Tribunal Suprême, 7 octobre 2022, M. B. T. c/ État de Monaco

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Abstract🔗

Étrangers - Permis de travail - Retrait - Tribunal suprême - Recours en annulation - Condamnation pénale - Protection de l'ordre public - Décision administrative - Abrogation - Sécurité juridique (non) - Non bis in idem (non) - Erreur manifeste d'appréciation (non) - Respect des principes de proportionnalité et nécessité - Rejet

Résumé🔗

En vertu des articles 1er et 2 de de la loi du 17 juillet 1957 tendant à réglementer les conditions d'embauchage et de licenciement en Principauté, un étranger doit disposer d'un permis de travail délivré après avis du Directeur de la Sûreté Publique et avis du Directeur de l'Office de la médecine du travail qui sont transmis au Directeur du Travail. Ce dernier, au regard des dispositions de de l'article 2 de l'Ordonnance Souveraine du 18 février 2005 supervise une direction, notamment chargée : « de la délivrance des autorisations d'embauchage et des permis de travail ; / (...) ». Enfin en vertu de l'article 3 de la loi du 13 juillet 2016, le Directeur de de la Sûreté Publique fait procéder à une enquête pour certaines décisions administratives prévues par arrêté, et notamment celui du 17 octobre 2016 qui énonce que « la délivrance et le renouvellement des permis de travail et autorisations d'embauchage » relève de ces dispositions.

M. T., résident monégasque et travaillant à Monaco depuis trente-deux ans a été condamné par le Tribunal correctionnel en 2021 à une peine d'emprisonnement d'un an pour recel et usage de stupéfiants. Le mois suivant, la Direction du Travail a procédé au retrait de son permis de travail en précisant notamment qu'il ne dispose plus des garanties de moralité nécessaires à l'exercice de son emploi. Elle considère que du fait de sa condamnation pénale, sa situation est susceptible de porter atteinte à l'ordre public et n'est pas compatible avec le comportement attendu de la part d'un salarié travaillant à Monaco. Le requérant demande au Tribunal Suprême l'annulation pour excès de pouvoir de ladite décision.

Le Tribunal constate que la décision attaquée est fondée sur une enquête, telle que prévue dans la loi de 2016 et que cette condamnation a conduit la Direction du Travail à considérer que le requérant ne disposait plus des conditions de moralité appropriées pour travailler dans la Principauté. Même si la décision attaquée évoque de manière impropre l'annulation et le retrait du permis de travail de M. T., la Direction a entendu révoquer son permis et cette décision relève de sa compétence au vu de l'ordonnance de 2005, elle ne peut dès lors être entachée de défaut de base légale. Il ne peut non plus être soutenu par le requérant une violation du principe de sécurité juridique car la longue durée du permis ne fait pas obstacle à une telle décision administrative. La décision n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, étant suffisamment motivée au regard des faits constatés. Enfin, il ne peut être fait application du principe non bis in idem, du fait qu'il s'agit d'une décision administrative qui n'est pas de même nature que le jugement pénal et qu'elle respecte les principes de nécessité et de proportionnalité, puisqu'il ne s'agit pas d'une interdiction générale d'exercer toute activité salariée en Principauté et elle n'a pas de caractère automatique. Le Tribunal rejette sa requête.


Motifs🔗

TS 2021-14

Affaire :

Monsieur B. T.

Contre :

État de Monaco

DÉCISION

Audience du 22 septembre 2022

Lecture du 7 octobre 2022

Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 23 février 2021 de la Direction du Travail abrogeant le permis de travail de Monsieur T.

En la cause de :

Monsieur B. T. ;

Ayant élu domicile en l'étude de Monsieur le Bâtonnier Thomas GIACCARDI, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Thomas BREZZO, Avocat près la même Cour ;

Contre :

L'État de Monaco, représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France.

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête, présentée par Monsieur B. T., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 22 avril 2021 sous le numéro TS 2021-14, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 23 février 2021 par laquelle la Direction du Travail a abrogé son permis de travail ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que Monsieur T. expose qu'il est résident monégasque et travaille à Monaco depuis trente-deux ans ; que par jugement du 5 janvier 2021, le Tribunal correctionnel l'a condamné à une peine d'emprisonnement d'un an pour des faits en lien avec le recel et l'usage de stupéfiants ; que par une décision du 23 février 2021, la Direction du Travail a procédé au retrait de son permis de travail ; que la décision précise notamment qu'il ne dispose plus des garanties de moralité nécessaires à l'exercice de son emploi et qu'en raison de sa condamnation pénale, sa situation, étant d'évidence susceptible de porter atteinte à l'ordre public, n'est pas compatible avec le comportement attendu de la part d'un salarié travaillant à Monaco ; que la décision du 23 février 2021 entraine pour M. T. une interdiction générale à durée indéterminée d'exercer toute forme d'activité professionnelle en Principauté où il réside ;

