Tribunal Suprême, 16 février 2009, Sieur M. N. c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Recours pour excès de pouvoir

Étranger - Refus de retrait d'une décision de refoulement du territoire monégasque - Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs - Décision soustraite à l'obligation de motivation (oui) - Erreurs matérielles et irrégularités alléguées distinctes de la décision déférée - Faits de nature à justifier la décision administrative exposés dans la contre-requête et énoncés par le Procureur Général - Faits matériellement exact (oui) - Erreur manifeste d'appréciation (non) - Décision légale (oui)

Recours en indemnisation

Légalité de la décision - Rejet de la demande d'indemnité

Procédure

Dépôt de la contre-requête dans le délai légal - Recevabilité

Recevabilité

Faits de nature à justifier la décision administrative exposés dans la contre-requête - Exercice du contrôle de légalité (oui) - Mesure d'instruction complémentaire - Sans objet


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative

Vu la requête de Monsieur M. N. déposée au Greffe général le 13 mars 2008 tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision du Ministre d'État en date du 15 janvier 2008 refusant le retrait d'une mesure de refoulement ainsi qu'à la condamnation de l'État aux dépens,

CE FAIRE,

Attendu que le requérant fait valoir dans sa requête déposée au Greffe général le 13 mars 2008, que, le 10 février 2007, lors d'une visite à Monaco où résidaient son ancienne épouse et ses enfants, il a été interpellé par les Services de la Direction de la Sûreté Publique qui lui ont aussitôt notifié une décision de refoulement du territoire de la Principauté et remis une copie de cette décision en date du 21 novembre 2006 ; que le requérant, n'ayant pu obtenir les motifs de cette décision en s'adressant à Monsieur le Conseiller pour l'Intérieur, a exercé auprès de Monsieur le Ministre d'État un recours gracieux tendant à l'annulation de la mesure de refoulement, recours rejeté le 15 janvier 2008 au motif « des mauvais renseignements recueillis » ; que le requérant, estimant que cette décision n'est pas vraiment motivée de manière à permettre au Tribunal Suprême de contrôler l'exactitude matérielle des faits et l'existence d'une éventuelle erreur manifeste d'appréciation, sollicite d'abord une mesure d'instruction pour connaître les motifs de la décision ; qu'il ajoute que si l'article 6 de la Loi du 29 juin 2006 prévoit bien une dérogation à l'obligation de motiver les actes administratifs en matière de « refus d'établissement d'une personne physique sur le territoire de la Principauté » cette dérogation ne vaut que pour le demandeur de l'autorisation ; qu'il soutient ensuite, sur la légalité externe de la décision, que la procédure ayant conduit à celle-ci n'a pas été régulière ; qu'ainsi, la décision de refoulement datée du 21 novembre 2006 n'est pas signée ni même tamponnée, la désignation du requérant n'est pas claire, le procès verbal portant notification contient une erreur de date ; que sur la légalité interne, le requérant fait valoir que l'Administration a commis une erreur de fait en se fondant, pour le refouler du territoire de la Principauté, sur des renseignements inexacts alors qu'il n'a jamais été condamné et que sa profession ou ses activités ne constituent en rien un trouble de l'ordre public ; que le requérant sollicite enfin une légitime indemnisation pour le préjudice moral créé par son interpellation devant sa fille et par l'humiliation ainsi causée.

Vu la contre-requête présentée au nom de l'État, déposée le 20 mai 2008 au Greffe général, concluant au rejet de la requête aux motifs d'abord que la demande de mesure d'instruction n'a pas d'objet dès lors que les motifs pour lesquels le recours gracieux a été rejeté se trouvent développés dans la présente contre-requête ; que le Ministre d'État fait valoir que l'ancienne épouse du requérant, Madame O. K., a fait l'objet, elle aussi, d'une mesure de refoulement à la même date et que le recours que celle-ci a présenté devant le Tribunal Suprême a été rejeté par décision du 27 juin 2007 ; que sur la légalité externe, le Ministre d'État considère que la légalité de la décision attaquée ne peut être affectée par de prétendues irrégularités de la décision de refoulement, celle-ci étant devenue définitive faute d'avoir été contestée dans le délai légal de recours ; qu'il ajoute que l'absence de signature manuscrite sur la copie de la décision notifiée n'altère en rien l'authenticité de la décision prise qui n'est soumise à aucun formalisme particulier, qu'il n'existe aucune ambiguïté sur l'identité de la personne refoulée, le requérant se désignant tantôt par le nom de N. ou par celui de N. y compris dans sa requête, qu'enfin l'erreur de date sur le procès verbal de notification est purement matérielle et n'a pu induire en erreur le requérant et donc altérer la validité de cette notification ; que sur la légalité interne, la contre-requête considère que la présente affaire est connexe à celle impliquant l'ancienne épouse du requérant, elle-même refoulée pour avoir fait l'objet d'une information judiciaire contre X. des chefs d'association de malfaiteurs et de blanchiment en raison de transferts de fonds occultes réalisés à son profit avec le concours de son père et de son ex-époux ; que le Tribunal Suprême a jugé le 27 juin 2007 que ces informations sur la procédure judiciaire en cours confirmaient les mauvais renseignements justifiant la mesure de refoulement ; qu'il en va bien sûr de même pour la mesure visant Monsieur N. ; qu'enfin les conclusions à fin d'indemnisation devront être rejetées par voie de conséquence et qu'en toute hypothèse le préjudice moral invoqué ne procède pas de la décision attaquée mais de la mesure de refoulement devenue définitive.

