Tribunal Suprême, 30 novembre 2009, Hoirie V. c/ État de Monaco Intervenant volontaire S. B. S.

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Logement

Loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1erseptembre 1947 - Classement d'un appartement dans le secteur protégé - Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs

Procédure

Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême - Recours gracieux - Rejet - Recours hiérarchique - Prorogation du délai de recours contentieux - Recours contentieux tardif - Irrecevabilité. Intervention d'un tiers - Recours tardif. Irrecevabilité


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête des hoirs V. enregistrée au Greffe Général le 16 janvier 2009, tendant à l'annulation du rejet tacite opposé par S.E. le Ministre d'État au recours gracieux formé le 16 septembre 2008 à l'encontre de la décision de la Direction de l'Habitat de classer l'appartement situé au deuxième étage de l'immeuble dénommé « Villa », sis numéro (anciennement n°) [adresse] dans le secteur « protégé » relevant de la loi n° 1.235 modifiée, décision matérialisée par un courrier adressé par ladite Direction à Maître Henry REY, notaire, le 30 juin 2008, confirmée par courrier du 21 août 2008.

Ce faire :

Attendu que les hoirs V. sont propriétaires d'un appartement situé au deuxième étage de l'immeuble dénommé « Villa », sis [adresse] à Monaco Condamine, ledit appartement, propriété de la famille V. depuis la construction de l'immeuble, étant en indivision depuis la mort d'Étienne V. le 22 novembre 1923 ;

Que L. V., accompagné de son épouse et de leur fils, vint en 1944 habiter l'appartement vide de tout occupant, et ce, sans discontinuer jusqu'à son décès en avril 2008 ;

Attendu que suite à ce décès, les hoirs V., copropriétaires indivis, ont décidé de mettre en vente cet appartement ;

Que c'est dans ce contexte qu'ils ont été avisés de la décision de la Direction de l'Habitat de classer ledit appartement dans le secteur « protégé » relevant de la loi n° 1.235 modifiée, décision matérialisée par un courrier adressé par ladite Direction à Maître Henry REY, Notaire, le 30 juin 2008, confirmée par courrier du 21 août 2008 ;

Que les hoirs V. ont alors présenté, le 16 septembre 2008 un recours gracieux auprès de S.E.M. le Ministre d'État ; qu'en l'absence de réponse, ledit recours gracieux doit être considéré comme tacitement rejeté ;

Attendu tout d'abord sur la légalité externe, qu'en application des dispositions de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006, les décisions administratives doivent être motivées, alors que la décision de classement dans le secteur « protégé » ne comporte aucune motivation ; qu'elle est dès lors illégale ;

Attendu en outre que le courrier confirmatif adressé par la Direction de l'Habitat le 21 août 2008 au représentant de l'hoirie V., comporte également une motivation imprécise et insuffisante, assimilable à une absence de motivation ;

Qu'il résulte dès lors de l'examen de la légalité externe de la décision attaquée, que celle-ci doit être purement et simplement annulée ;

Attendu en second lieu sur la légalité interne que l'article 1erde la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1erseptembre 1947, modifiée par la loi n° 1.256 du 12 juillet 2002 dispose :

« Les locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1erseptembre 1947 sont soumis aux dispositions de la présente loi à l'exception : (...) de ceux dont l'ancien occupant, antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi, était propriétaire par dévolution successorale... ».