Attendu qu'à l'appui de sa requête, M. T. soutient, en premier lieu, pour obtenir l'annulation de la décision qu'il attaque, qu'elle est entachée d'incompétence ; que cette décision mentionne « un suivi des permis de travail en Principauté par la Direction de la Sûreté Publique, conformément à l'Arrêté Ministériel n° 2016-622 du 17 octobre 2016 portant application de l'article 3 de la Loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 » ; qu'aux termes de cette dernière disposition : « Le Directeur de la Sûreté Publique procède, sur instructions du Ministre d'État ou du Conseiller de Gouvernement-Ministre de l'intérieur, préalablement aux actes ou décisions administratives d'autorités compétentes dont la liste est fixée par arrêté ministériel, à des enquêtes aux fins de vérifier que des personnes physiques ou morales concernées par ces actes ou décisions, présentent des garanties appropriées et que leurs agissements ne sont pas incompatibles avec ceux-ci » ; que cette disposition ne fonde pas la compétence de la Direction du Travail aux fins d'« annuler » un titre de travail en cours d'exécution, hors le cas de délivrance ou de renouvellement ; que l'article 1er de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 tendant à réglementer les conditions d'embauchage et de licenciement en Principauté dispose qu'« aucun étranger ne peut occuper un emploi privé à Monaco s'il n'est titulaire d'un permis de travail. Il ne pourra occuper d'emploi dans une autre profession que celle mentionnée par ce permis » ; que l'article 6 de la même loi précise les règles relatives au licenciement au titre des modalités de rupture du contrat de travail, lequel est indissociable du permis de travail ; qu'en vertu de l'article 2 de l'Ordonnance Souveraine n° 16.675 du 18 février 2005 portant création de la Direction du Travail, celle-ci n'est compétente que pour délivrer et renouveler les permis de travail et les autorisations d'embauchage ; qu'aucune disposition expresse ne réglemente les modalités d'« annulation », ni même de retrait ou d'abrogation de la décision de délivrer un permis de travail ; que conformément à l'Ordonnance Souveraine du 18 février 2005 et aux principes directeurs du droit administratif, ce n'est que préalablement à la délivrance d'un permis de travail qu'il appartient à la Direction du Travail de s'assurer auprès de la Direction de la Sûreté publique que le demandeur d'emploi n'est pas susceptible de porter atteinte à l'ordre public ; qu'ainsi, aucune base légale, ni aucune jurisprudence ne donne à la Direction du Travail une compétence en matière de police administrative générale ou spéciale aux fins d'annuler un permis de travail légalement délivré ; qu'à cet égard, il ressort de la jurisprudence du Tribunal Suprême que les directeurs de service ne disposent pas de la faculté de prendre des actes faisant grief en dehors des règles de compétence législatives et réglementaires (TS, décision n° 2019-05 du 13 octobre 2020) ; qu'en l'état actuel du droit, la Direction du Travail ne dispose pas de la compétence d'édicter des mesures individuelles à caractère impératif emportant une interdiction générale et définitive à l'égard d'un administré ;

Attendu que M. T. allègue, en deuxième lieu, que la décision attaquée doit être annulée en raison de l'incompétence de son signataire ; qu'en effet, elle n'a pas été signée par l'autorité administrative de service adéquate, à savoir Madame le Directeur du Travail, mais par Madame I., selon l'annulation manuscrite « p/o » ; qu'en l'état actuel du dossier, faute de délégation préalablement établie l'y habilitant expressément, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte apparaît fondé ;

Attendu que le requérant fait valoir, en troisième lieu, que la décision qu'il attaque est entachée d'une insuffisance de motivation ; qu'aux termes des dispositions de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs, l'Administration a l'obligation de motiver par des éléments « de fait et de droit » les actes qui « infligent une sanction » ou « retirent ou abrogent une décision créatrice de droits » ; que la décision attaquée revêt un caractère général et indéterminé impliquant de graves effets puisque le requérant est placé dans l'impossibilité de subvenir à ses besoins ; qu'or, elle ne contient ni dans sa motivation ni dans ses annexes de précisions suffisantes qui permettraient au Tribunal Suprême de vérifier l'exactitude et la légalité des motifs invoqués, notamment le détail des considérations préalables des services de police ; que le seul fait que la décision mentionne sa condamnation à une peine d'un an de détention ne saurait, à lui seul, fonder la décision attaquée dès lors qu'elle ne précise pas en quoi, à la date de son édiction, ces faits révéleraient que M. T. serait de nature à causer un trouble à l'ordre public ; qu'il conteste l'insuffisance formelle et matérielle des précisions relatives aux motifs tirés, d'une part, de la menace qu'il représenterait pour l'ordre public et, d'autre part, de l'absence de garanties de moralité adéquates ; que ces précisions ne peuvent résulter du seul fait de la condamnation prononcée en droit par le Tribunal correctionnel, d'ailleurs rapportée en fait ;

