Tribunal Suprême, 4 juillet 2012, les SAM A, B, C, D, E et F c/ G

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux constitutionnel. Recours en annulation. Dispositions législatives.

Impôts et taxes

Institution d'un droit proportionnelle de 4,5% sur l'entière valeur réelle vénale des biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté et détenus par une entité juridique telle que définie par la loi en cas de changement de bénéficiaire économique résultant d'une opération affectant une entité juridique.

Droits et libertés constitutionnelles

Constitution. Titre III. Intelligibilité et accessibilité de la loi consacrées par le Titre III (non).

Bénéficiaire économique effectif défini par l'article 1er - 2e. Loi intelligible (oui).

Constitution. Article 17. Principe d'égalité devant la loi.

Article 2 de la loi déférée.

- Soumission des «entités juridiques», telles que définies par la loi, titulaires de droits réels sur un ou plusieurs biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté, ainsi que des sociétés civiles détenues par d'autres sociétés civiles ayant les mêmes caractères ainsi que celles dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé et agréées par des autorités monégasques.

Article 13 de la loi fédérée.

- Obligation d'acquitter un droit proportionnel de 4,5% sur l'entière valeur vénale des biens immobiliers à la charge des entités juridiques soumises à l'obligation de déclaration annuelle en cas de changement de bénéficiaire économique. Faculté pour l'entité juridique de changer de régime applicable aux droits de mutation.

Article 13 de la loi fédérée.

- Méconnaissance du principe d'égalité (non).

- Différence de traitement instituée par la loi en rapport avec son objet et justifiée par sa finalité.

Articles 2 et 17 de la loi déférée.

- Absence de discrimination entre les sociétés civiles immobilières immatriculées à Monaco détenues par des personnes physiques et les sociétés anonymes monégasques en raison de l'inexistence d'une obligation légale de publicité des cessions d'activités desdites sociétés anonymes.

- Absence de disposition légale imposant d'informer l'administration des changements d'actionnariats au sein des sociétés anonymes monégasques ainsi que des cessions de titres ou de participation des actionnaires aux assemblées générales.

- Différence de traitement non contraire au principe d'égalité.

Constitution. Article 24.

- Inviolabilité de propriété. Privation de la propriété pour cause d'utilité publique moyennant une juste indemnité.

Article 13 de la loi déférée.

- Droit d'enregistrement dû non par le nouveau bénéficiaire économique effectif acquéreur des parts mais par l'entité juridique. Atteinte disproportionnée au droit de propriété (non).

- Inexistence du risque de double imposition en cas de mutation à titre gratuit en ligne directe car le droit de 4,5% exigible en cas de changement de bénéficiaire économique effectif à la charge de l'entité juridique alors que les droits de mutation en ligne non directe sont dus par les personnes physiques bénéficiaires desdites mutations.

- Constitutionnalité de la loi déférée (oui).

Procédure

Moyens et conclusions figurant dans les écritures pris en considération au cours de l'instruction. Nécessité de rouvrir l'instruction et renvoyer le jugement (non).


Motifs🔗

Principauté de Monaco

TRIBUNAL SUPRÊME

__________

TS 2011-16

Affaire :

A

B

C

D

E

F

Contre :

G

DÉCISION

Audience du 27 juin 2012

Lecture du 4 juillet 2012

Recours en annulation de la loi n° 1.381 du 29 juin 2011 relative aux droits d'enregistrement exigibles sur les mutations de biens et droits immobiliers (articles 1, 2, 3, 13 et 17).

En la cause de :

- 1°La A A), société anonyme Monégasque au capital social de 160.000 euros, dont le siège est X, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le n° Y, agissant poursuites et diligences de son Président Administrateur-Délégué en exercice, Monsieur Z ;

- 2° La B, société anonyme Monégasque au capital social de 177.000 euros, dont le siège est X, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le n Y, agissant poursuites et diligences de son Président Administrateur-Délégué en exercice, Monsieur ZZ ;

- 3° La C, société anonyme Monégasque au capital social de 150.000 euros, dont le siège est X, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le n Y, agissant poursuites et diligences de son Président Administrateur-Délégué en exercice, Monsieur ZZZ ;

- 4° La D, société anonyme Monégasque au capital social de 160.000 euros, dont le siège est X, immatriculée au Répertoire spécial des sociétés civiles de Monaco sous le n Y, agissant poursuites et diligences de son Président Administrateur-Délégué en exercice, Monsieur Z ;

- 5° La E, société civile immobilière au capital de 15.400 euros, dont le siège est X, immatriculée au Répertoire spécial des sociétés civiles de Monaco sous le n Y, agissant poursuites et diligences de son gérant, Monsieur Z ;

- 6° La F, société civile immobilière au capital de 2.000 euros, dont le siège est X, immatriculée au Répertoire spécial des sociétés civiles de Monaco sous le n Y, agissant poursuites et diligences de son gérant, Monsieur ZZ ;

Elisant domicile en l'étude de Maître Géraldine GAZO, Avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco et plaidant par Maître François-Henri BRIARD, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France.

Contre :

L G, pris par la personne de Son Excellence, Monsieur le Ministre d'État, ayant Maître Christophe SOSSO avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France.

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et en matière constitutionnelle

Vu la requête présentée par les SAM A, B, C, D et les E et C enregistrée au Greffe Général le 29 août 2011 tendant à l'annulation de la loi n° 1.381 du 29 juin 2011 relative aux droits d'enregistrement exigibles sur les mutations de biens et droits immobiliers, publiée au bulletin officiel de la Principauté du 1er juillet 2011 ;

Ce faire :

Attendu que les quatre sociétés anonymes monégasques susnommées agissant poursuites et diligences de leur Président administrateur délégué en exercice respectif, et les deux SCI immatriculées au Répertoire spécial des sociétés civiles de Monaco, agissant poursuites et diligences de leur gérant respectif, en leur qualité de sociétés monégasques, sont directement concernées par les dispositions de la loi attaquée ; qu'en effet la loi impose aux sociétés anonymes monégasques une déclaration de changement ou d'absence de changement de bénéficiaire économique effectif et un droit équivalent à 4,5 % de l'entière valeur vénale du bien immobilier en cas de changement de bénéficiaire économique effectif ; que ladite loi impose également cette déclaration aux sociétés civiles immobilières lorsqu'elles sont détenues par des sociétés anonymes monégasques, telles la E et la F requérantes ; que de même ladite loi, et plus particulièrement son article 17, prive explicitement les sociétés anonymes monégasques du bénéfice du taux réduit de 4,5 % dans le cadre des opérations énumérées aux chiffres 1° à 8° de l'article 13 bis ; que les sociétés requérantes ont donc un intérêt certain à contester la loi attaquée.

Attendu que par une Loi n° 1381 du 29 juin 2011, le Législateur monégasque a modifié les règles relatives aux droits d'enregistrement exigibles sur les mutations de biens et droits immobiliers dans le but de mettre fin à une situation où 60 % à 80 % des biens immobiliers faisant l'objet de transactions échappaient en totalité au seul et unique droit exigé par l'État monégasque ; qu'en effet, il a été constaté que les acquisitions immobilières s'opèrent non pas au bénéfice direct de personnes physiques mais par le biais de sociétés étrangères…qui opèrent le transfert de propriété desdits biens, par actes passés essentiellement à l'étranger, sous forme de cessions de parts ou d'actions dans le cadre de montages juridiques complexes.