Que déjà l'alinéa 6 de l'article 1erde l'Ordonnance Loi n° 669 du 17 septembre 1959 excluait du champ d'application de la loi « les locaux d'habitation libérés par le départ ou le décès d'un occupant » lorsque celui-ci « en était propriétaire par dévolution successorale » ;

Quant à l'article 1erde la loi n° 497 du 25 mars 1949 créant le secteur dit « protégé », il spécifiait bien que sont concernés les appartements « nouvellement affectés à la location à compter de la date de la promulgation de la présente loi », soit le 31 mars 1949 ;

Que, depuis 1944, l'appartement litigieux a fait l'objet d'une occupation personnelle par le propriétaire et n'a jamais été loué à des tiers puisque L. V. a occupé cet appartement sans interruption d'août 1944 au 7 avril 2008, date de son décès, occupation effectuée à titre de mise à disposition dans le cadre d'une indivision, d'abord en tant que fils de l'un des copropriétaires, puis comme copropriétaire lui-même à compter du décès de son père, le 12 mai 1973 ;

Que dès lors, l'appartement considéré ne peut, en aucun cas, relever du secteur « protégé » ;

Attendu que le fait que l'appartement ait été brièvement loué de 1937 à 1939 à des ressortissants britanniques ne peut permettre à l'Administration, compte tenu du principe de non-rétroactivité des lois, de considérer que l'appartement relève du secteur protégé ; que l'Administration ne peut davantage, sur le fondement de ce bail, affirmer péremptoirement que l'appartement litigieux « a toujours été soumis à la législation régissant les locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1erseptembre 1947 » puisqu'au contraire il n'a jamais été assujetti à cette législation ;

Attendu que le fait que L V ait effectivement été titulaire d'un bail enregistré auprès de la Direction des Services Fiscaux de la Principauté, en date du 25 mai 2001 avec effet au 1erjanvier 2001 ne change rien au fait, qu'au moment de l'entrée en vigueur de la loi n° 1.235, l'occupant des locaux était bien « propriétaire par dévolution successorale », de telle sorte que ledit appartement figurait au rang des exceptions prévues par l'article 1er;

Que dans ces conditions, la décision prise par la Direction de l'Habitat de classer l'appartement litigieux dans le secteur « protégé » de la Loi n° 1.235 modifiée, est manifestement illégale et doit être annulée ;

Vu la contre-requête présentée par S.E.M. le Ministre d'État le 20 mars 2009 commençant par rappeler que l'appartement situé au deuxième étage de l'immeuble dénommé « Villa » sis [adresse] à Monaco, édifié avant le 1erseptembre 1947, et correspondant au lot n° 4 de la copropriété, est en indivision depuis le 22 novembre 1923, date du décès de P. V. ;

Que loué à compter du 1eroctobre 1937 à Mademoiselle V., ressortissante britannique, il a été occupé à partir de 1944 par l'un des héritiers d'É. V., son fils Louis, jusqu'à son décès au mois d'avril 2008 ;

Attendu qu'à la suite de ce décès, les co-indivisaires ont décidé de mettre l'appartement en vente, de telle sorte qu'à cette occasion ils ont été informés par la Direction de l'Habitat le 30 juin 2008, que leur appartement relevait du secteur « protégé » au titre de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée ;

Que par lettre du 25 juillet 2008 ; Monsieur B. V., agissant en tant que « représentant des hoirs V. » a sollicité de la Direction de l'Habitat qu'elle reconsidère ce classement ;

Que la Direction de l'Habitat a opposé un rejet exprès à cette demande par lettre du 21 août 2008, à la suite duquel le même B. V., agissant toujours ès qualité de représentant de l'indivision V., a, le 16 septembre 2008, saisi le Ministre d'État d'un nouveau « recours gracieux » contre le classement du 30 juin 2008 ;

Que devant le silence gardé par le Ministre d'État, les Consorts V. ont, par requête du 16 janvier 2009, déféré la décision du 30 juin 2008 à la censure du Tribunal Suprême ;

Attendu tout d'abord sur la recevabilité que la requête formée par les Consorts V. est irrecevable comme tardive ;

Qu'en effet, si aux termes des dispositions de l'article 15 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême, un recours gracieux ou hiérarchique a bien pour effet de proroger le délai de recours contentieux lorsqu'il est lui-même présenté dans ledit délai, pour autant, il a été jugé qu'un second recours, gracieux ou hiérarchique, ne pouvait proroger une seconde fois ce délai (TS 30 juin 1976 R.) et ce, alors même qu'il ferait l'objet d'une nouvelle instruction (TS 12 février 1962 V.) ;

