Tribunal Suprême, 18 juin 2024, v. E. épouse B. c/ L'État de Monaco

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Abstract🔗

Recours pour excès de pouvoir – Carte de séjour de résident – Refus – Nécessité de motiver (non) – Dossier complet (non)

Résumé🔗

v. E., épouse B., ressortissante russe, demande au Tribunal suprême d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 mai 2023 par laquelle le Contrôleur Général en charge de la Direction de la Sûreté Publique a rejeté sa première demande de carte de séjour de résident et, au besoin, d'inviter l'État à produire tous les éléments justifiant sa décision.

S'agissant de la légalité externe de la décision attaquée, aux termes de l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs : « Doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui : 1° – restreignent l'exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police ; /[…] / 3° – refusent une autorisation ou un agrément ; / (…) ». L'article 6 de la même loi prévoit que « par dérogation aux dispositions du chiffre 3° de l'article premier, le refus d'établissement d'une personne physique sur le territoire de la Principauté n'est pas soumis à l'obligation de motivation ». Il résulte de ces dispositions que la décision attaquée, refusant une première demande de carte de séjour de résident, n'avait pas à être motivée. v.E, épouse B n'est dès lors pas fondée à soutenir que cette décision, faute d'être motivée, serait illégale.

S'agissant de la légalité interne de la décision attaquée, aux termes de l'article 6 de l'Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964, modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté de Monaco : « L'étranger qui sollicite, pour la première fois, une carte de séjour de résident doit présenter, à l'appui de sa requête : / – soit un permis de travail, ou un récépissé en tenant lieu, délivré par les services compétents ; / – soit les pièces justificatives de moyens suffisants d'existence, s'il n'entend exercer aucune profession. / La durée de validité de la carte de résident temporaire ne peut dépasser la durée de validité des documents et visas exigés pour entrer et séjourner dans la Principauté. / La carte de résident temporaire ne peut être renouvelée que si l'étranger satisfait aux conditions prévues aux alinéas ci-dessus. / Elle peut lui être retirée à tout moment, s'il est établi qu'il cesse de remplir ces mêmes conditions ou si les autorités compétentes le jugent nécessaires ». En l'espèce, il résulte des écritures du Ministre d'État que la décision de refus de délivrance à v. E., épouse B. d'une première carte de séjour de résident est fondée sur la circonstance qu'elle n'a fourni ni permis de travail ni récépissé en tenant lieu. Elle n'a pas davantage produit une attestation délivrée par un établissement bancaire monégasque, pourtant requise pour justifier de moyens suffisants d'existence dans le cas où elle n'exercerait aucune profession. Ainsi, le dossier produit par v. E., épouse B. à l'appui de sa demande était incomplet. En conséquence, sans qu'il soit besoin de prescrire une mesure d'instruction, v. E., épouse B. n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'illégalité.


TRIBUNAL SUPRÊME

TS 2023-19

Affaire :

  • v. E. épouse B.

Contre :

  • L'État de Monaco

DÉCISION

Audience du 7 juin 2024

Lecture du 18 juin 2024

Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 11 mai 2023 du Contrôleur Général en charge de la Direction de la Sûreté Publique refusant de délivrer à v. E. épouse B. une carte de séjour.

En la cause de :

  • v. E. épouse B., née le jma à Blagoveschensk (Russie), de nationalité russe, demeurant x1, à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Gérard BAUDOUX, avocat au Barreau de Nice ;

Contre :

  • L'ÉTAT DE MONACO, représenté par le Ministre d'État, ayant pour avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par Maître François H, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;

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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par v. E., épouse B., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 18 juillet 2023 sous le numéro TS 2023-19, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 11 mai 2023 du Contrôleur Général en charge de la Direction de la Sûreté Publique refusant de lui délivrer une carte de séjour, au besoin, à ce que l'Etat soit invité à produire tous les éléments justifiant la décision de refus et, en tout état de cause, à la condamnation de l'État de Monaco aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que la requérante expose que, de nationalité russe, elle a épousé le jma k g. B., citoyen américain ; que, de cette union, est issue une fille, a. B., née le jma à Monaco, de nationalités russe et américaine ; que v. E., épouse B. est titulaire, avec son époux, d'un bail à loyer portant sur un appartement sis à Monaco ; que ce bail, en date du 4 janvier 2021 et consenti pour une durée d'un an à compter du 1er avril 2021, a été renouvelé depuis par tacite reconduction, et notamment à compter du 1er avril 2023 ; que v. E., épouse B. a déposé un dossier de demande de création d'une activité en nom personnel de photographe, en Principauté de Monaco, le 15 mai 2019, lequel a été déclaré recevable le 17 mai 2019 ; que la Direction de l'Expansion Économique lui a indiqué que l'autorisation ministérielle lui serait délivrée dès lors qu'elle produirait une carte de séjour ; que, le 19 octobre 2022, elle a présenté une demande de première carte de séjour pour elle-même et pour sa fille ; que cette demande a été rejetée par une décision de M. le Contrôleur Général en charge de la Direction de la Sûreté Publique du 11 mai 2023, notifiée le 24 mai 2023 ; que v. E., épouse B., agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de sa fille, a saisi le Tribunal Suprême d'une requête tendant à l'annulation de cette décision ;

