Tribunal Suprême, 4 juillet 2012, L. I. c/ État de Monaco

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif. Recours en annulation. Acte administratif individuel.

Recours pour excès de pouvoir

Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs.

Décision administrative non constitutive d'une sanction. Inapplicabilité de la loi.

Respect du principe du contradictoire.

Caractère incontestable des manquements mentionnés dans la décision administrative. Erreur de fait (non).

Absence de droit au renouvellement d'une mesure de bienveillance

Erreur de droit (non).

Recevabilité

Irrecevabilité de la requête dirigée contre une notification administrative de caractère confirmatif.

Recevabilité de la requête dirigée contre une notification administrative comportant des justifications nouvelles de la décision administrative

Procédure

Demande d'expertise médicale. Rejet de la demande en l'état des pièces jointes au dossier.

Recours en indemnisation

Rejet de la requête aux fins d'annulation.

Rejet corrélatif de la requête aux fins d'indemnisation.


Motifs🔗

Principauté de Monaco

TRIBUNAL SUPRÊME

__________

TS 2012-01

Affaire :

l. IA.

Contre :

ÉTAT DE MONACO

DÉCISION

Audience du 28 juin 2012

Lecture du 4 juillet 2012

Requête de Monsieur l. IA., tendant à l'annulation des décisions prises par la Direction des Ressources Humaines et de la Formation de la Fonction Publique en date des 2 et 11 août 2011 l'excluant de la Commission d'insertion professionnelle.

En la cause de :

- Monsieur l. IA., né le 13 décembre 1964 à Paris, de nationalité française, demeurant et domicilié X1, MC 98000 Monaco.

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Franck MICHEL, avocat-défenseur, désigné d'office par Ordonnance du Premier Président de la Cour d'appel en date du 8 novembre 2011.

Contre :

- L'ÉTAT DE MONACO, pris en la personne de S. E. M. le Ministre d'Etat de la Principauté de Monaco, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO, près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation de France.

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête de Monsieur L. I., enregistrée au Greffe général le 3 octobre 2011 par Monsieur le Bâtonnier Frank MICHEL, Avocat-défenseur, tendant à l'annulation des décisions prises par la Direction des Ressources Humaines et de la Formation de la Fonction Publique en date des 2 et 11 août 2011 l'excluant de la Commission d'insertion professionnelle.

Ce faire :

Attendu que Monsieur L. I., né le 13 décembre 1964 à Paris, de nationalité française, est marié depuis le 11 juillet 1997 à Madame G. M., de nationalité monégasque ;

Attendu que compte tenu de son état de santé, il a bénéficié de manière dérogatoire de l'assistance de la Commission d'insertion socio-professionnelle des Monégasques en difficulté (CISP) ;

Attendu que, dans ce cadre, en l'état des difficultés rencontrées dans les emplois qu'il a successivement occupés, le Département des Affaires Sociales et de la Santé lui a proposé, par courrier du 17 mai 2010, un nouveau contrat d'insertion socioprofessionnelle au sein du Centre Hospitalier Princesse Grace (CHPG), pour lequel le médecin du travail l'a estimé apte « à un poste en horaires réguliers de jour sans nuit, avec suivi médical et de l'éducateur spécialisé auprès du CISP – pas de travail seul  » ;

Attendu que Monsieur L. I. a donc signé un contrat d'insertion socioprofessionnelle d'une durée d'un an pour occuper un emploi d'imprimeur en surnombre au CHPG à compter du 6 septembre 2010, avec une période d'essai de trois mois ;

Attendu qu'à l'issue de la période d'essai, il est apparu que Monsieur L. I. ne respectait pas les obligations du contrat d'insertion ; Qu'à l'issue de la visite médicale ayant eu lieu le 9 décembre 2010, le médecin du travail a conclu à « l'inaptitude définitive à tout poste dans l'entreprise » ;

Attendu que tandis que Monsieur L. I. contestait cet avis d'inaptitude devant la Commission de recours de l'Office de la Médecine du Travail, une expertise a été sollicitée par le Conseiller de Gouvernement pour les Affaires Sociales et la Santé auprès de la Commission médicale du service des Prestations Médicales de l'État comme l'avait demandé le requérant par courrier du 10 décembre 2010 ; Que dans l'attente des résultats de cette expertise, sa rémunération a été maintenue ;

Attendu que 14 janvier 2011, la Commission de recours de l'Office de la Médecine du Travail a confirmé l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail, et le 3 mars suivant, le Docteur B., médecin expert de la Commission médicale du service des Prestations Médicales de l'État avait sollicité en qualité de sapiteur spécialisé, a conclu que : « M. L . I. n'est pas apte à exercer un emploi administratif d'employé de bureau, éventuellement chargé de l'accueil » ;

Attendu que dans ces conditions la Direction des Ressources Humaines et de la Formation de la Fonction Publique a, par lettre du 2 août 2011, rappelé à Monsieur L. I. qu'il n'était pas admis à reprendre son activité professionnelle au CHPG et que son engagement prendrait fin à la date contractuellement prévue du 5 septembre 2011 ; Qu'elle le lui a confirmé par lettre du 11 août 2011, et l'a informé qu'un nouveau contrat d'insertion socioprofessionnelle ne pourrait pas lui être proposé ;

