Tribunal Suprême, 4 juillet 2012, V. T., divorcée G. c/ État de Monaco

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif. Recours en annulation. Acte administratif individuel.

Recours pour excès de pouvoir

Étranger. Décision administrative de refus d'abroger la mesure de refoulement du territoire monégasque.

Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs. Mention des faits imputés à la requérante et considérations de droit fondant la décision administrative.

Erreur manifeste d'appréciation (non).

Recours en indemnisation

Rejet de la requête aux fins d'annulation.

Rejet corrélatif de la requête aux fins d'indemnisation.


Motifs🔗

Principauté de Monaco

TRIBUNAL SUPRÊME

__________

TS 2012-05

Affaire :

v. TE. DI CR.,

Divorcée GA.

Contre

ÉTAT DE MONACO

DÉCISION

Audience du 27 juin 2012

Lecture du 4 juillet 2012

Requête de Madame v. TE. DI CR., divorcée GA., tendant à l'annulation de la décision prise par le Ministre d'État de Monaco le 17 octobre 2011 et par laquelle il rejette la demande d'abrogation de la mesure de refoulement du territoire de la Principauté dont la requérante a fait l'objet en date du 4 mars 2010.

En la cause de :

- Madame v. TE. DI CR., divorcée GA., née le 24 mars 1975 à AMBILLY (74), de nationalité française, demeurant et domiciliée à Menton, X1, 06500,

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, Avocat- défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître François SANTINI, Avocat au Barreau de Nice,

Contre :

- L'ÉTAT DE MONACO, pris en la personne de S. E. M. le Ministre d'Etat de la Principauté de Monaco, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO, près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation de France.

Le Tribunal Suprême,

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête de Madame V. T., divorcée G., de nationalité française, enregistrée au Greffe général le 14 décembre 2011 par Me Joëlle PASTOR-BENSA, Avocat-défenseur, tendant à l'annulation de la décision prise par le Ministre d'État de Monaco le 17 octobre 2011 et par laquelle il rejette la demande d'abrogation de la mesure de refoulement du territoire de la Principauté dont la requérante a fait l'objet en date du 4 mars 2010.

Ce faire :

Attendu que Madame V. T. divorcée G. a occupé les fonctions de secrétaire sténo-dactylographe au Service d'Honneur de S.A.S. le Prince Souverain jusqu'au 8 juin 2007 et a été nommée, par Ordonnance souveraine n° 2.211 du 8 juin 2009, attaché principal auprès de S.A.S. la Princesse Stéphanie, et titularisée dans le grade correspondant ;

Attendu que, le 17 décembre 2009, elle a été informée, après entretien avec le Directeur des Ressources Humaines et de la Formation de la Fonction Publique, qu'elle ferait l'objet d'une mutation à un nouveau poste dans l'Administration ; que, par décision du 4 janvier 2010, elle a été affectée au Centre de vaccination contre la grippe A ;

Attendu que le 18 février 2010 une plainte a été déposée à l'encontre de Madame V. T. divorcée G. auprès des services de police monégasques ; que dans cette plainte, Madame C. P., épouse B., secrétaire particulière de S.A.S. la Princesse Stéphanie, et par ailleurs gérante du « Café du Cirque », dénonçait des faits de faux en écriture privée, de commerce ou de banque et usage de faux, commis par V. T. divorcée G., qui avait imité sa signature pour embaucher du personnel et souscrire des contrats d'abonnement téléphonique ;

Attendu que, par décision du 4 mars 2010, le Ministre d'État a pris à l'encontre de V. T. divorcée G., ressortissante française, une mesure de refoulement du territoire monégasque ;

Attendu qu'en conséquence de cette mesure qui impliquait la cessation des fonctions de l'intéressée, une Ordonnance souveraine n° 2.703 du 31 mars 2010 a abrogé l'Ordonnance souveraine n° 2.211 du 8 juin 2009 qui avait nommé Madame V. T. divorcée G., attaché principal ;

