Tribunal Suprême, 5 mars 2020, Monsieur M. A. c/ État de Monaco
Abstract🔗
Compétence
Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel
Ordres professionnels
Experts comptables - Autorisation d'exercice de la profession d'experts comptables - Décision implicite de refus d'autorisation de la profession d'experts comptables - Décision implicite de rejet du recours gracieux
Procédure
Mesure d'instruction - Délai pour communication de documents complémentaires
Motifs🔗
Le Tribunal Suprême,
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière
Vu la requête, présentée par Monsieur M. A., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 15 mars 2019 sous le numéro TS 2019-08, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté ministériel du 24 juillet 2018 autorisant M. S. P. à exercer la profession d'expert-comptable, de la décision implicite de rejet de sa demande d'admission au tableau de l'Ordre des experts-comptables de Monaco et de la décision implicite du Ministre d'État ayant rejeté son recours gracieux formé le 17 septembre 2018, ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens.
Ce faire :
Attendu qu'à l'appui de sa requête, M. A. expose qu'il a sollicité à plusieurs reprises et depuis de nombreuses années l'autorisation d'exercer la profession d'expert-comptable ; que toutes ses demandes ont été rejetées ; que par décision du 19 juin 2018, le Tribunal Suprême a, sur son recours, annulé l'autorisation d'exercer la profession d'expert-comptable octroyée à un autre candidat, M. P., pour avoir été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, le président du Conseil de l'Ordre des experts-comptables ayant siégé lors de l'examen de la candidature en dépit des liens d'intérêt l'unissant à ce dernier au sein de la S.A.M. SJPS et a annulé le refus implicite qui lui avait été opposé, en tant que ce refus était fondé sur l'autorisation délivrée ; que, par un nouvel arrêté du 24 juillet 2018, M. P. a été autorisé à exercer la profession d'expert-comptable ; que cette décision a fait naître une décision implicite de rejet de sa propre candidature, toujours pendante ; que le recours gracieux à l'encontre de l'autorisation délivrée, dont il a saisi l'administration le 17 septembre 2018, a été implicitement rejeté ;
Attendu que, pour obtenir l'annulation des décisions qu'il attaque, M. A. fait valoir que les décisions implicites de refus qui lui ont été opposées sont illégales pour défaut de motivation ;
Attendu qu'il soutient, en outre, qu'il remplit toutes les conditions posées par la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 et par les lignes directrices, mentionnées dans la lettre du Conseiller de Gouvernement pour l'économie du 19 mai 2015, lesquelles ne font pas référence à la notion imprécise d'enfant du pays ; qu'il avait plus de titres à être autorisé à exercer la profession sollicitée que M. P., qui ne remplit pas tous les critères exigés, que ce soit quant au critère fixé par les lignes directrices d'un travail (récent) en cabinet à Monaco ou au regard du motif de l'annulation de la première autorisation, de sorte que l'arrêté d'autorisation et le rejet implicite de sa candidature sont entachés d'une erreur d'appréciation ;
Vu l'ordonnance du 22 mars 2019 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a ordonné que la procédure soit communiquée à M. S. P. ;
Vu la contre-requête, enregistrée le 17 mai 2019 au Greffe Général, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;
Attendu qu'il fait valoir, tout d'abord, que la décision de rejet de la candidature de M. A., découlant de l'autorisation octroyée à M. P., est nécessairement implicite, l'administration n'ayant à motiver ni l'autorisation octroyée ni le rejet des autres candidatures ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, ensuite, que M. P. satisfait à l'ensemble des critères fixés par la loi et les lignes directrices qui, en exigeant des attaches monégasques sérieuses, visent la qualité d'enfant du pays ; que le dossier de M. A. se présentait de façon moins favorable que celui de M. P. ; qu'il ne peut se déduire de l'annulation pour irrégularité de procédure que M. P. ne présenterait pas les garanties de moralité requises ;
Vu les conclusions présentées dans le mémoire en intervention, enregistré au Greffe Général le 27 mai 2019, par lequel M. S. P. demande à ce que le Tribunal Suprême rejette la requête de M. A., le condamne à lui verser la somme de 3.000 euros pour recours abusif et à payer une somme de 5.000 euros pour recours téméraire, ordonne la suppression des passages injurieux ou diffamatoires de la requête et condamne le demandeur aux entiers dépens ;
