Tribunal Suprême, 27 juin 2025, j.B c/ S. E. M. le Ministre d'État

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Abstract🔗

Mandataire judiciaire à la protection des personnes - Agrément - Expert-comptable - Compatibilité (non) - Mission de représentation devant les tribunaux

Résumé🔗

Le Tribunal Suprême rejette la requête d'un expert-comptable et commissaire aux comptes, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de deux décisions du Ministre d'État refusant de lui délivrer un agrément pour exercer l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes et rejetant son recours gracieux. Le requérant contestait notamment la régularité de la procédure, l'insuffisance de motivation des décisions et l'interprétation de l'incompatibilité légale fondée sur l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000. Il soutenait qu'aucune disposition n'interdit expressément aux experts-comptables d'exercer une telle activité, et que les fonctions de mandataire judiciaire n'impliquent pas nécessairement une mission de représentation devant les tribunaux. Le Tribunal Suprême juge que la procédure est régulière, que la motivation des décisions était suffisante, et que l'incompatibilité invoquée était légalement fondée. L'exercice des fonctions de mandataire judiciaire à la protection des personnes impliquait potentiellement des missions de représentation judiciaire, incompatibles avec la profession d'expert-comptable. La requête est rejetée.


TRIBUNAL SUPRÊME

TS 2024-27

Affaire :

  • j.B

Contre :

  • S. E. M. le MINISTRE D'ÉTAT

DÉCISION

Audience du 13 juin 2025

Lecture du 27 juin 2025

Recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 15 janvier 2024 du Ministre d'État rejetant la demande de j.B tendant à la délivrance d'un agrément pour l'exercice de l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes, ensemble la décision du 17 juillet 2024 portant rejet de son recours gracieux.

En la cause de :

  • j.B, né le jma à Monaco, de nationalité monégasque, demeurant x1 à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Régis FROGER, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;

Contre :

  • L'État de Monaco représenté par le Ministre d'État, ayant pour avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par Maître Jacques MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;

Visa🔗

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par j.B, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 16 septembre 2024, sous le numéro TS 2024-27, tendant à annuler pour excès de pouvoir la décision du 15 janvier 2024 par laquelle le Ministre d'État rejette sa demande tendant à la délivrance d'un agrément pour l'exercice de l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes, ensemble la décision du 17 juillet 2024 portant rejet de son recours gracieux et à condamner l'État de Monaco en tous les frais et les dépens dont distraction faite au profit de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur ;

CE FAIRE :

Attendu que j.B, expert-comptable et commissaire aux comptes en Principauté, expose que la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 relative à la sauvegarde de justice, au mandat de protection future et à l'exercice de l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes soumet l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes à la délivrance d'un agrément délivré par le Ministre d'État, après avis du Directeur des Services Judiciaires ; que par un arrêté ministériel n° 2021-826 du 23 décembre 2001, il a été habilité à exercer les fonctions d'administrateur judiciaire, liquidateur et syndic jusqu'au 31 décembre 2024 ; que le 19 octobre 2023, il a sollicité la délivrance permettant l'exercice de la profession de mandataire judiciaire à la protection des personnes ; que, par une décision du 15 janvier 2024, notifiée le 22 janvier 2024, le Ministre d'État a rejeté sa demande au motif que l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 relative aux professions d'expert-comptable et de comptables agréés édictait une incompatibilité entre la profession d'expert-comptable et la fonction de mandataire judiciaire ; que le 13 mars 2024, le requérant a formé un recours gracieux contre cette décision de refus, lequel a été rejeté par une décision du 17 juillet 2024 ; qu'il a ensuite saisi le Tribunal Suprême d'une requête en annulation de la décision du 15 janvier 2024, ainsi que de la décision de rejet de son recours ;

Attendu qu'à l'appui de sa requête, le requérant soutient, en premier lieu, que la décision attaquée a été prise selon une procédure irrégulière en ce qu'elle n'a pas été précédée de la consultation pour avis du Directeur des Services Judiciaires exigée par les dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 dont l'alinéa 2 prévoit que : « dans le cadre de l'instruction du dossier, l'avis du Secrétaire d'État à la Justice – Directeur des Services Judiciaires est sollicité quant à la délivrance de l'agrément » ; que la décision de rejet du 15 janvier 2024 ne vise ni n'évoque aucun avis rendu par cette autorité, ni même la consultation de cette dernière ; que faute d'établir une telle consultation et l'existence d'un avis rendu sur la demande d'agrément du requérant, les décisions attaquées sont frappées d'irrégularité ;

