Tribunal Suprême, 7 février 2025, r.D c/ État de Monaco

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Abstract🔗

Contentieux administratif – Autorisation d'exercice de la profession de marchand de biens immobiliers – Pouvoir de révocation du Ministre d'Etat – Nature – Conséquences

Résumé🔗

Un ressortissant italien, titulaire d'une autorisation d'exercer la profession de marchand de biens immobiliers en Principauté de Monaco délivrée le 16 mai 2013, a fait l'objet d'une révocation de son autorisation d'exercer par décision du Ministre d'État du 8 août 2023. Il demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de révocation du 8 août 2023, ensemble la décision du 2 janvier 2024 portant rejet du recours gracieux.

Le Tribunal Suprême considère que l'exigence d'une autorisation comporte nécessairement, pour l'autorité qui accorde cette autorisation, le pouvoir de l'abroger ou de la retirer lorsque le titulaire cesse de remplir les conditions mises à sa délivrance.

Les mesures de révocation prises sur le fondement de l'article 9 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991, lesquelles visent à abroger l'autorisation d'exercer précédemment accordée, peuvent ainsi légalement revêtir le caractère soit d'une mesure de police administrative, soit d'une sanction administrative infligée dans un but répressif. Dès lors, contrairement à ce que soutient le requérant, la révocation de l'autorisation d'exercice dont il fait l'objet ne revêt pas, en l'espèce, eu égard à ses motifs et à sa finalité, le caractère d'une sanction ayant le caractère de punition mais doit être regardée comme une mesure de police administrative.

Par suite, le requérant ne saurait utilement soutenir que cette décision présente le caractère d'une sanction disproportionnée par rapport au manquement reproché. Ne peuvent pas davantage être utilement invoqués à l'encontre de cette mesure de révocation les moyens tirés de la violation des principes constitutionnels régissant la matière répressive tels que les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité des peines découlant de l'article 20 alinéa 1er de la Constitution. En l'absence en l'espèce de cumul de sanctions pénales et administratives, est écarté comme inopérant le moyen tiré de la violation de la règle « non bis in idem » telle que prévue à l'article 4 du protocole n° 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des éléments produits par le requérant, que la mesure de révocation attaquée, qui n'emporte pas interdiction générale d'exercer une activité en Principauté et a été légalement prise en vue de la préservation de l'ordre public, porterait au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Ladite décision n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


TRIBUNAL SUPRÊME

TS 2024-08

Affaire :

  • r.D

Contre :

  • État de Monaco

DÉCISION

Audience du 24 janvier 2025

Lecture du 7 février 2025

Recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 8 août 2023 du Ministre d'État prononçant la révocation de la décision d'autorisation d'exercice professionnel de r.D, ensemble la décision du 2 janvier 2024 portant rejet de son recours gracieux.

En la cause de :

  • r.D, né le jma à Rimini (Italie), de nationalité italienne, demeurant x1 à Monaco ;

Ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, puis en celle de Maître Arnaud CHEYNUT, avocat-défenseur près la même Cour et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

Contre :

  • L'État de Monaco représenté par le Ministre d'État, ayant pour avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par Maître Jacques MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;

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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par r.D, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 5 mars 2024, sous le numéro TS 2024-08, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 8 août 2023 du Ministre d'État prononçant la révocation de la décision d'autorisation d'exercice professionnel de r.D, ensemble la décision du 2 janvier 2024 portant rejet de son recours gracieux ;

CE FAIRE :

Attendu que r.D soutient, en premier lieu, que la décision de révocation, qui doit être motivée dès lors qu'elle retire une précédente décision d'autorisation créatrice de droits, est entachée d'un défaut de motivation au regard des prescriptions de l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ; qu'elle comporte, en effet, un seul motif, de nature hypothétique, selon lequel le requérant est susceptible de ne plus présenter toutes les garanties de moralité requises par la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques ; que ce motif hypothétique équivaut à un défaut de motif en sorte que la décision attaquée ne comporte pas les considérations de droit et de fait en constituant le fondement ; qu'en deuxième lieu, dès lors que la mauvaise moralité alléguée n'est qu'hypothétique, cette décision de révocation est une sanction administrative revêtant un caractère disproportionné et qui est ainsi entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'en troisième lieu, la décision de révocation porte une atteinte grave au droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme dès lors que le requérant exerçait depuis plus de onze années sans encombre sa profession de marchand de biens ; qu'en quatrième et dernier lieu, le requérant condamné pénalement pour faux en écriture privée et usage de faux en 2022 sur le fondement des articles 90, 91 et 94 du Code pénal a été sanctionné une deuxième fois pour les mêmes faits par la sanction administrative qui lui est infligée par le ministre dans sa décision de révocation ; que la mesure de révocation méconnaît donc la règle non bis in idem, prévue à l'article 4 du Protocole n° 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui interdit de punir une même personne deux fois à raison des mêmes faits ;