Attendu que v. E., épouse B. demande au Tribunal Suprême, à titre préliminaire, d'inviter l'État de Monaco à produire des pièces justifiant sa décision de refus, sur le fondement des articles 22, alinéa 4, et 32 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ; que le droit à un recours juridictionnel effectif implique en effet pour l'Administration de verser au dossier les éléments d'information nécessaires pour que le juge statue en pleine connaissance de cause ; qu'il appartient à l'État de Monaco de produire les éléments justificatifs à l'appui desquels l'autorité administrative a pris sa décision de refus et ce, afin de permettre au Tribunal Suprême de contrôler l'exactitude et la légalité de ses motifs ; qu'en conséquence, à défaut de production spontanée des motifs et pièces justificatives de sa décision de refus, il conviendra avant-dire-droit d'ordonner une mesure d'instruction à l'effet d'ordonner leur communication ;

Attendu qu'à l'appui de sa requête, v. E. épouse B. soutient, en premier lieu, du point de vue de la légalité externe, que la décision attaquée aurait dû être motivée ; qu'en effet, en vertu de l'article 1er de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs, « doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui restreignent l'exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police », ce qui est le cas du refus de délivrer une première carte de séjour ; que les dispositions de l'article 6 de cette loi, selon lesquelles le refus d'établissement d'une personne physique sur le territoire de la Principauté de Monaco n'est pas soumis à l'obligation de motivation, ne s'appliquent pas, en vertu du principe d'interprétation stricte des dérogations, aux décisions refusant de délivrer une première carte de séjour ; qu'en l'espèce, les visas de la décision de refus mentionnent la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 relative à la préservation de la sécurité nationale ; que, s'interrogeant sur les motifs susceptibles de fonder la décision attaquée, v. E., épouse B. est dans l'incapacité d'en déterminer la cause, de s'en justifier ou d'y remédier et de savoir si elle était propre à justifier la décision attaquée ;

Attendu que, en second lieu, v. E., épouse B. fait valoir, du point de vue de la légalité interne, que la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, caractérisée lorsque les faits à l'origine d'une décision administrative ont été qualifiés de façon gravement erronée et, dès lors, ne peuvent la justifier ; qu'en l'espèce, la requérante a répondu aux conditions d'obtention de la carte de séjour prévues par l'Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté de Monaco ; qu'elle a présenté sa demande de carte de séjour dans les délais prévus par ce texte ; qu'elle a justifié d'un lieu d'habitation à Monaco ; qu'elle a établi sa bonne moralité par la communication d'extraits vierges de ses casiers judiciaires français et monégasque ; qu'elle ajoute craindre que la décision attaquée ne repose sur sa nationalité russe, qui est perçue négativement depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, ainsi que sur des faits concernant son époux ; qu'ainsi la décision attaquée ne peut être que fondée sur des circonstances insuffisantes pour caractériser un éventuel trouble à la tranquillité ou à la sécurité publique ou privée ;

Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général le 18 septembre 2023, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation de la requérante aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d'État soutient que la demande de production de pièces sollicitée à titre préliminaire doit être écartée, dès lors que la requérante n'établit pas remplir les conditions de base qui sont exigées par l'article 6 de l'ordonnance du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté de Monaco pour pouvoir prétendre bénéficier d'une première carte de séjour ; que ces conditions tiennent à la production d'un permis de travail ou à la justification de moyens d'existence suffisants à Monaco ; que la décision attaquée relève expressément que la requérante est « sans activité déclarée en Principauté de Monaco » ; que sa demande de carte de séjour, si elle comporte une référence bancaire, ne donne par ailleurs aucune indication sur les ressources dont elle dispose à Monaco ;

Attendu qu'en premier lieu, le Ministre d'État soutient que la décision attaquée n'avait pas à être motivée ; que la dérogation prévue par l'article 6 de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs s'applique aux refus de délivrer une première carte de séjour, comme l'a expressément jugé le Tribunal Suprême le 12 juillet 2022 (Mme A. K. veuve N.) et le 11 mai 2003 (M. S. C.) ; que la distinction que tente d'établir la requérante entre le « refus d'établissement » et le refus de délivrance de carte de séjour est ici dépourvue de fondement ;

