Tribunal Suprême, 29 novembre 2010, M. c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif. Recours en cassation.

Recours en cassation

Constitution article 90 B. Loi n° 1.029, du 16 juillet 1980, concernant l'exercice de la pharmacie. Infliction de sanctions disciplinaires. Compétence respective de la Chambre de discipline et du Ministre d'État. Décision déférée prise par le Ministre d'État contestable par la voie du recours pour excès de pouvoir et non par celle du recours en cassation. Décision administrative. Incompétence du Tribunal Suprême pour statuer comme juge de cassation.


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême,

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête présentée par Monsieur M., enregistrée au greffe général de la Principauté de Monaco le 16 novembre 2009 sous le numéro TS 2010/03 et tendant à la cassation et à l'annulation de l'arrêté ministériel n° 2009-496 du 2 octobre 2009 portant suspension temporaire de son autorisation d'exercer la pharmacie ;

Ce faire :

Attendu que, le 28 avril 2008, M. M. a été convoqué devant la Chambre de discipline des pharmaciens le 27 mai 2008, dans le cadre d'une procédure disciplinaire engagée contre lui pour « avoir, en tant que pharmacien responsable du Comptoir pharmaceutique méditerranéen, grossiste répartiteur, participé (…) à des opérations de rétrocession de médicaments, d'accessoires et de cosmétiques à (un) pharmacien d'officine » pour des montants qui, de 2003 à 2006, s'élèvent à un total de 2 153 000 € ; que, à l'issue de cette procédure, la Chambre de discipline a le 27 mai 2008 proposé au Ministre d'État de suspendre M. M. pour une durée d'un mois ; que cette suspension a été décidée par arrêté ministériel du 19 août 2008; que, le 4 juillet 2008, il a, devant la Chambre supérieure de discipline des pharmaciens, interjeté appel de la décision de la Chambre disciplinaire du 27 mai 2008, puis, le 4 septembre 2008, M. M. interjeté appel, devant la même Chambre Supérieure, de l'arrêté ministériel du 19 août 2008 ; que, par décision du 16 juin 2009, statuant sur l'appel formé contre l'arrêté ministériel, la Chambre supérieure de discipline a confirmé le principe de la sanction mais proposé au Ministre d'État de réduire la suspension à 15 jours ; que, le 30 juillet 2009, M. M. a formé devant le Tribunal Suprême un recours en cassation contre cette décision de la Chambre supérieure de discipline ; que c'est dans ces conditions qu'est intervenu l'arrêté ministériel du 2 octobre 2009 qui, suivant la proposition de la Chambre supérieure, a modifié la durée et la période de suspension de M. M., arrêté ministériel contre lequel est formé le présent recours en cassation ;

Attendu que le recours de M. M. est recevable dès lors que, par deux décisions en date du 16 février 2009, relatives à une précédente procédure disciplinaire engagée contre M. M., le Tribunal Suprême a posé le principe selon lequel les propositions adressées au Ministre d'État par les chambres de discipline des pharmaciens n'ayant pas de caractère décisoire, seules sont recevables devant le Tribunal Suprême les requêtes formées contre les décisions ministérielles prises sur proposition de ces chambres ; qu'ainsi, la Chambre supérieure étant une instance d'appel et les motifs de la décision ministérielle ne se trouvant que dans la proposition de la Chambre supérieure, la décision ministérielle doit être considérée comme une décision juridictionnelle contre laquelle un recours en cassation est recevable et les moyens de cassation doivent viser les motifs figurant dans la décision de la chambre supérieure de discipline ;

Attendu que, sur le fond, l'arrêté ministériel du 2 octobre 2009 a violé les textes applicables à la composition de la chambre de discipline des pharmaciens, ainsi que la Convention européenne des droits de l'Homme, et a condamné M. M. sans base légale ; que la cassation de l'arrêté ministériel du 2 octobre 2009 doit entraîner celle de l'arrêté ministériel du 19 août 2008, les deux arrêtés étant indissociables ;

