Tribunal Suprême, 7 février 2025, j.A c/ État de Monaco

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Abstract🔗

Contentieux administratif – Autorisation d'exercice de location de véhicule avec chauffeur – Justificatifs insuffisants – Pouvoirs du Tribunal suprême

Résumé🔗

Le requérant a sollicité l'autorisation d'exercer en qualité de gérant associé au sein d'une SARL l'activité suivante : « la location de véhicules avec chauffeur (huit véhicules) ». Par décision du 18 octobre 2023, le Ministre d'État a rejeté cette demande d'autorisation. Le requérant demande l'annulation de ladite décision. Le Tribunal Suprême considère que le Ministre d'État pouvait légalement opposer au demandeur le caractère insuffisamment probant des justificatifs produits et, pour ce seul motif, rejeter la demande d'autorisation, sans avoir à inviter au préalable son auteur à fournir d'autres pièces. Par ailleurs, il n'appartient pas au Tribunal d'adresser des injonctions à l'Administration. Il ne lui appartient pas non plus de constater la réalité d'un préjudice.


TRIBUNAL SUPRÊME

TS 2024-07

Affaire :

  • j.A

Contre :

  • État de Monaco

DÉCISION

Audience du 24 janvier 2025

Lecture du 7 février 2025

Recours tendant à l'annulation de la décision du 18 octobre 2023 du Ministre d'État ayant rejeté la demande d'autorisation formulée par j.A d'exercer en qualité de gérant associé au sein de la société à responsabilité limitée dénommée « AA » et à l'annulation de la décision du 2 janvier 2024 du Ministre d'État rejetant son recours gracieux.

En la cause de :

  • j.A, né le jma à Monistrol sur Loire (43), de nationalité française, demeurant X1.

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Céline MARTEL-EMMERICH, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

Contre :

  • L'État de Monaco, représenté par le Ministre d'État, ayant pour avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par Maître Jacques MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;