Attendu que le requérant fait valoir, en deuxième lieu, que la décision du 15 janvier 2024 est insuffisamment motivée ; que pour justifier le rejet de sa demande, la décision du Ministre d'État se borne à indiquer que « l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 […] édicte une incompatibilité qui n'autorise pas [sa] nomination pour la fonction de mandataire judiciaire » ; que les dispositions de l'article 13 précité fixent plusieurs incompatibilités sans qu'aucune vise l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes ; qu'en outre, aucune explication suffisante ne permet de démontrer que l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes conduirait le requérant à exercer une mission de représentation devant les Tribunaux de l'ordre judiciaire, activité incompatible avec ses fonctions d'expert-comptable ; que ni le courrier du 20 octobre 2023 du Directeur de l'Expansion Économique, qui attire l'attention du requérant sur une telle incompatibilité, énoncée par l'article 12 de la loi du 12 juillet 2000 précitée, ni la décision du Ministre d'État rejetant, le 17 juillet 2024, le recours gracieux n'expliquent de manière suffisante l'incompatibilité entre les fonctions d'expert-comptable et de mandataire judiciaire ;

Attendu que le requérant soutient, en troisième lieu, que la décision du 15 janvier 2024 est entachée d'une erreur de droit, et en tout état de cause d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors qu'aucune disposition législative ne fixe d'incompatibilité entre l'exercice de la profession d'expert-comptable et les fonctions de mandataire judiciaire à la protection des personnes ; que si l'article 19 de la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 précitée fixe des incompatibilités avec la délivrance de l'agrément aux fins d'exercice d'une activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes, ce texte mentionne « les personnes qui ne pourraient pas être désignées judiciairement en qualité de tuteur, curateur ou mandataire spécial, en application des articles 410-9-3, 410-14, 410-16 et 410-31 du Code civil » ; qu'aucune des dispositions auxquelles il est renvoyé ne concerne les experts-comptables ; qu'a contrario, l'article 2 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 prévoit qu'un expert-comptable peut « être désigné en qualité d'administrateur judiciaire, liquidateur ou syndic […] » ; qu'ainsi, même si les experts-comptables sont tenus de solliciter un agrément pour exercer des fonctions accessoires, celui-ci ne saurait leur être refusé pour une incompatibilité ; que, par ailleurs, l'intention du législateur, lors des débats préparatoires à la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 précitée, n'a jamais été d'instituer une nouvelle incompatibilité entre les fonctions d'expert-comptable et de mandataire judiciaire, fut-ce de mandataire judiciaire à la protection des personnes ; qu'enfin, si les dispositions de l'article 13 de la loi n°1.231 du 12 juillet 2000 font interdiction « aux membres de l'Ordre et aux sociétés reconnues par lui (…) d'assumer une mission de représentation devant les tribunaux de l'ordre judiciaire », cette interdiction ne fait aucunement obstacle à la délivrance d'un agrément en vue de l'exercice de l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes ; que les termes « mission de représentation devant les tribunaux judiciaires » visent le mandat de représentation en justice ou mandat ad litem ; que, si un expert-comptable ne peut assumer un tel mandat, au même titre qu'un avocat ou un avocat-défenseur, le texte précité ne lui interdit pas de représenter légalement une personne physique ou morale ; qu'aucune des missions afférentes à l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes n'implique, pour le mandataire judiciaire, d'assumer une mission de représentation devant les tribunaux de l'ordre judiciaire au sens d'un mandat ad litem ; que les fonctions de mandataire judiciaire, qui sont des fonctions d'assistance pour les actes de la vie civile des personnes concernées, ne conduisent pas le mandataire, y compris s'agissant des actions en justice, à assumer une fonction de représentation en justice ; que, dans ces conditions, la décision du 15 janvier 2024, ensemble la décision du 17 juillet 2024, devront être déclarées illégales ;