Attendu qu'en second lieu, selon le Ministre d'État, la décision attaquée n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; que la circonstance que la requérante remplirait les conditions exigées par l'Ordonnance Souveraine du 19 mars 1964 n'est pas de nature à entacher d'illégalité la décision attaquée ; que la satisfaction de ces conditions ne donne en effet aucun droit à obtenir une première carte de séjour ; que la délivrance d'une telle carte est soumise à l'appréciation portée par les services de l'État sur la nécessité de prévenir d'éventuelles atteintes à l'ordre public, laquelle constitue l'objet même des mesures de police administrative ; qu'en particulier la production de casiers judiciaires vierges n'établit nullement que le rejet de la demande de carte de séjour serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'en toute hypothèse, la requérante n'établit pas qu'elle remplirait les conditions tenant à la production d'un permis de travail ou à la justification de moyens suffisants d'existence à Monaco ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 11 octobre 2023, par laquelle E. épouse B. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu que la requérante ajoute, en ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée, qu'elle a obtenu l'autorisation de travailler comme photographe à Monaco, tel que cela ressort de la lettre de la Direction de l'Expansion Économique du 17 mai 2019, sous réserve de l'obtention d'une carte de séjour ; qu'elle a également fait les démarches nécessaires pour ouvrir un compte bancaire à Monaco, auprès de la b. D. ; qu'elle a déposé dans les livres de cette dernière la somme de 250.000 euros ; que, cependant, le service de conformité de la banque a ensuite clôturé le compte en raison de sa nationalité russe ; qu'afin de surmonter cette difficulté, elle a pris l'attache de la Direction de la Sûreté publique, qui l'a informée qu'elle pouvait obtenir une lettre de la Direction du Budget et du Trésor ordonnant à une banque monégasque d'ouvrir un compte pour elle, au visa de l'article 4 de la loi n°1.492 du 8 juillet 2020 relative à l'instauration d'un droit au compte ; qu'en vue de la délivrance de ladite lettre, la Direction du Budget et du Trésor lui a demandé de présenter un récépissé de sa demande de carte de séjour pour prouver qu'elle avait déposé une demande en ce sens ; que, cependant, sa demande de carte de séjour faisant l'objet de la décision de refus contestée, les services de la Police ne lui ont pas délivré de récépissé de demande de carte de séjour ; que, par conséquent, ne pouvant justifier auprès de la Direction du Budget et du Trésor de sa demande de carte de séjour, la requérante n'a pas pu obtenir la lettre ordonnant à une banque monégasque d'ouvrir un compte ; qu'il lui est désormais impossible d'ouvrir un compte bancaire à Monaco en raison de sa nationalité russe ; qu'elle perçoit des revenus sous forme de dividendes versés par la société américaine G Ltd, dont elle est la gérante, qui sont actuellement transférés sur le compte détenu par son époux dans les livres de la banque anglaise H ; que, par conséquent, la requérante a la possibilité d'exercer une activité professionnelle, à savoir celle de photographe, sur le territoire de la Principauté, dès qu'elle sera titulaire d'une carte de séjour ; que, de même, elle justifie de moyens suffisants d'existence ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 13 novembre 2023, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu que le Ministre d'État ajoute, tout d'abord, que, par sa lettre du 17 mai 2019, le Directeur de l'Expansion Économique s'est borné à accuser réception de la demande d'autorisation d'exercer l'activité de photographe présentée par v. E., épouse B. le 15 mai 2019 et à lui notifier, conformément aux dispositions de l'article 5 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques, la recevabilité de sa demande ; que cette lettre ne vaut donc pas autorisation de travailler comme photographe à Monaco ;

Attendu que le Ministre d'État affirme, ensuite, que l'argumentation de la requérante selon laquelle la condition tenant à la présentation des pièces justificatives de moyens suffisants d'existence serait remplie est à la fois inopérante et infondée ; qu'elle est inopérante, dans la mesure où l'article 6 de l'Ordonnance du 19 mars 1964 pose des conditions alternatives, dont les champs d'application sont distincts ; que l'étranger qui entend exercer une profession à Monaco doit présenter, à l'appui de sa demande de première carte de séjour, un permis de travail ou un récépissé en tenant lieu, tandis que l'étranger qui n'entend exercer aucune profession sur le territoire monégasque doit présenter les pièces justificatives de moyens suffisants d'existence ; qu'au cas présent, dès lors que la requérante entendait exercer sur le territoire monégasque la profession de photographe, elle devait présenter à l'appui de sa requête un permis de travail ou un récépissé en tenant lieu et ne pouvait pallier l'absence d'un tel document par des pièces justifiant qu'elle bénéficierait de moyens suffisants d'existence ; que l'argumentation est, en toute hypothèse, infondée ; que, d'une part, c'est à l'appui de la demande de carte de séjour que les pièces justifiant de moyens suffisants d'existence doivent être présentées ; que leur production devant le Tribunal Suprême présente en conséquence un caractère tardif et ne peut justifier l'annulation de la décision de rejet opposée à une demande qui n'était pas accompagnée des pièces nécessaires ; que, d'autre part, les pièces produites par la requérante n'établissent pas qu'elle aurait tenté de déposer sur un compte bancaire à Monaco la somme de 250.000 euros ; qu'en effet, la lettre de la b. D. qu'elle produit, et qui n'est d'ailleurs pas datée, se borne à l'informer du rejet de sa demande d'ouverture de compte bancaire ;