Visa🔗

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par j.A, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 1er mars 2024 sous le numéro TS 2024-07, tendant, en premier lieu, à l'annulation de la décision du Ministre d'État du 18 octobre 2023 ayant rejeté la demande d'autorisation qu'il avait formulée en vue d'exercer en qualité de gérant associé au sein de la SARL AA, et à l'annulation de la décision explicite du Ministre d'État du 2 janvier 2024 rejetant le recours gracieux qu'il avait formé le 6 novembre 2023 ; en deuxième lieu, à inviter le Tribunal Suprême à constater, tout d'abord, qu'il remplit les deux conditions alternatives de l'article 25 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 modifiée, à savoir qu'il dispose d'un diplôme spécialisé dans le domaine du tourisme et qu'il justifie de la gestion d'une société de transport ou de tourisme pendant plus de trois années, ensuite, qu'il a communiqué toutes les pièces en justifiant préalablement à la saisine du Tribunal Suprême, par conséquent à enjoindre au Ministre d'État, à titre principal, de lui délivrer l'autorisation administrative sollicitée, sous astreinte de deux mois à compter de la décision du Tribunal Suprême et, à titre subsidiaire, de procéder à un réexamen de la demande d'autorisation ; en troisième lieu, à inviter le Tribunal Suprême à constater que son préjudice est réel et certain et peut déjà être établi à la somme de 500.000 euros à parfaire ; en dernier lieu à la condamnation de l'État de Monaco aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que j.A, par requête en date du 13 septembre 2023, a sollicité l'autorisation d'exercer en qualité de gérant associé au sein de la SARL AA l'activité suivante : « la location de véhicules avec chauffeur (huit véhicules) » dans un bureau sis x2 à Monaco ; que cette demande d'autorisation a été rejetée par décision du 18 octobre 2023 du Ministre d'État au motif qu'un refus lui avait été notifié pour la délivrance du livret professionnel en date du 24 juillet 2023 ; qu'il a formulé un recours gracieux à l'encontre de cette décision de rejet le 6 novembre 2023 ; qu'à l'appui de son recours gracieux, il a fait valoir la disparition de l'obligation de la détention du livret professionnel en vertu des modifications apportées par l'Ordonnance Souveraine n° 7.938 du 20 février 2020 à l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 ; qu'il lui a été notifié une décision expresse de rejet de ce recours gracieux en date du 2 janvier 2024, dans laquelle le Ministre d'État indiquait que l'article 25 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 tel que modifié par l'Ordonnance Souveraine n° 7.938 du 20 février 2020 « n'impose effectivement pas que le gérant d'une société de location de véhicules avec chauffeur dispose d'un livret professionnel dès lors qu'il ne conduit pas de véhicule de grande remise » ; que le Ministre d'État précisait que « cette obligation incombe en effet uniquement au titre de l'article 30 de l'ordonnance souveraine n° 1.720 modifiée susvisée, aux conducteurs de ces véhicules, qu'il s'agisse du titulaire de l'autorisation administrative ou de ses préposés » ; que cependant, le Ministre d'État a indiqué que l'article 25 prévoit que l'autorisation d'exploiter des véhicules de remise « ne peut être délivrée qu'aux personnes titulaires d'un diplôme spécialisé dans le domaine du tourisme, du transport de personnes ou du commerce ou, à défaut, qui justifient d'une expérience professionnelle de trois années au moins en tant que dirigeant ou cadre dans une entreprise dont l'activité relève du tourisme, du transport de personnes ou du commerce » ; qu'il a été précisé que le curriculum vitae fourni dans le dossier de demande d'autorisation ne permettait pas de déterminer s'il disposait des diplômes ou de l'expérience professionnelle requis ; qu'en effet, ce curriculum vitae mentionnait explicitement sa qualité de fondateur de plusieurs sociétés de location de véhicules avec chauffeur, sans préciser s'il en avait bien été le gérant ; qu'il lui a été alors demandé de « rapporter la preuve de sa qualité de gérant d'une société de location de véhicules avec chauffeur pendant trois ans au moins » ; que, cependant, j.A affirme avoir produit dans le cadre de son recours gracieux les documents justifiant la gérance pendant au moins trois années de plusieurs sociétés de transport et de tourisme, lesquels n'ont pas été pris en compte et sont joints à nouveau dans le cadre du présent recours ;

Attendu qu'à l'appui de sa requête, j.A soutient, en premier lieu, que la décision du 18 octobre 2023 n'est pas motivée au visa de l'article 25 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 relative à la règlementation des taxis, des véhicules de remise et des motos à la demande ; que la décision du 18 octobre 2023 ne fait pas état des pièces jointes à la demande d'autorisation et notamment de son attestation de formation ; que la décision initiale de rejet est insuffisamment motivée puisqu'elle n'a pas indiqué dans quelle mesure les pièces produites au dossier seraient insuffisantes à remplir les conditions fixées par l'article 25 de l'Ordonnance Souveraine susmentionnée ; qu'il s'ensuit que la décision de rejet du 2 janvier 2024 du recours gracieux a opéré une substitution de motifs en rejetant son recours, non plus sur l'absence de production d'un livret professionnel, mais sur la prétendue absence de preuve de sa qualité de gérant d'une société de tourisme ou de transport pendant trois ans au moins ; que cette substitution de motifs s'est opérée sans qu'il eût été invité à formuler des observations ; que la jurisprudence Hallal du Conseil d'État français du 6 février 2004 (n° 240560) a reconnu la possibilité à la juridiction administrative, saisie d'une décision fondée sur un motif illégal, à la demande de l'administration d'opérer une substitution de motifs mais seulement s'il est admis au regard de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision et si le destinataire de la décision « n'est pas privé d'une garantie procédurale liée au motif substitué » ; que la décision initiale de refus est basée sur un motif illégal ou une erreur de droit de l'administration, à savoir la production d'un livret professionnel, condition désormais uniquement imposée aux chauffeurs (article 30 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008) ; qu'à la suite de son recours gracieux, il n'a pas été invité à s'expliquer sur sa situation de gérant d'une société de tourisme ou de transport ou sur l'existence de pièces qui seraient manquantes ; qu'il s'ensuit qu'il n'a pas été tenu compte des pièces produites à l'appui de ce recours gracieux ; qu'il n'a pas été invité à communiquer de pièces complémentaires ; que les décisions attaquées sont entachées d'irrégularité ;

