Tribunal Suprême, 29 novembre 2018, Union des syndicats de Monaco, M. N.Y. et M. H.L. c/ État de Monaco

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours pour excès de pouvoir

Recours pour excès de pouvoir

Loi n° 459 du 19 juillet 1947 portant statut des délégués du personnel - Article 13-3, mise à la disposition d'un local pour les délégués du personnel - Disposition applicable aux établissements comportant plus de trois délégués - Lettre de la Direction du Travail - Absence de modification des dispositions législatives - Lettre dépourvue de caractère impératif et de sanction - Non constitutive d'un acte administratif faisant grief - Requête irrecevable

Procédure

Lettre de la Direction du Travail - Non constitutive d'un acte administratif faisant grief - Irrecevabilité de la requête


Motifs🔗

TRIBUNAL SUPRÊME

TS 2018-04

Affaire :

Union des syndicats de Monaco

M. N. Y.

M. H. L.

Contre :

Etat de Monaco

DECISION

Audience du 16 novembre 2018

Lecture du 29 novembre 2018

Recours en annulation de la décision administrative du Gouvernement Princier - Direction du Travail du 31 août 2017 refusant la mise à disposition d'un local aux délégués du personnel de l'Hôtel NOVOTEL MONTE- CARLO avec toutes les conséquences en découlant, ainsi que la condamnation de l'Etat de Monaco aux entiers dépens ;

En la cause de :

1°) L'Union des syndicats de Monaco, dont le siège social est sis à Monaco, 28 boulevard Rainier III, agissant par son Secrétaire général en exercice, Monsieur C. G., domicilié en cette qualité audit siège.

2°) Monsieur N. Y.

3°) Monsieur H. L.

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, Avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice ;

Contre :

L'Etat de Monaco représenté par Son Excellence Monsieur le Ministre d'Etat, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation de France.

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par l'Union des Syndicats de Monaco, Monsieur N.Y. et Monsieur H.L., enregistrée au Greffe général de la Principauté de Monaco le 2 novembre 2017 sous le numéro TS 2018-04, tendant à l'annulation de la décision administrative du Gouvernement Princier - Direction du Travail du 31 août 2017 de la Direction du travail refusant la mise à disposition d'un local aux délégués du personnel de l'hôtel NOVOTEL MONTE-CARLO, ainsi qu'à la condamnation de l'État de Monaco aux entiers dépens.

CE FAIRE,

Attendu, selon la requête, que, par lettre du 23 mars 2017 Monsieur Y., délégué titulaire du personnel de l'hôtel NOVOTEL, a sollicité l'intervention d'un inspecteur du travail pour, entre autres, contraindre son employeur à mettre un local à disposition des six délégués du personnel de l'hôtel, composés de trois titulaires et de trois suppléants, en application de l'article 13 de la loi n° 459 du 19 juillet 1947 ; qu'il lui a été répondu que cet article n'exigeait la mise à disposition d'un local que pour les établissements comportant plus de trois délégués titulaires du personnel ; que l'Union des Syndicats de Monaco, estimant que le texte ne distingue pas entre les délégués du personnel, titulaires ou suppléants, a, par courrier du 3 juillet 2017, contesté cette interprétation auprès de l'Inspection du Travail et demandé que l'employeur soit obligé à mettre un local à disposition des délégués du personnel ; mais que, par lettre du 31 août 2017, l'Inspecteur Principal du Travail a confirmé la lecture faite du texte comme conforme à l'esprit du texte et à sa logique binaire ;

Attendu que les requérants soutiennent que cette interprétation restrictive, qui exclue les suppléants du décompte des délégués du personnel pris en compte pour la mise à disposition d'un local syndical et les cantonne à un rôle de délégué « bis » dans l'attente de la cessation de fonctions du titulaire, viole l'alinéa 3 de l'article 13 pour méconnaître l'esprit de la loi, laquelle, d'une part, ne distingue pas entre délégués du personnel, sauf pour déterminer le quantum de délégués à élire en fonction du nombre de salariés de l'entreprise, et, d'autre part, offre la même protection aux délégués titulaires et aux suppléants en cas de licenciement ; qu'ils font valoir, de plus, qu'elle n'est pas conforme à l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour entraver l'exercice du droit syndical en portant atteinte à la liberté de se réunir pour défendre ses intérêts professionnels, alors que dans le pays voisin l'absence de mise à disposition d'un local syndical par l'employeur constitue un délit d'entrave ;

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe général de la Principauté de Monaco le 5 janvier 2018, par laquelle le Ministre d'État conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête dirigée contre un courrier qui ne modifie pas l'ordonnancement juridique, faute d'être dirigée contre une décision faisant grief, et subsidiairement au rejet de la requête ;

