Tribunal Suprême, 17 juin 2008, Sieur L. T. et Dame L. K. c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Recours pour excès de pouvoir

Étranger - Décision de refoulement - Refus d'abroger la décision initiale - Mesure de police administrative - Loi n° 1.312 relative à la motivation des actes administratifs, du 29 juin 2006 - Disposition dérogatoire afférente à des raisons de sécurité intérieure ou extérieure de l'État - Applicabilité (oui) - Faits matériellement exacts - Absence d'erreur manifeste d'appréciation - Décision illégale (non)


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête de M. L. T. et Mme L. K., enregistrée au greffe général le 8 mai 2007, tendant à l'annulation d'une décision du Ministre d'État en date du 30 mars 2007 rejetant la demande d'abrogation formée par les requérants à l'encontre d'une mesure de refoulement du territoire de la Principauté de Monaco prononcée à leur encontre le 27 décembre 2000 ;

CE FAIRE,

Attendu que M. T. et Mme K. ont fait l'objet au cours de l'année 2003 d'une mesure de refoulement du territoire monégasque ;

Attendu que le 24 juillet 2006 ils ont sollicité le retrait de cette mesure ; que ce recours a été rejeté le 6 septembre 2006 ;

Attendu que, le 11 janvier 2007, ils ont demandé l'abrogation de la mesure de refoulement, en sollicitant au surplus, la motivation de la décision en application de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006, que ce nouveau recours a été rejeté par une décision en date du 30 mars 2007, notifiée le 6 avril 2007 ;

Que, cette décision indique : « j'ai le regret de porter à votre connaissance qu'eu égard aux mauvais renseignements recueillis, il m'est impossible de réserver à votre requête un accueil favorable » ;

Attendu que cette décision viole la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 en ce qu'elle ne contient aucune motivation permettant aux exposants de connaître les motifs de fait et de droit fondant le refus d'abrogation ; qu'elle est entachée d'erreur de fait en ce qu'elle ne repose sur aucun fait avéré de nature à la justifier ;

Vu, la contre-requête présentée par le Ministre d'État, enregistrée le 9 juillet 2007 et tendant au rejet de la requête aux motifs que M. T. et Mme K. ont fait l'objet d'une mesure de refoulement du territoire monégasque le 27 décembre 2000, qu'ils n'ont pas contesté cette mesure de refoulement à l'époque ; que selon la jurisprudence du Tribunal Suprême en date du 19 mars 2007 (K.) aucune disposition législative ou réglementaire n'oblige l'administration à réexaminer une mesure de refoulement antérieurement prise ; que les raisons qui ont justifié le refoulement des intéressés tiennent au fait que M. T. appartient à une organisation mafieuse russe ; que la mesure de refoulement s'inscrit dans la politique de lutte contre la grande criminalité et le blanchiment des capitaux menée par la Principauté de Monaco conformément à ses engagements internationaux ; que la décision critiquée relève des deux premiers aliénas de l'article 5 de la loi du 29 juin 2006 qui font échapper à l'obligation de motivation des décisions justifiées par des raisons de sécurité intérieure ou extérieure de l'État,

Vu, la réplique présentée par M. T. et Mme K., enregistrée le 2 août 2007, tendant aux mêmes fins et par les mêmes moyens que la requête et précisant que le fait, pour eux, de ne pas avoir exercé de recours à l'encontre de la décision initiale de refoulement ne saurait constituer une justification valable des raisons pour lesquelles il n'a pas été fait droit à la demande d'abrogation postérieure, ni même de les priver du droit d'effectuer un recours à l'encontre de ce refus ; que l'État de Monaco interprète de façon inexacte la décision rendue par le Tribunal Suprême le 19 mars 2007 ; qu'en effet, cette dernière concernait une demande de suspension provisoire alors que le présent contentieux concerne une demande d'abrogation ; qu'il ne saurait être donné à une mesure de refoulement un caractère définitif et inamovible ; que des mesures de refoulement ne peuvent être maintenues que pour autant que le trouble ou les craintes envers l'ordre public sont encore constitués ; que si l'article 5 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 autorise l'État de Monaco à se dispenser de motiver un acte lorsque des raisons de sécurité intérieure ou extérieure de l'État s'y opposent, l'État de Monaco doit s'en prévaloir dans sa décision, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce ; qu'en réalité l'acte litigieux a été motivé, mais de façon insuffisante et contestable et que l'État de Monaco se prévaut opportunément et tardivement des dispositions de l'article 5 de la loi du 29 juin 2006 ; qu'en tout état de cause, l'État de Monaco doit indiquer les raisons pour lesquelles la sécurité intérieure ou extérieure de l'État serait menacée ; que la réalité du motif invoqué par l'État de Monaco devant le juge et qui tiendrait à leur appartenance à une organisation mafieuse russe n'est pas avérée ; qu'il convient de dissocier le cas des deux époux, puisqu'aucun grief ne pourrait être formulé à cet égard à l'encontre de Mme K.,

