Tribunal Suprême, 18 février 2008, SCI L. B., Dame S. B. et Sieur P. R. c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Recours en indemnisation - Acte administratif réglementaire

Urbanisme et construction

Ordonnance souveraine modificative de l'Ordonnance souveraine portant règlement général de voirie - Comité consultatif pour la construction - Quorum requis des membres - Désignation suffisante des membres dans le procès-verbal - Procédure régulière (oui)

Recours pour excès de pouvoir

Conformité de l'Ordonnance souveraine à la prescription constitutionnelle de l'article 24 (oui) - Défaut de conformité des dispositions relatives à l'établissement et à la publicité des servitudes administratives (non) - Édifice appartenant au patrimoine architectural de Monaco (oui) - Erreur manifeste d'appréciation (non) - Mesures de protection du patrimoine justifiées par l'intérêt général - Détournement de procédure (non) - Décision illégale (non)

Recours en indemnisation

Préjudice allégué - Légalité de la décision - Rejet de la demande


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête de la SCI L. B., Mme S. B. et M. P. R., enregistrée au Greffe général le 16 février 2007, tendant à l'annulation par la voie du recours pour excès de pouvoir de l'Ordonnance souveraine n° 831 du 14 décembre 2006, portant délimitation, plans de coordination et règlement particulier d'urbanisme, de construction et de voirie, du quartier ordonnancé de Saint-Roman, publiée au Journal de Monaco du 15 décembre 2006, ainsi qu'à la condamnation de l'État à réparer, par voie de conséquence, le préjudice subi du fait de l'illégalité de ladite Ordonnance, ainsi qu'aux dépens.

CE FAIRE,

Attendu que la SCI L. B., constituée le 15 novembre 1982, a acquis par acte du même jour, dressé par le même notaire, Maître P. L. Auregila, une villa située à Monte Carlo, d'une contenance de 180 m2 environ, et figurant au plan cadastral sous partie du numéro 257 Section O ; qu'à cette date, cette propriété était classée au Règlement général de voirie découlant de l'Ordonnance souveraine n° 3.647 du 9 septembre 1966, modifiée, en « Zone à gabarit élevé », avec un indice de construction de 12 M3/M2 de la surface totale ; que le bien immobilier des requérants, situé au nord-est de la Principauté, fait partie d'un ensemble de villas « Belle Époque », situé à proximité de la « Villa Trotty », propriété de l'État français.

Attendu que lors de sa séance du 24 août 2006, le Comité consultatif pour la construction a examiné les nouvelles dispositions réglementaires nécessaires à la protection de l'ensemble architectural et urbain constitué par les villas « Belle Époque » situées autour de la villa Trotty, que la République française venait de décider de vendre.

Qu'ainsi, aux termes de l'Ordonnance souveraine attaquée, n° 831 du 14 décembre 2006, le quartier ordonnancé de Saint-Roman, défini par l'article 12 de l'Ordonnance souveraine n° 3.647 du 9 septembre 1966, modifiée, est désormais assujetti au Règlement d'urbanisme constitué :

– des dispositions générales RU – SRT – GEN – VID, applicables à l'ensemble du quartier ;

– des dispositions particulières RU – SRT – DP – VID, applicables à l'ensemble du quartier,

Que ce règlement prévoit notamment :

– le statut des « constructions existantes »,

– le statut des « bâtiments à démolir »,

– le statut des « bâtiments conservés »,

la villa étant classée dans cette dernière catégorie ; que de ce fait, ladite villa a fait l'objet de dispositions spécifiques liées à sa conservation, une reconstruction à l'identique pouvant toutefois être autorisée en cas d'insalubrité, de graves désordres ou de sinistre ; qu'ainsi, les articles 8, 8.2.1., 8.2.3., et 9.2 des dispositions particulières d'urbanisme introduites par l'Ordonnance souveraine contestée, fixent un certain nombre de conditions auxquelles sont soumis « les bâtiments cadastrés n° 2, 3, 4 et 6 rue des Giroflées, n° 11 Chemin du Tenao, 35 et 37, et 59, Bd d'Italie figurant au nombre de bâtiments conservés au Plan Parcellaire » ; que dès lors les requérants sont recevables et bien-fondés à déférer ladite Ordonnance souveraine n° 831 du 14 décembre 2006 à la censure du Tribunal Suprême.