Attendu que, en deuxième lieu, le requérant invoque une erreur matérielle, à savoir l'omission des pièces jointes au dossier de demande d'exercice ; qu'il a produit diverses pièces justifiant de son diplôme d'entrepreneur de remise et de tourisme ; que la pièce 17 (attestation de fin de formation), indiquant qu'il avait effectué une formation d'entrepreneur de remise et de tourisme en 2006, n'a pas été prise en compte dans le cadre de sa demande d'autorisation alors qu'elle permet de considérer qu'il remplit les conditions de l'article 25 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 ; que, par ailleurs, il administre depuis plus de trois ans la société AB ; qu'il a justifié de tout cela dans son recours gracieux du 6 novembre 2023 et produit à nouveau devant le Tribunal Suprême les pièces n° 5 à 24 ; qu'il s'ensuit que les décisions attaquées sont entachées d'irrégularité ;

Attendu que, en troisième lieu, le requérant fait valoir que la décision du 18 octobre 2023 est entachée d'une erreur de droit ; que dans la décision du 18 octobre 2023, le Ministre d'État a rejeté sa demande d'autorisation déposée le 13 septembre 2023 au motif qu'un refus avait été notifié pour la délivrance du livret professionnel le 24 juillet 2023 ; que l'article 25 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 modifiée n'impose pas que le gérant d'une société de location de véhicules avec chauffeur dispose d'un livret professionnel ; que seuls les conducteurs des véhicules de remise doivent justifier de la possession d'un tel livret ; que la décision du 18 octobre 2023 est donc entachée d'irrégularité dans la mesure où elle a été motivée par le fait qu'il devait justifier d'une délivrance du livret professionnel ;

Attendu que, en quatrième lieu, le requérant soutient que la décision du 2 janvier 2024 de rejet du recours gracieux est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; que le Ministre d'État indique qu'il ne justifierait pas d'une expérience de trois ans en qualité de gérant de sociétés de véhicules avec chauffeur dont il a précisé avoir été fondateur ; que, pour ce faire, le Ministre d'État mentionne que le curriculum vitae qu'il a fourni n'expliciterait pas précisément ce point ; que le Ministre d'État n'a pas tenu compte des autres pièces annexées à sa demande d'autorisation et, notamment de son attestation de formation (pièce n° 17) ; que j.A a justifié avoir administré des sociétés de transport pendant au moins trois années dans le cadre de son recours gracieux du 6 novembre 2023 (pièces n° 5 à 26) ;

Attendu que, en cinquième lieu, le requérant soutient qu'il justifie des pièces afférentes aux conditions d'exercice prévues à l'article 25 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008, pour la délivrance de l'autorisation administrative prévue à l'article 2 ; qu'il remplit les deux conditions qui sont prévues par le texte à titre alternatif ; qu'en effet, il dispose d'un diplôme spécialisé dans le domaine du tourisme et justifie de la gestion d'une société de transport ou de tourisme pendant plus de trois années ; qu'il a communiqué toutes ces pièces préalablement ; qu'il y a lieu d'ordonner qu'une autorisation lui soit délivrée, sous astreinte de deux mois, afin d'exercer en qualité de gérant associé au sein de la SARL AA ; qu'à titre subsidiaire, il demande au Tribunal Suprême d'inviter le Ministre d'État à procéder à un nouvel examen de sa demande d'autorisation ;

