Tribunal Suprême, 15 juin 2009, Dame V. D. c/ État de Monaco

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Fonctionnaires et agents publics

Fonctionnaire - Mise à la retraite pour invalidité

Recours pour excès de pouvoir

Fonctionnaire - Décision de mise à la retraite pour invalidité - Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs - Méconnaissance (non) - Décision fondée sur des avis médicaux - Erreur manifeste d'appréciation (non) - Faits justifiant la décision exposés devant la juridiction - Demande d'expertise médicale sans objet - Rejet - Décision légale (oui)


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative

Vu la requête de Madame D. enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 1er août 2008 sous le numéro TS 2008-14, tendant à l'annulation de la décision n° 2007- 05241 de Monsieur le Directeur de la Fonction Publique en date du 13 février 2008 et notifiée le 13 février 2008, lui faisant connaître qu'elle avait été admise à la retraite pour invalidité à compter du 1er janvier 2008 et à la condamnation de l'État aux dépens ;

CE FAIRE,

Attendu que la requérante fait valoir dans sa requête qu'elle a intégré la Fonction Publique le 1er septembre 1992 en tant qu'agent de police et toujours exercé ses fonctions avec conscience et probité, sans jamais faire l'objet d'une sanction administrative ou disciplinaire et recevant même un témoignage de satisfaction à la suite de l'interpellation d'un délinquant ; qu'à partir de l'été 2006, elle a rencontré des difficultés de santé, victime d'une dépression nerveuse qui l'a contrainte à interrompre son activité à compter du 1er juillet 2006 et à être placée en congé de maladie de longue durée ; que le 11 décembre 2007, la Commission médicale a établi une proposition recommandant son admission en invalidité avec incapacité totale permanente de travail à compter du 1er janvier 2008 ; que la requérante a contesté cette proposition devant la Commission médicale supérieure qui a confirmé l'avis ; qu'à la suite de cette confirmation, Madame D. a été informée par Monsieur le Directeur de la Fonction Publique, le 13 février 2008, qu'elle était admise à la retraite pour invalidité à compter du 1er janvier 2008 ; que Madame D. estime que cette décision lui cause un grave préjudice financier mais aussi moral dans la mesure où elle est très attachée à la Sûreté Publique dont elle a été une des premières femmes admises en tant qu'agent de police ; que la requérante a présenté, le 2 avril 2008, un recours gracieux auprès de Monsieur le Ministre d'État dont il a été accusé réception le 21 avril 2008 par lettre de Madame le Conseiller en charge des Recours et de la Médiation sans qu'aucune réponse n'ait été ensuite apportée à ce recours gracieux ; que la requérante, à l'appui de sa demande d'annulation, invoque d'abord l'absence de motivation de la décision attaquée, en date du 13 février 2008, qui se borne à préciser : « J'ai l'honneur de vous faire connaître que vous avez été admise à la retraite pour invalidité à compter du 1er janvier 2008 » formule qui ne contient aucune motivation au sens de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 sur la motivation des actes administratifs ; que la requérante ajoute que ni l'avis de la Commission médicale ni celui de la Commission Médicale Supérieure ne précisent les motifs pour lesquels elle a été considérée comme inapte ; que la requérante soutient ensuite que l'Administration a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant qu'elle était devenue inapte à son emploi et donc invalide alors que les attestations de trois médecins spécialistes qu'elle produit aux débats établissent que sa dépression nerveuse n'a qu'un caractère provisoire, qu'elle n'est pas consolidée et que le pronostic évolutif de sa maladie ne permet pas d'exclure une reprise d'activité ; qu'à titre subsidiaire, la requérante demande au Tribunal Suprême de désigner un expert afin de prendre connaissance de son dossier médical, de procéder aux examens nécessaires et d'indiquer si elle peut être considérée comme définitivement inapte à son emploi.