SUR CE,

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;

Vu la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques ;

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale ;

Vu la loi n° 1.492 du 8 juillet 2020 relative à l'instauration d'un droit au compte ;

Vu l'Ordonnance du 11 août 2023 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Pierre de MONTALIVET, Membre titulaire, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Mme le Greffier en Chef en date du 4 décembre 2023 ;

Vu l'Ordonnance du 3 mai 2024 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 7 juin 2024 ;

Ouï Monsieur Pierre de MONTALIVET, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et Maître Gérard BAUDOUX, avocat au barreau de Nice, pour v. E., épouse B. ;

Ouï Maître François H, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Madame le Premier Substitut du Procureur Général en ses conclusions ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Motifs🔗

Après en avoir délibéré

  1. Considérant que v. E., épouse B., ressortissante russe, demande au Tribunal suprême d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 mai 2023 par laquelle le Contrôleur Général en charge de la Direction de la Sûreté Publique a rejeté sa première demande de carte de séjour de résident et, au besoin, d'inviter l'État à produire tous les éléments justifiant sa décision ;

    Sur la légalité externe de la décision attaquée

  2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs : « Doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui : 1° – restreignent l'exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police ; /[…] / 3° – refusent une autorisation ou un agrément ; / (…) » ; que l'article 6 de la même loi prévoit que « par dérogation aux dispositions du chiffre 3° de l'article premier, le refus d'établissement d'une personne physique sur le territoire de la Principauté n'est pas soumis à l'obligation de motivation » ; qu'il résulte de ces dispositions que la décision attaquée, refusant une première demande de carte de séjour de résident, n'avait pas à être motivée ; que v. E., épouse B. n'est dès lors pas fondée à soutenir que cette décision, faute d'être motivée, serait illégale ;

    Sur la légalité interne de la décision attaquée

  3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de l'Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964, modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté de Monaco : « L'étranger qui sollicite, pour la première fois, une carte de séjour de résident doit présenter, à l'appui de sa requête : / – soit un permis de travail, ou un récépissé en tenant lieu, délivré par les services compétents ; / – soit les pièces justificatives de moyens suffisants d'existence, s'il n'entend exercer aucune profession. / La durée de validité de la carte de résident temporaire ne peut dépasser la durée de validité des documents et visas exigés pour entrer et séjourner dans la Principauté. / La carte de résident temporaire ne peut être renouvelée que si l'étranger satisfait aux conditions prévues aux alinéas ci-dessus. / Elle peut lui être retirée à tout moment, s'il est établi qu'il cesse de remplir ces mêmes conditions ou si les autorités compétentes le jugent nécessaires » ;

  4. Considérant qu'il résulte des écritures du Ministre d'État que la décision de refus de délivrance à v. E., épouse B. d'une première carte de séjour de résident est fondée sur la circonstance qu'elle n'a fourni ni permis de travail ni récépissé en tenant lieu ; qu'elle n'a pas davantage produit une attestation délivrée par un établissement bancaire monégasque, pourtant requise pour justifier de moyens suffisants d'existence dans le cas où elle n'exercerait aucune profession ; qu'ainsi, le dossier produit par v. E., épouse B. à l'appui de sa demande était incomplet ; qu'en conséquence, sans qu'il soit besoin de prescrire une mesure d'instruction, v. E., épouse B. n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'illégalité ;

Dispositif🔗

DÉCIDE :

Article 1er🔗

La requête de v. E. épouse B. est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de v. E., épouse B.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition🔗

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Stéphane BRACONNIER, Président, José MARTINEZ, Vice-Président, Pierre de MONTALIVET, rapporteur, Philippe BLACHER, Membres titulaires, Jean-Philippe DEROSIER, Membre suppléant ;

et prononcé le dix-huit juin deux mille vingt-quatre en présence du Ministère public, par Monsieur José MARTINEZ, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef.

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