Attendu qu'à cette fin, le champ d'application de la loi s'étend à toutes les entités juridiques sans distinction qu'il s'agisse de sociétés de capitaux, de sociétés de personnes ou d'autres personnalités morales y compris de droit étranger ; qu'ainsi la loi demande aux entités juridiques, titulaires de droits réels sur des biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté, à l'exception de certaines sociétés civiles immobilières monégasques, de déclarer, une fois par an, si un changement de bénéficiaires ou de l'un des bénéficiaires effectifs dudit bien est intervenu dans les 12 mois précédents ; que sont toutefois exclues du nouveau dispositif, outre les personnes physiques, les sociétés civiles monégasques composées exclusivement de personnes physiques agissant pour leur propre compte ; que de même, le dispositif de la déclaration annuelle n'est pas applicable lorsque les droits réels immobiliers figurent dans l'actif social d'une société civile immatriculée à Monaco dont la propriété revient à une ou plusieurs sociétés du même type exclusivement composées d'associés personnes physiques dont l'identité est connue des Services Fiscaux.

Attendu en revanche, que les sociétés anonymes monégasques, les sociétés civiles immobilières détenues par des sociétés anonymes monégasques, les sociétés en commandite monégasques sont tenues de souscrire la déclaration établie par la loi, dès lors que la libre négociation de leurs parts ne permet pas à l'Administration fiscale d'avoir connaissance du changement de propriétaires des actions.

Attendu que le bénéficiaire économique effectif est défini par loi dans des conditions telles que le contrôle d'une faible part ou la perception d'un bénéfice même modéré d'une entité visée par la loi, suffit à conférer à la personne physique concernée, ladite qualité.

Attendu qu'aux termes de l'article 13 de la loi n° 1381 du 29 juin 2011 « en cas de changement du ou de l'un des bénéficiaires économiques effectifs, un droit proportionnel au taux de 4,5 % est exigible sur l'entière valeur vénale des biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté et sur lesquels l'entité juridique concernée est titulaire de droits réels », l'article 15 de la même loi édictant un certain nombre d'exceptions.

Attendu que réciproquement toutes les opérations et transactions intéressant des biens immobiliers sont soumises au taux réduit de 4,5 % sur la valeur vénale lorsqu'elles sont réalisées au profit de personnes physiques ou de sociétés civiles immobilières monégasques ; que ne peuvent en revanche bénéficier de ce taux réduit les opérations conclues au bénéfice d'une société civile ayant la forme anonyme ou en commandite.

Attendu que les sociétés requérantes approuvent les objectifs de la loi dont elles contestent cependant, au vu des droits et garanties de la Constitution monégasque,

- l'imprécision de la notion de bénéficiaire économique effectif,

- la rupture du principe d'égalité devant les charges publiques entraînée par l'article 13 de la loi prévoyant que quel que soit le changement, l'assiette de la taxation porte sur l'entière valeur vénale du bien,

- la rupture d'égalité devant la loi résultant des articles 2 et 17 de celle-ci en instituant un taux réduit pour les seules sociétés civiles immobilières autres que celles ayant la forme de société anonyme ou de commandite.

Attendu que du fait son imprécision excessive, la notion de bénéficiaire économique effectif porte atteinte au principe d'égalité de traitement et d'égalité devant les charges publiques en violation de l'article 17 de la Constitution et manque aux exigences constitutionnelles de clarté et d'intelligibilité ; que si le bénéficiaire économique effectif est une personne physique reliée à une entité juridique, l'identification de celui-ci ne varie pas selon que l'entité juridique est une société ou une autre entité juridique.

Attendu cependant que cette distinction est à opérer dès lors que la notion de bénéficiaire économique effectif doit s'appliquer à celui qui contrôle le capital et/ou sa direction, c'est-à-dire à celui qui détient les titres ou les droits de vote ; que la loi ne définit pas ces notions s'agissant d'autres entités juridiques que des sociétés.

Attendu de surcroit que la loi, à la différence d'autres, ne précise pas à partir de quelle limite elle considère que le contrôle est effectif entraînant ainsi la qualité de bénéficiaire économique effectif.

Que la censure s'impose donc.

Attendu que le Tribunal Suprême de Monaco a expressément reconnu au principe d'égalité devant les charges publiques la valeur de règle constitutionnelle ; qu'en application de ce principe, le Juge constitutionnel, après s'être assuré que la catégorie de contribuables visée par la taxe est définie de manière cohérente et rationnelle, doit s'attacher à vérifier que la charge fiscale ainsi créée, est conforme aux facultés contributives des contribuables désignés ; qu'en l'espèce, en ne distinguant pas entre les différentes entités juridiques, et en ne fixant pas le seuil de contrôle d'une entité juridique, il est manifeste que la loi a insuffisamment défini la notion de bénéficiaire économique effectif créant ainsi un risque d'arbitraire ; qu'ainsi on peut s'interroger sur la question de savoir à quel titre le changement d'un bénéficiaire économique effectif, qui ne contrôle absolument pas l'entité juridique détentrice des biens, devrait entraîner la taxation à 4,50 % sur la totalité de la valeur vénale comme le prévoit l'article 13 de la loi.

Que ce risque d'arbitraire est confirmé par la note d'information du Département des Finances et de l'Economie relative à l'application de la loi n° 1381 du 29 juin 2011, celle-ci laissant entendre que le texte de loi est susceptible d'au moins deux interprétations puisqu'elle envisage des situations particulières notamment lors de la détermination de l'assiette des droits d'enregistrement en cas de cession d'une minorité d'actions de sociétés anonymes monégasques détenant des droits réels sur des biens immobiliers situés en Principauté et dès lors de la réorganisation ou de la restructuration d'un patrimoine immobilier au sein d'une même famille ainsi que toute autre situation susceptible d'aboutir à un cumul d'impositions.

Attendu dès lors que la loi attaquée ne détermine pas de critères précis, objectifs et rationnels pour caractériser le bénéficiaire effectif, il en résulte un risque d'arbitraire majeur et partant d'inégalité de traitement devant la loi et d'inégalité devant les charges publiques contrairement à l'article 17 de la Constitution ;

Que la censure s'impose donc.

Attendu de plus fort que l'article 70 de la Constitution dispose le Conseil National vote le budget. Aucune contribution directe ou indirecte ne peut être établie que par le loi ; que le Tribunal Suprême doit pouvoir sanctionner une disposition législative trop peu précise fixant une nouvelle contribution dans des conditions ne permettant pas au contribuable d'évaluer avec un degré de prévisibilité raisonnable le montant de son impôt à raison de la complexité du texte, ce qui restreint l'exercice des libertés et droits garantis par le titre III de la Constitution ; qu'en effet, le loi imprécise permet l'arbitraire de ceux qui l'appliquent, sauf le cas échéant, à ce que le Tribunal Suprême n'édicte des réserves d'interprétation.

Attendu que l'article 13 de la loi encourt l'annulation pour être contraire aux articles 17 et 24 de la Constitution.

Qu'en effet, aux termes de l'article 13 de la loi n° 1381 du 29 juin 2011, en cas de changement du ou de l'un des bénéficiaires économiques effectifs, un droit proportionnel au taux de 4,5 % est exigible sur l'entière valeur des biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté et sur lesquels l'entité juridique concernée est titulaire de droits réels ; que l'article 2 de la même loi prévoit l'obligation de déclaration annuelle auprès de la Direction des services fiscaux, de changement ou d'absence de changement du ou des bénéficiaires économiques effectifs, sous réserve de quelques rares exceptions ; qu'il résulte de ce texte, d'une part que tout changement de bénéficiaire économique effectif, quelle que soit la nature de l'entité juridique, rend exigible un droit proportionnel au taux de 4,5 % que le changement résulte d'une mutation à titre onéreux ou à titre gratuit ; que d'autre part l'assiette de la taxation concerne l'entière valeur du bien sur lequel l'entité juridique est titulaire de droits réels, alors que l'on pourrait penser qu'il serait plus logique d'asseoir la taxation proportionnelle sur la valeur vénale de la quote part.