Attendu que s'agissant de la légalité externe, l'Ordonnance attaquée a été prise sur une procédure irrégulière, dès lors que la lecture du procès-verbal de la séance du 24 août 2006 du Comité consultatif pour la construction, obligatoirement consulté en application de l'Ordonnance n° 1.349 du 30 juin 1956, révèle qu'il a siégé dans une composition irrégulière en l'absence de la personnalité désignée par arrêté ministériel en raison de sa compétence, prévue à l'article 2 de l'Ordonnance 1.349 du 30 juin 1956 ; qu'au surplus, le même procès-verbal ne mentionne point les nom et prénom des membres présents de la Commission, contrairement à la lettre de l'article 9 de l'Ordonnance n° 1.440 du 17 décembre 1956.

Attendu que s'agissant de la légalité interne, il est soutenu que l'Ordonnance souveraine attaquée a violé l'article 24 de la Constitution monégasque en portant atteinte au droit de propriété des requérants, auxquels il est désormais interdit de démolir la villa comme d'en modifier l'aspect architectural, la possibilité d'une reconstruction à l'identique étant elle-même strictement réglementée, dans le même temps où l'indice de construction a été modifié interdisant aux requérants de surélever leur propriété ou d'en édifier une plus vaste.

Attendu que l'Ordonnance souveraine attaquée viole l'article 1er de la loi du 3 janvier 1925 concernant l'établissement et la publicité des servitudes administratives limitant la liberté de construire, en l'absence de règlement élaboré par le Comité des travaux publics et d'arrêté d'approbation du Ministre d'État.

Attendu qu'il n'existe pas de motif d'ordre urbanistique et de protection du patrimoine architectural à l'origine de la décision de protection du quartier de Saint-Roman ; attendu que l'Ordonnance attaquée est entachée de détournement de pouvoir et de procédure, dès lors que même si un intérêt public est apparemment poursuivi (relations avec la République française), il n'en demeure pas moins que la décision prise ne l'a pas été dans un but d'intérêt général, mais résulte de considérations en tous cas étrangères à l'urbanisme.

Attendu que par suite de l'annulation de l'Ordonnance souveraine attaquée, les requérants réclament d'être accueillis dans leurs conclusions indemnitaires, aux fins de réparer le préjudice certain, causé par le classement de leur immeuble en « bâtiment conservés », lequel a empêché les requérants de donner suite à tout projet immobilier concernant leur bien.

Attendu que sous l'empire de la précédente Ordonnance souveraine, il était loisible aux requérants, sur une surface de propriété de 170 m2, de réaliser une surface habitable de 712 m2, soit une surface négociable de 961 m2, après avoir été augmentée de balcons ; que dès lors, compte tenu de la valeur résiduelle de la villa L. B. et du coût des travaux nécessaires, la moins value consécutive à la prise de l'Ordonnance souveraine attaquée peut ainsi être chiffrée à 21 377 000 d'euros, arrondis à 21 000 000 d'euros.

Vu la contre-requête présentée au nom de l'État le 18 avril 2007, rappelant que le quartier de Saint-Roman, dit également quartier du Tenao, est un quartier résidentiel composé de trois ensembles : un ensemble urbanisé associant des volumes importants et des espaces verts, un ensemble de constructions récentes et étagées de taille respectable, et un ensemble cohérent de villas construites avant 1910, de facture remarquable, lequel relevait en dernier lieu du secteur des « opérations urbanisées » défini par l'Ordonnance souveraine n° 3.647 du 9 septembre 1966, modifiée ; mais attendu que les insuffisances du secteur des « opérations urbanisées » ont mis en évidence l'intérêt d'intégrer le quartier dans le secteur des « quartiers ordonnancés » ; que tel était donc l'objet de l'Ordonnance souveraine attaquée n° 831 du 14 décembre 2006, publiée le 15 décembre.