Attendu, en quatrième lieu, que, selon M. T., la motivation de la décision attaquée présente un caractère erroné dès lors qu'elle se fonde sur des textes inapplicables au cas d'espèce ; qu'en effet, elle se borne à viser l'article 1er de l'Arrêté ministériel n° 2016-622 du 17 octobre 2016 portant application de l'article 3 de la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale ; que cette disposition ne concerne que la délivrance et le renouvellement des permis de travail et des autorisations d'embauchage ; qu'ainsi, ce texte ne pouvait régulièrement fonder la décision du 23 février 2021 énonçant que « le permis de travail (...) délivré le 15 juin 1989 est annulé » ; qu'il en résulte que la décision attaquée, en visant un motif juridiquement inexact, est entachée d'un manque de base légale ou, à tout le moins, d'une erreur de droit au regard des fondements juridiques applicables ;

Attendu que le requérant soutient, en cinquième lieu, que les motifs de droit de la décision attaquée sont illégaux en raison tant d'un défaut de base légale que d'une erreur de droit ; que, tout d'abord, la décision attaquée est fondée sur des dispositions inapplicables au cas d'espèce ; que seule la délivrance du permis de travail est subordonnée à la vérification de l'absence de risque d'atteinte à l'ordre public ; qu'ensuite, hors les cas de rupture du contrat de travail, il est juridiquement impossible d'« annuler » le titre conditionnant la poursuite de son exécution ; que de surcroît, la décision attaquée ne peut, par substitution de base légale, s'assimilait à un retrait ou une abrogation, faute de texte applicable ; qu'aucun retrait, ni aucune abrogation ne saurait légalement intervenir en dehors des formes légales prévues à cet effet, a fortiori en présence d'un acte individuel créateur de droits ; qu'en l'espèce, un retrait du permis de travail, emportant disparition rétroactive des effets de cet acte, ne saurait advenir en l'espèce ; qu'en raison de l'atteinte potentielle au principe de sécurité juridique qu'implique un tel procédé, le retrait d'un acte administratif n'est possible que dans le cadre des formes légales prévues à cet effet ; que le Tribunal Suprême a jugé que le respect de ce principe par toutes les autorités publiques participe à la garantie des droits fondamentaux consacrés par le titre III de la Constitution (TS, décision n° 2018-98, S.A.M. C. I. c/ Ministre d'État) ; que l'autorisation de travail est un acte favorable qui est le support de la liberté du travail garantie par l'article 25 de la Constitution ; qu'eu égard à sa gravité, une mesure de retrait d'un permis de travail doit faire l'objet d'un régime légal et prévisible ; qu'or, en l'état de la législation, aucun texte ne prévoit une telle faculté ; qu'ainsi, la décision attaquée méconnaît les règles de droit commun encadrant le retrait des décisions administratives individuelles favorables légalement édictées ; qu'en outre, l'Administration ne peut abroger une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale (TS, décision du 8 mars 2005, Sieur P. A. de C. c/ Ministre d'État) ; que si l'autorité administrative dispose en France de la possibilité d'abroger un acte administratif créateur de droits, elle ne peut le faire que dans le délai de quatre mois et selon une base légale préexistante (CE, 6 mars 2009, C., n° 306084) ; que les exceptions ne concernent, sous réserve d'une base textuelle le prévoyant expressément, que les actes administratifs unilatéraux créateurs de droits assortis d'une « condition extinctive ou abrogative » (CE, 14 mars 2008, Portalis, n° 283943) ; qu'en l'espèce, faute de base légale, la décision attaquée ne peut constituer ni une abrogation, ni un retrait ; que seules les décisions individuelles favorables irrégulières ne peuvent créer des droits au profit de leur bénéficiaire et donc peuvent être abrogées à tout moment par l'administration (TS, décision n° 2018-16, M. A. P. c/ État de Monaco) ;

Attendu que M. T. fait, en dernier lieu, grief à la décision attaquée d'être entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'en effet, il s'est parfaitement intégré à la vie professionnelle monégasque ainsi que le démontrent ses trente-deux années de travail sans incident à Monaco ; qu'il a donné pleine satisfaction à son employeur ; que ce dernier a sollicité, par courrier du 5 mars 2021, le retrait de la décision attaquée et expressément indiqué que les faits reprochés au requérant ne le plaçait pas dans l'impossibilité de poursuivre son travail au sein de l'Orchestre philarmonique ; que son employeur n'a pas considéré devoir le licencier compte tenu de sa fonction et de la nature des faits qui lui étaient reprochés ; que le requérant est un père de famille bien inséré socialement, subvient aux besoins de sa fille et ne présente aucune menace pour l'ordre public ; qu'il a été jugé qu'il n'avait jamais personnellement fait usage de produits stupéfiants ; que la décision attaquée ne précise pas en quoi la fonction de M. T. impliquerait le respect de garanties particulières de moralité ; qu'elle ne démontre pas qu'il constituerait, après sa condamnation pénale, une menace pour l'ordre public ; que la décision attaquée n'établit pas davantage que la mesure d'interdiction générale de travail qui en découle serait strictement nécessaire et proportionnée au but poursuivi ; que le permis de travail n'étant octroyé en Principauté que pour un emploi déterminé, une annulation d'un titre de travail ne saurait, en droit comme en fait, emporter interdiction générale d'exercer toute activité salariée en Principauté ; qu'eu égard à sa gravité, la décision attaquée s'assimile à une sanction administrative se cumulant à une sanction pénale, venant dès lors sanctionner doublement le requérant pour les mêmes faits ; qu'elle revêt un certain caractère d'automaticité dès lors qu'elle est justifiée par la seule circonstance de la condamnation pénale intervenue et dont résulte le constat que M. T. ne présenterait plus les « garanties de moralité appropriées » ; qu'une telle circonstance est contraire tant au droit interne qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui requièrent le respect des principes de proportionnalité, d'adéquation et de nécessité de la mesure considérée ;