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 18 novembre 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en premier lieu, que la décision attaquée a été adoptée à la suite d'une procédure régulière ; que le moyen tiré de l'absence de l'avis du Directeur des Services Judiciaires manque en fait ; que l'avis du 30 novembre 2023 du Directeur des Services Judiciaires est versé aux débats ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en deuxième lieu, que le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision du 15 janvier 2024 n'est pas fondé ; que la décision attaquée rappelle, tout d'abord, que l'exercice de l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes est subordonnée à l'obtention d'une autorisation administrative en vertu de l'article 19 de la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 et que, dans le cadre de la procédure, l'autorité administrative a la faculté de décider s'il convient, ou non, d'accorder l'autorisation sollicitée ; que la décision du 15 janvier 2024 énonce, ensuite, les dispositions de l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 qui interdisent notamment aux membres de l'Ordre des experts-comptables « d'assumer une mission de représentation devant les tribunaux de l'ordre judiciaire » ; que cette interdiction conduit à une incompatibilité entre les fonctions d'expert-comptable et, ainsi que le prévoit l'article 410-10 du Code civil à propos du tuteur du majeur protégé, la représentation « de manière continue dans les actes de la vie civile », ce qui implique qu'il le représente en justice ; que la décision attaquée fait ainsi apparaître les considérations de droit et de fait qui constituent son fondement, conformément aux exigences de l'article 2 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Attendu que le Ministre d'État estime, au fond, que les décisions attaquées ont été rendues en ne commettant ni une erreur de droit ni une erreur manifeste d'appréciation ; que, contrairement aux prétentions du requérant, la circonstance que les experts-comptables ne figurent pas expressément dans les dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 est inopérante dans la mesure où l'incompatibilité entre la profession d'expert-comptable et l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes résulte, non de ce texte, mais de l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 qui interdit aux membres de l'Ordre des experts-comptables et comptables agréés d'assumer une mission de représentation devant les tribunaux de l'ordre judiciaire ; qu'en vertu des dispositions de l'article 2 de la loi du 12 juillet 2000 précitée, l'expert-comptable peut « être désigné en qualité d'administrateur judiciaire, liquidateur ou syndic, sous réserve d'avoir été habilité par arrêté ministériel à exercer lesdites fonctions pour une durée fixée par l'arrêté qui le nomme » ; que les fonctions visées par ce texte sont des fonctions économiques qui doivent être distinguées de celles d'administrateur visées par l'article 18 de la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 précitée qui disposent que « Seuls les mandataires judiciaires à la protection des personnes régis par les dispositions de la présente loi peuvent exercer, à titre professionnel, les fonctions de tuteurs, curateur ou administrateur qui leur sont confiées par décision du juge tutélaire ou du tribunal de première instance » ; que les fonctions d'administrateur visées, définies par l'article 410-19 du Code civil comme des fonctions de gestion et d'assistance d'une personne dont il n'apparait pas nécessaire d'organiser la tutelle, ne sont pas similaires à celles de mandataire judiciaire à la protection des personnes prévues par l'article 2 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 ; que le requérant prétend, à tort, que la mission d'administrateur judiciaire prévue par l'article 2 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 constituerait l'une des formes d'exercice de l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes ; que, de plus, contrairement aux prétentions du requérant qui se fonde sur les dispositions de la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 pour démontrer la possibilité pour les experts-comptables d'exercer les fonctions de mandataire judiciaire à la protection des personnes, l'interdiction faite aux experts-comptables résulte des dispositions de l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 ; qu'enfin, l'interdiction posée par ledit article 13 porte sur toute mission de représentation devant les tribunaux de l'ordre judiciaire ; qu'en raison de sa profession d'expert-comptable, le requérant ne peut donc se voir délivrer un agrément lui permettant d'exercer l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 17 décembre 2024, par laquelle le requérant tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu que le requérant persiste à affirmer, en premier lieu, que la procédure suivie pour prendre la décision du 15 janvier 2024 est irrégulière ; que si les écritures de la contre-requête développent les motifs supposés fonder le refus de délivrer l'agrément, la décision du 15 janvier 2024 reste insuffisamment motivée puisqu'elle se contente de citer les dispositions de l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 sans expliquer laquelle des incompatibilités évoquées par celles-ci fait obstacle à la délivrance de l'agrément sollicité ;

