Tribunal Suprême, 4 juillet 2012, Sieur N. ou N. c/ État de Monaco

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif. Recours en annulation. Acte administratif individuel.

Recevabilité

Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême, article 17. Code de procédure civile, articles 970 et 971.

Délai du dépôt de la contre-requête fixé à deux mois. Contre requête déposée dans le délai légal. Recevabilité.

Procédure

Mesure d'instruction. Communication à la juridiction d'une pièce nécessaire à l'instruction. Arrêt avant-dire droit.


Motifs🔗

Principauté de Monaco

TRIBUNAL SUPRÊME

__________

TS 2012-03

Affaire :

m. NE.

Contre :

ÉTAT DE MONACO

DÉCISION

Audience du 26 juin 2012

Lecture du 4 juillet 2012

Recours en annulation du refus opposé le 13 septembre 2011 par S. E. M. le Ministre d'État à la demande du 10 mai 2011 sollicitant l'abrogation de la mesure de refoulement du territoire monégasque prononcée à l'encontre de M. m. NE. par décision ministérielle n° 60-90 du 21 novembre 2006.

En la cause de :

- M. m. NE., ou NE., né le 18 décembre 1963 à SAINT-PETERSBOURG (Russie), de nationalité suisse, ayant demeuré et domicilié à OBERGERI (Suisse) X1,

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur.

Contre :

- L'ETAT DE MONACO, pris en la personne de S. E. M. le Ministre d'État de la Principauté de Monaco, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO, près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France.

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête présentée par M. m. NE., enregistrée au Greffe général le 11 novembre 2011 tendant à l'annulation du refus d'abrogation opposé le 13 septembre 2011 par S.E. M. le Ministre d'État de la décision ministérielle n° 60-90 du 21 novembre 2006, notifiée le 10 février 2006, de le refouler du territoire de la Principauté de Monaco.

Ce faire :

Attendu que Mme O. KI., de nationalité russe, épouse divorcée du requérant, décidait de s'installer à Monaco et d'y scolariser leurs deux enfants communs, M. et A., postérieurement au jugement de divorce rendu par le Tribunal Matrimonial de Moscou le 6 septembre 2001 ;

Que m. NE., né de parents russes à SAINT-PETERSBOURG, a déménagé avec sa mère aux États-Unis à l'âge de 12 ans où il a débuté à New-York sa carrière professionnelle comme courtier dans le domaine des matières premières pétrolières, après sa double diplômation (ingénieur en électricité et master d'économie) par l'Université de Pennsylvanie ;

Que successivement naturalisé américain, puis suisse, il quittait cet emploi pour créer, 14 ans plus tard, en 2005, sa propre entreprise dans le domaine de l'immobilier et des nouvelles technologies de l'information ;

Que désormais le requérant a un bureau secondaire à Kiev (Ukraine) et son bureau principal à Moscou (Russie) où il vit actuellement avec sa seconde épouse dont il a eu également deux enfants.

Attendu qu'au cours d'une visite à Monaco à ses enfants du premier lit, il a été interpellé par les Agents de la Direction de la Sûreté Publique et s'est vu notifier le 10 février 2007 une décision de refoulement du territoire de la Principauté prise le 21 novembre 2006.

Attendu que cette décision de M. le Ministre d'État était motivée par « les mauvais renseignements » qui auraient été recueillis, le procès-verbal de notification ne comportant quant à lui aucune explication ou motivation ; que confronté à ce refus d'explication M. m. NE., par courrier du 5 décembre 2007, saisissait M. le Ministre d'État d'un recours gracieux afin d'obtenir l'abrogation de la décision administrative de refoulement prise à son encontre ; que par lettre du 15 janvier 2008, M. le Ministre d'État opposait un refus « eu égard aux mauvais renseignements recueillis…  ». Attendu que par requête enregistrée au Greffe général du Tribunal Suprême le 13 mars 2008, le requérant sollicitait l'annulation de la décision du 15 janvier 2008 ; que le Tribunal Suprême rejetait celle-ci dans un jugement du 16 février 2009 estimant que l'article 5, alinéa 2 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 permettait de ne pas motiver les décisions administratives individuelles lorsque la motivation serait de nature à porter atteinte à la recherche par les services compétents de faits susceptibles d'être poursuivis au titre d'une affaire de blanchiment de capitaux, ajoutant qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que les faits évoqués par le Ministère d'État aient été matériellement inexacts.