Que les décisions des 2 et 11 août 2011 doivent être annulées et l'État condamné à payer à M. I. la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Attendu, au titre de la légalité externe, que les décisions attaquées sont insuffisamment motivées, en violation des dispositions de l'article 1er-5 de la loi n° 1312 du 29 juin 2006 tenant tant à l'absence de fondement juridique invoqué à l'appui des décisions que de l'indication des faits leur servant de base ;

Qu'a aussi été violé le principe du contradictoire en ne mettant pas Monsieur I. à même de faire valoir ses droits et en ne mettant pas à sa disposition les textes relatifs au fonctionnement de la Commission d'insertion professionnelle ;

Attendu que, sur la légalité interne, les décisions attaquées sont entachées d'une erreur de fait tenant aux manquements invoqués par l'Administration à l'appui de ses décisions et non explicité par elle, ainsi qu'à une confusion entre cette qualification de manquements professionnels, qui relèveraient plutôt de l'inaptitude médicale du requérant, laquelle n'est pas établie ; que les décisions attaquées sont affectées d'une discrimination opérée par l'Administration à l'encontre de Monsieur I., en raison de son état de santé ;

Attendu que le requérant a subi un important préjudice du fait des décisions attaquées ; qu'il y a donc lieu de prononcer la réintégration de Monsieur I. au sein de la Commission d'insertion professionnelle et de condamner l'État à payer à Monsieur L. I. la somme de 150 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi, la somme de 5 000,00 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi qu'à supporter les entiers frais et dépens.

Vu la contre-requête enregistrée au Greffe général le 7 décembre 2011 concluant au rejet de l'ensemble des moyens précités au motif, tout d'abord, en ce qui concerne la légalité externe, que la décision du 11 août 2011 ne constitue pas une décision qui « retire ou abroge une décision créatrice de droits » au sens de l'article 1er-5 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006, et n'avait donc pas à être motivée ; que la décision en cause comporte une motivation dont le requérant ne pouvait ignorer le contenu ; que le dossier contient un ensemble de pièces qui établissent que Monsieur I. a été mis à même de présenter ses observations à la fois sur les reproches adressés et sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail ; que la mise à disposition des textes régissant le fonctionnement de la Commission d'insertion n'est pas une condition du respect du principe du contradictoire ;

Attendu que, quant à la légalité interne, doit être rejeté le moyen tiré de ce que les décisions attaquées seraient fondées non sur le comportement fautif du requérant mais sur son inaptitude d'un point de vue médical ; qu'elles relèvent des fautes de comportement leur procurant une base légale ; qu'il n'y a eu aucune discrimination liée à l'état de santé de Monsieur L. I. ;

Vu la réplique enregistrée au Greffe général le 12 janvier 2012 par laquelle le requérant entend d'abord réitérer son argumentation portant sur le défaut ou à l'insuffisance de motivation ; qu'il existe une contradiction dans les écritures du défendeur qui tiendrait à ce que la décision n'avait pas à être motivée tout en estimant qu'elle l'était quand même ; que par ailleurs la décision attaquée retirant au requérant le bénéfice des dispositions protectrices de la CISP présente bien le caractère d'une décision retirant ou abrogeant une décision créatrice de droit, et comme telle soumise à l'obligation de motivation ;

Attendu que l'imprécision de la décision dans l'indication des motifs de fait et de droit constitue une violation des dispositions de la loi du 29 juin 2006 ;

Attendu que les décisions attaquées, susceptibles d'être assimilées à des sanctions, puisqu'elles font état d'un comportement fautif, auraient dû de ce fait être prises à l'issue d'une procédure contradictoire ; que les entretiens ou échanges invoqués dans les écritures à la défense de l'État ne peuvent constituer un débat contradictoire satisfaisant ;

Attendu, en ce qui concerne la légalité interne, que la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation résultant de la prise en compte de l'inaptitude médicale de Monsieur L. I. dans ses motifs ; qu'il s'ensuit une discrimination entachant les décisions déférées, en raison de l'état de santé du requérant ;

Attendu que le requérant s'en remet à la sagesse du Tribunal Suprême pour ordonner, s'il le croit utile, une mesure d'expertise complémentaire ;

Vu la duplique enregistrée au Greffe général le 17 février 2012 soulignant en premier lieu, sur la légalité externe, qu'il n'y a aucune contradiction à soutenir que les décisions déférées n'avaient pas à être motivées et qu'elles l'étaient par surcroît, à titre subsidiaire ; que doit être écarté le grief tiré du défaut de respect du principe du contradictoire, à la fois parce que non applicable à une décision qui ne constitue pas une sanction et parce qu'en tout état de cause, le requérant était à même de connaître les griefs articulés à son encontre et de les contredire utilement ;