Attendu que, en sixième et dernier lieu, le requérant se réserve le droit de formuler toute demande indemnitaire, dans la mesure où le préjudice causé par les deux décisions attaquées est déjà très important et s'accroît chaque jour ; que le manque à gagner est d'au moins 500.000 euros ; qu'il risque de perdre l'acquisition de la SARL AA pour laquelle il a engagé de très nombreux frais ; qu'il demande que le Tribunal Suprême constate d'ores et déjà le caractère réel et certain de son préjudice ;

Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général le 30 avril 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu que, en premier lieu, le Ministre d'État soutient que la décision du 18 octobre 2023 est suffisamment motivée ; que cette décision respecte l'obligation énoncée à l'article 2 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ; que, tout d'abord, elle rappelle qu'en vertu de l'article 2 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008, l'exploitation desdits véhicules est subordonnée à l'obtention d'une autorisation administrative et que l'autorité administrative a la faculté, au titre de son pouvoir d'appréciation, de décider s'il convient ou non d'accorder l'autorisation sollicitée, en considération de motifs d'intérêt général ; qu'ensuite, elle indique que l'instruction de la demande de j.A a fait apparaître qu'un refus a été opposé à sa demande de délivrance du livret professionnel le 24 juillet 2023 et que, dans ces conditions, sa demande a été rejetée ; qu'elle comporte ainsi l'indication des considérations de droit et de fait au vu desquelles elle a été adoptée ;

Attendu que, en deuxième lieu, le Ministre d'État considère qu'il n'a pas procédé, dans sa seconde décision, à une substitution de motifs ; qu'il s'est borné à analyser le bien-fondé du recours gracieux formé par j.A au regard des règles applicables à la date à laquelle il s'est prononcé ; qu'ainsi il a vérifié, selon l'article 25 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008, si l'intéressé disposait d'un diplôme spécialisé dans le domaine du tourisme, du transport de personnes ou du commerce ou s'il justifiait d'une expérience professionnelle de trois années au moins en tant que dirigeant ou cadre dans une entreprise dont l'activité relève du tourisme, du transport de personnes ou du commerce ; qu'il n'avait pas à inviter j.A à formuler des observations sur le motif sur lequel il envisageait de se fonder pour rejeter son recours gracieux ; qu'il en va d'autant plus ainsi que, dans le cadre de son recours, j.A a lui-même critiqué le motif de rejet de sa demande d'autorisation retenu par la décision du 18 octobre 2023 en faisant valoir que l'article 25 de l'Ordonnance Souveraine susvisée ne subordonnait plus la délivrance de l'autorisation administrative permettant l'exploitation de véhicules de remise à la détention d'un livret professionnel, mais uniquement à une condition de diplôme ou d'expérience professionnelle ; que j.A n'ignorait donc pas que son recours gracieux serait examiné au regard de ce texte ; qu'ainsi la décision du 2 janvier 2024 n'est pas entachée d'une irrégularité procédurale ;

Attendu, en troisième lieu, que le Ministre d'État fait valoir que le moyen tiré de ce qu'il aurait adopté la décision du 2 janvier 2024 sans tenir compte des pièces jointes au recours gracieux manque en fait ; que j.A n'établit pas que les pièces qu'il produit devant le Tribunal Suprême auraient été annexées à son recours gracieux du 6 novembre 2023, qu'il ne verse pas aux débats ; qu' il ressort de la décision du 2 janvier 2024 que ce recours gracieux n'était accompagné que du curriculum vitae de j.A, lequel était manifestement insuffisant, comme il l'a relevé dans sa décision du 2 janvier, pour établir que l'intéressé remplissait les conditions de diplôme ou d'expérience professionnelle posées par l'article 25 de l'Ordonnance Souveraine susvisée ; qu'au surplus, le requérant ne démontre pas qu'il remplissait la condition de diplôme posée par ce texte ; qu'il se borne à produire une attestation de fin de formation qui établit seulement qu'il a suivi une formation d'entrepreneur de remise et de tourisme d'une durée de 40 heures en 2006 ;