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 6 mai 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en premier lieu, que la décision de révocation du 8 août 2023 respecte les exigences de motivation de la loi du 29 juin 2006 dès lors qu'elle ne repose pas sur des motifs hypothétiques mais comporte les considérations de droit et de fait au vu desquelles elle a été adoptée ; qu'en effet, elle rappelle d'abord que r.D a été invité à comparaître devant la commission prévue à l'article 10 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques ou juridiques ; qu'elle indique aussi que, selon l'avis émis par cette commission, l'intéressé était susceptible de ne plus présenter toutes les garanties de moralité requises pour exercer sa profession de marchand de biens compte tenu de la condamnation pénale dont il fait l'objet par la Cour d'appel correctionnelle de Monaco pour faux en écriture privée de commerce ou de banque et usage de faux ; qu'elle précise que cette situation constitue, en application du 5° de l'article 9 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991, un cas de révocation de l'autorisation administrative d'exercer ; qu'elle mentionne encore que l'autorisation est révoquée après examen et à la suite de l'audition de l'intéressé par la commission ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en second lieu, d'abord, que la décision de révocation, qui est fondée sur la double circonstance, d'une part, que r.D a été condamné aux peines de quatre mois d'emprisonnement avec sursis et de 18.000 euros par la Cour d'appel correctionnelle de Monaco pour faux en écriture privée de commerce ou de banque et usage de faux et, d'autre part, que la commission susvisée a considéré que cette condamnation créait un doute sur la moralité professionnelle de l'intéressé, n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation ; qu'ensuite, la révocation d'une autorisation administrative d'exercer une activité professionnelle ne prive pas la personne concernée de la possibilité d'exercer une autre activité que celle qui avait été autorisée et demeure sans effet sur sa vie privée et familiale et, par conséquent, les décisions attaquées ne portent pas atteinte à la vie privée et familiale de r.D ; qu'enfin, la décision de révocation est une décision d'abrogation de l'autorisation d'exercer dont l'objet est de garantir la moralité d'un secteur d'activité réglementé soumis au contrôle des autorités administratives et ne constitue donc pas une sanction administrative mais une mesure de police administrative ; qu'en conséquence, le requérant ne saurait utilement soutenir qu'il aurait été sanctionné deux fois pour les mêmes faits et que cette décision méconnaîtrait les principes de nécessité et de proportionnalité des peines ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 6 juin 2024, par laquelle r.D conclut aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu que le requérant soutient, en outre, en premier lieu, que la décision de révocation ne repose que sur un motif hypothétique et de surcroît l'avis de la commission prévue par l'article 10 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 n'a pas été porté à sa connaissance ; qu'il soutient, en deuxième lieu, que contrairement à ce que prétend le Ministre d'État, qui se prévaut à tort d'une jurisprudence relative au permis de travail, le retrait d'une autorisation administrative d'exercer une activité réglementée est une sanction administrative et non pas une simple mesure de police administrative ; qu'en effet, les articles 9 et 10 de la loi du 26 juillet 1991 au visa desquels la décision attaquée a été prise figurent dans la section IV portant le titre « Des sanctions administratives » alors qu'aucun texte de loi ne prévoit l'abrogation d'un permis de travail à titre de sanction ; que, de même, la nature et la finalité répressive de la mesure ainsi que le fait que son prononcé doit être précédé d'une procédure contradictoire en vue d'assurer le respect des droits de la défense de l'administré et comportant, comme en l'espèce, l'intervention d'une commission impartiale, démontrent que la décision attaquée est une sanction administrative ; que par conséquent elle devra être annulée comme contraire au principe non bis in idem ;