Vu la contre-requête déposée, le 8 octobre 2008 au Greffe général, par Monsieur le Ministre d'État concluant au rejet de la requête aux motifs d'abord que le recours gracieux de Madame D. a été rejeté par décision du 7 août 2008, sous forme d'une lettre au Conseil de la requérante, qui notamment indique : « Consécutivement à la décision d'incapacité définitive de l'intéressée à reprendre l'exercice de ses fonctions, l'Administration a considéré, au regard de l'avis de la Commission médicale des congés de maladie et des invalidités, confirmé par la Commission médicale supérieure, qu'en l'absence de toute possibilité de mutation dans un emploi que son état de santé lui permettrait de remplir, il serait plus avantageux pour votre cliente d'être mise à la retraite pour invalidité plutôt qu'en disponibilité d'office » ; que sur la légalité externe, Monsieur le Ministre d'État considère d'une part que la décision attaquée est bien motivée puisqu'elle indique le motif pour lequel Madame D. est admise en retraite : « l'invalidité » et que ce motif est en soi suffisant pour permettre à l'intéressée de comprendre les raisons de droit et de fait pour lesquelles elle a été mise à la retraite, d'autre part que la décision ne pouvait être plus précise sur les raisons médicales sans enfreindre les dispositions du 3e alinéa de l'article 5 de la Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 qui prévoit que la motivation n'est pas requise « lorsque la motivation serait de nature à porter atteinte au secret médical » ; qu'il fait enfin remarquer que Madame D. peut d'autant moins invoquer le défaut d'information qu'elle était présente aux réunions de la Commission médicale la concernant ; que sur la légalité interne de la décision, Monsieur le Ministre d'État considère que la requérante ne peut établir l'erreur manifeste d'appréciation à partir des seules attestations médicales qu'elle fournit dont une de son médecin traitant alors même que conformément aux dispositions de l'Ordonnance n° 6.365 du 17 août 1978, la proposition de la Commission médicale est intervenue après de nombreux avis médicaux dont celui du médecin traitant, que la requérante a été examinée par deux médecins et qu'enfin elle était présente aux Commissions médicales des 3 octobre 2006, 12 juin 2007, 11 septembre 2007, 11 décembre 2007, 10 janvier 2008 ; qu'au vu de ces avis et de ces examens, il est apparu aux membres de la Commission médicale que l'affection de Madame D. n'avait pas favorablement évolué depuis le moment où elle avait entraîné le congé maladie de longue durée le 1er juillet 2006 et qu'en conséquence l'incapacité qui en résultait devait être considérée, un an et demi plus tard, comme une incapacité permanente ; que cette appréciation n'est donc entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation et que le Tribunal Suprême ne pourra qu'écarter ce moyen et rejeter la demande d'expertise ; que Monsieur le Ministre d'État fait enfin remarquer que l'autorité administrative n'est pas juridiquement tenue de suivre la proposition de la Commission médicale et qu'il lui appartient, au moment où elle statue sur la proposition dont elle est saisie, de prendre en compte les particularités des fonctions de l'agent, en l'espèce, celles d'agent de police qui impliquent la détention d'une arme ; que l'Administration était donc parfaitement fondée pour suivre la proposition de la Commission.

Vu la réplique, présentée par Madame D. et enregistrée au Greffe général le 10 novembre 2008, tendant aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens et en outre par les motifs suivants ; que d'abord la requérante affirme que la seule mention dans la décision attaquée de l'invalidité ne peut apparaître comme une motivation suffisante et que ni cette décision ni l'avis de la Commission médicale ni celui de la Commission médicale supérieure ne précisent pour quels motifs et en quoi la dépression nerveuse rendrait définitivement inapte aux fonctions ; que la requérante conteste ensuite que le secret médical puisse être invoqué pour justifier l'absence de motivation dans la mesure où ce secret, institué dans l'intérêt exclusif du patient, ne peut jamais être invoqué dans des conditions préjudiciables à celui-ci ; qu'elle soutient enfin que l'Administration cherche à minimiser le poids des certificats médicaux qu'elle produit et qui émanent de trois praticiens particulièrement réputés aux yeux desquels il n'est pas possible d'affirmer que son état soit consolidé et non susceptible d'amélioration au point d'être considérée comme définitivement invalide ; qu'elle note que de nombreux cas de policiers déclarés inaptes ou invalides sans aucun motif se sont déjà produits, introduisant un doute sur le bon fonctionnement des Commissions.