Qu'une telle disposition est critiquable dans la mesure où elle méconnait le principe d'égalité devant les charges publiques et constitue une atteinte disproportionnée au droit de propriété en conférant un caractère confiscatoire à l'impôt.

Que le Juge constitutionnel français a indiqué lors de l'examen de la loi de finances pour 2006, que l'exigence d'égalité devant les charges publiques ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.

Qu'en l'espèce une mesure fiscale peut avoir pour conséquence de porter atteinte au droit de propriété garanti par l'article 24 de la Constitution.

Attendu que l'institution d'un droit proportionnel de 4, 5 % exigible sur l'entière valeur vénale, non pas des parts sociales de la société, mais des biens immobiliers situés en Principauté, sur lesquels l'entité juridique est titulaire de droits réels est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que l'article 13 de la loi critiquée ne distingue pas entre les différents types de changements (vente d'immeubles ou cession de parts sociales, libéralité, partage, échange….) et que la valeur vénale est définie par référence au prix de marché, indépendamment de tout passif ou dette grevant le bien ; qu'en revanche, aucune distinction n'est opérée selon que la cession permet, ou non, à l'acquéreur de prendre le contrôle de la société ; qu'une simulation d'une opération soumise à la loi critiquée fait apparaître qu'une cession d'une faible participation au sein d'un immeuble de grande valeur vénale, peut être assujettie à un prélèvement fiscal égal à la valeur effective de la cession ; qu'ainsi le législateur monégasque a commis une erreur manifeste d'appréciation dans la fixation de l'assiette du droit proportionnel qui ne peut être fixée sans tenir compte de la quote part du cédant et de la valeur vénale des parts de la société.

Que si la note d'information du 28 juillet 2011 de la Direction des services fiscaux précise qu'il conviendra d'étudier les situations particulières en cas de cession d'une minorité d'action d'une société anonyme monégasque détenant des droits réels sur des biens immobiliers situés en Principauté, il ne s'agit là que d'un texte sans la moindre valeur juridique.

Attendu que dans ces conditions,

- en ne distinguant pas entre mutations à titre onéreux et mutations à titre gratuit,

- en asseyant l'assiette de l'impôt sur l'entière valeur vénale de l'immeuble quelle que soit la nature du changement

- en ne tenant pas compte de la répartition au sein de l'entité juridique,

- en ne prévoyant pas un barème progressif,

- en ne permettant pas à l'entité juridique de fournir elle-même les informations nécessaires à l'Administration fiscale pour apprécier la situation de ses membres,

le dispositif résultant de l'application conjuguée des articles 2 et 13 de la loi ne peut qu'être considéré comme contraire au principe d'égalité devant les charges publiques tel qu'il résulte de l'article 17 de la Constitution monégasque.

Attendu que ce dispositif est également contestable en ce qu'il appréhende un capital fictif en cas de cession partielle, ce qui constitue une atteinte disproportionnée au droit de propriété et est discriminatoire.

Qu'il y a lieu de ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de la protection des droits fondamentaux de l'individu ; que l'on ne peut dès lors retenir une assiette portant sur la totalité de la valeur vénale des immeubles en cas de cession partielle.

Attendu enfin que le dispositif légal entraîne des risques manifeste de double imposition en cas de mutation à titre gratuit ; qu'en dépit des exceptions prévues subsiste un certain nombre d'hypothèses, telles que les mutations à titre gratuit entre frères et sœurs, « Que si la note d'information du 28 juillet 2011 de la Direction des services fiscaux indique qu'il convient d'étudier les situations issues de la réorganisation ou de la restructuration d'un patrimoine immobilier au sein d'une même famille ainsi que pour toute autre situation susceptible d'aboutir à un cumul d' impositions », il ne s'agit là encore que d'une simple recommandation ; que dans ces conditions, le moyen tiré de la violation des articles 17 et 24 de la Constitution impose une censure.

Attendu par ailleurs que les articles 2 et 17 de la loi n° 1381 du 29 juin 2011 relative aux droits d'enregistrement exigibles sur les mutations de biens et droits immobiliers encourent la censure pour violation de l'article 17 de la Constitution.

Attendu en effet qu'il résulte des termes de l'article 2 de cette loi que les sociétés civiles régies par la loi n° 797 du 18 février 1966 relative aux sociétés civiles ne sont pas concernées par l'obligation de déclaration de changement ou d'absence de changement de bénéficiaire économique effectif, et donc ne sont pas concernées par le droit proportionnel de l'article 11 assis sur l'entière valeur vénale de l'immeuble, à la différence de toutes les autres sociétés alors même que l'identité de leurs associés serait connue de la Direction des services fiscaux.

Attendu que l'article 17 de la loi attaquée introduit, quant à lui, un nouveau droit proportionnel de 4,5 % applicable à un nouvel article 12 introduit à la loi n° 580 du 29 juillet 1953 modifiée.

Qu'il résulte de la modification ainsi apportée que toutes les opérations et transactions intéressant des biens immobiliers sont soumises au nouveau taux réduit de 4,5 % lorsqu'elles sont réalisées au profit de personnes physiques ou de sociétés civiles immatriculées à Monaco ; qu'en revanche ne peuvent bénéficier de cette mesure fiscale les opérations conclues au profit d'une société civile ayant la forme anonyme ou en commandite, et ce, même si la Direction des services fiscaux a connaissance de l'identité des actionnaires ; qu'ainsi les transactions en faveur de sociétés anonymes monégasques sont soumises à un droit d'enregistrement majoré fixé à 7,5 % ; qu'il en est de même des actes portant réduction de capital social ou dissolution des entités juridiques titulaires de droits réels immobiliers à Monaco entraînant l'attribution de ces droits à une ou plusieurs entités juridiques, ou encore les actes d'apport de biens immobiliers ou de droits réels au profit de ces entités.

Attendu que les dispositifs critiqués des articles 2 et 17 de la loi attaquée créent donc une inégalité entre les sociétés civiles immatriculées à Monaco, voire entre les sociétés, alors même que l'article 17 de la Constitution dispose : « les Monégasques sont égaux devant la loi. Il n'y a pas entre eux de privilèges».

Que ce principe d'égalité, tel que défini par la jurisprudence du Tribunal Suprême, ne s'oppose pas à ce que des différences de traitement soient instituées par le législateur dès lors qu'elles correspondent à des situations différentes qui ne sont pas incompatibles avec l'objet de la loi ; que dès lors le Tribunal Suprême doit censurer une disposition fiscale, entraînant une différence de traitement entre des contribuables qui ne s'avèrent pas placés dans des situations différentes, sous réserve d'un motif d'intérêt général.

Attendu qu'en sus de ce contrôle, le Conseil constitutionnel français veille à ce que les dispositifs fiscaux répondent à des critères objectifs et rationnels en fonction des buts que le législateur se propose, ce qui Lui permet de vérifier que ce dernier n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

Attendu qu'en l'espèce l'article 2 de la loi, en excluant les sociétés civiles autres que celles ayant la forme anonyme ou en commandite, de l'obligation de souscrire la déclaration annuelle de changement de bénéficiaire économique effectif, les met hors du champ d'application de l'article 13 de la loi qui prévoit qu'en cas de changement de celui-ci, un droit proportionnel de 4,5 % est exigible sur l'entière valeur vénale des biens immobiliers, parce qu'elles sont détenues par des personnes physiques dont la Direction des services fiscaux connaît l'identité.

Que l'article 17 de la loi attaquée institue, dans certaines conditions, l'application d'un taux réduit des droits d'enregistrement exigibles au profit des sociétés civiles immatriculées à Monaco, autres que celles ayant la forme anonyme ou en commandite, dont les associés sont exclusivement des personnes physiques dont l'identité est connue de la Direction des services fiscaux.