Vu la réplique présentée par Monsieur N. et enregistrée au Greffe général le 20 juin 2008, tendant aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens et en outre par les motifs suivants que d'abord, à titre liminaire, la contre-requête du 20 mai 2008 a été sans doute déposée hors délai et qu'elle doit donc être déclarée irrecevable en application de l'article 17 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 ; que sur la légalité externe, les vices affectant la décision de refoulement et le procès verbal de notification atteignent aussi la décision attaquée, un lien de nécessité existant clairement entre cette dernière et les premières ; que la décision attaquée ne peut donc être détachée des actes irréguliers et que, à ce titre, est elle-même irrégulière et encourt l'annulation ; que sur la légalité interne, le requérant maintient sa demande d'instruction, le Ministre d'État se contentant, dans ses écritures, de faire référence à une procédure menée à l'encontre de son ancienne épouse, alors que d'une part cette révélation tardive ne peut rétroactivement valider le défaut initial de motivation de la décision attaquée et que d'autre part, s'agissant de deux instances distinctes, on ne peut opposer à Monsieur N. les conséquences de la procédure concernant Madame O. K. ; qu'il est choquant et diffamatoire de l'accuser d'être lié au crime organisé russe et que si la présomption d'innocence ne s'applique pas en matière de refoulement, une telle mesure fondée sur de simples rumeurs, au demeurant inexactes et formellement démenties, constitue une atteinte inacceptable aux droits fondamentaux reconnus par la Constitution monégasque et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Vu la duplique, présentée et enregistrée au Greffe général le 25 juillet 2008, tendant aux mêmes fins que la contre-requête, par les mêmes moyens et en outre précisant que, sur la recevabilité de la contre-requête, le délai de deux mois fixé par l'article 17 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 est un délai franc qui ne comprend pas le jour d'où il part et est compté de quantième en quantième ; que la requête de Monsieur N. ayant été notifiée à Monsieur le Ministre d'État le 19 mars 2008, la contre-requête déposée le 20 mai était donc bien dans le délai prévu à l'article précité ; que, s'agissant de la légalité externe, on ne peut soutenir avec sérieux que les prétendues irrégularités de la décision de refoulement et du procès verbal de notification affectent aussi la décision attaquée alors que la décision initiale de refoulement est devenue définitive faute d'avoir été contestée dans le délai du recours contentieux ; qu'enfin, sur la légalité interne, la duplique réaffirme que la procédure suivie contre l'ancienne épouse de Monsieur N. n'est pas sans lien avec la présente instance dans la mesure où le Tribunal Suprême a déjà jugé, s'agissant de cette dernière, qu'elle avait été mêlée, comme bénéficiaire, à des opérations de blanchiment organisées par son père et son ex-époux, en liaison avec le crime organisé russe et que Monsieur N. ne saurait se prévaloir du principe de la présomption d'innocence dont le Tribunal Suprême a déjà jugé qu'il ne s'appliquait pas aux décisions administratives.

