Tribunal Suprême, 1 décembre 2011, A. c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif. Recours en annulation. Acte administratif individuel.

Recours pour excès de pouvoir

Étranger. Décision administrative de refus de modifier la mesure de refoulement du territoire monégasque.

Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs. Mention de l'ordonnance n° 3.153 du 19 mars 1964 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en Principauté, des faits sanctionnés par la juridiction pénale engagée en raison de la méconnaissance de la décision administrative. Obligation légale respectée (oui).

Décision administrative fondée sur une condamnation prononcée par une juridiction pénale monégasque. Erreur manifeste d'appréciation (non).

Inapplicabilité du principe de présomption d'innocence aux mesures de police administrative.

Autorité administrative non liée par la décision de la juridiction pénale.

Violation du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentale. Moyen inopérant. Décision légale (oui).

Procédure

Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal suprême.

Délai de recours. Deux mois à compter de la date où la décision contestée est connue de l'intéressé.

Délai expiré. Irrecevabilité (oui).

Décision motivée. Contrôle exercé par le Tribunal suprême. Nécessité d'une mesure d'instruction complémentaire (non).


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême,

Siégeant et délibérant en assemblée plénière,

Vu la requête de Monsieur A., tendant à l'annulation de la décision du 16 décembre 2010 par laquelle le Ministre d'État a rejeté le recours gracieux qu'il avait formé le 9 septembre 2010 tendant à voir rapporter ou aménager la décision de refoulement prise à son encontre le 21 février 2008, ainsi que, le cas échéant, la nullité de la décision de refoulement elle-même ;

Ce faire :

Attendu que, selon la requête enregistrée au greffe général le 16 février 2011, Monsieur A. a été condamné par le Tribunal correctionnel de Monaco le 15 janvier 2008 pour recel de vol ; que par lettre du 21 février 2008 le Ministre d'État lui a fait savoir qu'il avait édicté à son encontre une mesure de refoulement du territoire monégasque et l'a invité à se rapprocher de la Division administrative de la Direction de la Sûreté Publique afin que cet acte lui soit notifié ; que, par courrier du 9 septembre 2010, il a formé un recours gracieux auprès du Ministre d'État pour solliciter la levée de la mesure de refoulement ou à défaut son aménagement pour pouvoir traverser la Principauté de Monaco afin d'y déposer ses clients dans le cadre de son activité professionnelle d'artisan taxi ; que ce recours a été rejeté par lettre du 17 décembre 2010 ;

Attendu que, sur la légalité externe, tant la décision de rejet de son recours gracieux que la décision initiale de refoulement du 21 février 2008 méconnaissent les dispositions de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 sur la motivation des actes administratifs :

– que tout d'abord, en ce qui concerne la décision de rejet de son recours gracieux, le Ministre d'État ne pouvait, sans violer la présomption d'innocence, fonder sa décision sur les poursuites, dont il ne pouvait connaître l'issue, diligentées à son encontre après qu'il ait été contrôlé le 27 août 2010 à Monaco avec un client dans son taxi en violation de la décision de refoulement ; qu'il a d'ailleurs bénéficié d'un jugement de relaxe du 18 janvier 2011 du Tribunal correctionnel de Monaco au motif que la copie de la mesure de refoulement fondant la poursuite versée au dossier pénal ne comportait pas la signature du Ministre d'État ; que, de plus, les faits à l'origine de la mesure de refoulement sont rappelés de manière insuffisante dans la décision attaquée, à laquelle le Ministre d'État a omis de joindre le jugement du Tribunal correctionnel du 15 janvier 2008 et la décision de refoulement du 21 février 2008 ; qu'enfin le Ministre d'État aurait dû aussi joindre à sa décision l'enquête administrative mentionnée dans la décision de refus ; qu'il sollicite en conséquence que le Tribunal suprême enjoigne au Ministre d'État de produire de cette enquête administrative ;

– qu'ensuite la décision de refoulement du 21 février 2008, dont il sollicite l'annulation par voie d'exception pour n'en avoir pas reçu confirmation par décision administrative motivée, est aussi dépourvue de motivation ;

Attendu que, sur la légalité interne, ni la mesure de refoulement ni le rejet de son recours demandant la levée ou l'aménagement de la mesure de refoulement pour raisons professionnelles ne sont fondés, car ils ne constituent pas un trouble pour l'ordre public, qu'il a payé sa dette à la société, que son casier judiciaire français est vierge et que ces mesures le privent de son travail d'artisan taxi qui le contraint à passer temporairement mais nécessairement par Monaco et ce en violation du droit à la liberté de circulation de l'article 2 du protocole n° 4 additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

Vu la contre-requête du Ministre d'État, enregistrée le 21 avril 2011, tendant au rejet de la requête par les motifs :

– que l'exception d'illégalité de la mesure de refoulement n'est pas recevable, la mesure de refoulement étant devenue définitive faute d'avoir été contestée en temps utile ;

– que la décision de refus de levée ou d'aménagement de la mesure de refoulement, dénommée par le requérant « rejet de son recours gracieux », satisfait aux exigences requises en matière de motivation des actes administratif et qu'en conséquence l'autorité administrative n'avait à y adjoindre ni le jugement du Tribunal correctionnel de Monaco du 15 janvier 2008 ni la mesure de refoulement du 21 février 2008, encore moins l'enquête administrative ; qu'en conséquence la demande d'injonction doit être rejetée ;

– que, sur le fond, aucune erreur d'appréciation n'entache la décision du 16 décembre 2010 de refus de levée ou d'aménagement de la mesure de refoulement ; qu'est inopérant le moyen tiré de la violation des dispositions relatives à la liberté de circulation, qui ne s'applique qu'aux étrangers résidant régulièrement sur le territoire d'un État ;