Qu'à l'inverse lorsque les mutations de propriété, visées à l'article 13 bis de la loi n° 580 du 29 juillet 1953, auront lieu au profit d'une société civile ayant la forme anonyme ou en commandite ou profit de sociétés anonymes monégasques, le taux est de 7,5 % ; que cette différence de taux d'imposition (4,5 % ou 7,5 %) est justifiée à d'innombrables reprises dans l'exposé des motifs de la loi critiquée par le fait que l'identité des associés des sociétés assujetties au taux réduit est connue de la Direction des services fiscaux.

Attendu cependant que les sociétés anonymes monégasques ne peuvent être assimilées aux autres entités juridiques opaques, dès lors qu'elles ne peuvent être valablement constituées qu'avec l'autorisation préalable du Ministre d'État après approbation de leurs statuts rédigés sous la forme authentique ; que les titres des sociétés anonymes monégasques doivent être matérialisés et revêtir la forme nominative ; qu'il résulte de l'autorisation administrative d'exercer une activité et de l'enregistrement au Registre du Commerce et de l'Industrie des sociétés ayant la qualité de commerçant lors leur création, que les informations relatives à la propriété des sociétés de capitaux monégasques sont disponibles dès leur création ; quant aux sociétés civiles elles doivent être immatriculées au registres des sociétés civiles ; qu'il résulte de l'ensemble de formalités auxquelles sont soumises les sociétés monégasques que l'identité de leurs propriétaires est connue dès leur constitution.

Attendu de surcroit qu'en ce qui concerne les modifications ultérieures, les changements dans l'actionnariat, notamment des sociétés anonymes monégasques peuvent, selon les autorités monégasques elles-mêmes, être connues par l'intermédiaire des listes de présence aux assemblées générales des actionnaires prévues par l'article 12 de l'Ordonnance Souveraine du 12 mars 1895 qui doivent comporter les noms et domiciles des actionnaires et le nombre d'actions dont chacun est porteur ; que lors du forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales tenu en septembre 2010, le Gouvernement princier a précisé : Monaco rappelle que toutes les actions des sociétés monégasques sont nominatives à l'exception de la fraction de celles des deux sociétés cotées en France. Comme toutes les sociétés cotées internationalement, les actions des deux sociétés monégasques qui s'échangent sur le marché sont au porteur. Leurs propriétaires sont toutefois parfaitement connus des établissements de crédit chargés des comptes titres des porteurs.

Attendu dès lors qu'il est impossible d'utiliser les sociétés anonymes monégasques pour dissimuler des bénéficiaires économiques effectifs qui ne seraient pas ceux qui sont propriétaires des actions ou qui contrôlent lesdites sociétés, celles-ci ne devraient pas être concernées par l'obligation de déclaration, ni assujetties à la taxe prévue à l'article 13 de la loi.

Attendu qu'en excluant toute possibilité pour les sociétés anonymes monégasques de faire connaître à la Direction des services fiscaux l'identité de leurs associés personnes physiques, la loi traite différemment des sociétés qui peuvent être placées dans des conditions identiques à celles des sociétés civiles immobilières ; que cette situation crée une discrimination injustifiée instaurant une rupture d'égalité illégitime devant l'impôt ; que dès lors les articles 2 et 17 de la loi ne peuvent être regardés comme conformes à la Constitution ; qu'il est donc conclu à l'annulation des articles 1er, 2, 13 et 17 de la loi n° 1381 du 29 juin 2011

Vu la contre-requête enregistrée au greffe général le 27 octobre 2011 par laquelle S. E. le Ministre d'État expose que la loi n° 1.381 du 29 juin 2011 déférée au Tribunal Suprême statuant en matière constitutionnelle, rappelle dans son exposé des motifs qu'il n'existe à Monaco aucune fiscalité immobilière à l'exception des droits d'enregistrement exigibles sur les mutations, lesquels constituent néanmoins une part très significative des recettes fiscales de l'État (86.000.000 d'euro en 2008 ; 45.000.000 d'euro en 2010) ; que toutefois, de très nombreuses transactions immobilières échappent au paiement des droits de mutation lorsqu'elles sont opérées, non pas au bénéfice direct de personnes physiques, mais au travers de cessions de parts d'entités juridiques aux formes diverses, la plupart du temps de nationalité étrangère.

Que ces pratiques qui s'apparentent à une forme d'abus de droit privent l'État d'une part d'autant plus substantielle des droits d'enregistrement que ces transactions y échappent dans la proportion de 60 à 80 % alors qu'elles portent en général sur des montants très importants ; qu'au surplus, cette situation engendre des distorsions sur le marché immobilier au détriment des vendeurs détenant des biens en nom propre ou par le biais de structures transparentes, et dont les acquéreurs acquittent, par conséquent, les droits d'enregistrement.

Attendu que le législateur a entendu remédier à cette situation par la loi déférée du 29 juin 2011, venue compléter la loi n° 926 du 8 décembre 1972 qui avait réformé le régime des droits d'enregistrement applicable aux cessions d'actions des sociétés civiles immobilières, lesquelles échappaient jusque là à la taxation, laquelle ne n'appliquait qu'aux seules personnes physiques.

Attendu qu'il était apparu à cette époque que de nombreuses sociétés civiles s'étaient constituées dans le seul but d'acheter des biens immeubles à Monaco dont la propriété pouvait, par la suite, être transférée par voie de cession d'actions ou de parts sociales, lesquelles échappaient à la taxation applicable aux ventes immobilières ; que c'est ainsi que la loi n° 926 du 8 décembre 1972 avait ajouté à la loi n° 580 du 29 juillet 1953 un article 13 bis soumettant aux droits d'enregistrement les actes portant cession à titre onéreux d'actions ou de parts de sociétés civiles autres que les sociétés anonymes ou en commandite et dont l'actif social comprend des biens immeubles ou des droits immobiliers situés en Principauté, sur la portion du prix de cession afférente à ses biens ou à ses droits ; que la loi n° 1381 du 29 juin 2011 a pour objet d'étendre aux entités juridiques non transparentes le dispositif mis en place en 1972 pour les sociétés civiles immobilières ; qu'ainsi, le nouveau dispositif a une double finalité, mettre fin à l'immunité fiscale des entités non-transparentes et inciter les propriétaires effectifs de biens immobiliers à Monaco à renoncer à recourir à des structures opaques ; que l'article 2 de la loi assujettit toutes les entités juridiques non transparentes titulaires de droits réels sur un ou plusieurs biens immobiliers situés à Monaco à une obligation de déclaration annuelle auprès de la Direction des services fiscaux, de changement, ou d'absence de changement du ou de l'un des bénéficiaires économiques effectifs de ses droits ; qu'il résulte de l'article 13 de la même loi que le changement d'un seul bénéficiaire effectif entraîne l'exigibilité d'un droit proportionnel de 4,5 % calculé sur l'entière valeur vénale des biens immobiliers sur lesquels l'entité juridique est titulaire de droits réels à Monaco.

Que si cette solution peut paraître rigoureuse, l'article 47 de la loi offre pendant un an, au titre des mesures transitoires, la possibilité pour les entités juridiques concernées d'opter pour un régime de transparence au profit, soit directement de personnes physiques, soit de sociétés civiles immobilières immatriculées à Monaco détenues par des personnes physiques, moyennant le paiement d'un droit proportionnel de 1% sur la valeur vénale des biens transférés.

Qu'ainsi, en optant pour la transparence, des entités juridiques jusque là opaques, peuvent échapper à l'obligation de déclaration et ne sont assujetties pour les mutations immobilières à venir, qu'au taux de droit commun, ramené par la loi de 7,5 % à 4,5 %, et calculé non pas sur la valeur vénale des immeubles, mais seulement sur la quote part des droits immobiliers effectivement cédés ; que ce faisant, la loi a pour but de lutter contre la déperdition progressive des droits d'enregistrement sur les mutations immobilières résultant du recours par de nombreux investisseurs à des structures juridiques opaques, au travers de montages juridiques complexes.