Attendu que le requérant souligne, en deuxième lieu, que la décision attaquée porte atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme dès lors qu'elle lui interdit d'exercer la profession qui est la sienne depuis onze années et dont il tire l'intégralité des revenus ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 8 juillet 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu que le Ministre d'État maintient, en premier lieu, que la décision attaquée est suffisamment motivée en droit et en fait et comporte de surcroît la teneur de l'avis de la commission qui est rappelé dans le corps de la décision ; qu'il fait valoir, en deuxième lieu, que la décision n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation et que, même si elle constituait une sanction, la circonstance que les faits sur lesquels la mesure de révocation s'appuie ont fait l'objet d'une condamnation pénale définitive ne ferait pas obstacle à ce qu'elle pût être adoptée ; qu'il soutient, enfin, que la révocation attaquée, qui n'emporte pas interdiction générale d'exercer une activité en Principauté, n'est pas en elle-même de nature à porter une atteinte à la vie privée et familiale du pétitionnaire, comme l'atteste la jurisprudence du Tribunal Suprême rendue à propos de l'abrogation d'un permis de travail ou d'un refus de délivrance d'une autorisation d'exercer certaines activités économiques et juridiques ; qu'en toute hypothèse, le requérant ne fournit aucun élément justificatif permettant de connaître le montant et l'origine des revenus des membres de sa famille ;

SUR CE,

Vu les décisions attaquées ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution du 17 décembre 1962, notamment le B de son article 90 ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques, notamment ses articles 5, 9 et 10 ;

Vu la loi n° 1.252 du 12 juillet 2002 sur les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, notamment ses articles 1er et 19 ;

Vu l'Ordonnance du 7 mars 2024 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur José MARTINEZ, Vice-Président du Tribunal Suprême, en qualité de rapporteur dans l'affaire TS 2024-08 ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 15 juillet 2024 ;

Vu l'Ordonnance du 17 décembre 2024 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal le 24 janvier 2025 ;

Ouï Monsieur José MARTINEZ, Vice-Président du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Arnaud CHEYNUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour r.D ;

Ouï Maître Jacques MOLINIÉ, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Monsieur le Procureur général en ses conclusions ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Motifs🔗

Après en avoir délibéré

  1. Considérant que r.D, de nationalité italienne, titulaire d'une autorisation d'exercer la profession de marchand de biens immobiliers en Principauté de Monaco délivrée le 16 mai 2013, a fait l'objet d'une révocation de son autorisation d'exercer cette activité professionnelle par une décision du Ministre d'État du 8 août 2023, notifiée le 18 août suivant ; qu'il a formé le 18 octobre 2023 un recours gracieux contre cette décision lequel a été rejeté par le Ministre d'État par une décision du 2 janvier 2024, réceptionnée le 4 janvier suivant ; que r.D demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de révocation du Ministre d'État du 8 août 2023, ensemble la décision du 2 janvier 2024 portant rejet du recours gracieux ;