Attendu que par lettre en date du 10 mai 2011, l'exposant sollicitait l'abrogation de la décision de refoulement du 21 novembre 2006 en considérant que la motivation qui lui avait été opposée était infondée d'une part, et que d'autre part le temps écoulé ne permettait plus de maintenir son refoulement ; que cette nouvelle demande se vit opposer un nouveau refus par lettre de M. le Ministre d'État en date du 13 septembre 2011 au visa des dispositions de l'article 5 de la loi n° 1312 du 29 juin 2006, refus dont le Tribunal Suprême était saisi par requête enregistrée au Greffe général le 11 novembre 2011.

Attendu qu'à titre liminaire il est sollicité du Tribunal Suprême une mesure d'instruction de nature à lui permettre de vérifier l'intégralité des motifs de droit et de fait ayant conduit l'Administration à prendre sa décision de refoulement et, en particulier, « les mauvais renseignements » dont le bien-fondé est formellement contesté.

Attendu qu'il que le rejet de la demande d'abrogation de la décision de refoulement du 21 novembre 2006 devait comporter une motivation, en application de l'article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques rendu exécutoire par l'Ordonnance souveraine n° 1330 du 12 février 1998 ; que par motivation, la jurisprudence du Tribunal Suprême entend l'ensemble des considérations de droit et de fait constituant le fondement de la décision et non une simple motivation par référence (TS 9 novembre 1996 SCI La Résidence du Jardin Exotique) ; que M. le Ministre d'État ne pourra se soustraire à une telle obligation que si une éventuelle raison impérieuse de sécurité nationale s'opposait à ce que le motif soit mentionné dès lors qu'il est constant, et non contesté, que M. m. NE. n'a fait l'objet d'aucune condamnation quelconque et qu'il ne figure, ni comme inculpé, ni comme partie civile dans un dossier ouvert à MONACO ou ailleurs, comme en témoignent ses casiers judiciaires suisse et russe ; que dès lors la décision querellée est entachée d'un vice de forme résultant de son absence de motivation et sera de ce chef annulée.

Attendu que sur la légalité interne la décision attaquée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle a été prise selon des considérations de fait erronées ; qu'en effet, en se référant aux dispositions de l'article 5 de la loi n° 1.312 en date du 29 juin 2006, elle renvoie implicitement à l'instruction ouverte contre X en Principauté sous le numéro B 08/06 des chefs d'association de malfaiteurs et de blanchiment de capitaux mentionnés dans le jugement du Tribunal Suprême du 16 février 2009, laquelle n'a manifestement pas abouti alors même que la présomption d'innocence demeure le principe.

Attendu en effet qu'aucun élément ne permet d'établir un quelconque lien entre m. NE. et des éventuelles affaires de blanchiment de capitaux, d'association de malfaiteurs ou de tout autre infraction ; que cette procédure contre X était probablement dirigée contre son ex beau-père Oleg KI., avec lequel le requérant n'entretient plus aucune relation depuis de nombreuses années dès lors qu'il est divorcé depuis plus de 10 ans de la dénommée o. KI. ; que si le requérant avait été impliqué, même de manière indirecte, dans une infraction de nature à porter atteinte à la sécurité publique, les autorités n'auraient pas manqué de le relever, compte tenu du long délai écoulé entre la décision de refoulement prise en novembre 2006 et la décision attaquée du 13 septembre 2011.