Attendu que deux membres de la Chambre de discipline ont été nommés par le Conseil de l'Ordre alors que, aux termes des articles 17 et 23 de la loi n° 1029 du 16 juillet 1980 concernant l'exercice de la pharmacie, ils auraient dû être élus au scrutin secret par l'Assemblée générale des sections de l'Ordre ou, à la rigueur, par le bureau de section ; que, s'agissant de la composition de la Chambre supérieure, d'une part rien n'établit que ces membres aient été effectivement élus, comme le prévoit l'article 17 de la loi n° 1029, plutôt que nommés, et d'autre part, s'ils ont été élus, que cette élection ait respecté le caractère secret et le mode de scrutin prévus par le même article 17 ; que la composition de la Chambre supérieure était encore irrégulière en ce qu'il aurait été nécessaire de procéder à une nouvelle élection après l'appel de M. M. du 4 septembre 2008 et non se satisfaire de la composition de la Chambre supérieure appelée à se prononcer sur son appel du 4 juillet 2008 ;

Attendu que la Convention européenne des droits de l'Homme, et plus particulièrement son article 6 § 1, a été violée en ce que les demandes de récusation, dans chacune des deux chambres disciplinaires saisies, de l'assesseur chargé de rapporter son affaire ont été rejetées ; qu'en effet, l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme s'oppose à que le rapporteur désigné par le Président de la Chambre de discipline participe au délibéré ;

Attendu que l'article 27 de la loi n° 1029 précitée dont la violation est reprochée à M. M. ne s'applique qu'aux pharmaciens d'officine et non aux grossistes répartiteurs ; que la faute qui lui est reprochée n'est prévue et sanctionnée par aucun texte ; qu'il s'agit en réalité de le punir d'une faute commise par un pharmacien d'officine en le considérant comme complice de celui-ci alors que la notion de complicité est inconnue des textes régissant la pharmacie et la déontologie des pharmaciens ; qu'il y a ainsi eu violation du principe de légalité et, du même coup, de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'Homme ou, à tout le moins, des principes du procès équitable posés par l'article 6 § 1 de la même convention ;

Attendu que la requête de M. M. doit être jointe à celle qu'il a formée le 30 juillet 2009 contre la décision de la Chambre supérieure de discipline du 16 juin 2009 pour que le Tribunal Suprême, statuant comme juge de cassation, puisse renvoyer l'affaire devant la Chambre supérieure de discipline, cette fois régulièrement composée ; que toutefois, à titre subsidiaire, à défaut d'une possibilité de renvoi, le Tribunal Suprême pourra prononcer l'annulation pure et simple, sans renvoi, de la décision attaquée.

Vu, enregistrée le 18 janvier 2010, la contre-requête du Ministre d'État, laquelle tend au rejet de la requête formée par Monsieur M. ;

Attendu que c'est à l'occasion de la cession d'une officine pharmaceutique qu'il est apparu que, de 2002 à 2004, l'ancien titulaire de cette officine s'était livré à la rétrocession d'importantes quantités de produits pharmaceutiques au Comptoir pharmaceutique méditerranéen ; que cet ancien titulaire et M. M., en sa qualité de pharmacien responsable du Comptoir pharmaceutique méditerranéen, ont fait l'objet d'une procédure disciplinaire ; que, à l'égard de M. M., cette procédure s'est conclue par une interdiction d'exercice d'un mois, du 1er au 30 juin 2008, prononcée par le Ministre d'État le 7 mars 2008 sur proposition de la Chambre supérieure de discipline ; que, M. M. ayant formé un recours contre cette sanction, le Tribunal Suprême a déclaré sa requête irrecevable par sa décision n° 2008-10 du 16 février 2009 ;

Attendu qu'une inspection ayant été réalisée le 20 avril 2006, il est apparu que M. M. avait bénéficié d'autres rétrocessions de la part d'un autre pharmacien d'officine ; que, ce dernier a fait l'objet d'une procédure disciplinaire en même temps qu'était engagée contre M. M. une deuxième procédure disciplinaire ; que la Chambre de discipline ayant proposé une suspension d'exercice d'un mois, par arrêté du 19 août 2008 le Ministre d'État a prononcé la sanction de suspension de l'autorisation d'exercice du 1er au 31 octobre 2008, que, toutefois, M. M. a contesté cet arrêté devant la Chambre supérieure qui, le 16 juin 2009, a proposé au Ministre d'État de réduire la durée de la suspension à 15 jours ; que c'est dans ces conditions que, par l'arrêté ici attaqué par la voie du recours en cassation, en date du 2 octobre 2009, le Ministre d'État a modifié son arrêté du 19 août 2008 et prononcé la suspension de l'autorisation d'exercice de M. M. du 1er au 15 décembre 2009 ;