Vu, enregistrée le 3 septembre 2007 la duplique du Ministre d'État tendant au rejet de la requête pour les mêmes motifs que précédemment et précisant que la mesure de refoulement du 27 décembre 2000 est devenue définitive et que les requérants ne peuvent la remettre en cause sous couvert de critiquer le refus d'abrogation de cette mesure ; que la jurisprudence K. n'a pas un champ d'application limité aux seules demandes de suspension des décisions de refoulement ; que les dispositions de l'article 5 de la loi du 29 juin 2006 n'exigent nullement de l'autorité administrative que celle-ci se prévale expressément des dispositions de cet article lorsque, par exception légale, elle n'est pas tenue de motiver une décision ; que ces mêmes dispositions n'exigent pas, non plus, que l'autorité administrative indique les raisons pour lesquelles la sécurité intérieure ou extérieure de l'État serait menacée, sauf à retenir une obligation de motivation ; que M. T. n'a jamais contesté les faits au moment de la mesure de refoulement et qu'il lui appartenait d'établir qu'il avait cessé d'appartenir à l'organisation mafieuse « S. », que, s'agissant de Mme K., celle-ci ne saurait sérieusement prétendre avoir ignoré le caractère répréhensible des activités de son mari,

Vu la décision attaquée,

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier,

Vu la Constitution, notamment son article 90,

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême,

Vu l'Ordonnance souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté,

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs,

Vu l'Ordonnance du 5 décembre 2007 par laquelle le président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 3 juin 2008.

Ouï Madame Luc-Thaler, membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport.

Ouï Maître Zalbadano, avocat-défenseur, pour M. T. et Mme K.

Ouï Maître Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'État de Monaco ;

Ouï le Ministère public en ses conclusions.

Après en avoir délibéré ;

Considérant que M. T. et Mme K. ont demandé le 11 janvier 2007 l'abrogation de la mesure de refoulement du territoire monégasque prise à leur encontre le 27 décembre 2000 que par lettre du 30 mars 2007 le Ministre d'État a rejeté leur demande ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006, « doivent être motivées les décisions administratives à caractère individuel qui (...) restreignent l'exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police » ;

Considérant que si une décision refusant d'abroger une mesure de refoulement du territoire monégasque doit en principe être motivée par application de l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 entrée en vigueur le 1er janvier 2007 relative à la motivation des actes administratifs, les dispositions de l'article 5 de la même loi prévoient que « la motivation des actes énoncés à l'article premier n'est pas requise lorsque des raisons de sécurité intérieure ou extérieure de l'État s'y opposent » ;

Considérant qu'en l'espèce les exigences de la lutte contre la mafia justifient, pour des raisons de sécurité intérieure et extérieure de l'État, la dérogation prévue par l'article 5 précité à l'obligation de motivation ;

Considérant qu'il appartient toutefois au Tribunal Suprême de contrôler l'exactitude et la légalité des motifs donnés par l'administration à l'appui de sa décision ;

Considérant que le Ministre d'État a pris la décision attaquée en considération de l'appartenance de M. T. à l'organisation mafieuse russe dénommée S., motif à l'origine de le mesure de refoulement du 27 décembre 2000 qui n'a pas été contestée par les requérants ;

Considérant que ceux-ci n'apportent aucun élément nouveau ; qu'il ne résulte pas du dossier que ces faits sont matériellement inexacts ; que dès lors en se fondant sur eux pour estimer que leur présence sur le territoire monégasque constituait toujours une menace pour l'ordre public, l'autorité administrative n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

La requête de M. T. et Mme K. est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de M. T. et Mme K.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

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