Attendu de plus fort que le requérant n'a jamais fait l'objet d'aucune condamnation, même mineure, où que ce soit, et qu'aucun élément matériel ne vient ternir l'intégrité et la moralité de M. m. NE. ; qu'au contraire, il produit de nombreuses attestations, tant de personnes proches de lui dans sa vie professionnelle ou personnelle que de ses conseils français comme britannique ; qu'il en résulte que l'État de Monaco fonde sa décision de rejet de la demande d'abrogation sur de simples suspicions péremptoires et infondées caractéristiques de l'erreur manifeste d'appréciation.

Attendu enfin qu'aux termes de l'article 90 B de la Constitution, le Tribunal Suprême qui statue en matière administrative sur les recours en annulation pour excès de pouvoir connaît également des demandes indemnitaires qui en résultent ; que la décision administrative de refoulement dont le requérant a fait l'objet a causé à ce dernier un préjudice moral certain, à raison en particulier de la particulière brutalité des conditions de notification de la décision de refoulement ;

Qu'en effet, l'exposant s'est vu interpelé, sans aucune explication, alors qu'il se promenait avec sa fille alors âgée de 11 ans Avenue Princesse Grace à Monaco ; qu'il lui a été refusé de la faire raccompagner à son domicile par sa nurse et qu'elle a dû, au contraire, subir l'ensemble de la procédure menée par les Services de la Sécurité Publique ; attendu qu'à l'incontestable traumatisme psychologique provoqué chez cette dernière s'ajoute l'humiliation causée à M. m. NE., sur le fondement d'une décision au demeurant illégale, ce qui justifie l'ouverture d'un droit à une légitime réparation ; qu'à ce titre il est sollicité l'euro symbolique à titre de dommages et intérêts.

Vu la contre-requête enregistrée le 16 janvier 2012 au Greffe général par laquelle S.E. le Ministre d'État commence par rappeler que M. m. NE. a fait l'objet le 21 novembre 2006, en même temps que son ancienne épouse, o. KI., d'une décision de refoulement du territoire monégasque, les renseignements recueillis à l'époque par les Services de Police ayant révélé que les conditions d'installation de Mme o. KI. sur le territoire de la Principauté de Monaco étaient suspectes ; que dès lors avait été ouverte une information judiciaire contre X… des chefs d'association de malfaiteurs et blanchiment portant notamment sur les transferts de fonds occultes réalisés à son profit, avec le concours de son père, M. Oleg KI., homme d'affaires en relation avec le crime organisé en Russie, mais également avec le concours de son ex-mari, M. m. NE., tous deux, le père et l'ex-mari, étant connus des services de police et d'Interpol pour leurs accointances avec les milieux de la mafia russe ;

Que Mme o. KI. a déféré la décision la refoulant du territoire monégasque à la censure du Tribunal Suprême, lequel a rejeté sa requête par décision du 27 juin 2007 ; que, lors de cette instance, Mme le Procureur général avait pris des conclusions écrites confirmant que le Parquet général avait décidé de requérir l'ouverture d'une information judiciaire contre X des chefs d'association de malfaiteurs et blanchiment ;

Que si, pour sa part, M. m. NE. n'a pas déféré au Tribunal Suprême sa décision de refoulement, il en a sollicité l'abrogation par lettre du 5 décembre 2007, rejetée le 5 juillet 2008 par S.E. M. le Ministre d'État ; que saisi de ce rejet, le Tribunal Suprême rejetait la requête par décision du 16 février 2009 ;

Que par lettre du 10 mai 2011, M. m. NE. sollicitait de nouveau l'abrogation de la décision de refoulement du 21 novembre 2006 au motif que « le temps écoulé  » ne justifiait plus le maintien de la mesure de refoulement ; que cette demande était rejetée par décision de S.E. le Ministre d'État le 13 septembre 2011, ce dont a été saisi le Tribunal Suprême, M. m. NE. sollicitant en outre la condamnation de l'État de Monaco au paiement de l'euro symbolique à titre de dommages et intérêts.