Attendu que la décision attaquée du 30 juin 2008 a fait l'objet de la part de Monsieur B. V., agissant en qualité de représentant des héritiers V. d'un recours gracieux auprès de la Direction de l'Habitat le 25 juillet 2008, recours expressément rejeté par décision du 21 août suivant ;

Que le délai de recours contentieux ouvert à l'encontre de la décision du 30 juin 2008, interrompu par le recours gracieux, s'est remis à courir à compter de cette décision de rejet pour expirer le 22 octobre 2008, sans que puisse le proroger le second recours qualifié de « gracieux » formé toujours en qualité de représentant des héritiers par le même Bernard V. auprès du Ministre d'État le 16 septembre 2008 ;

Qu'en conséquence, la présente requête contentieuse, enregistrée au Greffe du Tribunal Suprême le 19 janvier 2009, est tardive, et à ce titre irrecevable ;

Attendu ensuite que pour réclamer l'annulation de la décision du 30 juin 2008, les requérants contestent en premier lieu sa légalité externe au motif que n'étant pas motivée, elle ne satisferait pas aux exigences de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des décisions administratives ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 1erde la loi n° 1.312 du 29 juin 2006, la lettre du 30 juin 2008 attaquée ne correspond à aucune des catégories d'actes individuels pour lesquels la loi impose une obligation de motivation ;

Qu'en effet, aux termes dudit article 1er, « doivent être motivées à peine de nullité, les décisions administratives à caractère individuel qui :

1 – restreignent l'exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police ;

2 – infligent une sanction ;

3 – refusent une autorisation ou un agrément ;

4 – subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ;

5 – retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ;

6 – opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ;

7 – refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ;

8 – accordent une dérogation, conformément à des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ».

Que dès lors, l'Administration n'avait pas à justifier pour quel motif l'appartement des Consorts V. entrait dans le champ d'application de la loi du 28 décembre 2000 modifiée (étant observé que, lorsqu'elle a été saisie d'un recours gracieux, elle a explicité son point de vue dans sa lettre du 21 août 2008) ;

Attendu en second lieu, et au titre de la légalité interne, que les requérants contestent que l'appartement dont ils sont copropriétaires indivis puise relever des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée, sur le secteur protégé ;

Qu'en effet, si l'article 1erde cette loi exclut de son champ d'application « les locaux à usage d'habitation (...) dont l'ancien occupant, antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi, était propriétaire par dévolution successorale », ledit article 1erde la loi du 28 décembre 2000 modifiée par la loi n° 1.256 du 12 juillet 2002 poursuit :

« les locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1erseptembre 1947 sont soumis aux dispositions de la présente loi à l'exception (...) de ceux dont l'ancien occupant, antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi, était propriétaire par dévolution successorale ou pour les avoir acquis à titre gratuit ou onéreux plus de deux ans avant le jour où son occupation a pris fin et n'était pas entré dans les lieux par l'exercice d'un droit de rétention ou de reprise (...) » ;

Qu'ainsi, trois conditions doivent être réunies pour qu'un logement puisse être exclu du secteur protégé :

1 – Le propriétaire doit avoir occupé le local en cause, en cette qualité, pendant une période minimum de deux ans antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 1.256 du 12 juillet 2002 modifiant l'article 1erde la loi du 28 décembre 2000 ;

2 – Le propriétaire ne doit pas être entré dans les lieux à la suite de l'exercice d'un droit de reprise ou de rétention ;

3 – Le propriétaire doit avoir quitté les lieux avant l'entrée en vigueur de la loi, la législation en cause faisant bien mention de l'« ancien occupant » et « du jour où son occupation a pris fin », le tout « antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi ».