Attendu que Madame V. T. divorcée G., ayant été relaxée des poursuites dont elle faisait l'objet par jugement du Tribunal correctionnel de Monaco du 11 janvier 2011, confirmé par l'arrêt de la Cour d'appel de Monaco du 11 avril suivant, a sollicité, par lettre du 20 juin 2011, l'abrogation de la mesure de refoulement du territoire prise à son encontre ;

Attendu que par décision du 17 octobre 2011, le Ministre d'État a rejeté cette demande, qui est la décision déférée et dont la requête demande, outre l'annulation, l'indemnisation ;

Attendu que, sur la légalité externe, la décision attaquée est entachée d'un vice de motivation au titre de l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 ; qu'en effet la décision n'explique pas en quoi l'ordre public est troublé par les faits invoqués, par ailleurs non qualifiés par le juge pénal ;

Attendu, quant au fond, que la décision déférée est en entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des nécessités de l'ordre public ; qu'il en résulte par conséquent une erreur de droit issue d'une inexactitude matérielle des faits servant de base à la position du Ministre d'État ;

Attendu que les conclusions à fin d'indemnisation sont justifiées par les différents préjudices à elle causés par la mesure de refoulement, tant sur les plans matériels que neuropsychiatriques, qui entraîneront la condamnation de l'État à lui verser trois millions d'euros en réparation de son préjudice matériel et moral ;

Vu la contre-requête enregistrée au Greffe général le 15 février 2012, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ;

Attendu en premier lieu que doit être rejeté le grief tiré du défaut ou de l'insuffisance de motivation de la mesure attaquée ; que le moyen manque en fait ; que les faits reprochés sont de nature à faire regarder la présence de la requérante sur le territoire monégasque comme créant un risque pour la sécurité et la tranquillité tant publiques que privées ;

Attendu que la décision refusant d'abroger son refoulement n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation ; que l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration qu'en ce qui concerne les constatations de fait opérées par les juges répressifs et que la circonstance qu'à la date de la décision querellée la Cour d'appel de Monaco avait par arrêt devenu définitif confirmé la relaxe de la requérante n'est pas, par elle-même, de nature à faire regarder cette décision comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Attendu que doit aussi être rejeté le moyen tiré de l'erreur de droit invoquée à l'appui de l'argumentation de Madame T. ; que les faits invoqués, même non sanctionnés par le juge répressif, n'en traduisent pas moins un comportement inadmissible de la part d'un ressortissant étranger autorisé à exercer une activité professionnelle, qui plus est au sein de la Maison Souveraine ; Que le fait d'imiter une signature, abstraction faite de toute qualification pénale, portant atteinte à la « foi publique » compromet la « sécurité et la tranquillité tant publique que privée » ;

Attendu que le rejet des conclusions à fin d'annulation entraînera le rejet consécutif de l'indemnisation ; qu'en outre la décision éventuellement génératrice de préjudice n'est pas la décision attaquée mais la mesure du 4 mars 2010 qui n'a pas été attaquée en son temps ;

Vu la réplique enregistrée au Greffe général le 15 mars 2012 par laquelle la requérante entend d'abord réitérer qu'est fondé le grief relatif au défaut ou à l'insuffisance de motivation de la décision attaquée, sur le fondement de l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 ;

Attendu que la décision litigieuse, faute d'indiquer précisément en quoi la présence de la requérante sur le territoire monégasque est constitutive d'un trouble de l'ordre public est, par voie de conséquence, entachée d'une inexacte appréciation matérielle des faits, d'une erreur manifeste d'appréciation et, par voie de conséquence, d'une erreur de droit ;

Attendu qu'en dernier lieu, qu'il y a lieu de rejeter l'argumentation du Ministre d'État selon laquelle le lien de causalité entre la décision contestée et le préjudice subi ferait défaut ; que le placement de la requérante en congé de maladie date en effet du 17 décembre 2009 et que les différentes mutations dont elle a fait l'objet depuis, son appartenance à la Maison Souveraine ont cessé par Ordonnance souveraine du 31 mars 2010 ;