Attendu qu'en ce qui concerne la légalité externe, il est tout d'abord fait observer que la circonstance que la « personnalité désignée en raison de sa compétence » n'aurait pas siégé lors de la séance du 24 août est sans influence sur la validité de l'avis émis par le Comité consultatif pour la construction, dès lors que l'article 7 de l'Ordonnance souveraine n° 1.349 du 30 juin 1956 dispose explicitement : « Le Comité consultatif pour la construction ne pourra délibérer... que s'il est composé d'au moins cinq membres » ; qu'il résulte du procès-verbal que les requérants produisent eux-mêmes aux débats que sept des neufs membres dudit Comité ont effectivement siégé lors de la séance du 24 août 2006 ; qu'à défaut de mention des prénoms des membres ayant siégé, il ne s'agit pas d'une formalité substantielle dont la violation serait susceptible de vicier la consultation ; qu'au surplus, cette formalité peut être considérée comme remplie, dès lors que le procès-verbal mentionne, non seulement les noms, mais encore l'initiale du prénom de chacun des membres ayant participé aux débats.

Attendu que s'agissant de la légalité interne, et de l'allégation selon laquelle l'Ordonnance souveraine attaquée porterait une atteinte grave à l'inviolabilité du droit de propriété garanti par l'article 24 de la Constitution, en leur interdisant de démolir ou modifier leur villa, ou de reconstruire en surélevant ou en édifiant un autre immeuble, il est rappelé qu'il a été jugé que la reconnaissance du caractère inviolable de la propriété par l'article 24 de la Constitution n'avait ni pour objet, ni pour effet, de s'opposer à l'adoption de dispositions d'urbanisme réglant dans l'intérêt général les conditions de construction ; qu'en l'espèce les restrictions apportées par l'Ordonnance souveraine attaquée étaient tout à la fois minimes et justifiées par l'intérêt général, dès lors d'une part que les requérants conservaient nombre des possibilités prévues par l'ancienne réglementation ou s'en voyaient même offrir de nouvelles, et que d'autre part le rapport de présentation de l'Ordonnance critiquée exposait que la villa des requérants appartenait à un groupe de villas constituant un ensemble cohérent, dont la protection a été décidée pour des raisons architecturales et de sauvegarde d'espaces participant à la qualité résidentielle du quartier ; qu'ainsi l'Ordonnance souveraine attaquée ne portait aucune atteinte à leur droit de propriété qui serait incompatible avec l'inviolabilité de ce droit garanti par l'article 24 de la Constitution.

Attendu qu'en ce qui concerne la violation invoquée de l'article 1er de la loi n° 84 du 3 janvier 1925, le Ministre d'État expose que ledit article est devenu sans objet depuis que l'Ordonnance du 3 avril 1930 « prescrivant la publication du règlement général de voirie et fixant la date de son entrée en vigueur » a été publiée, en application de l'article 2 de la loi n° 33 du 16 juin 1920, visée par l'article 1er de la loi 84 du 3 janvier 1925 ; qu'enfin, la circonstance que la protection de la villa Trotty appartenant à la République française, ait pu être un élément déclenchant, ne retire pas aux impératifs d'urbanisme et de protection du patrimoine architectural leur caractère d'intérêt général, ce qui exclut le détournement de pouvoir.

Attendu en ce qui concerne les conclusions indemnitaires à hauteur de 21 000 000 d'euros, présentées sur le fondement de l'article 90 B de la Constitution au titre du prétendu préjudice, résultant de l'illégalité de l'Ordonnance souveraine attaquée, S. E. le Ministre d'État rappelle que le rejet des conclusions aux fins d'annulation entraîne, par voie de conséquence, l'irrecevabilité des prétentions indemnitaires ; qu'à supposer, par impossible, que l'annulation de l'Ordonnance souveraine critiquée du 14 décembre 2006 soit ordonnée, cette annulation aurait pour effet de faire revivre la réglementation antérieure, dont les requérants se plaignent précisément d'avoir perdu le bénéfice ; qu'ils ne subiraient donc aucun préjudice d'autant qu'ils ne font état d'aucun projet de construction ; qu'en tout état de cause, aucun préjudice n'était seulement réalisable, dès lors que sous l'empire de l'ancienne réglementation, le terrain de la villa était inconstructible, par application de l'article 13.4 de l'Ordonnance n° 3.647 du 9 septembre 1966, modifiée.