Attendu qu'aucun des griefs adressés par les sociétés requérantes à l'encontre des dispositions de la loi n° 1381 du 29 juin 2011 n'est fondé ; qu'il en est ainsi tout d'abord de la prétendue inconstitutionnalité de l'article 1-2e de la loi déférée auquel il est reproché d'avoir donné une définition imprécise et subjective, qui ne satisferait pas aux exigences constitutionnelles de clarté et d'intelligibilité de la loi et violerait le principe d'égalité.

Attendu que l'article 1er de la loi définit le bénéficiaire économique effectif, comme la ou les personnes physiques qui, en dernier lieu, en tout ou en partie, possèdent ou contrôlent ou encore ont le bénéfice ou une part du bénéfice d'une entité juridique, y compris les souscripteurs et les bénéficiaires de toute police d'assurance visée au chiffre 1er.

Attendu en premier lieu que le grief tiré de l'absence prétendue d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne constitue pas un grief recevable devant le Tribunal Suprême au regard de l'article 90 A-2 de la Constitution ; qu'en tout État de cause, le moyen manque en fait dès lors que la définition du bénéficiaire économique effectif donné par l'article 1-2 de la loi est parfaitement claire et intelligible ; qu'en effet pour être considéré comme « bénéficiaire économique effectif », il suffit de posséder, de contrôler ou simplement d'avoir le bénéfice d'une partie, même minime, d'une entité juridique.

Que cette définition délibérément extensive est parfaitement claire comme elle est parfaitement cohérente avec les exigences des standards internationaux.

Attendu en second lieu que n'est pas davantage recevable le grief selon lequel l'article 1er-2e de la loi violerait le principe d'égalité devant les charges publiques, posé par l'article 17 de la Constitution ;

Que le Tribunal Suprême n'a retenu ce principe qu'à l'occasion d'un litige mettant en cause la responsabilité de l'État du fait de l'application de la loi et que c'était donc l'égalité devant la loi qui était en cause, le Tribunal Suprême statuant en matière constitutionnelle n'ayant jamais affirmé l'existence d'un principe d'égalité fiscale qui s'imposerait au législateur lui-même.

Attendu à titre subsidiaire que le reproche principal adressé à la loi critiquée de ne pas préciser, pour la détermination des bénéficiaires économiques effectifs, les critères permettant de caractériser le contrôle de l'entité juridique, est dépourvu de fondement dès lors que l'exposé des motifs de la loi a été de viser l'ensemble des cas permettant la cession indirecte d'actifs immobiliers ; qu'au surplus le même exposé des motifs précise que le bénéficiaire économique effectif est celui qui, en dernier lieu, perçoit le bénéfice de l'entité juridique ou même seulement une part de celui-ci, sans qu'il faille pour cela fixer de proportions minimales. Ainsi le contrôle d'une faible part ou la perception d'un bénéfice même modéré d'une entité visée par le présent projet suffit à conférer à la personne physique concernée la qualité de bénéficiaire économique effectif.

Qu'ainsi la loi ne prévoit nullement que la qualité de bénéficiaire économique effectif soit réservée à la personne disposant du pouvoir réel de contrôler ou de disposer du bien ; qu'elle dit même exactement le contraire ;

Que dans ces conditions, loin de méconnaître le principe d'égalité, la loi l'applique dans toute son étendue ;

Attendu ensuite que seront écartés les griefs tirés de la prétendue méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques ou de la prétendue atteinte disproportionnée au droit de propriété résultant de l'article 13 de la loi aux termes duquel : « en cas de changement du ou de l'un des bénéficiaires économiques effectifs, un droit proportionnel au taux de 4,5 % est exigible sur l'entière valeur des biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté et sur lequel l'entité juridique concernée est titulaire de droits réels ».

Attendu tout d'abord que la critique tirée de la prétendue violation du principe d'égalité est irrecevable à raison de l'inexistence à Monaco d'un principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt ; qu'en toute hypothèse, le dispositif de la loi contestée ne méconnaît en rien le principe d'égalité tel qu'entendu par le Tribunal Suprême lequel estime que le principe d'égalité devant la loi, inscrit dans l'article 14 de la Constitution n'interdit pas au législateur de régler de façon différente des situations différentes pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qu'il l'établit.

Qu'en l'espèce, l'objet de la loi est de remédier à l'érosion préoccupante des droits de mutation portant sur des immeubles dont la propriété est détenue, non par des personnes physiques ou des sociétés civiles immobilières monégasques transparentes, mais par des structures juridiques opaques qui, au travers de cessions occultes, échappent au paiement de tout droit d'enregistrement ;

Qu'à cette fin, la loi offre aux entités juridiques le choix d'accepter de sortir de l'opacité dans le délai d'un an de son entrée en vigueur en attribuant les droits réels dont elles sont indirectement propriétaires à Monaco à des personnes physiques ou des sociétés civiles immobilières immatriculées à Monaco détenues par des personnes physiques, en payant un droit proportionnel limité à 1 %, auquel cas elles bénéficient, pour leurs mutations ultérieures, du taux de 4,5 % applicable aux personnes physiques et aux sociétés immobilières monégasques, calculé sur la quote part cédée (et non sur l'ensemble des immeubles possédés à Monaco ) ;

Que ce n'est que si elles ne souhaitent pas sortir de l'opacité que ces entités juridiques, propriétaires d'immeubles à Monaco, devront faire annuellement, par un mandataire agréé, une déclaration indiquant si au cours de l'année considérée il y a eu, ou non, changement du ou de l'un des bénéficiaires économiques effectifs ; que dans l'hypothèse d'un changement de bénéficiaire, un droit proportionnel de 4,5 % est dû par l'entité considérée, sur l'entière valeur vénale des biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté et sur lesquels l'entité juridique concernée est titulaire de droits réels.

Attendu que la loi traite différemment les personnes physiques et les sociétés civiles immobilières monégasques dont les associés sont des personnes physiques nécessairement connues de l'Administration d'une part, et d'autre part les entités juridiques dont les personnes physiques qui les composent ne sont pas nécessairement connues de l'Administration ;

Que cette différence de traitement est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit et a pour objectif de décourager l'opacité de certaines structures juridiques qui prive l'État des droits qu'il devrait percevoir sur les mutations immobilières.

Attendu que si le nouveau dispositif est contraignant lorsque le changement de bénéficiaire économique effectif a porté sur une cession de parts limitée, la perception d'un droit de 4,5 % en l'absence de toute autre imposition foncière à Monaco ne serait pour autant être qualifiée de confiscatoire d'autant qu'en adoptant le projet de loi qui lui était proposé le législateur a exprimé sa volonté que soient prises en compte par la Direction des services fiscaux les situations particulières tenant notamment à la détermination de l'assiette des droits d'enregistrement en cas de cession d'une minorité d'actions de sociétés anonymes ; que dans le même esprit, l'arrêté ministériel n° 2011-444 du 4 août 2011 portant application de la loi déférée prévoit la possibilité pour le déclarant de solliciter l'examen d'une situation particulière.

Attendu qu'il est ensuite reproché à l'article 13 de la loi déférée de porter atteinte au droit de propriété en ce que le droit de mutation est assis sur la base de la valeur vénale totale des immeubles, ce qui reviendrait à imposer un capital fictif en cas de cession portant sur un pourcentage minime des titres d'une société ; qu'il serait ainsi porté atteinte au droit de propriété garanti par l'article 24 de la Constitution.

Attendu cependant que le dispositif mis en place a pour objet d'inciter les sociétés opaques à se transformer en sociétés civiles immobilières monégasques détenues par des personnes physiques.