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 24 juin 2021, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d'État expose que M. T., de nationalité philippine et résident monégasque, a obtenu, par décision du 15 juin 1989 du Directeur du Travail, un permis de travail en qualité de « garçon de courses Bureau pour le compte de l'Orchestre Philarmonique de Monaco » ; que, dans le cadre des vérifications opérées par la Direction de la Sûreté publique en application de l'arrêté n° 2016-622 du 17 octobre 2016, il est ressorti que M. T. ne présentait plus les garanties de moralité nécessaires à l'exercice de l'emploi occupé ; qu'en effet, par jugement du 5 janvier 2021 du Tribunal correctionnel, il a été condamné à une peine d'emprisonnement d'un an pour des faits d'importation, transport, acquisition, détention, offre ou cession et usage de stupéfiants ; que par décision du 23 février 2021, le Directeur du travail a annulé le permis de travail de M. T. en lui précisant qu'il « n'était plus autorisé à travailler en Principauté pour l'emploi sollicité » ;

Attendu que le Ministre d'État fait valoir, à titre liminaire, que, quels que soient les termes utilisés dans la décision attaquée, le Directeur du Travail a entendu prononcer l'annulation du permis de travail seulement pour le futur et non pour le passé ; que le permis de travail n'était pas illégal ab initio mais il l'est devenu à partir du moment où, en raison de son comportement, M. T. a cessé de remplir les conditions de moralité requises pour le maintien de l'autorisation ; que le permis de travail n'a donc pas été retiré mais seulement abrogé ; qu'il appartient au Tribunal Suprême de donner aux décisions qui lui sont déférées leur exacte qualification (décision TS 2014/06 du 25 novembre 2014, Sieur O. S. c/ État de Monaco) ; que, dans une affaire d'annulation d'un permis de travail, le Tribunal Suprême a récemment jugé que « si la décision attaquée évoque de manière impropre l'annulation du permis de travail de M. P., il ressort des écritures du Ministre d'État que le Directeur du Travail a, en réalité, entendu abroger la décision accordant le permis de travail » (TS, décision n° 2019-16 du 6 avril 2021, M. P. c/ État de Monaco) ;

Attendu que le Ministre d'État relève, en premier lieu, que le Tribunal Suprême a confirmé, dans une décision du 6 avril 2021, la compétence du Directeur du Travail pour abroger un permis de travail qui avait été préalablement accordé ; que lorsqu'aucun texte ne désigne la personne compétente pour retirer ou abroger une décision administrative, s'applique un principe de parallélisme des compétences ; qu'en application de ce principe, le Conseil d'État de France juge que « l'autorité administrative compétente pour modifier, abroger ou retirer un acte administratif est celle qui, à la date de la modification, de l'abrogation ou du retrait, est compétente pour prendre cet acte et, le cas échéant, s'il s'agit d'un acte individuel, son supérieur hiérarchique » (CE, Section, 30 septembre 2005, I., n° 280605) ; qu'en l'absence de désignation par l'Ordonnance Souveraine n° 16.675 du 18 février 2005 de l'autorité compétente pour abroger un permis de travail, le Directeur du Travail ou, le cas échéant, son supérieur hiérarchique, le Ministre d'État, est compétent pour abroger ce permis ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du Directeur du Travail doit être rejeté ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en deuxième lieu, que l'Ordonnance Souveraine n° 16.675 du 18 février 2005 confère à la Direction du Travail la compétence de délivrer les permis de travail ; que c'est en sa qualité de Directeur adjoint du Travail que Mme I. a signé la décision attaquée ; qu'en tout état de cause, la procédure de délégation de signature n'est imposée par aucun texte en Principauté ; que, par suite, Mme I., en sa qualité de Directeur adjoint du Travail, avait bien compétence pour signer la décision attaquée ;

Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en troisième lieu, que la motivation de la décision attaquée est régulière et suffisante au regard des exigences de l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs et de la jurisprudence du Tribunal Suprême faisant application de cette disposition ; qu'en effet, la décision comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui la justifient ; qu'elle rappelle que M. T. s'est rendu coupable d'importation, transport, acquisition, détention, offre ou cession et usage de stupéfiants, qu'il a été condamné pénalement pour ces faits et que l'enquête diligentée a abouti à la conclusion que la situation du requérant était susceptible de porter atteinte à l'ordre public et n'était pas compatible avec le comportement attendu de la part d'un salarié travaillant à Monaco ; que ces considérations de fait et de droit sont explicites et constituent une motivation tout à fait suffisante ; que les faits d'importation et de revente de drogue en raison desquels le permis de travail a été abrogé sont explicites ; qu'il n'est pas nécessaire de préciser que le fait de pratiquer le trafic de drogue est facilité par les fonctions de garçon de course ; que le Ministre d'État précise, en outre, que le défaut de motivation constitue une simple irrégularité de forme qui ne prend pas en considération le bien-fondé, ni l'exactitude des motifs de la décision, lesquels ne peuvent être critiqués que par des moyens de légalité interne ;

Attendu, en troisième lieu, que, selon le Ministre d'État, le moyen tiré du manque de base légale ne peut qu'être écarté dès lors que le Directeur du Travail est compétent, en application du parallélisme des compétences, pour abroger un permis de travail ; qu'en outre, Madame le Directeur du Travail a suivi, pour l'abrogation du permis de travail, la procédure prévue pour sa délivrance, respectant ainsi le parallélisme des formes ;

Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en quatrième lieu, que la décision attaquée prononçant l'abrogation et non le retrait du permis de travail, le moyen tiré de l'inexistence d'un fondement légal permettant le retrait d'un permis de travail est inopérant ;

Attendu que le Ministre d'État souligne, en cinquième lieu, qu'un permis de travail ne constitue pas un acte individuel créateur de droits définitivement acquis ; que si certains actes individuels, comme par exemple les permis de construire, déploient tous leurs effets lors de leur délivrance et, une fois réalisés, confèrent à leurs titulaires des droits définitivement acquis, il en va autrement des actes dont les effets juridiques se déploient de façon continue et qui, de ce fait, ne confèrent à leurs bénéficiaires que des droits précaires ; que ces droits ne subsistent que pour autant que leurs bénéficiaires continuent à remplir les conditions qui avaient respectées lors de la délivrance de l'autorisation, ici le permis de travail ; que l'abrogation du permis de travail ne porte aucune atteinte au principe de sécurité juridique dès lors que le maintien de cette autorisation est conditionné par le maintien de conditions qui ne trouvent plus remplies en l'espèce ; que, dans sa décision du 6 avril 2021, le Tribunal Suprême a écarté expressément le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique ;

Attendu, en dernier lieu, que le Ministre d'État soutient que les arguments d'opportunité avancés par le requérant, relatifs à l'ancienneté de son permis de travail, à sa situation de famille et à la compréhension de son employeur, ne peuvent conduire à considérer que la décision de la Direction du Travail serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'au sein de la Principauté de Monaco, très engagée dans la lutte contre la criminalité organisée, les faits de trafic de stupéfiants pour lesquels M. T. a été condamné sont regardés comme présentant une particulière gravité justifiant le refus d'un permis de travail (TS, 18 février 2008, M. C.) ; que dans sa décision du 6 avril 2021, le Tribunal Suprême a jugé « que, eu égard aux caractéristiques de l'emploi de valet dans les hôtels de la Principauté et à la nature des faits pour lesquels M. P. a été condamné pénalement par la justice italienne en 2011, le Directeur du Travail a pu estimer, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, que le requérant ne présentait pas, à la date à laquelle il a pris sa décision, les garanties appropriées à l'occupation d'un tel emploi » ; que les faits de trafic de drogue font de même obstacle, pendant une période d'une durée significative, à la possibilité pour l'intéressé d'occuper l'emploi de garçon de course Bureau pour le compte de l'Orchestre philarmonique de Monte-Carlo ; que M. T. pourra, à l'avenir, présenter une nouvelle demande de permis de travail, soit pour le même emploi, soit pour un autre emploi à Monaco ; que, contrairement à ce qui est soutenu, l'abrogation du permis de travail ne constitue pas une sanction qui se cumulerait avec la condamnation pénale dont il a fait l'objet ; qu'il s'agit d'une mesure de police, qui n'a aucun caractère automatique ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 20 juillet 2021, par laquelle M. T. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu que le requérant ajoute, en premier lieu, que les principes applicables en matière administrative, dont les principes de légalité et de sécurité juridique, justifient que l'État ne puisse qualifier de manière opportuniste les mesures administratives qu'il prend en fonction des règles de droit auxquelles il se confronte dans sa pratique quotidienne ; qu'à la date de la décision attaquée, à laquelle s'apprécie sa légalité, l'État a situé son action dans le cadre du retrait du permis de travail ; que la forme, le contenu et la motivation de l'acte attaqué s'analysent en un retrait ; que la requalification de la décision attaquée en cours de procédure contentieuse consiste en un usage dévoyé du procédé de requalification juridictionnelle ; que dans la décision n° 2014-06 citée en défense, le Tribunal Suprême s'est borné à qualifier les décisions successives qui lui étaient déférées ; que la requalification opérée dans la décision du Tribunal Suprême du 6 avril 2021 est différente dans la mesure où elle concernait une décision d'annulation du permis de travail alors qu'une telle notion n'existe pas en droit monégasque à la différence du retrait ; que le Tribunal Suprême doit donc constater que l'acte en cause est une décision de retrait du permis de travail et qu'elle est donc illégale ; que la décision du 6 avril 2021 du Tribunal Suprême citée par le Ministre d'État ne concernait pas, après une enquête formelle préalable, le retrait d'un permis de travail exécuté et consolidé par plus de trente ans d'exécution ; que la jurisprudence française citée en défense est également sans lien avec la situation en litige ; que le principe de légalité exclut qu'en l'absence de texte l'habilitant expressément, l'État puisse annuler un acte individuel créateur de droits ; que, par suite, en l'absence de pouvoir de police autonome attribué par un texte, le Directeur du Travail était incompétent pour adopter la décision attaquée ; qu'en outre, l'exercice des pouvoirs de police ne peut se déléguer, y compris au sein des autorités de police elles-mêmes ; qu'en l'état du droit applicable, les décisions de retrait prises au titre des pouvoirs de police sont édictées par le Ministre d'État, les autres autorités ministérielles ou le Directeur de la Sûreté publique ; que, par ailleurs, M. T. estime qu'en l'absence de demande de renouvellement ou de nouvelle demande, le contrôle tenant aux « vérifications dans le cadre du suivi du permis de travail » est dénué de fondement juridique ;