Attendu que le requérant conteste, en deuxième lieu, la distinction établie par la contre-requête entre les fonctions d'administrateur judiciaire, visées par l'article 18 de la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019, et celles d'administrateur judiciaire prévues par les dispositions de l'article 2 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 qui prévoit, sans autre précision, qu'un expert-comptable « peut également être désigné en qualité d'administrateur judiciaire » ; que les fonctions de mandataire judiciaire à la protection des personnes visent à la gestion des intérêts, en particulier économiques, d'un majeur se trouvant dans l'impossibilité d'y pourvoir seul ; que ces fonctions s'avèrent compatibles avec les missions de l'expert-comptable qui, selon l'article 2 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000, consistent à « organiser, tenir, arrêter, réviser, apprécier et redresser les comptabilités et les comptes » des personnes établies en Principauté et « attester et (…) certifier la régularité et la sincérité des états financiers » ;

Attendu que le requérant soutient, en troisième lieu, que l'adoption des dispositions de la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 n'a pas pour conséquence de remettre en cause les dispositions de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 qui reconnaît aux experts-comptables la faculté d'exercer à titre professionnel les fonctions de tuteur et de curateur ;

Attendu que le requérant conteste, en quatrième lieu, le lien établi en contre-requête entre les fonctions de mandataire judiciaire à la protection des personnes et la mission de représentation en justice devant les tribunaux de l'ordre judiciaire ; qu'il n'est aucunement établi que les dispositions de l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 énoncent une interdiction absolue pour les experts-comptables ; que ces dispositions évoquent l'accomplissement d'une « mission de représentation devant les tribunaux de l'ordre judiciaire (…) pour les entreprises dans lesquelles ils possèdent directement ou indirectement des intérêts substantiels » ; qu'il en résulte que l'interdiction faite aux experts-comptables n'est pas absolue mais limitée à l'hypothèse où cette mission serait réalisée pour le compte d'une entreprise dans laquelle il possèderait, directement ou indirectement, des intérêts « substantiels » ; qu'aucune interdiction d'assumer une mission de représentation en justice d'une personne pour laquelle l'expert-comptable aurait été désigné mandataire judiciaire ne ressort des dispositions de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 14 janvier 2025, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en premier lieu, que la décision du 15 janvier 2024 est suffisamment motivée ; qu'elle indique que la demande d'agrément présentée par le requérant se heurte à une incompatibilité prévue par l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 ; qu'à défaut de préciser celles des incompatibilités prévues par ce texte, seule l'impossibilité d'assumer une mission de représentation devant les tribunaux de l'ordre judiciaire pouvait justifier le rejet de la demande d'agrément ; que ce motif a d'ailleurs été souligné dans la décision du 17 juillet 2024 par laquelle le Ministre d'État a rejeté le recours gracieux de j.B ; qu'ainsi, l'exposant avait connaissance des motifs de droit et de fait au fondement du rejet de sa demande d'agrément ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en deuxième lieu, que l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes n'est pas compatible avec la profession d'expert-comptable ; que l'activité d'un mandataire judiciaire consiste principalement à représenter une personne devant être protégée ; que les dispositions du Code civil prévoit différents régimes de protection des majeurs ; que dans le régime de la tutelle, le majeur protégé est représenté de manière continue dans les actes de la vie civile ; que dans le régime de la curatelle, il est seulement assisté dans ses actes ; que, par ailleurs, lorsqu'il n'est pas nécessaire d'organiser la tutelle mais qu'une mesure de curatelle ne peut être ouverte, la juridiction peut se borner à désigner un administrateur qui gère les revenus du majeur et exécute les obligations alimentaires dont il est tenu, dans le cadre des dispositions de l'article 378 du Code civil ; que dans ce dernier cas, l'administrateur désigné exerce des fonctions qui ne sauraient être assimilées à celles qui sont exercées par un administrateur judiciaire dans le domaine économique ; qu'elles ne peuvent donc être confiées à un expert-comptable ;