Que s'il est exact que le montant du droit à payer peut être élevé, voire très élevé si on le rapporte à la valeur des parts cédées, cette comparaison n'a pas lieu d'être dans la mesure où le droit n'est pas dû par le nouveau bénéficiaire économique effectif qui a acquis les parts (et qui reste anonyme), mais par l'entité juridique ;

Qu'encore une fois lesdites entités juridiques concernées peuvent limiter le paiement en choisissant de bénéficier des dispositions transitoires de la loi qui leur permettent de se transformer, à coût réduit, en sociétés civiles immobilières, voire en sollicitant une application mesurée par le Direction des services fiscaux.

Attendu que le moyen tiré du risque de double imposition créée par la loi en cas de mutation à titre gratuit en ligne non-directe manque en fait dès lors que le droit de 4,5 % exigible en cas de changement de bénéficiaire économique effectif est dû par l'entité juridique alors que les droits de mutation en ligne non-directe sont dus par les bénéficiaires de ces mutations, lesquels sont des personnes physiques ;

Qu'en tout état de cause, la Direction des services fiscaux, dans sa note d'information précitée, a fait savoir que ses services étaient disposés à étudier les situations issues de la réorganisation ou la restructuration d'un patrimoine immobilier au sein d'une même famille ainsi que toute autre situation susceptible d'aboutir à un cumul d'imposition ; qu'en tout état de cause le Tribunal Suprême a la possibilité d'indiquer dans sa décision qu'une mutation en ligne non directe entrainant le paiement d'un droit proportionnel par des redevables connus de l'Administration fiscale ne doit pas entraîner en outre le paiement par l'entité juridique du droit de 4,5 %.

Attendu enfin qu'il est soutenu par les sociétés requérantes que les articles 2 et 17 de la loi créeraient entre les sociétés civiles immobilières immatriculées à Monaco détenues par des personnes physiques et les sociétés anonymes monégasques, une inégalité qui serait contraire au principe d'égalité consacré par l'article 17 de la Constitution ; qu'en effet les mutations au profit des sociétés civiles ayant la forme anonyme ou en commandite sont assujetties au droit proportionnel de 7,5 %, alors que les mutations de propriété au bénéfice des sociétés civiles immobilières monégasques détenues par des personnes physiques ne le sont qu'au taux de 4,5 % ;

Que de la même façon, les sociétés civiles ayant la forme anonyme ou en commandite, sont soumises à l'obligation de déclaration annuelle de changement de bénéficiaire économique effectif avec paiement du droit correspondant de 4,5 %, alors que les sociétés civiles immobilières monégasques détenues par des personnes physiques sont dispensées de cette obligation, et par conséquent, de cette taxation.

Que cette différence de traitement ne se justifierait pas par une différence de situation dès lors que les sociétés anonymes monégasques, au regard des formalités auxquelles elles sont soumises, ne sont pas assimilables aux autres entités juridiques opaques.

Mais attendu que les sociétés anonymes monégasques ne seraient comparables à celles des sociétés civiles immobilières immatriculées que s'il existait un mécanisme légal rendant obligatoire la publicité des cessions d'actions des sociétés anonymes alors qu'au contraire l'ordonnance du 5 mars 1895 à laquelle renvoit l'article 3 de la loi n° 797 du 18 février 1966 en ce qui concerne les sociétés anonymes à objet civil, ne prévoit aucune formalité d'enregistrement des cessions des actions à peine de nullité ; qu'il s'agit là d'une différence décisive entre les sociétés civiles immobilières immatriculées et les sociétés anonymes à objet civil dès lors qu'au sein des sociétés anonymes monégasques la cession d'actions ou de parts n'est pas nécessairement connue de l'Administration alors qu'elle l'est au sein des sociétés civiles immobilières immatriculées ; qu'il n'est nullement porté atteinte à cette différence par les listes de présence aux assemblées générales des sociétés anonymes monégasques, dès lors que cette formalité ne revêt aucun caractère obligatoire, n'est sanctionnée par aucune prescription particulière et n'est destinée en réalité qu'à la preuve des délibérations des assemblées générales ; qu'enfin, contrairement à ce qui est soutenu, l'actionnariat des sociétés anonymes monégasques n'est pas automatiquement et nécessairement connu de l'Administration fiscale à la différence des sociétés civiles immobilières régies par la loi du 18 février 1966, puisqu'il n'existe aucune obligation de notification à l'Administration des cessions de titres ou de participation des actionnaires aux assemblées générales ; que dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la requête en toutes ses prétentions.

Vu la réplique enregistrée au Greffe Général le 29 novembre 2011 par laquelle les sociétés requérantes persistent aux mêmes fins, par les mêmes moyens insistant en premier lieu sur ce qu'il résulte bien de la décision du Tribunal Suprême du 1er février 1994 Association des propriétaires de Monaco, comme de son commentaire par le Doyen Georges VEDEL qu'il existe bien à Monaco un principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques ; qu'il suit de là que le Tribunal Suprême doit pouvoir sanctionner le manque de clarté d'une loi, lequel s'analyse comme une incompétence négative ; qu'il appartient donc au Tribunal Suprême de procéder à l'interprétation des dispositions d'une loi qui lui est déférée dans la mesure où cette interprétation est nécessaire à l'appréciation de la constitutionnalité.

Attendu ensuite que la définition de la notion de bénéficiaire économique effectif, n'est pas aussi claire que le prétend S. E. M. le Ministre d'État dès lors que pour l'OCDE il s'agit des personnes physiques qui exercent en dernier ressort un contrôle effectif sur une personne morale ou une structure juridique ; que dès lors la définition de bénéficiaire économique effectif qui a été retenue par la loi du 29 juin 2011 n'est pas conforme à la notion retenue par l'OCDE puisqu'elle prévoit que le simple fait pour une personne physique d'avoir une part de bénéfice, même minime, de l'entité juridique, suffit à en faire un bénéficiaire économique effectif ; que dès lors que la loi attaquée ne retient pas le critère OCDE du contrôle pour caractériser le bénéficiaire économique effectif, il en résulte nécessairement un risque majeur d'arbitraire et partant d'inégalité de traitement devant la loi ;

Que s'appuyant sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel du pays voisin, les sociétés requérantes persistent à maintenir que l'imprécision excessive de la notion de bénéficiaire économique effectif porte atteinte au principe d'égalité de traitement et d'égalité devant les charges publiques prévu par l'article 17 de la Constitution.

Attendu qu'on ne peut se satisfaire d'une simple note d'information de la Direction des services fiscaux contre le caractère confiscatoire du droit proportionnel ou l'atteinte disproportionnée au droit de propriété en cas de mutation minime, comme du risque de double imposition en cas de mutation à titre gratuit en ligne non directe ; que la capacité contributive des entités redevables de la taxe ne peut pas être appréciée au regard de la seule valeur vénale des immeubles détenus, sans tenir compte de la quote part détenue par le cédant et sans tenir compte de la valeur vénale des parts de la société ; que dans ces conditions le mode de détermination de l'assiette de la taxe ne peut être considéré comme pertinent dès lors qu'il ne permet pas de prendre en considération la capacité contributive réelle des entités juridiques assujetties.