Vu la réplique, enregistrée le 21 mai 2007 par les requérants, qui concluent aux mêmes fins par les mêmes moyens, précisant toutefois, s'agissant de la légalité externe que si la personnalité désignée par arrêté ministériel en raison de sa compétence, n'a point siégé lors de la séance du 24 août 2006, c'est à raison du fait qu'elle n'a jamais été nommée ; que s'agissant de la légalité interne, les requérants insistent sur le fait que le moyen tiré de la violation de l'article 24 de la loi constitutionnelle ne tend pas seulement à se plaindre de l'absence de toute compensation financière, mais vise surtout à demander au Tribunal Suprême, si les atteintes dénoncées sont bien compatibles avec ledit principe de l'inviolabilité, dès lors qu'il s'agirait de servitudes administratives particulièrement lourdes et qu'il est fallacieux de la part de l'État de prétendre que l'Ordonnance attaquée leur offrirait de nouvelles possibilités, qu'ainsi les atteintes de tous ordres au droit de propriété seraient disproportionnées en violation de l'article 24 de la Constitution.

Attendu qu'il est en outre excipé pour la première fois de que l'Ordonnance souveraine du 14 décembre 2006 serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle rattache leur villa au secteur de protection, alors qu'elle est la plus éloignée de la villa Trotty, mais se trouve en revanche à proximité immédiate du « secteur à l'étude » dans lequel sont incluses cinq autres villas auxquelles la villa devrait être rattachée plus naturellement,

Attendu qu'en ce qui concerne leurs conclusions indemnitaires, les requérants relèvent que l'affirmation du Ministre d'État de ce que le terrain de leur villa était inconstructible, par application de l'article 13.4 de l'Ordonnance souveraine du 9 septembre 1966, modifiée, ne tient aucun compte des possibilités de remembrement avec les parcelles voisines incorporées aujourd'hui dans le secteur dit « secteur à l'étude », auxquelles elle pouvait apporter la totalité de l'indice de construction dont elle bénéficiait alors ; que la réalité de cette possibilité est établie par la production du compromis de dation établi le 10 mai 2006 au bénéfice de la Sam M. P. Group ; que cette transaction, outre la somme de 4 000 000 d'euros payée à l'acquéreur, prévoyait la remise au vendeur de 350 m2 au 6e étage de l'immeuble à construire, ainsi que trois caves et six parkings en sous-sol, soit une contre-valeur de 14 000 000 d'euros, s'ajoutant aux 4 000 000 en espèces ; qu'au surplus un protocole d'accord du même jour réservait à M. B. et M. R., architectes, l'exclusivité de la mission complète d'architecture pour ladite opération immobilière.

Qu'enfin les requérants observent qu'en cas d'annulation de l'Ordonnance souveraine déférée, même si l'Ordonnance souveraine antérieure du 9 septembre 1966 redevenait applicable, pour autant, ils n'en subiraient pas moins un préjudice pour avoir été privés de la liberté de vendre leur propriété depuis l'édiction de l'Ordonnance souveraine du 14 décembre 2006.

Vu la duplique présentée au nom de l'État le 25 juin 2007, tendant aux mêmes fins que la contre-requête par les mêmes moyens et en outre, que l'objet de l'Ordonnance Souveraine attaquée répond bien à un objectif d'intérêt général, comme en témoigne le rapport de présentation devant le Comité consultatif pour la construction, lequel permet de constater que les restrictions critiquées sont applicables à un ensemble de villas représentant un ensemble cohérent dont la protection a été édictée pour des motifs architecturaux ; que contrairement à ce que prétendent les requérants, les travaux autorisés en 1983 sur la villa L. B., à titre précaire et révocable, ne présentaient donc aucun caractère confortatif, ce qui est au contraire aujourd'hui autorisé par l'Ordonnance souveraine attaquée, puisque celle-ci a précisément pour objet de conserver le patrimoine bâti concerné ; qu'au surplus les requérants ne peuvent nier les nouvelles possibilités de reconstruction et de surélévation, conférées par l'Ordonnance souveraine du 14 décembre 2006, et que, bien mieux, la mention « surélévation autorisée » est portée pour la villa sur le Plan de Masse n° P4-C2-SRT-D qui fixe la cote maximale du niveau supérieur de cette villa à + 73,00 N. G. M ; qu'au regard du volume réalisable, ce n'est qu'uniquement en cas d'insalubrité, de désordres graves ou de sinistre, que soient apportées certaines restrictions de reconstruction, lesquelles ne sont dès lors point disproportionnées au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ; que le classement en « bâtiments conservés » de sept villas existantes, dont la villa, n'est point entaché d'erreur manifeste d'appréciation, dès lors que c'est un objectif d'ordre urbanistique, tenant notamment à la conservation de constructions qui sont le témoignage du passé architectural de la Principauté, qui est poursuivi.