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B 1° ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, telle qu'amendée par le protocole n° 11, ainsi que son protocole n° 4 et l'Ordonnance Souveraine n° 408 et suivants du 15 février 2006 qui les a rendus exécutoires ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 3.153 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté du 19 mars 1964 modifiée ;

Vu la Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu l'Ordonnance du 19 décembre 2008 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce tribunal du 9 février 2009 ;

Ouï M. Michel ROGER, Membre titulaire du Tribunal en son rapport ;

Ouï Maître d'ORNANO avocat au barreau de Marseille pour Monsieur N. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, avocat conseil pour le Monsieur le Ministre d'État ;

Ouï M. le Procureur général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré

Sur la recevabilité de la contre-requête

Considérant d'une part que, en application de l'article 17 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 13 avril 1963, la contre-requête doit être déposée dans les deux mois qui suivent la remise de la requête au défendeur ; que d'autre part, en vertu des articles 970 et 971 du Code de procédure civile, ce délai ne comprend pas le jour d'où il part et est compté de quantième en quantième ;

Considérant qu'il ressort du dossier que la copie de la requête a été délivrée le 19 mars 2008 au Ministre d'État ; que la contre-requête ayant été déposée le 20 mai 2008, c'est à tort que le requérant soutient qu'elle serait irrecevable comme présentée hors délai ; qu'ainsi ce moyen doit être écarté ;

Sur la légalité de la décision attaquée

Considérant que Monsieur N. a demandé le 5 décembre 2007 à Monsieur le Ministre d'État l'abrogation de la mesure de refoulement du territoire monégasque prise à son encontre le 21 novembre 2006 et devenue définitive faute de recours ; que par lettre du 15 janvier 2008, Monsieur le Ministre d'État a rejeté cette demande ;

Considérant que, si aux termes de l'article 1er-2e de la Loi n° 1.312 du 29 juin 2006, doivent être motivées les décisions administratives individuelles qui « restreignent l'exercice des libertés publiques ou constituent des mesures de police », l'article 5 alinéa 2 de ladite loi écarte cette obligation lorsque « la motivation serait de nature à porter atteinte à la recherche par les services compétents de faits susceptibles d'être poursuivis... au titre de la lutte contre le blanchiment de capitaux » ; que le refoulement de Monsieur N. est lié à une affaire de ce type pour laquelle une information pénale contre X a été ouverte ; qu'en conséquence la décision attaquée figure au nombre de celles qui n'ont pas à être motivées ; qu'ainsi ce moyen doit être écarté ;

Considérant que Monsieur N. évoque aussi des irrégularités et des erreurs matérielles affectant la décision de refoulement du 21 novembre 2006 et la notification de celle-ci le 10 février 2007 ; qu'à supposer celles-ci établies, ces irrégularités et ces erreurs ne concernent pas la décision attaquée mais une décision aujourd'hui définitive faute d'avoir été contestée dans le délai légal de recours ; qu'ainsi le moyen doit être écarté ;

Considérant qu'il appartient toutefois au Tribunal Suprême de contrôler l'exactitude et la légalité des motifs donnés par l'administration à l'appui de sa décision ;

Considérant que Monsieur N. soutient que la décision de rejet de son recours gracieux s'est fondée sur des faits matériellement inexacts puisqu'il nie toute appartenance à la mafia russe et qu'il n'a jamais été condamné ; que cependant, les éléments fournis dans la contre-requête de Monsieur le Ministre d'État établissent que Monsieur N. n'a pas contesté la décision de refoulement liée à l'ouverture d'une information judiciaire contre X. des chefs d'association de malfaiteurs et blanchiment à la suite des renseignements obtenus sur les conditions de vie et d'installation sur le territoire monégasque de son ancienne épouse Madame O. K., elle-même refoulée par décision du 21 novembre 2006 ; que les observations du Procureur général en date du 27 janvier 2007 confirment que des transferts occultes de fonds ont été réalisés au profit de Madame O. K. par son père et Monsieur N. ; qu'il ne ressort pas du dossier que les faits évoqués par le Ministre d'État, à la date de la décision attaquée, aient été matériellement inexacts ; que dès lors, en se fondant sur eux pour rejeter la demande d'abrogation de la décision de refoulement attaquée, le Ministre d'État n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'ainsi le moyen doit être écarté ;

Sur la demande de prononcé d'une mesure d'instruction complémentaire

Considérant qu'ainsi qu'il vient d'être dit, les faits qui ont justifié la décision attaquée ont été présentés dans la contre-requête de Monsieur le Ministre d'État avec une précision suffisante pour permettre au Tribunal Suprême d'exercer son contrôle sur la légalité de ladite décision ; que la demande de prononcé d'une mesure d'instruction complémentaire est donc sans objet ;

Sur la demande d'indemnité

Considérant qu'en vertu de l'article 90-B-1° de la Constitution, le Tribunal Suprême est compétent pour octroyer les indemnités qui résultent d'une annulation pour excès de pouvoir ; que le rejet des conclusions à fin d'annulation de Monsieur N. entraîne, par voie de conséquence, celui des conclusions à fin d'indemnité qui en résultent ;

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

La requête de Monsieur M. N. est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de Monsieur M. N.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise à Monsieur le Ministre d'État.

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