Qu'en l'espèce, si L. V. a bien occupé le logement en qualité de copropriétaire par dévolution successorale, à compter du décès de son père en mai 1973, il n'avait pas cette qualité de 1944 à 1973, période au cours de laquelle il a occupé le logement par simple mise à disposition ;

Qu'il apparaît ainsi que son maintien dans les lieux postérieurement au décès de son père a constitué l'exercice d'un droit de rétention ;

Qu'ensuite, L. V. n'était pas, au jour de l'entrée en vigueur de la loi n° 1.256 du 12 juillet 2002 « ancien occupant » au sens de l'article 1erde la loi, puisqu'il est demeuré dans l'appartement en cause jusqu'à son décès au mois d'avril 2008 ;

Qu'il s'ensuit que faute pour cette occupation de satisfaire à deux des trois conditions requises par l'article 1erde la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée, les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir des dispositions dudit article pour soutenir que le logement en cause serait exclu du secteur protégé.

Vu la requête en intervention volontaire enregistrée le 20 avril 2009 au Greffe Général par Monsieur B. S., à l'appui du recours en annulation introduit par l'hoirie V. aux droits de laquelle il intervient consécutivement à l'acquisition du bien immobilier dénommé « Villa » sis [adresse] à Monaco, par acte notarié de Maître Henry REY en date du 9 février 2009 ;

Que M. S. s'associe aux conclusions à fin d'annulation déposées le 16 janvier 2009 par l'hoirie V. en ce que la décision attaquée classant l'appartement de la « Villa » en secteur protégé est illégale pour ne pas être motivée d'une part, et d'autre part, à raison du fait qu'il ressort de l'article 1erde la loi 1.235 du 28 décembre 2000 que le bien litigieux est exclu du champ d'application de la loi ;

Attendu que si le Ministre d'État soutient en réponse que la requête de l'hoirie V. est irrecevable comme tardive dès lors que le courrier du 25 juillet 2008 constituait un premier recours gracieux de telle sorte que la requête en annulation du 16 janvier 2009 serait intervenue hors délai, une telle affirmation s'avère inexacte au regard de la Jurisprudence du Tribunal Suprême.

Que celle-ci en effet opère une distinction majeure entre le rejet d'un recours gracieux contre une décision et le rejet d'une demande de révision ou d'abrogation de la même décision (TS 8 mars 2005 Sieur de C. ; TS 13 juin 2005, Sieur C.) ;

Que le courrier du 25 juillet 2008 adressé par Monsieur B. V. ne saurait être assimilé à un recours gracieux en ce qu'il s'analyse en une simple demande visant à reconsidérer le reclassement de l'appartement ; Que seule la décision de rejet de cette demande de révision en date du 21 août 2008, qui en constitue ainsi une confirmation, s'avérait donc attaquable et a ainsi fait l'objet du recours gracieux du 16 septembre 2008 ;

Que devant le silence observé, l'hoirie V. a légitimement pris acte du rejet implicite et introduit son recours contentieux par requête du 16 janvier 2009, soit dans le délai de 4 mois ;

Attendu par ailleurs, que Monsieur S. a acquis le bien immobilier litigieux par acte notarié du 9 février 2009, ce transfert de propriété lui ayant naturellement transféré les droits et obligations que les hoirs V. détenaient sur ledit bien ;

Que l'intervention volontaire est ainsi fondée et que le requérant entend reprendre à son compte le recours exercé par l'hoirie V. ;

Attendu en premier lieu que l'hoirie V. a souligné la motivation imprécise et insuffisante de l'acte attaqué, laquelle s'assimile à une absence de motivation rendant la décision illégale ;

Qu'en effet, les tentatives de motivation faites par l'Administration laissent ressortir une contrariété de motifs évidente dès lors que l'État de MONACO n'a pas hésité à affirmer que le classement du bien litigieux était la conséquence d'une location consentie en 1937 alors que depuis 1944 le bien est occupé par Monsieur L. V. ;