Attendu, à titre principal, que la requête est irrecevable en tant qu'elle prend la forme d'un recours en cassation ; qu'en effet, si les sanctions disciplinaires les plus légères (avertissement et blâme) sont infligées directement par la Chambre de discipline (avec possibilité d'appel devant la Chambre supérieure qui peut les confirmer ou les réformer elle-même), en revanche les autres sanctions sont infligées par le Ministre d'État sur proposition de la Chambre de discipline ; que l'arrêté du Ministre d'État peut être contesté devant la Chambre supérieure, laquelle ne peut que proposer au Ministre d'État de la confirmer ou de la réformer, la décision finale appartenant au Ministre d'État ; que le Ministre d'État est une autorité administrative dont les décisions peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal Suprême ; que la sanction qu'il prononce ne peut pas être regardée comme émanant d'une juridiction administrative relevant du recours en cassation devant le Tribunal Suprême ; que c'est d'ailleurs ce qui résulte des deux décisions rendues le 16 février 2009 par le Tribunal Suprême à l'occasion de la première procédure disciplinaire engagée à l'encontre de M. M. ;

Attendu sur le fond, et à titre subsidiaire, que la Chambre de discipline et la Chambre supérieure ont été régulièrement composées ; que, s'agissant de la première, l'article 23 de la loi n° 1029 signifie que deux assesseurs doivent être choisis par chaque bureau de section parmi les membres du Conseil de l'Ordre déjà élus selon les règles fixées par l'article 17 ; que, s'agissant de la Chambre supérieure, l'article 24 de la loi n° 1029 signifie que deux assesseurs sont choisis par le Conseil de l'Ordre en son sein, tous les membres de ce Conseil étant nécessairement élus selon les règles fixées par l'article 17, les deux autres étant choisis par le Ministre d'État en dehors du Conseil de l'Ordre ;

Attendu que l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme n'a pas été violé du fait de la participation du rapporteur de chaque chambre de discipline au délibéré ; qu'en effet la procédure disciplinaire fait intervenir successivement deux rapporteurs dont l'un est chargé de l'instruction du dossier, d'entendre le pharmacien poursuivi, de recueillir des témoignages et de procéder aux investigations nécessaires ; qu'aux termes de l'ordonnance n° 8.401 du 26 septembre 1985, son rapport doit être objectif et ne pas contenir d'avis sur la culpabilité du pharmacien ; que l'autre rapporteur prévu est l'un des assesseurs, membre de la formation disciplinaire, qui présente l'affaire à ses collègues et participe au délibéré ; que c'est ce deuxième rapporteur qui est visé par le recours en cassation de M. M.; que la nature même de ses attributions relève de la fonction de jugement et n'emporte aucune appréciation préalable de culpabilité qui affecterait l'impartialité de la formation disciplinaire ;

Attendu que la loi n° 1029 sur l'exercice de la pharmacie s'applique à tous les pharmaciens quel que soit leur mode d'exercice ; qu'il n'existe pas d'énumération légale des fautes disciplinaires ; qu'en la matière il convient de prendre en considération l'ensemble du comportement du pharmacien de sorte, en particulier, que le fait de favoriser un manquement professionnel commis par un pharmacien d'officine constitue en soi, pour le grossiste répartiteur qui en est l'auteur, une faute professionnelle.

Vu, enregistré le 17 février 2010, le mémoire en réplique par lequel Monsieur M. persiste dans les voies de sa précédente argumentation, précisant :

Que, s'agissant de la recevabilité de son recours en cassation, M. M. interprète les deux décisions rendues par le Tribunal Suprême le 16 février 2009, comme signifiant que les deux recours qu'il a déposés, le premier contre la décision de la Chambre supérieure du 16 juin 2009, et le second contre l'arrêté ministériel du 2 octobre 2009, doivent être déclarés recevables ; qu'il résulte de la loi n° 1029 que les deux assesseurs de la Chambre de discipline et deux des quatre assesseurs de la Chambre supérieure doivent être spécialement élus et non désignés parmi les conseillers ordinaux déjà élus ; que l'assesseur désigné comme rapporteur doit nécessairement donner un avis sur la culpabilité, ce qui entache la décision de partialité objective et que le seul fait que le Ministre d'État avoue qu'il n'y a pas de définition légale des fautes disciplinaires suffit à démontrer l'absence de base légale de la sanction.