Qu'enfin, en ce qui concerne leurs conclusions indemnitaires, les requérants ne peuvent prétendre à la réalité du préjudice, même en cas d'annulation, dès lors qu'aux termes du compromis de dation et de la promesse de contrat d'architecte produits, la date limite de réalisation est fixée au 31 décembre 2009 ; que dès lors le prétendu préjudice invoqué n'est pas plus fondé en son principe qu'il n'est détaillé en son quantum.

Vu l'Ordonnance du 5 juillet 2007 par laquelle de Monsieur le Président du Tribunal Suprême autorise exceptionnellement les requérants, au vu de leur requête déposée au Greffe général le 28 juin 2007, à produire une triplique dans le délai d'un mois, à laquelle il pourra être répondu dans le même délai parle SE le Ministre d'État.

Vu le mémoire en triplique enregistré au Greffe général le 8 août 2007, par lequel les requérants, débordant du motif allégué dans leur requête à fins d'autorisation de triplique, concluent une nouvelle fois aux mêmes fins par les mêmes moyens en soulignant, qu'à la suite des travaux autorisés le 17 juin 1983, la villa a fait l'objet d'une refonte totale du corps de bâtiment, de la reprise de sa façade, de l'aspect de l'architecture et que, seule une petite partie du mur de façade sud a été conservée, le reste de l'immeuble ayant été totalement démoli pour permettre la construction de l'immeuble nouveau ; que les éléments décoratifs existants ont été fabriqués, soit en 1983, soit sont des éléments de récupération effectuée par les propriétaires ; que dès lors la villa ne saurait faire partie de l'ensemble architecturale constitué parles villas Belle Époque, situés autour de la villa Trotty, puisque la facture actuelle ne résulte pas d'une construction édifiée avant 1910, mais en 1983, que dès lors le classement de la villa, comme faisant partie d'un ensemble cohérent, est bien entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

Attendu en outre que si les plans graphiques, annexés au règlement, prévoient une possibilité de surélévation de la villa, cette possibilité est en contradiction avec les articles du règlement lui-même ; que dès lors cette divergence est à tout le moins source d'illégalité ; que le détournement de pouvoir et de procédure est établi dès lors que l'objectif de l'Ordonnance attaquée était la protection de la villa Trotty, que dès lors les requérants persistent intégralement dans leurs conclusions indemnitaires, par suite de l'impossibilité de mettre en œuvre le compromis de dation sans attendre la date du 31 décembre 2009 représentant la date butoir.

Vu les ultimes observations enregistrées le 11 septembre 2007 au nom de SE le Ministre d'État persistant de plus fort aux mêmes fins que la contre requête par les mêmes moyens, y ajoutant pour dénier le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qui entacherait le classement de la villa, qu'une villa Belle Époque n'est pas une œuvre homogène mais, qu'au contraire, l'éclectisme est la règle ; qu'au demeurant les travaux autorisés en 1983 avaient, pour seul objet, selon la notice explicative même de l'architecte de l'époque, « la modification de la toiture et de la distribution intérieure... » ; que ces travaux n'ont point affaibli l'esprit initial de la construction ; qu'ainsi, les éléments décoratifs de façade ont été, soit conservés, soit restitués à l'identique, et que le fait même du remplacement des panneaux décoratifs par des plaques en terre cuite émaillées provenant de la récupération, ou la fabrication toute spéciale de balustres à Vintimille, démontre la volonté des maîtres d'ouvrage de préserver l'esprit début 20e ; que d'ailleurs les villas voisines ont également fait l'objet de travaux, sans que ceux-ci portent atteinte au caractère cohérent de l'ensemble représentatif du « début de siècle » formé par ces villas ; que c'est d'autant plus évident pour qu'elle figure sur un socle commun avec les villas Les Flots et la Vague, dont les noms évoquent le même référent ; qu'au surplus, la protection édictée par l'Ordonnance attaquée ne concerne pas la seule architecture des villas du quartier de Saint-Roman, mais procède plus généralement, ainsi que l'indique le rapport de présentation, d'une approche globale intégrant un ensemble de considérations,

