Tribunal Suprême, 1 décembre 2008, Sieur L. di M. c/ Ministre d'État

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Recours pour excès de pouvoir

Étranger - Décision de refoulement du territoire monégasque - Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs - Respect de la loi (oui) - Violation de l'article 22 de la Constitution (motif non établi) - Violation de l'article 25 de la Constitution (motif non établi) - Jugement de la juridiction pénale sans effet à l'égard d'une décision administrative antérieure - Faits inexistants ou matériellement inexacts (non) - Erreur manifeste d'appréciation (non) - Décision légale (oui)

Procédure

Mesure d'instruction sollicitée - Décision comportant les motifs y afférents - Rejet de la demande

Recours en indemnisation

Légalité de la décision - Rejet de la demande d'indemnité


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême,

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative

Vu la requête de M. L. di M. enregistrée au greffe du Tribunal Suprême le 11 décembre 2007 sous le numéro TS 2008/3 et tendant à l'annulation de la décision de refoulement du territoire prise à son encontre par S.E. M. le Ministre d'État le 26 juillet 2007.

CE FAIRE :

Attendu que Monsieur di M., né à Rome le 8 mai 1960 et de nationalité italienne, résident monégasque depuis 1998, a été inculpé, le 27 avril 2002, pour blanchiment du produit d'une infraction pénale et de détention du produit dudit blanchiment, puis, le 7 mai 2003, pour faux et usage de faux en écriture privée, de commerce et de banque ; que, le 22 mai 2007, le Tribunal correctionnel l'a relaxé des chefs de blanchiment et de détention de fonds provenant d'un trafic de stupéfiants, mais l'a condamné pour faux et usage de faux – appel étant toutefois relevé de ce jugement ; que, le 26 juillet, il a fait l'objet d'une mesure de refoulement édictée par le ministre d'État ; qu'il a sollicité, par voie de recours gracieux, le retrait de cette mesure de refoulement, à quoi le ministre d'État a répondu négativement, le 9 octobre, en arguant de « la gravité des faits ayant conduit à la condamnation du Tribunal correctionnel de Monaco du 22 mai 2007 » ;

Attendu qu'au préalable M. di M. demande qu'il soit ordonné au Ministre d'État, conformément aux dispositions de l'article 32 de l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême, de produire, dans le cadre d'une mesure d'instruction préalable, les pièces susceptibles de justifier la mesure attaquée. En effet, l'irrégularité de la mesure de refoulement vient de ce qu'elle apparaît dépourvue de motivation adéquate, à la fois parce que la condamnation pour faux et usage de faux sur laquelle elle se fonde n'est pas d'une gravité telle qu'elle puisse justifier une telle condamnation, et parce que ladite condamnation, étant frappée d'appel, n'était pas définitive, ce qui fait qu'on ne peut se fonder sur celle-ci sans contrevenir au principe fondamental de la présomption d'innocence tel qu'il était établi en particulier par l'article 6-2 de la Convention européenne des droits de l'homme, et par l'article 14 du pacte international du 16 décembre 1966 ;

Attendu que la décision attaquée contreviendrait en outre aux dispositions de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs, en ce qu'elle ne comporterait pas « l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ;

Attendu, enfin, que Monsieur di M. demande à être indemnisé pour le préjudice matériel et moral qui lui a été causé par cette décision illégale, estimant à 100 000 € le préjudice subi du fait de cette dernière ;

Vu la contre requête du Ministre d'État enregistrée le 8 février 2008, et tendant au rejet de la requête au motif, d'abord, que la décision de refoulement étant motivée au sens de la loi du 29 juin 2006, la demande d'une mesure d'instruction visant à fournir au Tribunal Suprême toutes pièces pouvant justifier de la mesure se trouve sans objet : le moyen manque en fait ; que, sur un plan formel ensuite, la décision contestée respecte donc les exigences de l'article 2 de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs, notamment en ce qu'elle vise le jugement du Tribunal correctionnel du 22 mai 2007 condamnant Monsieur di M. à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et 18 000 € d'amende pour faux et usage de faux en écriture privée, de commerce et de banque, avant de préciser « les considérations de fait » qui constituent son fondement ; que sur le fond, par ailleurs, est infondé le moyen suivant lequel la décision porterait atteinte aux droits fondamentaux de Monsieur di M., en ce qu'elle serait arbitraire, injuste et dépourvu de motif valable, dans la mesure, d'abord, où « le principe de la présomption innocence concerne exclusivement la matière pénale et ne s'applique pas aux décisions administratives », et d'autre part, dans la mesure où, même si Monsieur di M. a interjeté appel du jugement du 22 mai 2007, « l'autorité administrative était légalement fondée à retenir contre lui des faits pour lesquels il a été poursuivi et condamné », lesquelles révèlent des comportements « incompatibles avec son maintien sur le territoire monégasque » ;

qu'enfin, il en va de même des conclusions indemnitaires par lesquelles Monsieur di M. sollicite la condamnation de l'État en réparation du préjudice moral et matériel résultant de la décision contestée, une telle réclamation ne pouvant être accueillie que si une annulation est prononcée.