Que de même, la Direction de l'Habitat fait état dans son courrier du 21 août 2008 d'un bail conclu en 2001, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi 1.235 ; que de telles imprécisions démontrent le peu de fondement du classement opéré par l'État de Monaco, la motivation imprécise s'analysant clairement en une absence de motivation ;

Attendu sur la légalité interne de la décision de classement en secteur protégé attaquée, que le Ministre d'État soutient que l'occupation de l'appartement litigieux ne répondrait que partiellement aux conditions posées par l'article 1erde la loi 1.235 modifiée, dès lors que L. V. aurait occupé ledit bien entre 1944 et 1973 en conséquence de l'exercice d'un droit de rétention, critère exclu par l'article 1erprécité de la loi 1.235 modifiée ;

Qu'au surplus, le Ministre d'État prétend que Monsieur L. V., dernier occupant, n'était pas, au jour de l'entrée en vigueur de la loi n° 1.256 du 12 juillet 2002, « ancien occupant » au sens de l'article 1erde la loi ;

Attendu, au contraire, que le secteur protégé a été instauré en faveur des locataires, alors que le bien litigieux n'a jamais, depuis 1937, été mis en location au profit de tiers ou personnes protégées ;

Qu'enfin, le bien litigieux remplit les critères de l'article 1erde la loi 1.235 précitée ;

Attendu que la législation mise en place par la loi n° 497 du 25 mars 1949 à l'origine de la loi 1.235 du 28 décembre 2000, depuis modifiée par la loi n° 1.256 du 12 juillet 2002, a pour objectif principal de réglementer les loyers et l'occupation des locaux d'habitation dans le but de protéger les locataires ;

Mais attendu que le bien litigieux n'a jamais été mis en location depuis 1944, date à partir de laquelle il a toujours été occupé par un seul et même membre de la famille V., propriétaire des lieux, savoir Monsieur L. V. ;

Que le classement du bien litigieux dans le secteur protégé ne peut résulter que d'une erreur d'appréciation dès lors que son occupation n'a jamais été consentie à des tiers, et encore moins à des personnes protégées ;

Attendu dès lors que le bien litigieux est exclu du champ d'application de la loi 1.235 modifiée puisque, contrairement aux affirmations de l'État de Monaco, le Sieur V. remplit bien toutes les conditions posées par l'article 1eralinéa 2 de la loi 1.235 ;

Qu'ainsi, Monsieur L. V., occupant des lieux sans interruption depuis 1944, a donc manifestement occupé les lieux au moins deux ans avant l'entrée en vigueur de la loi ;

Que sa qualité de propriétaire résulte incontestablement des règles de dévolution successorale puisque depuis 1944, le bien a été occupé sans interruption par L. V., petit fils de feu E. V. (fils unique de C. V. qui a édifié l'immeuble au 19e siècle) et lui-même co-indivisaire à la mort de son père survenue le 12 mai 1973 ;

Que contrairement aux affirmations de l'État de Monaco, l'occupation de l'appartement par L. V. de 1944 à 1973 ne résulte nullement de l'exercice d'un droit de rétention dès lors que ce dernier se définit comme le « droit du créancier qui a, en sa détention ou possession un bien appartenant au débiteur, de refuser de s'en dessaisir tant qu'il n'est pas payé » ; qu'en l'espèce, le Sieur V. n'a nullement exercé un tel droit, son occupation résultant d'accords intervenus entre les héritiers co-indivisaires.