Attendu que la mesure d'instruction sollicitée à titre liminaire par M. m. NE. pour connaître les motifs sur lesquels s'est fondé le Ministre d'État est dépourvue d'objet dès lors que ce dernier s'est expressément fondé sur l'article 5 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs pour ne pas donner à sa décision une motivation de nature à porter atteinte à la recherche, par les Services compétents, de faits susceptibles d'être poursuivis au titre du blanchiment des capitaux ; que la présente contre-requête énonce de façon suffisante les motifs pour lesquels le Tribunal Suprême a refusé de faire droit à la demande d'abrogation ; que le Tribunal Suprême a déjà rejeté, dans des conditions comparables, par sa décision du 16 février 2009, la demande de mesure d'instruction sollicitée par M. m. NE..

Attendu qu'au titre de la légalité externe M. m. NE. reproche à la décision attaquée d'être entachée d'un défaut de motivation, laquelle s'imposerait au vu des dispositions de l'article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; qu'en tout état de cause, aucun motif impérieux, de sécurité nationale n'empêcherait cette motivation dès lors qu'il n'a jamais fait l'objet de la moindre condamnation à Monaco ou à l'étranger ; attendu que ce grief est doublement inopérant dès lors que le Tribunal Suprême a déjà jugé (17 juin 2008 MF L.) que l'article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne s'appliquait qu'aux étrangers se trouvant de façon régulière sur le territoire, ce qui n'est pas le cas de l'étranger qui a fait l'objet d'une décision de refoulement.

Attendu ensuite que l'article 5 de la loi n° 1312 du 29 juin 2006 dispense de motivation lorsque celle-ci serait de nature à porter atteinte à la recherche par les services compétents de faits susceptibles d'être poursuivis en matière fiscale, douanière ou au titre du blanchiment de capitaux ou contre le financement du terrorisme ; qu'en faisant application de ces dispositions, le Tribunal Suprême considère qu'une décision portant refus d'abrogation d'une mesure de refoulement n'a pas à être motivée lorsque la mesure de refoulement est intervenue pour des raisons liées au blanchiment de capitaux, soit parce que la motivation serait de nature à porter atteinte à la recherche de faits répréhensibles par les services compétents (TS N. 16 février 2009), soit plus généralement pour des raisons de sécurité intérieure et extérieure de l'État (TS 29 novembre 2010 T.) ; que dès lors la décision refusant d'abroger la mesure de refoulement n'avait pas à être motivée sans que puisse y faire obstacle l'absence de condamnation pénale de l'intéressé en Suisse comme en Russie ou le fait qu'il ne figure, ni comme inculpé, ni comme partie civile dans les dossiers ouverts sur Monaco.

Attendu qu'au titre de la légalité interne, M. m. NE. reproche à la décision attaquée d'être entachée d'erreur manifeste d'appréciation pour être fondée sur des faits matériellement inexacts ; qu'il fait valoir que désormais remarié il n'a fait l'objet d'aucune condamnation, même mineure, et produit des attestations de moralité émanant notamment de ses avocats en Grande-Bretagne et en France, ce dont il déduit que la décision attaquée serait fondée sur de simples suspicions péremptoires et infondées, caractéristiques de l'erreur manifeste d'appréciation.

Attendu, que selon la jurisprudence du Tribunal Suprême, le refus d'abrogation d'une mesure de refoulement est légalement fondé lorsque le demandeur à l'abrogation n'est pas en mesure de faire valoir des éléments de faits nouveaux (TS 29 novembre 2010 T.) ; qu'en l'espèce, le Tribunal Suprême a déjà jugé que la mesure de refoulement dont M. m. NE. a fait l'objet le 21 novembre 2006 et à laquelle il a acquiescé en laissant cette mesure devenir définitive était justifiée par le transfert occulte de fonds réalisé au profit de son ancienne épouse (TS 16 février 2009 N.) ; que M. m. NE. n'a fait valoir aucun élément nouveau à l'appui de la nouvelle demande d'abrogation présentée le 11 mai 2011 ; que c'est de façon tout aussi inopérante qu'il invoque le temps écoulé depuis son refoulement, ainsi que la circonstance qu'il n'aurait fait l'objet d'aucune condamnation ; que pour autant, M. m. NE. n'a apporté aucun élément concret de nature à justifier qu'il soit mis fin à la mesure de refoulement ; qu'ainsi le refus d'abrogation ne repose pas sur des faits matériellement inexacts et n'est pas davantage entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