Vu la réplique de Monsieur di M., enregistrée au greffe le 7 mars 2008 et tend aux mêmes fins et par les mêmes moyens que sa requête, alléguant en outre que la décision contestée viole certains droits constitutionnellement garantis, comme le respect de la vie privée et familiale énoncé dans l'article 22 de la Constitution, et le principe de la liberté du travail visé par l'article 25 ; et en déduisant que la mesure prise à l'encontre de Monsieur di M. paraît à cet égard manifestement disproportionnée, dès lors « qu'aucun trouble à l'ordre public ne saurait être valablement opposé au requérant » ;

Vu la duplique enregistrée le 11 avril 2008, déposée par le ministre d'État et tendant au rejet de la requête par les mêmes moyens que précédemment ;

Vu la pièce complémentaire enregistrée le 15 avril 2008 au soutien de la requête ;

Vu la Constitution, notamment ses articles 22, 25 et 90-B-1° ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême, notamment son article 1er ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 relatives aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, telle qu'amendée par le protocole n° 11, ainsi que son protocole n° 4 et l'Ordonnance n° 408 du 15 février 2006 qui les a rendus exécutoires ;

Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politique du 16 décembre 1966 rendu exécutoire par l'Ordonnance Souveraine n° 13.330 du 12 février 1998 ;

Vu l'Ordonnance du 1er octobre 2008 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience du Tribunal Suprême du 18 novembre 2008 ;

Vu l'Ordonnance du 1er octobre 2008 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a chargé le Vice-Président d'assurer sa suppléance ;

Ouï Monsieur Frédéric Rouvillois, membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Richard Mullot, avocat-défenseur, pour Monsieur L. di M. ;

Ouï Maître Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'État de Monaco ;

Ouï Monsieur le Procureur général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré :

Sur la légalité de la décision :

Sur la légalité externe :

Considérant que, suivant l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006, « doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui (...) restreignent l'exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police » ;

Considérant que la décision attaquée est accompagnée d'une motivation qui mentionne l'Ordonnance Souveraine du 19 mars 1964, la condamnation prononcée à l'encontre de Monsieur di M. par le jugement du Tribunal correctionnel du 22 mai 2007 et les faits révélés par ce jugement ; qu'ainsi les obligations énoncées dans la loi précitée du 29 juin 2006 ont été respectées ;

Sur la demande de prononcé d'une mesure d'instruction complémentaire :

Considérant que, ainsi qu'il vient d'être dit, la motivation de la décision contestée est conforme à l'article 1er de la loi précitée du 29 juin 2006 ; que le Tribunal Suprême est ainsi en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de ladite décision ; que la demande de prononcé d'une mesure d'instruction complémentaire est donc sans objet ;

Sur le fond :

Considérant que le moyen tiré de la violation de l'article 22 de la Constitution est dépourvu des précisions permettant d'en apprécier le bien fondé ;

Considérant que, par elle-même, la décision attaquée ne porte pas atteinte à la liberté du travail ; qu'ainsi le moyen tiré de la violation de l'article 25 de la Constitution est inopérant ;

Considérant qu'il est de principe que la légalité d'une décision administrative s'apprécie à la date de l'édiction de cette décision ; que le moyen tiré de ce que, postérieurement à la décision contestée, le jugement précité du Tribunal correctionnel du 22 mai 2007 a été annulé par la Cour d'appel est donc inopérant ; qu'il appartient seulement à Monsieur di M. de demander au Ministre d'État d'abroger la mesure de refoulement dont il a fait l'objet en invoquant à cet effet, s'il s'y croit fondé, l'arrêt de la Cour d'appel du 10 mars 2008 ;

Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les faits invoqués par le Ministre d'État pour justifier la décision attaquée seraient inexistants ou matériellement inexacts ;

Considérant qu'au regard de ces faits, la décision contestée n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par Monsieur di M. ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la demande d'indemnité :

Considérant qu'en vertu de l'article 90-B-1° de la Constitution, le Tribunal Suprême est compétent pour octroyer les indemnités qui résultent d'une annulation pour excès de pouvoir ; que le rejet des conclusions à fin d'annulation de Monsieur di M. entraîne, par voie de conséquence, celui des conclusions à fin d'indemnité qui en résultent.

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

La requête de Monsieur L. di M. est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de Monsieur L. di M.

Article 3🔗

Expédition de la présente sera transmise à S.E. Monsieur le Ministre d'État.

  • Consulter le PDF