Attendu que le Ministre d'État estime, en troisième lieu, que la référence à l'intention du législateur lors de l'adoption de la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 visant à établir la compatibilité entre la profession d'expert-comptable et celle de mandataire judiciaire à la protection des personnes est inopérante ; que les dispositions postérieures de l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 interdisent aux experts-comptables d'assumer une mission de représentation devant les tribunaux de l'ordre judiciaire ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en quatrième lieu, que l'exercice de la profession de mandataire judiciaire à la protection des personnes implique nécessairement une mission de représentation en justice ; que les membres de cette profession sont les seuls à pouvoir exercer les fonctions de tuteurs qui les conduisent à représenter les personnes protégées dans les actes de la vie civile, en particulier devant les tribunaux de l'ordre judiciaire ; que les dispositions de l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 disposent qu' « il est, en outre, interdit aux membres de l'Ordre et aux sociétés reconnues par lui d'agir en tant qu'agent d'affaires, d'assumer une mission de représentation devant les tribunaux de l'ordre judiciaire, d'effectuer des travaux d'expertise comptable, de révision comptable ou de comptabilité dans les entreprises dans lesquelles ils possèdent directement ou indirectement des intérêts substantiels » ; que l'interdiction posée par cet article ne fait pas seulement obstacle à ce qu'ils assurent une mission particulière de représentation devant les tribunaux judiciaires mais leur interdit l'exercice de toute profession impliquant une telle mission ; que tel est le cas de la profession de mandataire judiciaire à la protection des personnes, qui implique qu'ils représentent en justice les personnes protégées lorsqu'ils sont nommés tuteurs ; qu'une interprétation contraire conduirait à permettre aux experts-comptables d'exercer une profession tout en leur interdisant d'assumer l'une des fonctions essentielles attachées à l'exercice de celle-ci ;

SUR CE,

Vu les décisions attaquées ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le B de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 relative aux professions d'expert-comptable et de comptable agréé, notamment son article 13 ;

Vu la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 relative à la sauvegarde de justice, au mandat de protection future et à l'exercice de l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes ;

Vu l'Ordonnance du 1er octobre 2024 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Philippe BLACHER, Membre titulaire, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 29 janvier 2025 ;

Vu l'Ordonnance du 7 mai 2025 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 13 juin 2025 ;

Ouï Monsieur Philippe BLACHER, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Régis FROGER, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour j.B ;

Ouï Maître Jacques MOLINIÉ, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Motifs🔗

Après en avoir délibéré

  1. Considérant qu'il résulte de l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 relative aux professions d'expert-comptable et de comptable agréé que : « L'exercice de la profession d'expert-comptable est incompatible avec toute occupation ou tout acte de nature à porter atteinte à son indépendance, en particulier : avec tout emploi salarié, sauf dans une société reconnue par l'Ordre ; avec tout acte de commerce ou d'intermédiaire autre que ceux que comporte l'exercice de la profession ; avec tout mandat de recevoir, conserver ou délivrer des fonds ou valeurs ou de donner quittance. Il est, en outre, interdit aux membres de l'Ordre et aux sociétés reconnues par lui d'agir en tant qu'agent d'affaires, d'assumer une mission de représentation devant les tribunaux de l'ordre judiciaire, d'effectuer des travaux d'expertise comptable, de révision comptable ou de comptabilité pour les entreprises dans lesquelles ils possèdent directement ou indirectement des intérêts substantiels. » ;

  2. Considérant que l'article 18 de la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 relative à la sauvegarde de justice, au mandat de protection future et à l'exercice de l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes dispose que : « Seuls les mandataires judiciaires à la protection des personnes régis par les dispositions de la présente loi peuvent exercer, à titre professionnel, les fonctions de tuteur, curateur ou administrateur qui leur ont été confiées par décision du juge tutélaire ou du tribunal de première instance. » ; que l'article 19 de la même loi dispose que : « L'exercice de l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes est soumis à la délivrance d'un agrément délivré par décision du Ministre d'État, après avis du Directeur des Services Judiciaires. Cet agrément est délivré en priorité aux personnes physiques de nationalité monégasque et, en fonction des besoins de la Principauté, à des personnes physiques résidant en Principauté. Les conditions de délivrance et de retrait de cet agrément sont prévues par Ordonnance Souveraine. Toute délivrance est portée à la connaissance de la Direction des Services Judiciaires par la Direction de l'action et de l'aide sociales. Les personnes qui ne pourraient pas être désignées judiciairement en qualité de tuteur, curateur ou mandataire spécial, en application des articles 410-9-3, 410-14, 410-16 et 410-31 du Code civil, ne peuvent pas solliciter un agrément aux fins d'exercice d'une activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes. » ;