Vu, enregistré le 23 mars 2010, le mémoire en duplique du Ministre d'État, qui conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que ceux développés dans la contre-requête tant sur l'irrégularité formelle en cassation que sur l'incompétence d'attribution du Tribunal Suprême et la régularité de la décision contestée.

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B ;

Vu l'ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, notamment ses articles 6-1 et 7, ensemble ses protocoles additionnels, rendus exécutoires par les ordonnances souveraines n° 408 et 411 du 15 février 2006 ;

Vu la loi n°1029 du 16 juillet 1980 concernant l'exercice de la pharmacie ;

Vu l'ordonnance n° 8401 du 26 septembre 1985 relative à la procédure disciplinaire en matière d'exercice de la pharmacie ;

Vu l'ordonnance du 2 décembre 2009 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Jean-Michel LEMOYNE de FORGES, Vice-Président, comme rapporteur ;

Vu le procès verbal de clôture en date du 2 juillet 2010 ;

Vu l'ordonnance du 21 septembre 2010 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 17 novembre 2010 ;

À l'audience du 17 novembre 2010 sur le rapport de Monsieur Jean-Michel LEMOYNE de FORGES, Vice-Président du Tribunal Suprême ;

Ouï Maître Jean-Pierre LICARI, Avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Monsieur M. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation française, pour l'État de Monaco ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré,

Considérant que Monsieur M., pharmacien responsable du Comptoir pharmaceutique méditerranéen, a fait l'objet de poursuites disciplinaires devant la Chambre de discipline de l'Ordre des pharmaciens pour manquement aux règles professionnelles ; que, le 27 mai 2008, la Chambre de discipline a proposé au Ministre d'État de sanctionner ces manquements en suspendant son autorisation d'exercer pour un mois ; que le Ministre d'État a pris à son encontre, le 19 août 2008, un arrêté n° 2008-473 portant suspension temporaire de l'autorisation d'exercer la pharmacie ; que Monsieur M. a porté cet arrêté devant la Chambre supérieure de discipline des pharmaciens ; que, le 16 juin 2009, la Chambre supérieure a proposé au Ministre d'État de réduire la durée de la suspension à quinze jours ; que, par arrêté ministériel n° 2009-496 du 2 octobre 2009, le Ministre d'État a modifié son arrêté précité du 19 août 2008 et pris à l'encontre de Monsieur M., à titre de sanction, une mesure de suspension temporaire de l'autorisation d'exercer la pharmacie pendant quinze jours ; que le Tribunal Suprême est saisi d'un recours en cassation à l'encontre de cet arrêté ministériel du 2 octobre 2009.

Sur la compétence du Tribunal Suprême :

Considérant qu'aux termes de l'article 90 B de la Constitution, « le Tribunal Suprême statue souverainement : (…) 2° sur les recours en cassation formés contre les décisions des juridictions administratives statuant en dernier ressort » ;

Considérant qu'aux termes de l'article 23 de la loi n° 1029 du 16 juillet 1980 concernant l'exercice de la pharmacie : « les sanctions disciplinaires sont prononcées dans les conditions suivantes : 1° l'avertissement et le blâme sont infligés par une chambre de discipline (…) ; 2° les autres sanctions sont décidées, en cas de faute grave, par un arrêté ministériel pris sur la proposition de la Chambre de discipline » ; que l'article 24 de la même loi prévoit que les décisions prises par le ministre d'État sur la proposition de la Chambre de discipline peuvent être portées, dans le mois de leur notification, devant une Chambre supérieure de discipline, laquelle « peut (…) proposer, s'il y a lieu, de modifier la décision administrative prononçant une des sanctions énumérées aux chiffres 3, 4 et 5 de l'article 22 » ;

Considérant qu'aux termes même de l'article 24 précité, l'arrêté ministériel pris sur la proposition de la Chambre supérieure de discipline constitue une « décision administrative », susceptible à ce titre de faire l'objet d'un recours pour excès pouvoir devant le Tribunal Suprême, et non une décision émanant d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort ; qu'ainsi cet arrêté ministériel ne relève pas de la compétence du Tribunal Suprême statuant comme juge de cassation.

Dispositif🔗

DÉCIDE :

Article 1er🔗

La requête de Monsieur M. est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de Monsieur M.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

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