne se justifiait plus à Monaco dès l'instant où la création et le choix des modèles, le patronage, le choix des fournitures et d'une façon générale toute la politique technique de la production et une partie de sa mise en œuvre étaient élaborés et centralisés à Paris pour différentes sociétés du même groupe, s'est bornée à préciser qu'une autre partie des attributions antérieurement dévolues à la demanderesse est exercée par son Directeur Général qui, du fait de sa formation professionnelle, est en mesure d'assurer sur place, en plus de ses propres fonctions, le contrôle de la fabrication sur les directives qu'il reçoit ;

Attendu que la demanderesse, qui admet implicitement en l'absence de contestation à cet égard, la réalité de la situation exposée, ne saurait tirer argument du transfert à l'actuel Directeur Général, donc sans création d'emploi nouveau, d'une partie de ses anciennes prérogatives, pour soutenir qu'il n'y a pas eu en fait suppression du poste de directrice technique ;

Qu'il résulte au contraire nécessairement de l'argumentation qu'elle a développée que ce poste n'existe plus dans la hiérarchie du personnel de la Société ;

Que l'offre de preuve testimoniale - au demeurant très imprécise - qu'elle formule est ainsi dès l'abord démentie par les faits et doit être rejetée comme non pertinente ni admissible ;

Attendu qu'il est de jurisprudence que « l'employeur est seul juge du fait de savoir si en raison des circonstances économiques, il doit continuer l'exploitation de son usine dans les mêmes conditions que par le passé ou si, au contraire, il convient d'en assurer le fonctionnement sur de nouvelles bases » (Cass. 2 juin 1937, S. 38. 1. 22) ;

Que la seule obligation qui lui incombe consiste à respecter les dispositions légales régissant le licenciement, ce que la « SODEC » a fait en l'espèce par l'octroi d'un préavis de trois mois et d'une indemnité de congédiement ;

Que la demoiselle L. n'ayant pas sollicité son reclassement dans l'établissement à un poste inférieur, conformément à l'article 6 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957, la Société défenderesse n'était pas tenue de lui offrir un autre emploi ;

Qu'il suit que la demanderesse n'établissant pas l'exercice fautif du droit de licenciement de son employeur, elle doit être déclarée mal fondée dans ses prétentions et déboutée de son action ;

Que les dépens doivent suivre la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Dit et juge que le licenciement de la demanderesse ne peut se voir reconnaître un caractère abusif ;

La déclare, en conséquence, mal fondée dans son action et l'en déboute ;

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