Sur le cadre juridique applicable au litige

  • 2. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques : « Les activités artisanales, commerciales, industrielles et professionnelles peuvent être exercées, à titre indépendant, dans les conditions prévues par la présente loi, à l'exception des activités ou des professions dont l'accès est déjà soumis à autorisation. (…). » ; qu'aux termes de l'article 5 de cette loi : « L'exercice des activités visées à l'article premier par des personnes physiques de nationalité étrangère est subordonné à l'obtention d'une autorisation administrative. (…) » ; qu'aux termes de l'article 9 de cette loi : « Par décision du Ministre d'État, la déclaration visée aux articles 2, 3 et 4 peut être privée d'effets ou suspendue en ses effets et l'autorisation mentionnée aux articles 5, 6, 7 et 8 suspendue en ses effets ou révoquée dans les cas suivants : (…) 5° s'il advient qu'il [ le titulaire de l'autorisation ] ne présente plus toutes les garanties de moralité (…) » ; qu'aux termes de l'article 10 de la même loi : « Lorsqu'il y a lieu à application de l'article précédent, l'auteur de la déclaration ou le titulaire de l'autorisation est, préalablement à toute décision, entendu en ses explications ou dûment appelé à les fournir. La décision privant d'effets ou suspendant les effets d'une déclaration ou d'une autorisation ne peut être prise qu'après avis d'une commission dont la composition et le mode de fonctionnement sont fixés par ordonnance souveraine. » ; que, d'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi n° 1.252 du 12 juillet 2002 sur les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce : « Toute personne physique ou morale qui se livre à titre de profession habituelle à des opérations portant sur les biens d'autrui doit obtenir une autorisation administrative lorsque ces opérations sont relatives à :1° - l'achat, la vente, l'échange, la location ou sous-location en nu ou en meublé d'immeubles bâtis ou non bâtis, (…). L'autorisation administrative délivrée aux personnes qui exercent l'une des activités visées du chiffre 1° au chiffre 3° porte la mention "Transactions sur immeubles et fonds de commerce." » ; qu'aux termes de l'article 3 de cette loi : « L'autorisation prévue à l'article premier est accordée aux personnes physiques qui satisfont aux conditions suivantes : « (…) 4° - offrir toutes garanties de moralité professionnelle. » ; qu'enfin, aux termes de l'article 19 de la même loi : « Par décision du Ministre d'État, l'autorisation administrative peut être suspendue ou révoquée dans les cas prévus par l'article 9 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques ou si l'une des conditions exigées à l'article 3 cesse d'être remplie. » ;

  • 3. Considérant, en second lieu, que l'exigence d'une autorisation comporte nécessairement, pour l'autorité qui accorde cette autorisation, le pouvoir de l'abroger ou de la retirer lorsque le titulaire cesse de remplir les conditions mises à sa délivrance ; que s'il est vrai que l'article 19 précité de la loi du 12 juillet 2002 est placé sous le titre de la section VI intitulée « Sanctions administratives et pénales » et que les articles 9 et 10 précités de la loi du 26 juillet 1991 relatifs respectivement aux pouvoirs conférés au Ministre d'État et à la procédure contradictoire bénéficiant au titulaire de l'autorisation sont intégrés dans la Section IV intitulée « Des sanctions administratives », cette circonstance ne fait toutefois pas obstacle, eu égard à l'absence de portée normative de ces intitulés, à ce que l'autorité compétente pour délivrer une autorisation d'exercice d'une activité professionnelle puisse, dans un but préventif, afin de garantir la moralité d'un secteur d'activité réglementée et de préserver l'ordre public économique, abroger ou retirer cette autorisation dans les cas où les conditions requises pour sa délivrance ne sont plus remplies ; que les mesures de révocation prises sur le fondement de l'article 9 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991, lesquelles visent à abroger l'autorisation d'exercer précédemment accordée, peuvent ainsi légalement revêtir le caractère soit d'une mesure de police administrative, soit d'une sanction administrative infligée dans un but répressif ; que, dès lors, contrairement à ce que soutient le requérant, la révocation de l'autorisation d'exercice dont il fait l'objet ne revêt pas, en l'espèce, eu égard à ses motifs et à sa finalité, le caractère d'une sanction ayant le caractère de punition mais doit être regardée comme une mesure de police administrative ;

Sur la légalité externe de la décision de révocation

  • 4. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs : « Doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui : 1° - restreignent l'exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police ; / […] 3° - refusent une autorisation ou un agrément ; / […] 5° - retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; / […] » ; que le premier alinéa de l'article 2 de la même loi précise que « La motivation doit être écrite et comporter, dans le corps de la décision, l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ;