Vu la duplique enregistrée au Greffe général le 17 avril 2012 rejetant d'abord le moyen relatif à l'insuffisance de motivation, relevant que la décision attaquée énonce les faits précis de nature à occasionner le trouble à l'ordre public, satisfaisant par suite aux exigences de la loi ;

Attendu que, sur le fond, les moyens de la requérante tirés de l'erreur dans l'interprétation de la matérialité des faits servant de base à la mesure déférée doivent être rejetés ;

Qu'enfin, la demande d'indemnisation ne peut être accueillie dès lors qu'elle se fonde sur l'illégalité alléguée, par la voie de l'exception, des décisions de mutation du 4 janvier 2010 et de mise à fin de fonction du 31 mars 2010, mais non, contrairement aux dispositions de l'article 90 B.1° de la Constitution sur le dommage occasionné directement par l'acte attaqué.

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90-B.1° ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la Loi n° 1.312 du 29 juin 2006, relative à la motivation des décisions administratives ;

Vu l'Ordonnance du 23 décembre 2011 par laquelle Monsieur le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Didier LINOTTE, membre titulaire, en tant que rapporteur de l'affaire ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 25 avril 2012 ;

Vu l'Ordonnance du 3 mai 2012 par laquelle Monsieur le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du mercredi 27 juin 2012, à 14 h 30 ;

Ouï Monsieur Didier LINOTTE, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître François SANTINI, Avocat au Barreau de Nice, pour Madame V. T. divorcée G. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de Cassation de France, pour l'État de Monaco ;

Ouï Monsieur Le Procureur général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré,

Considérant que Madame T., divorcée G. attaque la décision du 17 avril 2011 par laquelle le Ministre d'État a rejeté sa demande d'abrogation de la mesure de refoulement dont elle a fait l'objet le 4 mars 2010 et sollicite la condamnation de l'État à lui verser une indemnité de trois millions d'euros ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

Considérant que la décision attaquée du Ministre d'État de la Principauté de Monaco en date du 17 octobre 2011 mentionne les faits imputés à la requérante d'imitation de signature, ainsi que les considérations de droit ayant conduit l'administration à qualifier le trouble à l'ordre public ; que par conséquent ladite décision a satisfait à l'obligation de motiver imposée par la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 ; que le grief de ce chef sera donc rejeté ;

Considérant que la décision attaquée est motivée par la considération que, en ayant imité des signatures, Madame T., divorcée G., alors membre de la Maison Souveraine, a troublé l'ordre public, pour avoir porté atteinte à la foi publique et ainsi compromis « la sécurité et la tranquillité tant publique que privée » ; que cette appréciation du Ministre d'État n'est pas entachée d'une erreur manifeste.

Sur la demande d'indemnité :

Considérant qu'il résulte de l'article 90-B-1e de la Constitution que le rejet des conclusions à fin d'annulation entraîne par voie de conséquence celui des conclusions à fins indemnitaires ;

Dispositif🔗

DÉCIDE :

Article 1er🔗

La requête de Madame V. T. divorcée G. est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens seront supportés par Madame V. T. divorcée G.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition🔗

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Monsieur Hubert CHARLES, commandeur de l'ordre de Saint-Charles, président, Monsieur Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, vice-président, Monsieur José SAVOYE, Monsieur Didier LINOTTE, chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, rapporteur, membres titulaires, et Monsieur Frédéric ROUVILLOIS, membre suppléant,

et prononcé le quatre juillet deux mille douze en présence du Ministère Public par Monsieur Hubert CHARLES, commandeur de l'ordre de Saint-Charles, Président, assisté de Madame Béatrice BARDY, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, greffier en chef.

Le Greffier en Chef, Le Président,

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