Attendu que M. P. expose avoir des attaches monégasques plus importantes que le requérant comme enfant du pays, avoir fait ses études en Principauté, y vivre et y travailler sans discontinuité ; qu'il bénéficie d'une expérience globale auprès d'un cabinet d'expertise-comptable et de commissariat aux comptes monégasque bien supérieure à celle du requérant ; qu'en outre, dès sa première demande d'inscription en 2006, il démontrait un projet d'association avec reprise et parrainage du titulaire ; qu'enfin, il présente toutes garanties de moralité ;
Vu la réplique, enregistrée le 19 juin 2019 au Greffe Général, par laquelle M. A. abandonne le moyen tiré du défaut de motivation et maintient les autres moyens de sa requête ;
Attendu que le requérant précise qu'il convient de se placer à la date d'examen de la demande pour apprécier le caractère récent du travail en cabinet d'expert-comptable à Monaco ; que de 1988 à 1992, M. P. n'y a exercé que comme stagiaire, qu'il a obtenu son diplôme en 2005 et n'y exerce récemment que depuis 2016 ; qu'il demande qu'il soit enjoint au Ministre d'État de produire le procès- verbal de la réunion du 11 juillet 2018 au cours de laquelle les candidatures ont été examinées ; qu'il soutient que le Conseil de Gouvernement aurait été privé d'une information nécessaire à sa décision sur les conditions financières de l'association de M. P. avec M. S., laquelle s'imposait à raison du motif d'annulation de la première décision ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 17 juillet 2019, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Attendu qu'il ajoute que le caractère récent que doit revêtir le travail en cabinet d'expert-comptable à Monaco n'exige nullement que cette expérience technique et cette connaissance du milieu économique soit acquise au cours d'une période de travail exercée en continu ; que M. P. peut se prévaloir d'une durée de 6 ans et 10 mois d'activité professionnelle dans un tel cabinet, pour y avoir exercé pendant plus de quatre années, de 1998 à 2002, en qualité d'expert- comptable stagiaire et depuis décembre 2016 comme expert-comptable en titre ; que, de plus, il peut se prévaloir d'une expérience professionnelle de plus de 20 ans sur le territoire monégasque alors que M. A. n'exerce en cabinet monégasque que depuis mai 2013 ; que, par ailleurs, l'absence de définition de la notion d'enfant du pays ne saurait empêcher son utilisation au titre des attaches monégasques sérieuses ; qu'enfin, le Tribunal Suprême a censuré non une association professionnelle mais, au regard du principe d'impartialité, la présence du président de l'Ordre lors de l'examen de la candidature de son associé ;
Vu les demandes d'autorisation de produire et de délai, déposées au Greffe Général le 19 juillet 2019 pour M. P. et le 23 juillet 2019 pour M. A. ;
Vu les ordonnances du 24 juillet 2019 par lesquelles le Président du Tribunal Suprême a accordé des ultimes délais à M. A. et à M. P. ;
Vu la triplique, enregistrée au Greffe Général le 21 août 2019, par laquelle M. A. tend aux mêmes fins que la requête ;
Attendu qu'il indique reprendre le moyen, précédemment abandonné, tiré du défaut de motivation ;
Attendu que le requérant ajoute que l'absence de production du procès-verbal de la réunion du 11 juillet 2018 visé par l'arrêté ministériel du 24 juillet 2018 ne permet ni de s'assurer de la légalité des décisions en cause, ni de déterminer si sa demande a bien fait l'objet d'un examen en même temps que l'ensemble des demandes pendantes ;
Attendu qu'il précise qu'il appartiendra au Tribunal Suprême soit d'ordonner sous astreinte la production de la délibération du Conseil de Gouvernement du 11 juillet 2018, soit de tirer les conséquences du défaut de production spontanée d'une pièce ayant servi de fondement à la décision querellée ;
Attendu que M. A. maintient être le seul à remplir le critère de l'exercice récent en cabinet sur 3 à 5 années ; que la qualité d'enfant du pays ne peut être invoquée en faveur de M. P. qui n'en remplit pas les critères ;
Attendu, enfin, que, selon le requérant, M. P., qui n'est qu'intervenant et non partie à l'instance, n'est pas recevable à présenter des conclusions à objet personnel ;