Attendu que, en quatrième lieu, le Ministre d'État soutient qu'est inopérant le moyen selon lequel il aurait entaché d'une erreur de droit sa décision du 18 octobre 2023 ; qu'en effet, dans sa rédaction applicable, l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 ne subordonne pas la délivrance de l'autorisation administrative au gérant d'une société de location de véhicules avec chauffeur à la possession d'un livret professionnel par le pétitionnaire ; qu'en l'état de la décision du 2 janvier 2024, le rejet de la demande d'autorisation présentée est fondé, non sur la circonstance de la non-détention d'un livret professionnel, mais sur le fait que j.A n'établit pas remplir les conditions de diplôme ou d'expérience professionnelle posées par l'article 25 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 susvisée ;

Attendu que, en cinquième lieu, le Ministre d'État fait valoir que doit être écarté le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de la décision du 2 janvier 2024 ; que, d'une part, le curriculum vitae annexé au recours gracieux de j.A n'établissait pas qu'il remplissait les conditions posées par l'article 25 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 susvisée ; que, d'autre part, le requérant ne démontre pas que les pièces qu'il verse aux débats devant le Tribunal Suprême étaient annexées à son recours gracieux, qu'il ne produit pas ; qu'il ne peut donc être considéré que l'exposant aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne tenant pas compte des pièces de j.A ;

Attendu que, en sixième lieu, le Ministre d'État fait valoir qu'est irrecevable la demande présentée au Tribunal Suprême de lui enjoindre, à titre principal, de délivrer à j.A l'autorisation administrative sollicitée et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande d'autorisation ; que, d'une part, il n'appartient pas au Tribunal Suprême de donner injonction à l'administration de prendre une décision dans un sens déterminé ; que, d'autre part, si les décisions attaquées devaient être annulées, l'Administration se trouverait à nouveau saisie de la demande d'autorisation présentée par j.A ;

Attendu que, en septième et dernier lieu, le Ministre d'État soutient qu'il n'appartient pas au Tribunal Suprême de constater la réalité du préjudice invoqué par le requérant ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 22 mai 2024, par laquelle j.A conclut aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu que, en premier lieu, le requérant maintient que la décision de refus du 18 octobre 2023 n'a pas été motivée au regard de la réglementation en vigueur applicable lors de la prise de décision ;

Attendu que, en deuxième lieu, le requérant fait valoir que l'État de Monaco a pris sa décision au regard d'une règlementation abrogée et que la substitution de motifs n'a pas été précédée d'une demande d'observations de sa part ;

Attendu que, en troisième lieu, le requérant confirme qu'à l'appui de son recours gracieux, il n'a pas seulement communiqué une attestation de formation mais a amplement rempli les conditions prévues par le texte en vigueur ;

Attendu que, en quatrième lieu, le requérant fait valoir que le curriculum vitae reprenait les pièces, qu'il a d'ailleurs produites à l'appui de sa requête introductive devant le Tribunal Suprême, indiquant qu'il était gérant depuis 2007 jusqu'à ce jour à Nice, Paris, Miami et Orlando ; qu'ainsi le Ministre d'État a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que le curriculum vitae produit n'établissait pas qu'il remplissait les conditions posées par le texte ;

Attendu que, en cinquième lieu, le requérant soutient que ses demandes d'injonction sont fondées ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 26 juin 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu que, en premier lieu, le Ministre d'État ajoute que, dans son recours gracieux produit à l'appui de son mémoire en réplique, j.A a lui-même faire valoir que l'article 25 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 ne subordonnait plus la délivrance de l'autorisation administrative qu'il sollicitait à la possession d'un livret professionnel, mais à une condition de diplôme ou d'expérience professionnelle ; qu'en rejetant le recours gracieux présenté par j.A au motif qu'il ne démontrait pas disposer de l'une ou l'autre condition requise par l'article 25, il s'est borné à se prononcer sur le bien-fondé de l'argumentation développée dans ce recours gracieux, sans être obligé d'inviter j.A à présenter ses observations sur ce point ;