  3. Considérant que la demande d'agrément permettant l'exercice de la profession de mandataire judiciaire à la protection des personnes présentée par j.B, expert-comptable et commissaire aux comptes à Monaco, a été rejetée par une décision du Ministre d'État du 15 janvier 2024 en raison de l'incompatibilité résultant de l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 précitée entre la profession d'expert-comptable et l'exercice des fonctions de mandataire à la protection des personnes ;

  4. Considérant que l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes fait l'objet d'une procédure d'agrément administratif destinée à apprécier, au regard de motifs d'intérêt général, s'il convient ou non d'accorder l'autorisation sollicitée ; qu'à la suite d'une demande d'agrément, le Ministre d'État se prononce après avis du Directeur des Services Judiciaires ;

  5. Considérant que la décision de rejet prononcée par le Ministre d'État le 15 janvier 2024 a été prise à la suite d'un avis rendu le 30 novembre 2023 par le Directeur des Services Judiciaires ; que cet avis précise, « sans même [se] prononcer sur la qualification de l'intéressé et la jouissance de ses droits civils et politiques, au titre des 2° et 3° de l'article 1er de l'Ordonnance Souveraine n° 8.700 du 17 juin 2021, qu'en raison de la profession d'expert-comptable exercée par M. B, l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 (…) édicte une incompatibilité qui n'autorise pas sa nomination pour cette fonction » ; qu'à la suite du recours gracieux formé par le requérant, le Ministre d'État a, par une décision du 17 juillet 2024, maintenu sa décision de rejet en précisant que : « Pour rejeter la demande sollicitée, ladite décision fait état d'une incompatibilité édictée par l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 (…) prohibant la faculté, pour un expert-comptable, d'exercer en parallèle l'activité de mandataire judiciaire, laquelle a été créée par la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 (…). S'agissant de la motivation de la décision querellée (…), l'argument tiré de l'absence de précision de l'incompatibilité concernée ne saurait subsister, dès lors que l'intitulé même de l'activité ciblée, à savoir celle de « mandataire judiciaire », correspond de facto et par définition à une « mission de représentation devant les Tribunaux de l'ordre judiciaire » » ; que dans ces conditions les moyens selon lesquels les décisions attaquées auraient été adoptées à la suite d'une procédure irrégulière et seraient insuffisamment motivées doivent être écartés ;

  6. Considérant que l'activité de mandataire judiciaire à la protection des personnes est une profession créée par la loi n° 1.474 du 2 juillet 2019 ; que l'article 18 de la même loi dispose que : « Seuls les mandataires judiciaires à la protection des personnes régis par les dispositions de la présente loi peuvent exercer, à titre professionnel, les fonctions de tuteur, curateur ou administrateur qui leur ont été confiées par décision du juge tutélaire ou du tribunal de première instance. » ; que, dès lors, l'exercice des activités de mandataire judiciaire à la protection des personnes comprend l'ensemble des fonctions énoncées par ces dispositions ; qu'à ce titre, le mandataire judiciaire à la protection des personnes exerce, sur la demande du juge, des missions assimilables à celles d'agent d'affaires sur des personnes se trouvant en situation de vulnérabilité ; qu'il peut être amené à assurer une mission particulière de représentation devant les tribunaux judiciaires dans le cadre des fonctions de tuteur ; que, par suite, en se fondant sur l'article 13 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 qui dispose qu'« Il est, en outre, interdit aux membres de l'Ordre et aux sociétés reconnues par lui d'agir en tant qu'agent d'affaires, d'assumer une mission de représentation devant les tribunaux de l'ordre judiciaire », le Ministre d'État n'a pas commis d'erreur de droit ;

  7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que j.B n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions qu'il conteste ;

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

La requête de j.B est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de j.B, dont distraction au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco sous sa due affirmation et seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition🔗

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Stéphane BRACONNIER, Président, José MARTINEZ, Vice-Président, Philippe BLACHER, rapporteur, Pierre de MONTALIVET, membres titulaires et Régis FRAISSE, membre suppléant,

et prononcé le vingt-sept juin deux mille vingt-cinq en présence du Ministère public, par Monsieur Stéphane BRACONNIER, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en chef.

Le Greffier en Chef, Le Président.

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