Vu le mémoire, enregistré au Greffe Général le 30 août 2019, par lequel M. P. persiste en ses conclusions reconventionnelles dès lors que la qualité de partie à l'instance est reconnue à toute personne qui, comme lui, aurait eu qualité à faire opposition si il n'avait pas été appelé en la cause ; que sa demande reconventionnelle en tant que personne mise en cause est indissociable de l'instance principale ;
Attendu qu'il maintient qu'aucune erreur d'appréciation des candidatures n'est démontrée ; qu'il ajoute que le Conseil du Gouvernement n'a pas été privé d'une information car il en disposait déjà, les statuts de la SAM SPJS ayant été autorisés par arrêté ministériel du 1er décembre 2016, après délibération du Conseil de Gouvernement ;
Attendu que M. P. demande, enfin, que soit ordonnée la suppression des passages injurieux ou diffamatoires de la duplique ;
Sur ce,
Vu les décisions attaquées ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 90-B ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 relative aux professions d'expert-comptable et de comptable agréé ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 6.323 du 27 mars 2017 fixant le nombre maximum d'experts-comptables et de comptables agréés autorisés à exercer la profession ;
Vu l'Ordonnance du 18 mars 2019 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Madame Magali INGALL- MONTAGNIER, Membre suppléant, comme rapporteur ;
Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en chef en date du 16 septembre 2019 ;
Vu l'Ordonnance du 16 janvier 2020 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 20 février 2020 ;
Ouï Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ;
Ouï Maître André BONNET, Avocat au barreau de Marseille, pour M. M. A. ;
Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;
Ouï Maître Régis FROGER, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour M. S. P. ;
Ouï Madame le Procureur général en ses conclusions ; La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;
Vu la note en délibéré, enregistrée au Greffe Général le 24 février 2020, présentée par Maître FILIPPI pour M. A. ;
Après en avoir délibéré,
1° Considérant que, sur proposition du Conseil de l'Ordre des experts-comptables et sur délibération du Conseil de Gouvernement en date du 11 juillet 2018, le Ministre d'État a, par arrêté du 24 juillet 2018, retenu la candidature de M. S. P. et implicitement rejeté celle de M. M. A. pour exercer la profession d'expert-comptable ; que l'arrêté autorisant M. P. à exercer cette profession a été publié au Journal de Monaco le 3 août 2018 ; que, par lettre du 17 septembre 2018, M. A. a formé un recours gracieux qui a été implicitement rejeté ; que M. A. demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté ministériel autorisant M. P. à exercer la profession d'expert-comptable, du refus implicitement opposé à sa candidature et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
2° Considérant que, dans sa réplique du 19 juin 2019, M. A. a soulevé un moyen d'irrégularité tiré des vices qui affecteraient la délibération du Conseil de Gouvernement en date du 11 juillet 2018 ; qu'en ne produisant pas l'extrait du procès-verbal de cette délibération, le Ministre d'État n'a pas mis le Tribunal Suprême à même d'exercer son contrôle ; qu'il y a lieu dès lors, en application de l'article 32 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée susvisée, de prescrire une mesure d'instruction ;
3° Considérant que, le 17 septembre 2019, le Ministre d'État a adressé au Tribunal Suprême des observations accompagnées du procès-verbal de la réunion du 27 juin 2018 du Conseil de l'Ordre des experts-comptables et du relevé de décision de la réunion du 28 juin 2018 du Commissariat du Gouvernement près l'Ordre des experts- comptables ; que ces documents ont été produits postérieurement à la clôture de la procédure le 16 septembre 2019 ; qu'eu égard à leur contenu et à la faculté qui était celle du Ministre d'État de les produire avant la clôture de l'instruction, il n'y avait pas lieu pour le Tribunal Suprême de les soumettre au contradictoire ; que la mesure d'instruction décidée par le Tribunal a pour effet d'ouvrir à nouveau l'instruction ; que, dès lors, ces pièces doivent être communiquées à M. A., à M. P. et au Procureur général ;
Dispositif🔗
Décide :
Article 1er🔗
Le Ministre d'État est invité à produire dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision l'extrait du procès-verbal de la délibération du Conseil de Gouvernement du 11 juillet 2018 relatif au choix de M. P.
Article 2🔗
Les dépens sont réservés.
Article 3🔗
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Note🔗
À rapprocher de la décision du 19 juin 2018. – NDLR.