Attendu enfin qu'il est maintenu qu'il est possible de connaitre avec certitude l'identité des associés, personnes physiques, des sociétés anonymes monégasques et qu'à tout le moins la loi devrait leur offrir la possibilité de faire connaître à la Direction des services fiscaux l'identité de leurs associés personnes physiques, sauf à conduire à une situation discriminatoire injustifiée instaurant ainsi une rupture d'égalité illégitime devant l'impôt ;

Que la discrimination ainsi créée est d'autant plus injustifiée que S. E. M. le Ministre d'État ne peut ignorer le contenu du projet de loi en date du 13 septembre 2011 portant diverses mesures en matière de mise à jour de la législation sur les sociétés anonymes, les sociétés civiles, les trusts et les fondations, dont l'exposé des motifs prévoit notamment qu'afin de renforcer la connaissance de l'actionnariat des sociétés, il échet d'envisager un mécanisme obligatoire d'inscription des propriétaires et des cessionnaires des actions sur les registres de la société, avec la possibilité pour les Commissaires aux comptes et la Direction de l'Expansion Economique d'y accéder en permanence ; que dès lors l'actionnariat des sociétés anonymes monégasques qui pouvait déjà être connu auparavant, le sera nécessairement avec l'adoption de ce texte comme est connu l'actionnariat des sociétés civiles immobilières régies par la loi du 18 janvier 1996 ; qu'en conséquence, les sociétés requérantes maintiennent que les articles 2 et 17 de la loi ont créé entre les sociétés civiles immobilières immatriculées à Monaco détenues par des personnes physiques, et les sociétés anonymes monégasques, une inégalité qui est contraire au principe d'égalité consacré par l'article 17 de la Constitution.

Vu la duplique enregistrée au Greffe Général le 23 décembre 2011 par laquelle S. E. le Ministre d'État persiste dans ses conclusions au rejet de la requête et maintenant que si le Tribunal Suprême statuant en matière constitutionnelle reconnait le principe d'égalité devant les charges publiques, il n'a jamais consacré, en tant que tel, le principe d'égalité fiscale.

Attendu que de la même façon, le Tribunal Suprême statuant en matière constitutionnelle, a expressément jugé que l'on ne peut demander l'annulation d'une loi en ce que celle-ci méconnaîtrait l'objectif d'intelligibilité et l'accessibilité de la loi un tel objectif ne constituant pas une liberté ou un droit consacré par le titre III de la Constitution.

Attendu ensuite que les sociétés requérantes, tout en critiquant la définition donnée par l'article 1-2 de la loi n° 1381 du 29 juin 2011 à raison de son imprécision l'ont parfaitement compris lorsqu'elles écrivent : Ainsi le concept de bénéficiaire économique effectif balaie le plus large champ possible. Son domaine couvre finalement toutes les figures de l'attributaire final d'un revenu, même s'il n'a qu'une part minime de ce revenu et qu'il ne contrôle pas effectivement l'entité juridique.

Que soutenir que cette définition ne serait pas conforme à la conception de l'OCDE dans un rapport de 2002 est inopérant puisque dans l'exercice de sa souveraineté fiscale le législateur monégasque a opté pour la définition la plus large du bénéficiaire économique effectif et s'est refusé de restreindre cette notion aux personnes physiques qui contrôlent une entité juridique ; qu'ainsi que le rappelle l'exposé des motifs de la loi le contrôle d'une faible part, ou la perception d'un bénéfice même modéré d'une entité visée par le présent projet suffit à conférer à la personne physique concernée la qualité de bénéficiaire économique effectif.

Attendu que c'est à tort que les requérantes maintiennent que l'assiette du droit proportionnel, telle que fixée à l'article 13 de la loi, serait contraire au principe d'égalité devant les charges publiques, dès lors que le Ministre d'État a établi que les entités juridiques opaques ne se trouvent pas dans la même situation que les sociétés civiles immobilières monégasques dont les associés sont nécessairement connus des services fiscaux ; que dès lors elles ne peuvent se plaindre d'aucune discrimination.

Attendu qu'en ce qui concerne le caractère prétendument confiscatoire du droit proportionnel de 4,5 %, le Conseil constitutionnel du pays voisin a jugé qu'une taxe forfaitaire annuelle égale à 3 % de la valeur vénale des immeubles possédés en France par des entités juridiques directement ou par personnes interposées, était justifiée par l'objectif de valeur constitutionnelle de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale ; qu'Il a ajouté que, si le législateur français avait pu en exempter les entités juridiques ayant leur siège dans des pays couverts par des conventions d'assistance fiscale, il avait à bon droit et sans méconnaître le principe d'égalité, appliqué cette imposition aux entités juridiques relevant de pays n'offrant pas les mêmes garanties de transparence ; qu'il en a déduit que le législateur avait de la sorte institué une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de la loi et qu'il s'était fondé sur des critères objectifs et rationnels.

Que dans ces conditions, les sociétés requérantes sont malvenues à soutenir que l'institution à Monaco d'un droit ponctuel de 4,5 % lié à un changement occasionnel de bénéficiaire économique effectif serait manifestement disproportionné, et ce d'autant plus qu'il n'existe à Monaco aucune autre fiscalité immobilière que les droits d'enregistrement exigibles sur les mutations.

Attendu enfin que pour contester que les sociétés anonymes monégasques constituent des entités juridiques opaques, les requérantes excipent d'un projet de loi comportant un mécanisme obligatoire d'inscription des propriétaires et des cessionnaires des actions sur les registres des sociétés anonymes monégasques ; qu'une telle argumentation est inopérante dès lors que ce projet de loi, adopté le 7 décembre 2011, est postérieur à la loi n° 1381 du 29 juin 2011 et ne peut, par hypothèse, affecter rétroactivement la constitutionnalité de la loi déférée

Vu la demande de réouverture de l'instruction et de renvoi à une prochaine audience présentée par le Ministre d'État à l'audience du 27 juin 2012.

Vu la loi attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution du 17 décembre 1962 et notamment ses articles 17, 24, 70 et 90-A-2e ;

Vu l'Ordonnance n°2984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance du 15 septembre 2011 par laquelle M. le Président du Tribunal Suprême a désigné M. José SAVOYE, Membre Titulaire, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 23 janvier 2012 ;

Vu l'Ordonnance du 3 mai 2012 par laquelle M. le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience du 27 juin 2012 ;

Ouï M. José SAVOYE, Membre Titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître François-Henri BRIARD, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour la A, la B, la C, la D, la E et la F ;

Ouï Maître MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour l G ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions.

Statuant et délibérant en matière constitutionnelle

Considérant que les conclusions des sociétés requérantes, tendent à l'annulation de la loi n° 1381 du 29 juin 2011 (en ses articles 1, 2, 13 et 17), relative aux droits d'enregistrement exigibles sur les mutations de biens et de droits immobiliers, pour violation des articles 17 et 24 de la Constitution.

Sur l'incident de procédure

Considérant que la procédure devant le Tribunal Suprême est écrite; que l'ensemble des moyens et conclusions figurant dans les écritures des parties a été pris en considération au cours de l'instruction avant que la phase orale de la procédure permette d'en débattre contradictoirement; qu'il n'y a donc pas lieu de rouvrir l'instruction et de renvoyer le jugement de l'affaire;

Sur les moyens tirés de l'insuffisance d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi

Considérant que l'article 1er - 2e de la loi n° 1.381 du 29 juin 2011 relative aux droits d'enregistrement exigibles sur les mutations de biens et de droits immobiliers définit le « bénéficiaire économique effectif » comme «la ou les personnes physiques qui, en dernier lieu, en tout ou en partie, possèdent ou contrôlent ou encore ont le bénéfice ou une part du bénéfice d'une entité juridique, y compris les souscripteurs et les bénéficiaires de toute police d'assurance visée au chiffre 1e».

Considérant que l'intelligibilité et l'accessibilité de la loi ne figurent pas au nombre des libertés ou droits consacrés par le titre III de la Constitution; que le moyen tiré de la violation de cet objectif est donc inopérant;

Considérant au demeurant que la définition du bénéficiaire économique effectif donnée par l'article 1er - 2e de la loi est intelligible, le législateur en ayant délibérément donné une définition extensive après que l'exposé des motifs de la loi ait énoncé : « le contrôle d'une faible part, ou la perception d'un bénéfice même modéré d'une entité visée par le présent projet suffit à conférer à la personne physique concernée la qualité de bénéficiaire économique effectif ».