Vu la réplique de M. A., enregistrée le 20 mai 2011, qui tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens en précisant que la communication de l'enquête administrative s'impose au regard des principes généraux du contradictoire, du respect des droits de la défense et de l'égalité des armes, qu'il ne constitue plus une menace pour l'ordre public monégasque, qu'il était primo délinquant et n'a jamais récidivé, que la violation de la mesure a été isolée, que sa demande est purement professionnelle ;

Vu la duplique du Ministre d'État, enregistrée le 24 juin 2011, tendant au rejet de la requête par les mêmes moyens que précédemment et en outre relevant qu'aucune considération tirée du principe du contradictoire, des droits de la défense ou de l'égalité des armes ne peut être invoquée pour revendiquer la communication d'une enquête administrative au soutien d'un grief de motivation ; que le caractère professionnel allégué de la demande ne fait en rien disparaître la menace à l'ordre public s'agissant d'un professionnel en contact avec des usagers qui doivent pouvoir compter sur son honnêteté ;

Vu les décisions attaquées ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment en son article 90 B 1° ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal suprême ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et notamment l'article 2 du protocole n° 4 additionnel ;

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu l'ordonnance du 21 février 2011 par laquelle le Président du Tribunal suprême a désigné Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, membre suppléant comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture en date du 5 septembre 2011 par laquelle le Président du Tribunal suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 18 novembre 2011 ;

Ouï Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, membre du Tribunal suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Géraldine GAZO, Avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco pour M. A. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIÉ, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour l'État de Monaco ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions

Après en avoir délibéré,

Considérant que Monsieur A., artisan taxi, a demandé, pour motif professionnel, la levée ou l'aménagement de la mesure de refoulement du territoire monégasque prise à son encontre le 21 février 2008 ; que le Ministre d'État a rejeté sa demande ;

Sur la recevabilité de l'exception d'illégalité de la décision de refoulement du 21 février 2008 :

Considérant que l'alinéa 2 de l'article 3 de l'ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée dispose qu'«en toute hypothèse le recours doit, à peine d'irrecevabilité, être formé dans les deux mois à partir du jour où le fait sur lequel il est fondé a été connu de l'intéressé. En cas de contestations, la preuve de cette connaissance incombe à la partie défenderesse» ;

Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier par Monsieur A. que, par courrier recommandé du 16 janvier 2009, le Ministre d'État a rejeté la première demande d'aménagement de la mesure de refoulement prise à son encontre le 21 février 2008 ; qu'il en résulte que, au plus tard à cette date, le requérant connaissait l'existence de cette mesure de refoulement, même s'il pouvait en ignorer les motifs exacts ; que faute d'avoir fait l'objet de recours dans le délai de deux mois à compter de cette date la décision de refoulement, qui n'est pas de nature réglementaire, a acquis un caractère définitif ; que, par suite, son irrégularité ne peut plus être invoquée à l'appui du recours formé contre la décision du 16 décembre 2010 de refus de levée ou d'aménagement de la mesure de refoulement ;

Sur la légalité de la décision du 16 décembre 2010 :

Sur l'insuffisance de motivation :

Considérant que l'article 2 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 dispose que « la motivation doit être écrite et comporter, dans le corps de la décision, l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ;

Considérant que la décision attaquée mentionne l'ordonnance souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en Principauté, les faits de recels de vol qui ont entraîné la condamnation de Monsieur A. par le Tribunal correctionnel de Monaco le 15 janvier 2008 à une peine de huit mois de prison ferme, la mesure de refoulement du territoire monégasque du 21 février 2008, ainsi qu'une procédure pénale diligentée à son encontre pour avoir été contrôlé à Monaco le 28 août 2010 en dépit de la mesure d'interdiction ministérielle prise à son encontre ; qu'ainsi les obligations de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 ont été respectées ;

Sur la demande de prononcé d'une mesure d'instruction complémentaire  :

Considérant que la motivation de la décision attaquée, sur laquelle le Tribunal suprême a été en mesure d'exercer son contrôle, est conforme à la loi précitée du 29 juin 2006 ; que la demande de prononcé d'une mesure d'instruction complémentaire est donc sans objet ;

Sur l'illégalité des motifs  :

Considérant que le Ministre d'État a pris la décision attaquée en considération des faits de recels de vol ayant entraîné la condamnation de Monsieur A. par le Tribunal correctionnel de Monaco le 15 janvier 2008 à huit mois d'emprisonnement et révélant un comportement préjudiciable à la sécurité publique, ainsi que d'une procédure diligentée à son encontre pour avoir été contrôlé sur le territoire monégasque le 28 août 2010 en dépit de l'interdiction ministérielle qui lui en avait été faite, démontrant une attitude incompatible avec le respect de l'ordre public ;

Considérant qu'en en déduisant que la présence, même pour motif professionnel, de Monsieur A. à Monaco représentait une menace pour la préservation de l'ordre public, le Ministre d'État n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ;

Considérant que le principe de présomption d'innocence ne s'applique pas aux mesures de police administrative ;

Considérant que la décision de relaxe pour infraction à mesure de refoulement prise le 18 janvier 2011 par le Tribunal correctionnel de Monaco ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que l'autorité administrative prenne en compte des faits constatés par cette décision ;

Considérant qu'est inopérant le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 2 du protocole n° 4 additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales relatives à la liberté de circulation, qui ne s'applique qu'aux étrangers résidant régulièrement sur le territoire d'un État ;

Considérant qu'il suit de là que M. A. n'est pas fondé à demandé à l'annulation des décisions attaquées ;

Dispositif🔗

DÉCIDE :

Article 1er🔗

La requête de M. A. est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de M. A.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise à S.E. Monsieur le Ministre d'État.

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