Attendu que, en deuxième lieu, le Ministre d'État maintient que le recours gracieux n'était pas accompagné des pièces justifiant des conditions requises, puisqu'il se borne à évoquer la qualité de j.A de « fondateur et gérant de société… » sans viser un quelconque document ; que ce recours était, au mieux, accompagné de son curriculum vitae ; qu'en conséquence, le requérant ne peut donc lui reprocher de ne pas avoir tenu compte d'autres pièces ;

Attendu que, en troisième lieu, le Ministre d'État fait valoir que, tout d'abord, un curriculum vitae ne démontre pas qu'un pétitionnaire remplit les conditions posées par un texte, dès lors qu'il s'agit d'un document se bornant à répertorier des informations, sans justifier de leur véracité ; qu'ensuite, il ne peut être soutenu une erreur manifeste d'appréciation en l'absence de production du curriculum vitae ; qu'enfin, le requérant n'établit pas que les pièces versées aux débats devant le Tribunal Suprême étaient annexées à son recours gracieux ;

SUR CE,

Vu les décisions attaquées ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 modifiée relative à la réglementation des taxis, des véhicules de remise et des motos à la demande, notamment ses articles 1er, 2, 25 et 30 ;

Vu l'Ordonnance du 8 mars 2024 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Didier GUIGNARD, membre titulaire, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en chef en date du 8 juillet 2024 ;

Vu l'Ordonnance du 17 décembre 2024 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal le 24 janvier 2025 ;

Ouï Monsieur Didier GUIGNARD, membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Céline MARTEL-EMMERICH, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour j.A ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï le Procureur Général en ses conclusions ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Motifs🔗

Après en avoir délibéré

  1. Considérant que j.A, par une demande en date du 13 septembre 2023, a sollicité l'autorisation d'exercer en qualité de gérant associé au sein de la SARL AA l'activité suivante : « la location de véhicules avec chauffeur (huit véhicules) » ; que, par décision du 18 octobre 2023, le Ministre d'État a rejeté cette demande d'autorisation ; que j.A a formulé un recours gracieux à l'encontre de cette décision de rejet le 6 novembre 2023 ; que ce recours gracieux a été expressément rejeté par une décision du 2 janvier 2024 substituant un nouveau motif de refus à celui retenu par la première décision ; que j.A demande l'annulation de la décision du Ministre d'État du 18 octobre 2023 ayant rejeté sa demande d'autorisation ainsi que de la décision du Ministre d'État du 2 janvier 2024 rejetant son recours gracieux ;

Sur les conclusions à fin d'annulation

  • 2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 modifiée relative à la réglementation des taxis, des véhicules de remise et des motos à la demande : « les activités d'exploitation et de conduite, à quelque titre que ce soit, de taxis, de véhicules de remise, de véhicules de service de ville ou de véhicules motorisés (…) s'exercent conformément à la présente ordonnance, sans préjudice de l'application des règles de police générale et de celles régissant la circulation routière » ; que, selon son article 2, « l'exploitation des véhicules mentionnés à l'article précédent est subordonnée à l'obtention d'une autorisation administrative » ; que son article 25 alinéa 1 dispose : « l'autorisation administrative prévue à l'article 2 ne peut être délivrée qu'aux personnes titulaires d'un diplôme spécialisé dans le domaine du tourisme, du transport de personnes ou du commerce ou, à défaut, qui justifient d'une expérience professionnelle de trois années au moins en tant que dirigeant ou cadre dans une entreprise dont l'activité relève du tourisme, du transport de personnes ou du commerce » ;

En ce qui concerne la légalité de la décision du Ministre d'État du 2 janvier 2024