Qu'enfin, le critère de « l'ancien occupant » posé par la loi 1.235 modifiée, tel qu'interprété par le Ministre d'État, ne se trouve applicable que pour le cas où le bien aurait été mis en location, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; qu'en toute hypothèse, le Sieur L. V. est resté occupant des lieux et doit être qualifié « d'ancien occupant » en ce que cette occupation est largement antérieure à l'entrée en vigueur de la loi précitée ;

Qu'interpréter la loi 1.235 comme exigeant que le propriétaire, pour que son bien soit exclu du champ d'application, ait pris le soin de quitter les lieux, viendrait à établir une discrimination entre les propriétaires, discrimination manifestement en violation de l'article 14 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, à laquelle la Principauté a adhéré par Ordonnance Souveraine du 15 février 2006 ;

Qu'en outre, il résulte de l'article 1erdu protocole additionnel à la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales signé à Paris le 20 mars 1952 que « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens » ;

Que le classement, en l'espèce sans fondement, de la propriété du requérant dans le secteur protégé et dans le champ d'application de la loi 1.235 modifiée constituerait un non-respect flagrant de son droit de propriété et une violation du principe rappelé par le protocole additionnel à la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme précitée ;

Que c'est donc erronément que la Direction de l'Habitat a pu affirmer dans son courrier du 21 août 2008 ayant justifié le recours, que l'appartement litigieux avait toujours été soumis à la législation régissant les locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1erseptembre 1947 ;

Que dès lors, l'annulation de cette décision est inévitable.

Vu le mémoire en défense à intervention volontaire enregistré par M. le Ministre d'État le 28 mai 2009 qui commence par souligner que si la requête initiale est irrecevable, la requête en intervention l'est également ; que tel est le cas en l'occurrence puisqu'il a déjà été établi que la requête des Consorts V. était irrecevable comme tardive ;

Qu'en effet, c'est vainement qu'il est soutenu que le recours gracieux présenté par Monsieur B. V. le 25 juillet 2008 au Directeur de l'Habitat aurait constitué une simple demande d'abrogation, dès lors qu'il résulte de sa lecture même que c'est bien le retrait de la décision du 30 juin 2008 qui était demandé ;

Que Monsieur V. ne sollicitait pas l'abrogation pour l'avenir d'une décision qui serait devenue illégale par suite d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, mais bien que soit rapportée une décision de classement qu'il jugeait illégale ;

Que l'irrecevabilité de la requête des hoirs V. ne peut qu'entraîner, par voie de conséquence, celle de la requête en intervention de Monsieur B. S. ;

Attendu d'ailleurs qu'à supposer, pour les besoins de la discussion, la requête en intervention recevable, les arguments invoqués en réplique pour la première fois ne le seraient pas dès lors que les Consorts V. ont, quant à eux, laissé expirer le délai légal d'un mois imparti par l'article 17 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 ;

Que dès lors ils ne sont pas aujourd'hui recevables à compléter leur argumentation par application de l'article 21 de cette même Ordonnance Souveraine ;

Que les Consorts V. n'ayant pas jugé utile de répondre à la contre-requête, et en particulier de s'expliquer sur la fin de non-recevoir opposée par le Ministre d'État, Monsieur S. n'est pas recevable à le faire sauf à reconnaître plus de droits à l'intervenant qu'au requérant ;

Attendu subsidiairement sur le fond du droit que la décision attaquée du 30 juin 2008 se bornant à constater une situation juridique, elle ne figure pas au nombre des décisions devant être motivées en application de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Quant à prétendre que le logement litigieux serait exclu du secteur protégé, par application des dispositions de l'article 1eralinéa 2 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée le logement litigieux n'ayant jamais été mis en location, puisque aussi bien L. V. qui l'a occupé sans interruption depuis 1944 en était propriétaire par dévolution successorale, et non par exercice d'un droit de reprise est inopérant ; que prétendre que la notion « d'ancien occupant », réservée au seul locataire, serait inapplicable au propriétaire occupant, sauf à violer tant l'article 14 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme que l'article 1erdu premier protocole additionnel à cette convention, est non pertinent ;

Attendu par ailleurs qu'il est inexact de prétendre que le logement litigieux n'a jamais été mis en location, dès lors que Louis V. a occupé ce logement sans être propriétaire de 1944 à 1973, alors que l'article 1eralinéa 2 de la loi 1.235 précitée ne vise que les seuls anciens occupants, propriétaires des locaux...