Attendu que, sur la légalité interne, doit être rejeté le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation au motif principal de ce que l'inaptitude constatée ne constitue pas la cause exclusive ni même essentielle de la décision attaquée ; que dès lors aucune discrimination relative à l'état de santé de Monsieur L. I. ne saurait être retenue à l'encontre de l'administration ;

Que la duplique conclut donc au rejet de la requête et à la condamnation de Monsieur L. I. aux entiers dépens ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90-B.1° ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la Loi n° 1.312 du 29 juin 2006, relative à la motivation des décisions administratives ;

Vu l'Ordonnance du 17 novembre 2011 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Didier LINOTTE, membre titulaire, en tant que rapporteur de l'affaire ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 19 avril 2012 ;

Vu l'Ordonnance du 3 mai 2012 par laquelle Monsieur le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du jeudi 28 juin 2012 ;

Ouï Monsieur Didier LINOTTE, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Franck MICHEL Avocat-défenseur, pour Monsieur L. I. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour l'État de Monaco ;

Ouï Monsieur Le Procureur général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré,

Sur la recevabilité de la requête :

Considérant que la requête tend à l'annulation de décisions prises les 2 août 2011 et 11 août 2011 par le Directeur des Ressources Humaines et de la Formation de la Fonction Publique ; que la lettre du 2 août 2011 se borne à rappeler des décisions antérieures n'ayant fait l'objet d'aucun recours et à constater des situations de fait ou de droit ayant épuisé leurs effets ; qu'elle présente ainsi un caractère purement confirmatif ; que la requête est donc irrecevable en ce qu'elle est dirigée contre cette lettre du 2 août 2011 ;

Considérant que, si la lettre du 11 août 2011 de la même autorité rappelle également les mêmes éléments en réitérant les termes du courrier précédent, elle ajoute ; « … compte tenu des manquements répétés constatés par le passé, j'ai le regret de vous informer qu'un nouveau contrat d'insertion socio-professionnelle ne pourra vous être proposé. » ; que le présent recours en annulation est donc recevable en ce qu'il est dirigé contre la décision de ne pas proposer au requérant un nouveau contrat d'insertion ;

Sur la demande d'expertise :

Considérant qu'en l'état des pièces produites et jointes au dossier, il n'y a pas lieu de prescrire une expertise médicale complémentaire ;

Sur la légalité :

Considérant que l'article 1er de la loi n° 1.312 dispose : « Doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui (…) 2° – infligent une sanction ; (…) 5°) – retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; (…) 7°) – refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (…) » ;

Considérant qu'aucun texte législatif ou réglementaire n'ouvre un droit au bénéfice du dispositif de la Commission d'insertion professionnelle des monégasques en difficulté ; que la circonstance que Monsieur I. ait bénéficié de ce dispositif par mesure de pure bienveillance ne lui ouvre aucun droit au renouvellement d'une telle mesure ; qu'il ressort des pièces du dossier que, en dépit des termes employés dans la décision attaquée, le Directeur des Ressources Humaines et de la Formation de la Fonction Publique n'a pas entendu infliger une sanction mais seulement tirer les conséquences d'une situation de fait ; qu'il suit de là que la décision déférée n'est pas au nombre de celles qui doivent être motivées en application de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 ;

Considérant qu'il résulte des échanges figurant au dossier que Monsieur L. I. a été mis à même de faire connaître ses points de vue et arguments ; que le moyen tiré de l'absence de procédure contradictoire ne peut donc qu'être écarté ;

Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que les manquements mentionnés dans la décision attaquée sont établis ; que le moyen tiré de l'erreur de fait ne peut donc être retenu ; qu'en l'absence de tout droit au renouvellement d'une mesure de pure bienveillance, le moyen tiré de l'erreur de droit est inopérant ;

Sur la demande d'indemnité :

Considérant qu'il résulte de l'article 90-B-1e de la Constitution que le rejet des conclusions à fin d'annulation entraîne par voie de conséquence celui des conclusions à fins indemnitaires ;

Dispositif🔗

DÉCIDE :

Article 1er🔗

La requête est déclarée irrecevable à l'encontre de la lettre du 2 août 2011 du Directeur des Ressources Humaines et de la Formation de la Fonction Publique ;

Article 2🔗

La demande d'annulation de la décision du 11 août 2011 du Directeur des Ressources Humaines et de la Formation de la Fonction Publique est recevable et rejetée.

Article 3🔗

La demande d'indemnité est rejetée.

Article 4🔗

Monsieur l. IA. est condamné aux dépens.

Article 5🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition🔗

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Monsieur Hubert CHARLES, commandeur de l'ordre de Saint-Charles, Président, Monsieur Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, Vice-président, Monsieur José SAVOYE, Monsieur Didier LINOTTE, chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, rapporteur, membres titulaires, et Monsieur Frédéric ROUVILLOIS, membre suppléant,

et prononcé le quatre juillet deux mille douze en présence du Ministère Public par Monsieur Hubert CHARLES, commandeur de l'ordre de Saint-Charles, Président, assisté de Madame Béatrice BARDY, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, greffier en chef.

Le Greffier en Chef, Le Président,

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