  • 5. Considérant que la décision de révocation attaquée est notamment au nombre des décisions visées au 1° de l'article 1er de la loi du 29 juin 2006 qui doivent être motivées ; qu'à cet effet, cette décision rappelle d'abord que r.D a été invité à comparaître devant la commission prévue à l'article 10 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques ou juridiques ; qu'elle indique aussi que, selon l'avis émis par cette commission, l'intéressé était susceptible de ne plus présenter toutes les garanties de moralité requises pour exercer sa profession de marchand de biens compte tenu de la condamnation pénale dont il fait l'objet par la Cour d'appel correctionnelle de Monaco pour faux en écriture privée de commerce ou de banque et usage de faux ; qu'elle précise que cette situation constitue, en application du 5° de l'article 9 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991, un cas de révocation de l'autorisation administrative d'exercer ; qu'elle mentionne encore que l'autorisation est révoquée après examen et à la suite de l'audition de l'intéressé par la commission ; qu'ainsi, loin de se limiter à des « motifs hypothétiques » comme le prétend le requérant, la décision comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; que, par ailleurs, pour contester la régularité de la motivation de cette décision, le requérant ne saurait utilement arguer de ce que l'avis de la commission n'a pas été porté à sa connaissance ; qu'au demeurant, l'autorité administrative, qui s'est appropriée le sens et le contenu de cet avis, en a mentionné la teneur dans sa décision ; que, par suite, le moyen tiré de ce que cette décision serait insuffisamment motivée au regard des prescriptions de la loi du 29 juin 2006 susvisée doit être écarté ;

Sur la légalité interne de la décision de révocation

  • 6. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes mêmes de la décision attaquée, que pour prononcer la révocation de l'autorisation d'exercice de l'activité de marchand de biens précédemment accordée à r.D, le Ministre d'État a relevé que l'intéressé ne présentait plus toutes les garanties de moralité requises pour l'exercice de cette profession en se fondant sur les motifs tirés, d'une part, de ce que M. D a été condamné aux peines de quatre mois d'emprisonnement avec sursis et de 18.000 euros par une décision définitive de la Cour d'appel correctionnelle de Monaco pour faux en écriture privée de commerce ou de banque et usage de faux et, d'autre part, de ce que la commission susvisée a émis l'avis selon lequel cette condamnation créait un doute sur la moralité professionnelle de l'intéressé ; qu'eu égard à la nature et à la gravité des faits pour lesquels M. D a été condamné tant en première instance qu'en appel par les juridictions pénales de Monaco et compte tenu des caractéristiques de l'activité commerciale exercée et des spécificités du secteur immobilier, le Ministre d'État a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, prononcer la révocation de l'autorisation d'exercer accordée à r.D dès lors que celui-ci ne présentait plus, à la date à laquelle a été prise la décision attaquée, les garanties de moralité requises en vue de poursuivre l'exercice de l'activité de marchand de biens immobiliers pour laquelle il avait bénéficié d'une autorisation ;

  • 7. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

    Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ».

  • 8. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des éléments produits par le requérant, que la mesure de révocation attaquée, qui n'emporte pas interdiction générale d'exercer une activité en Principauté et a été légalement prise en vue de la préservation de l'ordre public, porterait au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; qu'elle n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

  • 9. Considérant, en troisième et dernier lieu, ainsi qu'il a été dit plus haut, que la décision de révocation attaquée ne constitue pas, en l'espèce, une sanction ayant le caractère d'une punition mais une mesure de police administrative ; que, par suite, le requérant ne saurait utilement soutenir que cette décision présente le caractère d'une sanction disproportionnée par rapport au manquement reproché ; que ne peuvent pas davantage être utilement invoqués à l'encontre de cette mesure de révocation les moyens tirés de la violation des principes constitutionnels régissant la matière répressive tels que les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité des peines découlant de l'article 20 alinéa 1er de la Constitution ; qu'enfin, en l'absence en l'espèce de cumul de sanctions pénales et administratives, doit être écarté comme inopérant le moyen tiré de la violation de la règle « non bis in idem » telle que prévue à l'article 4 du protocole n° 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

  • 10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que r.D n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du Ministre d'État du 8 août 2023 portant révocation de l'autorisation d'exercer la profession de marchand de biens immobiliers et de la décision du 2 janvier 2024 portant rejet de son recours gracieux ;

Dispositif🔗

DÉCIDE :

Article 1er🔗

La requête de r.D est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de r.D.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition🔗

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Stéphane BRACONNIER, Président, José MARTINEZ, Vice-Président, rapporteur, Philippe BLACHÈR, Pierre de MONTALIVET, membres titulaires, et Régis FRAISSE, membre suppléant ;

et prononcé le sept février deux mille vingt-cinq en présence du Ministère public, par Monsieur Stéphane BRACONNIER, Président, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en chef.

Le Greffier en Chef,

Le Président.

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