Que la distinction entre les locataires propriétaires selon qu'ils ont, ou non, quitté les locaux, posée par cet article 1eralinéa 2, n'est attentatoire ni aux stipulations de l'article 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, ni à celle de l'article 1erdu premier protocole de la convention, dès lors qu'elle est justifiée par la volonté d'éviter (dans le but de sauvegarder le droit des locataires) une pratique consistant pour les propriétaires à occuper, fut-ce brièvement les locaux, pour les faire échapper au classement en secteur protégé ;

Que par voie de conséquence, la requête en intervention volontaire ne peut qu'être rejetée.

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B-1 ;

Vu la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, signée le 4 novembre 1950, notamment en son article 14, et le protocole additionnel à ladite convention signé à Paris le 20 mars 1952, notamment en son article 1errendus exécutoires par Ordonnances Souveraines du 15 février 2006 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de l'occupation de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1erseptembre 1947, modifiée par la loi n° 1.256 du 12 juillet 2002 ;

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des décisions administratives ;

Vu l'ordonnance du 5 octobre 2009 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience du 17 novembre 2009 ;

Ouï Monsieur José SAVOYE, Membre Titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Frank MICHEL, Avocat Défenseur près la Cour d'Appel de Monaco pour la hoirie V. et pour Monsieur B. S., intervenant volontaire ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de Cassation de France pour l'État de Monaco ;

Ouï Monsieur le Procureur Général, en ses conclusions.

Après en avoir délibéré

Sur la recevabilité

Considérant qu'aux termes de l'article 15 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême, un recours gracieux ou hiérarchique formé devant l'autorité administrative n'a pour effet de proroger le délai du recours contentieux qu'à la condition d'avoir été lui-même formé dans ce délai ;

Considérant qu'il résulte des mêmes dispositions qu'un recours hiérarchique formé postérieurement au rejet exprès d'un recours gracieux ne peut réouvrir le délai du recours contentieux ;

Considérant que, contrairement aux allégations tant des requérants que des intervenants, la lettre du 25 juillet 2008 adressée par Monsieur B. V. es qualités de représentant des hoirs V. à Monsieur le Directeur de l'Habitat aux fins de « demander de bien vouloir reconsidérer le classement de l'appartement situé [adresse], 2e étage », pour un certain nombre de motifs de fait et de droit qui s'opposeraient à l'application de la loi n° 1.235 modifiée, est bien constitutive d'un recours gracieux, auquel un refus explicite a été opposé le 21 août suivant ;

Considérant dès lors que le délai du recours contentieux expirait le 22 octobre 2008 nonobstant le recours hiérarchique dont les hoirs V. saisissaient M. le Ministre d'État le 16 septembre 2008 ;

Que dans ces conditions, le recours contentieux enregistré au Greffe Central du Tribunal Suprême par les hoirs V. le 16 janvier 2009, est irrecevable pour tardiveté ;

Qu'il en est de même, par voie de conséquence, de la requête en intervention de Monsieur B. S. enregistrée le 20 avril 2009 ;

Dispositif🔗

DÉCIDE :

Article 1er. – La requête présentée par les hoirs V., ensemble la requête en intervention présentée par Monsieur B. S. contre la décision du 30 juin 2008 de la Direction de l'Habitat de classer l'appartement situé au deuxième étage de la « Villa » sise [adresse] à Monaco sont rejetées.

Article 2. – Les hoirs V. et Monsieur B. S. sont condamnés aux dépens.

Article 3. – Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Article 1er🔗

La requête présentée par les hoirs V., ensemble la requête en intervention présentée par Monsieur B. S. contre la décision du 30 juin 2008 de la Direction de l'Habitat de classer l'appartement situé au deuxième étage de la « Villa » sise [adresse] à Monaco sont rejetées.

Article 2🔗

Les hoirs V. et Monsieur B. S. sont condamnés aux dépens.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

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