Attendu que le Ministre d'État fait observer, d'une part, que le seul rôle du suppléant est celui de remplaçant, temporaire ou définitif, que pour cette raison les missions dont sont investis les délégués du personnel (article 2 de la loi) et les heures de délégation dont ils bénéficient (article 13, al. 1er) ne concernent que les délégués titulaires et ne sont, que par exception, applicables à leurs suppléants, et, d'autre part, que la circonstance que l'alinéa 3 de l'article 13 fixe un seuil - impair - de trois délégués pour la mise à disposition d'un local syndical implique nécessairement que les délégués à prendre en compte pour atteindre ce seuil sont les seuls titulaires et non le nombre constitué par la somme, forcément paire, de l'ensemble des délégués de l'établissement, chaque titulaire ayant un suppléant ;

Attendu que le Ministre d'État expose ensuite que n'est pas pertinente la référence à une législation qui diffère de la législation monégasque, qu'il n'existe aucune entrave à l'exercice du droit syndical, car la restriction apportée pour les petites entreprises par le texte critiqué n'empêche pas les délégués de se concerter et relève de la marge d'appréciation laissée par la Cour européenne des droits de l'homme aux États signataires ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe général le 6 février 2018 par laquelle les requérants tendent aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ; qu'ils ajoutent que la requête dirigée contre un courrier d'une autorité administrative qui a pour conséquence de modifier les dispositions de l'alinéa 3 de l'article 13 de la loi de 1947 est recevable ; qu'elle est aussi fondée car les suppléants, qui bénéficient comme les titulaires d'une protection contre le licenciement, ne sont pas inactifs, pouvant assister aux réunions avec la direction et assister les salariés, alors que le seuil qui leur est opposé de trois délégués titulaires ne vise qu'à soustraire petites et moyennes structures à l'obligation de mise à disposition d'un local en méconnaissance de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sur le droit à la liberté de réunion, alors même que la Charte sociale européenne, signée et non ratifiée, dispose que l'exercice effectif du droit des travailleurs doit être approprié à l'importance et aux possibilités de l'entreprise concernée ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe général le 6 mars 2018, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que dans la contre-requête ; qu'il précise, sur la recevabilité, que le caractère décisoire d'un acte s'évince de sa nature intrinsèque, de son caractère contraignant et non de ses éventuelles conséquences et qu'en l'espèce la position de l'Inspection du travail s'assimile à une recommandation sans caractère contraignant ; qu'il fait observer, sur le fond, qu'en fixant de manière générale les missions des délégués du personnel le législateur a visé exclusivement les délégués titulaires, seuls en capacité de les exercer et que l'identité de protection des titulaires et suppléants en cas de licenciement se justifie par le fait qu'ils sont tous deux issus d'une élection professionnelle et non par une identité de fonction ; qu'il souligne, enfin, que la Charte sociale européenne n'a pas été ratifiée ;

SUR CE,

Vu la lettre attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90-B ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu la Loi n° 459 du 19 juillet 1947 portant statut des délégués du personnel ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, notamment son article 11 ;

Vu l'Ordonnance du 6 novembre 2017 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Membre suppléant, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 15 mars 2018 ;

Vu l'Ordonnance du 3 octobre 2018 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 16 novembre 2018 ;

Ouï Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï le Procureur Général en ses conclusions ;

Ouï Maître Aurélie SOUSTELLE, Avocat au barreau de Nice pour l'Union des Syndicats de Monaco, Monsieur N.Y. et Monsieur H.L. ;

Ouï Maître François MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France pour l'État de Monaco ;

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ :

Considérant que la requête tend à l'annulation pour excès de pouvoir de la lettre du 31 août 2017 de la Direction du travail relative à l'application de l'article 13 de la Loi n° 459 du 19 juillet 1947 portant statut des délégués du personnel ;

Considérant qu'il ressort de la lettre attaquée que, dans le cadre de l'examen des observations faites par M. Y., délégué du personnel de l'hôtel NOVOTEL MONTE-CARLO, reprises par l'Union des Syndicats de Monaco, sur l'absence d'application par cet établissement des prescriptions de la loi précitée, la Direction du travail leur a répondu que l'alinéa 3 de l'article 13 de ladite loi n'exigeait la mise à disposition par l'employeur d'un local que pour les établissements comportant plus de trois délégués titulaires du personnel ; que cette lettre n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier les dispositions législatives sus rappelées ; qu'elle n'a pas de caractère impératif et n'est assortie d'aucune sanction ; que, par suite, elle ne constitue pas un acte administratif faisant grief ; que, dès lors, la requête n'est pas recevable ;

Dispositif🔗

DÉCIDE :

Article 1er : La requête est rejetée.

Article 2 : Les dépens sont mis à la charge de l'Union des Syndicats de Monaco, de M. Y. et de M. L.

Article 3 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition🔗

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Président, Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-Président, Mesdames Martine LUC-THALER, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, membre titulaire, Magali INGALL-MONTAGNIER, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, rapporteur, et Monsieur Guillaume DRAGO, membres suppléants,

et prononcé le vingt-neuf novembre deux mille dix-huit en présence du Ministère Public, par Monsieur Didier LINOTTE, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Greffier en Chef.

Le Greffier en Chef, Le Président,

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