Considérant dès lors qu'il est vainement soutenu que l'imprécision de la définition du bénéficiaire économique effectif porterait atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques tiré de l'article 17 de la Constitution, en l'absence de caractérisation de la notion de contrôle des différentes entités juridiques, alors qu'il ressort de l'exposé des motifs de la loi que celle-ci a formellement exclue cette caractérisation;

Sur la violation de l'article 17 de la Constitution

Considérant que l'article 17 de la Constitution dispose : « les Monégasques sont égaux devant la loi. Il n'y a point entre eux de privilèges »; que cette disposition ne s'oppose, ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.

Considérant que l'article 2 de la loi déférée, en assujettissant toute entité juridique titulaire de droits réels sur un ou plusieurs biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté, quel que soit le lieu de son siège social ou la législation qui lui est applicable à une obligation de déclaration annuelle auprès de la Direction des services fiscaux, de changement ou d'absence de changement du ou de l'un des bénéficiaires économiques effectifs de ces droits, déclaration dont il dispense, tant les sociétés civiles immatriculées à Monaco, autres que celles ayant la forme anonyme ou en commandite, dont les associés sont exclusivement des personnes physiques agissant pour leur propre compte lorsque leur identité est connue de la Direction des services fiscaux, que ces mêmes sociétés civiles, lorsqu'elles sont détenues par d'autres sociétés civiles immatriculées à Monaco remplissant les mêmes conditions, ainsi que les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé et qui ont été agréées par les autorités monégasques; que cette disposition est en rapport avec l'objet de la loi; qu'elle ne porte donc pas atteinte au principe d'égalité devant la loi ;

Considérant qu'est ensuite contestée la constitutionnalité de l'article 13 de la loi déférée aux termes duquel : « en cas de changement du ou de l'un des bénéficiaires économiques effectifs, un droit proportionnel au taux de 4,5 % est exigible sur l'entière valeur des biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté et sur lequel l'entité juridique concernée est titulaire de droits réels »;

Qu'une telle disposition ne méconnait pas le principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que l'entité juridique concernée se voit offrir par la loi la possibilité de sortir de l'opacité en attribuant les droits réels dont elle est indirectement propriétaire à Monaco à des personnes physiques ou à des sociétés civiles immobilières immatriculées à Monaco détenues par des personnes physiques, de telle sorte qu'elles puissent bénéficier pour leurs mutations ultérieures du taux de 4,5 % applicable désormais aux personnes physiques et aux sociétés immobilières Monégasques, calculé sur la seule valeur de la quote part cédée, et non sur l'ensemble des immeubles possédés à Monaco;

Que ce n'est donc que dans l'hypothèse où l'entité juridique ne souhaiterait pas sortir de l'opacité qu'elle sera soumise à l'obligation annuelle d'une déclaration par mandataire agréé indiquant s'il y a eu ou non au cours de l'année considérée au sein de l'entité propriétaire d'immeubles à Monaco, le changement « du ou de l'un des bénéficiaires économiques effectifs » et que, dans ce cas, le droit proportionnel de 4,5 % sera dû «sur l'entière valeur vénale des biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté et sur lesquels l'entité juridique concernée est titulaire de droits réels»;

Qu'il relève donc de la libre administration desdites entités juridiques d'être ou non assujetties à la disposition fiscale qu'elles critiquent;

Considérant que si la loi traite différemment les personnes physiques et les sociétés civiles immobilières monégasques dont les associés sont des personnes physiques nécessairement connues de l'administration d'une part, et d'autre part, les entités juridiques dont les personnes physiques qui les composent ne sont pas nécessairement connues de l'administration, cette différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit et traduit le souhait du législateur de connaître l'identité des personnes physiques détentrices finales des immeubles situés sur le territoire de la Principauté ;

Considérant que le dispositif mis en place a notamment pour objet d'inciter les sociétés opaques à se transformer en sociétés civiles immobilières monégasques détenues par des personnes physiques nécessairement connues de l'administration fiscale ; que dès lors, l'atteinte prétendue au principe d'égalité de traitement devant les charges publiques que constituerait le droit proportionnel de 4,5 % assis sur l'entière valeur vénale des immeubles possédés est en rapport avec l'objet de la loi ;

Considérant qu'il est par ailleurs soutenu que les articles 2 et 17 de la loi créeraient entre les sociétés civiles immobilières immatriculées à Monaco détenues par des personnes physiques et les sociétés anonymes monégasques, une discrimination contraire au principe d'égalité consacré par l'article 17 de la Constitution, en ce que serait appliqué un régime fiscal différent à des sociétés se trouvant dans des situations comparables sinon identiques ;

Considérant que, si les sociétés anonymes monégasques sont soumises à un régime juridique spécifique, pour autant leur situation ne serait comparable à celle des sociétés civiles immobilières immatriculées qu'à la condition qu'il existât une obligation légale de publicité des cessions d'actions des sociétés anonymes monégasques ; qu'une telle obligation n'existait pas à la date de publication de la loi déférée ;

Considérant qu'il ne peut davantage être soutenu que les listes de présence aux assemblées générales permettraient à l'administration de connaître les changements d'actionnariats au sein des sociétés anonymes monégasques alors que la tenue d'une feuille de présence ne revêt aucun caractère obligatoire, n'est sanctionnée par aucune prescription particulière et qu'il n'existe, à la date de publication de la loi, aucune obligation de notification à l'administration des cessions de titres ou de participation des actionnaires aux assemblées générales ; que dès lors la différence de traitement établie par la loi n'est pas contraire au principe d'égalité ;

Sur la violation de l'article 24 de la Constitution

Considérant que cet article dispose: «La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi»;

Considérant que l'article 13 précité ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété garanti par l'article 24 de la Constitution dès lors que le droit d'enregistrement qu'il institue est dû, non par le nouveau bénéficiaire économique effectif acquéreur des parts, qui demeure inconnu, mais par l'entité juridique concernée ; qu'au demeurant cette dernière a la liberté de se transformer en société civile immobilière;

Considérant que le grief de risque de double imposition en cas de mutation à titre gratuit en ligne non directe manque en fait dès lors que le droit de 4,5 % exigible en cas de changement de bénéficiaire économique effectif est dû par l'entité juridique alors que les droits de mutation en ligne non directe sont dus par les personnes physiques bénéficiaires desdites mutations ; que la loi ne saurait être interprétée comme ayant pour objet ou pour effet d'instaurer un cumul d'imposition; qu'il appartient aux services fiscaux d'en tirer les conséquences;

Que dans ces conditions il y a lieu d'écarter l'ensemble des moyens des sociétés requérantes.

Dispositif🔗

DÉCIDE :

Article 1er🔗

La demande de réouverture de l'instruction et de renvoi à une prochaine audience est rejetée.

Article 2🔗

La requête est rejetée.

Article 3🔗

Les dépens sont mis à la charge de la A, la B, la C, La D, la E et la F.

Article 4🔗

Expédition de la présente décision sera transmise à M. le Ministre d'État.

Composition🔗

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Hubert CHARLES, commandeur de l'ordre de Saint-Charles, président, Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, vice-président, Monsieur José SAVOYE, membre titulaire, rapporteur, et Monsieur Didier LINOTTE, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, membre titulaire, et Monsieur Frédéric ROUVILLOIS, membre suppléant,

et prononcé le quatre juillet deux mille douze en présence de Monsieur Jean-Pierre DRÉNO, Procureur général par Monsieur Hubert CHARLES, commandeur de l'ordre de Saint-Charles, Président assisté de Madame Béatrice BARDY, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, greffier en chef.

Le Greffier en Chef, le Président.

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