Vu la duplique, présentée et enregistrée au Greffe général le 12 décembre 2008, tendant aux mêmes fins que la contre-requête, par les mêmes moyens et en outre précisant que, sur la motivation, l'Administration n'avait qu'à mentionner l'invalidité constatée successivement par la Commission médicale puis la Commission médicale supérieure et qu'elle n'avait pas à préciser « pour quels motifs et en quoi » cette invalidité résultait de la dépression dont elle souffrait ; que Monsieur le Ministre d'État ajoute que les informations médicales couvertes par le secret médical ne peuvent être communiquées qu'à l'intéressé sur sa demande ou celle d'un médecin qu'il désigne à cet effet et qu'il n'en résulte pas que l'autorité administrative pourrait s'affranchir du secret médical lors de la motivation d'une décision même si celle-ci ne fait l'objet que d'une notification à l'intéressé ; qu'ensuite la duplique maintient que les trois certificats médicaux produits par Madame D. ne peuvent établir qu'une erreur manifeste entacherait l'appréciation différente portée par les médecins consultés par les deux commissions et que l'affirmation selon laquelle de nombreux autres policiers auraient été déclarés inaptes ou invalides est totalement fantaisiste, voire diffamatoire ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B 1° ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la Loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 6.365 du 17 août 1978 fixant les conditions d'application de la Loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires d'État ;

Vu la Loi n° 1.049 du 28 juillet 1982 sur les pensions de retraite des fonctionnaires, des magistrats et de certains agents publics ;

Vu la Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 1.529 du 4 février 2008 admettant Madame V. D à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité ;

Vu l'Ordonnance du 18 mars 2009 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce tribunal du 4 juin 2009 ;

Ouï M. Michel ROGER, Membre titulaire du Tribunal en son rapport ;

Ouï Maître Franck MICHEL, pour Madame V. D. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation français pour l'État de Monaco ;

Ouï M. le Procureur général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré

Sur la légalité de la décision attaquée

Considérant que Madame D. a demandé, par requête du 1er août 2008, l'annulation de la décision n° 2007-05241 de Monsieur le Directeur de la Fonction Publique en date du 13 février 2008 et notifiée le 13 février 2008, lui faisant connaître qu'elle avait été admise à la retraite pour invalidité à compter du 1er janvier 2008 par Ordonnance Souveraine n° 1.529 du 4 février 2008, publiée au Journal de Monaco du 8 février 2008 ; que cette requête doit être regardée comme dirigée en réalité contre ladite Ordonnance ;

Sur la légalité externe :

Considérant que, si aux termes de l'article 1er-5° de la Loi n° 1.312 du 30 juin 2006 « doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui (...) retirent ou abrogent une décision créatrice de droits », l'article 5 alinéa 3 de ladite Loi écarte cette obligation lorsque, « s'agissant des actes destinés à être rendus publics (...) la motivation serait de nature à porter atteinte au (...) secret médical (...) » ; qu'ainsi le grief tiré de l'absence ou de l'insuffisance de motivation est ici inopérant ; que le moyen doit donc être écarté ;

Sur la légalité interne :

Considérant que Madame D. soutient que l'Administration a commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant qu'elle était devenue inapte à son emploi et donc invalide alors que les attestations de trois médecins, produites aux débats, établiraient que sa maladie n'a qu'un caractère provisoire, qu'elle n'est pas consolidée et que le pronostic évolutif ne permet pas d'exclure une reprise d'activité ; que cependant, conformément aux dispositions de l'Ordonnance n° 6.365 du 17 août 1978, la proposition de la Commission médicale est intervenue après de nombreux avis médicaux dont celui du médecin traitant de Madame D., que celle-ci a été examinée par deux médecins et qu'elle a été présente aux cinq Commissions médicales ; qu'au vu de ces avis et examens, la Commission médicale a estimé que l'affection de Madame D. n'avait pas favorablement évolué depuis le moment où elle avait entraîné le congé maladie de longue durée le 1er juillet 2006 et qu'en conséquence l'incapacité qui en résultait devait être considérée, un an et demi plus tard, comme une incapacité permanente ; que l'Administration, en tenant compte de cette appréciation, confirmée par la Commission médicale supérieure, n'a donc commis aucune erreur manifeste d'appréciation ; qu'ainsi le moyen doit être écarté ;

Sur la demande d'expertise médicale

Considérant que les faits qui ont justifié la décision attaquée ont été présentés par les parties avec une précision suffisante pour permettre au Tribunal Suprême d'exercer son contrôle sur la légalité de ladite décision ; que la demande d'expertise médicale est ainsi sans objet et ne peut donc qu'être écartée ;

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

La requête de Madame D. est rejetée ;

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de Madame D. ;

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise à Monsieur le Ministre d'État.

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