Attendu, en deuxième lieu, que, selon M. T., le Ministre d'État ne saurait soutenir que la procédure de délégation de signature n'est imposée par aucun texte en Principauté ; que l'Ordonnance n° 621 du 4 août 2006 précise quelles sont les personnes auxquelles le Ministre d'État peut, par arrêté, consentir des délégations de signature et énoncent les règles applicables à de telles délégations ; que la possibilité de déléguer sa signature ne se présume pas mais doit nécessairement être prévue par un texte légal ou réglementaire autorisant l'autorité administrative investie de la compétence à déléguer sa signature dans une ou plusieurs matières et à un agent déterminé ; que la délégation doit ainsi être nominative, explicite, suffisamment précise et publiée en raison de son caractère réglementaire ; qu'il n'est pas justifié que Mme I. disposait d'une délégation de signature en bonne et due forme ;

Attendu que M. T. allègue, en troisième lieu, que l'administration ne peut retirer librement une décision individuelle expresse créatrice de droits hors d'un certain délai fixé par la jurisprudence française à quatre mois suivant son édiction ; que le Tribunal Suprême a considéré que le retrait d'un tel acte au-delà de ce délai est contraire au principe de sécurité juridique et à la stabilité des relations contractuelles (TS, décision n° 2018-08, S.AM. C. I. c/ Ministre d'État) ; qu'en l'espèce, il n'est pas possible, en l'absence de base légale, de retirer une décisions exécutée depuis plus de trente ans ; qu'en outre, le principe de sécurité juridique, applicable aux actes administratifs unilatéraux, fait obstacle à ce que l'administration abroge discrétionnairement des actes individuels créateurs de droits hors de tout cadre légal ou condition de délai ; que la jurisprudence admet l'abrogation d'un acte individuel créateur de droits soit lorsque le titulaire du droit concerné en fait la demande, soit lorsqu'un texte prévoit expressément l'abrogation et donc si l'administration tire les conséquences d'une disposition législative ou réglementaire l'y habilitant expressément ; qu'en l'espèce, la Direction du Travail ne pouvait procéder, en l'état du droit applicable, ni au retrait, ni à l'abrogation du permis de travail ;

Attendu que le requérant conteste, en quatrième lieu, l'analyse du Ministre d'État selon laquelle la décision de délivrance d'un permis de travail constitue une mesure de police, à caractère conditionnel, annulable librement dès lors que la condition de délivrance n'est plus remplie ; qu'en effet, une mesure de police constitue généralement un acte réglementaire collectif insusceptible de créer des droits au profit des administrés ; que les mesures individuelles de police administrative sont systématiquement motivées à peine de nullité et font l'objet d'une procédure contradictoire préalable, inexistante en l'espèce ; que la Direction du Travail n'est pas formellement investie d'un pouvoir de police ; que si le Conseil d'État de France permet à l'administration d'abroger un acte individuel créateur de droits conditionnel, lequel confère à son titulaire un avantage dont le maintien est subordonné à une condition, c'est principalement en matière d'avantages d'ordre financier et de nature pécuniaire ; que ceci ne correspond pas à l'autorisation de travailler qui consiste tant en une faculté d'agir protégée par la Constitution qu'en un moyen fondamental de subsistance ;

Attendu que M. T. allègue, en cinquième lieu, que l'autorité compétente pour retirer unilatéralement un permis de travail devrait être le Ministre d'État ; que, dans le cas contraire, l'administré serait placé dans une situation différente de celle des autres titulaires d'autorisation de travail en Principauté, en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, garanti par la Constitution ;