Attendu que le rejet des conclusions aux fins d'annulation entraînera par voie de conséquence le rejet des conclusions aux fins d'indemnité, quand bien même celles-ci se limitent à l'euro symbolique ;

Vu la réplique enregistrée le 15 février 2012 au Greffe général, par laquelle M. m. NE. poursuit les mêmes fins par les mêmes moyens y ajoutant l'irrecevabilité de la contre-requête présentée par l'État de Monaco le 16 janvier 2012, soit en violation du délai de 2 mois prescrit par l'article 17 de l'Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême, dès lors que la requête introductive a été enregistrée le 11 novembre 2011 ;

Attendu qu'en ce qui concerne la demande d'une mesure d'instruction enjoignant à l'État de Monaco de produire l'ensemble des raisons de fait et de droit motivant le rejet de la demande d'abrogation de la mesure de refoulement, c'est en vain que ledit État excipe de l'article 5 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 ; qu'en effet, si ledit article, permet à l'Administration dans certains cas particuliers de s'abstenir de mentionner les motifs fondant une mesure de refoulement, cela ne l'autorise pas pour autant à soustraire cet acte du contrôle du Juge ; qu'au surplus, ce n'est pas parce que le Tribunal Suprême, dans une décision remontant au 16 février 2009 dans le cadre d'une précédente instance, a refusé de faire droit à une demande de mesure d'instruction, qu'Il se serait privé d'exercer son contrôle sur une nouvelle demande ;

Attendu que c'est vainement que M. le Ministre d'État objecte que l'article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne s'applique pas à l'étranger se trouvant illégalement sur le territoire de Monaco puisqu'au moment de l'édiction de la décision querellée, M. m. NE. ne se trouvait pas sur le territoire de Monaco et n'a d'ailleurs pas eu connaissance de ladite décision ; qu'il n'y était pas davantage lors de la décision de rejet du 13 septembre 2011 à sa demande d'abrogation du 10 mai de la même année, puisqu'il n'est plus revenu en Principauté depuis le 10 février 2007, date à laquelle la mesure de refoulement lui était notifiée ; que dès lors, M. m. NE. peut bien se prévaloir de l'article 13 dudit Pacte international et voir examinées par le Juge les raisons ayant fondé son expulsion du territoire monégasque ;

Qu'en décider autrement serait de surcroît contraire au procès équitable garanti par les dispositions de l'article 6 de la Convention des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales.

Attendu que c'est de façon, tout aussi erronée, qu'il est soutenu en défense que l'article 5 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 dispense de motivation les actes administratifs lorsque celle-ci « serait nature à porter atteinte à la recherche, par les services compétents, de faits susceptibles d'être poursuivis… au titre du blanchiment de capitaux… » ; qu'en effet, tel n'est pas le cas de l'espèce dès lors que le requérant n'a jamais fait l'objet d'une quelconque condamnation pénale ; que son casier judiciaire n'en mentionne aucune à Monaco comme à l'étranger ; qu'il est en mesure de faire état de sa parfaite moralité et de son intégrité, et ce, depuis la date de la décision de refoulement initiale. Attendu que la décision attaquée est bien entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle est fondée sur des faits matériellement inexacts, n'ayant jamais été étayés, M. m. NE. n'ayant jamais été condamné, pour quelque infraction que ce soit, tant à Monaco qu'à l'étranger, avant le 21 novembre 2006 ; que depuis cette date, le concluant n'a jamais été inquiété par la Justice, et ce, en quelque pays que ce soit, la Principauté de Monaco étant le seul pays au monde ayant édicté à son encontre une telle mesure de refoulement ; qu'enfin, contrairement aux allégations de l'État, étayées par aucun élément concret, il n'a jamais été en relation d'affaires avec son ex beau-père, le dénommé KI. Oleg, pas même de manière indirecte, et qu'il est dès lors totalement étranger aux procédures dont ce dernier a pu faire l'objet.