  • 3. Considérant que le Tribunal Suprême se prononce sur les questions en litige au vu des éléments versés au dossier de la procédure par les parties ; qu'il incombe à ces dernières d'apporter, à l'appui de leurs prétentions, tous les éléments nécessaires ; qu'il ressort des pièces du dossier que j.A n'établit pas que les documents et pièces relatifs soit à la justification de son diplôme spécialisé dans le domaine du tourisme, du transport de personnes ou du commerce, soit à sa qualité de fondateur et gérant de sociétés de grande remise, produits devant le Tribunal Suprême, auraient été adressés ou communiqués au Ministre d'État tant lors de la demande d'autorisation d'exercice sollicitée le 13 septembre 2023 que lors de son recours gracieux du 6 novembre 2023 ; que ce recours, adressé au Ministre d'État en recommandé avec accusé de réception, n'énonce aucun annexe ou document joints ;

  • 4. Considérant que le seul document dont la possession par le Ministre d'État puisse être établie est un curriculum vitae fourni par j.A ; que, dans sa décision du 2 janvier 2024, le Ministre d'État indique que ce curriculum vitae, d'une part, ne permet pas de déterminer si j.A dispose des diplômes ou de l'expérience professionnelle requis, d'autre part, s'il mentionne explicitement sa qualité de fondateur de plusieurs sociétés de location de véhicules avec chauffeur, ne précise pas si j.A en était le gérant ; que la qualité de fondateur est distincte de celle de gérant ; qu'un curriculum vitae est un ensemble d'indications relatives à l'état civil, aux capacités et aux activités passées d'une personne ; qu'en tant qu'il indique, il ne prouve pas ; que, comme précédemment indiqué, il n'est pas établi que les documents et pièces attestant de la détention d'un diplôme aient été communiqués au Ministre d'État avant l'édiction de sa décision du 2 janvier 2024 ; que le Ministre d'État pouvait légalement opposer au demandeur le caractère insuffisamment probant des justificatifs produits et, pour ce seul motif, rejeter la demande d'autorisation, sans avoir à inviter au préalable son auteur à fournir d'autres pièces ;

En ce qui concerne la légalité de la décision du Ministre d'État du 18 octobre 2023

  • 5. Considérant que la substitution des motifs opérée par le Ministre d'État à la faveur de l'examen du recours gracieux formulé le 6 novembre 2023 a eu pour effet de retirer la décision du 18 octobre 2023 en tant qu'elle reposait sur un motif que les deux parties s'accordent pour dire qu'il était erroné ; qu'en conséquence, le recours formé à l'encontre de cette décision est devenu sans objet ;

Sur les conclusions à fin d'injonction

  • 6. Considérant que j.A demande au Tribunal Suprême d'enjoindre, sous astreinte de deux mois, au Ministre d'État de lui délivrer l'autorisation d'exercer en qualité de gérant associé au sein de la SARL AA et, à titre subsidiaire, de l'inviter à procéder à un nouvel examen de sa demande d'autorisation ;

  • 7. Considérant qu'il n'appartient pas au Tribunal Suprême d'adresser des injonctions à l'administration ; que, dès lors, les conclusions à fin d'injonction présentées par j.A sont irrecevables ;

Sur les conclusions à fin de constatation du préjudice

  • 8. Considérant que j.A demande au Tribunal Suprême de constater que son préjudice est réel et certain et peut déjà être établi à la somme de 500.000 euros, à parfaire ;

  • 9. Considérant qu'il n'appartient pas au Tribunal Suprême de constater la réalité d'un préjudice ;

Dispositif🔗

DÉCIDE :

Article 1er🔗

La requête de j.A est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de j.A.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition🔗

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Stéphane BRACONNIER, Président, José MARTINEZ, Vice-Président, Philippe BLACHÈR, Didier GUIGNARD, rapporteur, membres titulaires, Jean-Philippe DEROSIER, membre suppléant,

et prononcé le sept février deux mille vingt-cinq en présence du Ministère public, par Stéphane BRACONNIER, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef.

Le Greffier en Chef,

Le Président.

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