Attendu que M. T. soutient, en dernier lieu, que la décision attaquée méconnaît le principe de sécurité juridique, le principe d'égalité consacré par l'article 17 de la Constitution et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dont découlent le principe de nécessité des peines et l'interdiction du cumul des peines puisque le requérant se trouve doublement sanctionné pour les mêmes faits ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 20 août 2021, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu, en premier lieu, que le Ministre d'État ajoute que le juge administratif ne se fonde pas, lorsqu'il doit qualifier un acte administratif, sur sa dénomination ou sa forme, mais sur son contenu ; qu'il qualifie juridiquement l'acte en analysant les effets recherchés par son auteur ; qu'en l'espèce, le contenu de la décision attaquée révèle à l'évidence que le Directeur du Travail n'a pas entendu annuler le permis de travail, ce qui n'aurait eu aucun sens dès lors que l'intéressé a effectivement exercé pendant trente ans l'activité autorisée, mais seulement l'abroger, c'est-à-dire y mettre fin pour l'avenir ; que la décision attaquée mentionne en effet que M. T. « ne dispose plus des garanties de moralité nécessaires » ; que la configuration est identique à celle de la décision du 6 avril 2021 du Tribunal Suprême ;

Attendu, en deuxième lieu, que, selon le Ministre d'État, le requérant tend à contester le principe du parallélisme des compétences pourtant consacré par la jurisprudence ; que le pouvoir de police spéciale de la Direction du Travail en matière de délivrance et d'abrogation des permis de travail résulte expressément des dispositions de l'Ordonnance Souveraine du 18 février 2005 portant création de la Direction du Travail ; que si le Ministre d'État pourrait également, en sa qualité de supérieur hiérarchique du Directeur du Travail, être compétent pour abroger un permis de travail, la compétence de droit commun appartient, en la matière, au Directeur du Travail, conformément au principe du parallélisme des compétences ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en troisième lieu, qu'il n'existe aucune procédure de délégation de signature organisée au sein de la Direction du Travail ; qu'une telle procédure n'est imposée par aucun texte ;

Attendu, en dernier lieu, que le Ministre d'État fait valoir que la décision attaquée ne porte aucune atteinte au principe de sécurité juridique ; qu'en effet, un permis de travail ne constitue pas un acte individuel créateur de droits définitivement acquis ; que le maintien de l'autorisation dépend du comportement de son titulaire ; que l'argumentation du requérant revient à considérer, contre tout bon sens, qu'un permis de travail ne peut jamais être abrogé même si son titulaire ne remplit plus les conditions exigées pour l'exercice de l'activité concernée ;

SUR CE,

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 629 du 17 juillet 1957 modifiée, tendant à réglementer les conditions d'embauchage et de licenciement en Principauté ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 16.675 du 18 février 2005 portant création d'une direction du Travail ;

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale ;

Vu l'Arrêté ministériel n° 2016-622 du 17 octobre 2016 portant application de l'article 3 de la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale, modifié, notamment son article 1er ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 7.313 du 18 janvier 2019 portant nomination du Directeur Adjoint du Travail ;

Vu l'Ordonnance du 26 avril 2021 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Didier RIBES, Vice-président, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef adjoint en date du 1er septembre 2021 ;

Vu l'Ordonnance du 27 juillet 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 22 septembre 2022 ;

Ouï Monsieur Didier RIBES, Vice-président du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Thomas BREZZO, Avocat près la Cour d'appel, pour Monsieur T. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions tendant au rejet de la requête ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Après en avoir délibéré,

  1. Considérant que M. B. T. demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 23 février 2021 par laquelle la Direction du Travail a décidé le « retrait » du permis de travail qui lui avait octroyé le 15 juin 1989 pour exercer en qualité de « garçon de courses Bureau » pour le compte de l'Orchestre philarmonique de Monte-Carlo ;

  2. Considérant, tout d'abord, qu'aux termes des premier et deuxième alinéas de l'article 1er de la loi du 17 juillet 1957 tendant à réglementer les conditions d'embauchage et de licenciement en Principauté : « Aucun étranger ne peut occuper un emploi privé à Monaco s'il n'est titulaire d'un permis de travail. Il ne pourra occuper d'emploi dans une profession autre que celle mentionnée par ce permis. La demande de permis de travail mentionne, le cas échéant, l'exercice d'une activité de télétravail et les lieux où elle est exercée. / Cette obligation est indépendante de la forme et de la durée du contrat de travail ainsi que du montant et de la nature de la rémunération » ; que l'article 2 de la même loi précise que « La délivrance du permis de travail prévu à l'article premier ne peut intervenir qu'après avis du Directeur de la Sûreté Publique et avis du Directeur de l'Office de la médecine du travail. / Ces avis sont respectivement transmis au Directeur du Travail par le Directeur de la Sûreté Publique et par le Directeur de l'Office de la médecine du travail » ;

  3. Considérant, ensuite, qu'aux termes de l'article 2 de l'Ordonnance Souveraine du 18 février 2005 modifiée, portant création d'une Direction du Travail : « Cette Direction est chargée : / (...) / - de l'application de la législation et de la réglementation du travail ; / (...) / - de la délivrance des autorisations d'embauchage et des permis de travail ; / (...) / - du contrôle du respect de la législation sur les conditions d'embauchage et de licenciement ; / (...) » ;