Attendu qu'en refusant de communiquer les prétendus motifs justifiant le rejet de la demande d'abrogation, l'État de Monaco interdit à M. m. NE. de faire état de faits nouveaux de nature à justifier une mesure d'abrogation, puisque le requérant ignore même ce qui lui est reproché ;

Qu'enfin, l'État de Monaco ne peut prétendre que le requérant ait acquiescé à la mesure de refoulement dont il a été l'objet, dès lors qu'elle est intervenue à une date où il était en déplacement à l'étranger et qu'il n'a eu connaissance de celle-ci que le 10 février 2007, soit après l'expiration du délai de recours légal ;

Que dans ces conditions, il y a lieu de faire droit à sa demande d'annulation, et par voie de conséquence, de dommages et intérêts.

Vu la duplique, enregistrée le 16 mars 2012 au Greffe général, par laquelle S.E. M. le Ministre d'État persiste dans son argumentaire, y ajoutant que le moyen tiré de l'irrecevabilité pour tardiveté de sa contre-requête manque en fait dès lors que le délai de 2 mois fixé par l'article 17 de l'Ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 est un délai franc, décompté de quantième à quantième (TS 31 janvier 1975 GR W. ; TS 16 février 2009 N.) ; que la requête ayant été enregistrée le 11 novembre 2011, soit un vendredi, a été reçue par S.E. M. le Ministre d'État le mardi 15 novembre ; que le délai de production de la contre-requête expirait donc le 16 janvier 2012, date à laquelle elle a bien été déposée au Greffe général ;

Qu'il y a pas lieu par ailleurs, pour le Tribunal Suprême, d'ordonner une mesure d'instruction dès lors que l'Administration indique, de façon précise, les motifs pour lesquels elle refuse d'abroger le refoulement, faute pour M. m. NE. d'avoir présenté à l'appui de sa demande d'abrogation des éléments nouveaux qui auraient permis de modifier l'appréciation portée sur le comportement ayant justifié la mesure initiale de refoulement.

Attendu par ailleurs, que l'étranger qui a fait l'objet d'une mesure de refoulement du territoire n'est plus en situation régulière et ne peut, en conséquence, revendiquer l'application des dispositions de l'article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dont l'applicabilité ne dépend point de la présence ou de l'absence sur le territoire monégasque, mais de la régularité de la situation du requérant au jour de la décision attaquée ;

Qu'il a été précédemment jugé (TS 16 février 2009 N.) que dès lors qu'une mesure de refoulement est intervenue à raison de faits rentrant dans le champ d'application de l'article 5 (blanchiment de capitaux) de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 dispensant l'autorité administrative de motiver cette mesure, la décision ultérieure refusant l'abrogation du refoulement entre également dans le champ d'application de cet article et n'a donc pas, non plus, à être motivée.