  4. Considérant, enfin, que l'article 3 de la loi du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale dispose : « Le Directeur de la Sûreté Publique procède, sur instructions du Ministre d'État ou du Conseiller de Gouvernement-Ministre de l'Intérieur, préalablement aux actes ou décisions administratives d'autorités compétentes dont la liste est fixée par arrêté ministériel, à des enquêtes aux fins de vérifier que des personnes physiques ou morales concernées par ces actes ou décisions, présentent des garanties appropriées et que leurs agissements ne sont pas incompatibles avec ceux-ci. Le Directeur de la Sûreté Publique procède également à des enquêtes aux fins de vérifier la situation personnelle, familiale et financière des personnes physiques désireuses de s'établir sur le territoire de la Principauté ou de renouveler leur titre de séjour conformément aux dispositions réglementaires applicables » ; que l'arrêté ministériel n° 2016-622 du 17 octobre 2016 portant application de l'article 3 de la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale, range « la délivrance et le renouvellement des permis de travail et autorisations d'embauchage » au nombre des décisions qui doivent être précédées d'une enquête ;

  5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée est fondée sur les résultats d'une enquête réalisée par la Direction de la Sûreté publique en application des dispositions citées ci-dessus ; que cette enquête a révélé des faits d'importation et revente de stupéfiants pour lesquels M. T. a été condamné, par un jugement du 5 janvier 2021 du Tribunal correctionnel, à une peine d'un an d'emprisonnement ; que la Direction du Travail a estimé que, dès lors, il ne présentait plus les « garanties de moralité appropriées » pour poursuivre son activité professionnelle sur le territoire monégasque ;

  6. Considérant qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir de donner aux décisions qui lui sont déférées leur exacte qualification ; que, si la décision attaquée évoque de manière impropre l'annulation et le retrait du permis de travail de M. T., il ressort des écritures du Ministre d'État que la Direction du Travail a, en réalité, entendu abroger la décision du 15 juin 1989 accordant le permis de travail ;

  7. Considérant, en premier lieu, que la Direction du Travail qui a, en vertu de l'article 2 de l'Ordonnance Souveraine du 18 février 2005, compétence pour délivrer les permis de travail, est également compétente pour modifier, retirer ou abroger ces autorisations administratives ; que, par suite, M. T. n'est pas fondé à soutenir que la Direction du Travail n'avait pas compétence pour prendre la décision attaquée ; que, pour les mêmes motifs, les moyens tirés de ce que la décision attaquée serait dépourvue de base légale et entachée d'une erreur de droit dans l'application des dispositions définissant les prérogatives de la Direction du Travail ne peuvent qu'être écartés ;

  8. Considérant, en deuxième lieu, que le Directeur adjoint du Travail, eu égard à ses fonctions, doit être regardé comme ayant compétence pour signer une décision d'abrogation d'un permis de travail ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée n'est pas fondé ;

  9. Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que soutient le requérant, le principe de sécurité juridique ne fait pas obstacle, alors même que le permis de travail aurait été délivré depuis de nombreuses années, à la décision légale d'abroger cette autorisation administrative ;

  10. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée comporte l'énoncé des considérations de fait qui en constituent le fondement ; que le moyen tiré de ce que cette décision ne serait pas suffisamment motivée, en méconnaissance des exigences de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs, n'est, dès lors, pas fondé ;

  11. Considérant, en cinquième lieu, que, contrairement à ce que soutient le requérant, l'abrogation de son permis de travail n'emporte pas interdiction générale d'exercer toute activité salariée en Principauté et n'a pas de caractère automatique ; qu'en tout état de cause, une telle décision ne constitue pas une sanction mais une mesure de police administrative ; que, par suite, M. T. ne peut utilement soutenir qu'il aurait été sanctionné deux fois pour les mêmes faits et que l'abrogation de son permis de travail méconnaîtrait les principes de nécessité et de proportionnalité des peines ;

  12. Considérant, en dernier lieu, que, eu égard aux caractéristiques de l'emploi de garçon de courses pour le compte de l'Orchestre philarmonique de Monte-Carlo et à la nature des faits pour lesquels M. T. a été condamné pénalement par la justice monégasque en 2021, la Direction du Travail a pu estimer, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, que le requérant ne présentait pas, à la date à laquelle elle a pris sa décision, les garanties appropriées à l'occupation d'un tel emploi ;

  13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. T. n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque ;

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

La requête de Monsieur T. est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de Monsieur T.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition🔗

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Président, Didier RIBES, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président, rapporteur, Philippe BLACHER, Stéphane BRACONNIER, Membres titulaires, et Guillaume DRAGO, Membre suppléant, et prononcé le sept octobre deux mille vingt-deux en présence du Ministère public, par Monsieur Didier RIBES, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Greffier en Chef.

Le Greffier en Chef, Le Vice-Président, par délégation du Président.

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