Attendu que n'est pas sérieuse l'argumentation selon laquelle il serait contradictoire pour l'État de Monaco de ne pas motiver sa décision et, en même temps, de faire grief au requérant, qui ne saurait pas ce qui lui est reproché, de ne pas fournir d'éléments nouveaux modifiant l'appréciation portée sur son comportement ;

Qu'il n'est pas niable que les éléments fournis par M. m. NE., qui a fait l'objet d'une mesure de refoulement en raison de ses accointances avec les milieux de la mafia russe et des opérations de blanchiment d'argent auxquelles il se livrait avec son ex beau-père M. Oleg KI., également connu pour ses liens étroits avec le crime organisé russe, sont insuffisants, dès lors que, ni l'absence de condamnation pénale, ni le temps écoulé, ne suffisent à établir que M. m. NE. serait devenu un homme d'affaires dont la moralité et l'intégrité seraient parfaites ;

Que c'est d'ailleurs ce qu'avait expressément jugé le Tribunal Suprême au sujet de sa première demande d'abrogation de janvier 2008 et que M. m. NE. n'a invoqué aucun élément nouveau à l'appui de sa seconde demande d'abrogation du 11 mai 2011 de nature à établir qu'il aurait effectivement modifié son comportement ;

Que dès lors le refus d'abrogation de la mesure de refoulement ne repose pas sur des faits matériellement inexacts et n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, telle qu'amendée par le protocole n° 11 ainsi que son protocole additionnel n° 4 et l'Ordonnance n° 408 du 15 février 2006 qui les ont rendus exécutoires ;

Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l'Assemblée Générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et l'Ordonnance n° 1330 du 12 février 1998 qui l'a rendu exécutoire ;

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 1.352 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers ;

Vu l'Ordonnance du 17 novembre 2011 par laquelle M. le Président du Tribunal Suprême a désigné M. José SAVOYE, Membre Titulaire, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 26 avril 2012 ;

Vu l'Ordonnance du 3 mai 2012 par laquelle M. le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du mardi 26 juin 2012 ;

Ouï M. José SAVOYE, Membre Titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco pour M. m. NE. ;

Ouï Maître MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour l'État de Monaco ;

Ouï Monsieur le Procureur général en ses conclusions.

Après en avoir délibéré,

Sur la recevabilité de la contre-requête :

Considérant que l'article 17 de l'Ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 prévoit que la contre-requête doit être déposée dans les deux mois qui suivent la remise de la requête au défenseur, qu'il résulte des articles 970 et 971 du Code de Procédure Civile qu'il s'agit d'un délai franc ne comprenant pas le jour où il part (dies a quo), ni davantage le jour où il expire (dies ad quem) et qu'il est décompté de quantième à quantième ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que la requête introductive d'instance a été enregistrée le vendredi 11 novembre 2011 ; qu'il n'est pas établi qu'elle soit parvenue au Ministre d'État avant le mardi 15 novembre ; que dès lors la contre-requête enregistrée le 16 janvier 2012 n'est pas irrecevable ;

Sur la demande de prononcé d'une mesure d'instruction :

Considérant que, lors de l'audience du 26 juin 2012, le représentant de l'État a mentionné l'intervention d'une ordonnance de non-lieu sur l'information judiciaire contre X… citée tant dans la contre-requête que dans la duplique du Ministre d'État ;

Considérant qu'en ne produisant pas cette pièce, le Ministre d'État n'a pas mis le Tribunal Suprême à même d'exercer son contrôle ; qu'il y a lieu dès lors, en application de l'article 32 de l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée susvisée, de prescrire une mesure d'instruction ;

Dispositif🔗

DÉCIDE

Article 1er🔗

Le Ministre d'État est invité à produire dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision copie de l'ordonnance de non-lieu susvisée.

Article 2🔗

Les dépens sont réservés ;

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise à S.E. M. le Ministre d'État.

Composition🔗

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Hubert CHARLES, commandeur de l'ordre de Saint-Charles, président, Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, vice-président, Monsieur José SAVOYE, membre titulaire, rapporteur, Monsieur Frédéric ROUVILLOIS et Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, membres suppléants,

et prononcé le quatre juillet deux mille douze en présence de Monsieur Jean-Pierre DRÉNO, Procureur général par Monsieur Hubert CHARLES, commandeur de l'ordre de Saint-Charles, Président, assisté de Madame Béatrice BARDY, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, greffier en chef.

Le Greffier en Chef, le Président.

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