Attendu par ailleurs que les atteintes qui résulteraient pour les requérants, de l'article 11 des dispositions générales de règlement, ne sont pas excessives, dès lors qu'elles ne font pas obstacle à l'application de dispositions particulières, telles celles qui autorisent la surélévation de la villa jusqu'à la cote maximale de + 73,00 N.G.M.

Qu'enfin, les requérants ne peuvent prétendre subir un préjudice dans l'hypothèse même d'une annulation de l'Ordonnance souveraine n° 831 du 14 décembre 2006, dès lors, qu'encore une fois au vu du compromis de dation produit, la réalisation de la dernière des conditions suspensives stipulées, est fixée au 31 décembre 2009 ; qu'ainsi les requérants conserveraient un délai suffisant pour mener à bien leur projet, et qu'ils ne peuvent justifier d'un préjudice dont ils sont d'ailleurs incapables de préciser le quantum.

Vu la décision attaquée,

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier,

Vu la Constitution, notamment ses articles 90 et 24,

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963, modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême,

Vu l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les Ordonnances n° 408 et 411 du 15 février 2006 qui les ont rendu exécutoires.

Vu la loi n° 33 du 16 juin 1920 et la loi n° 84 du 3 janvier 1925 concernant l'établissement et la publicité des servitudes administratives limitant la liberté de construire,

Vu l'Ordonnance souveraine du 3 avril 1930 prescrivant la publication du règlement général de voirie et fixant la date de son entrée en vigueur,

Vu l'Ordonnance souveraine n° 1.349 du 30 juin 1956 instituant un Comité pour la construction et le logement,

Vu l'Ordonnance souveraine n° 1.440 du 17 juin 1956,

Vu l'Ordonnance souveraine n° 3.647 du 9 septembre 1966 modifiée, concernant l'urbanisme, la construction et la voirie,

Vu l'Ordonnance souveraine attaquée n° 831 du 14 décembre 2006 portant délimitation, plans de coordination et règlement particulier d'urbanisme, de construction et de voirie, du quartier ordonnancé de Saint-Roman, publiée au Journal de Monaco du 15 décembre 2006,

Vu l'Ordonnance du 5 décembre 2007 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 5 février 2008,

Ouï Monsieur José Savoye, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Agnès Elbaz, Avocat au barreau de Grasse et Maître J. C. Gardetto, Avocat défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour la SCI L. B., Mme S. B. et M. P. R. ;

Ouï Maître Molinié, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour l'État de Monaco ;

Ouï le Ministère public en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré,

Sur la régularité de la procédure

Considérant que la circonstance que la nomination, par arrêté ministériel, d'une personnalité choisie à raison de sa compétence, prévue par l'article 2 de l'Ordonnance souveraine n° 1.349 du 30 juin 1956, n'est jamais intervenue, reste sans influence sur la validité de l'avis émis par le Comité consultatif pour la construction, institué par ladite Ordonnance et dont la consultation est obligatoire au regard du même texte ; qu'en effet, ladite Ordonnance souveraine ne pose qu'une condition de quorum aux délibérations du Comité consultatif pour la construction, quorum dont il n'est pas contesté qu'il était réuni lors de la séance du 24 août 2006, à l'issue de laquelle l'avis a été émis dans des conditions telles que la présence d'un membre supplémentaire n'aurait pu en changer le sens.

Considérant qu'il ne peut être reproché au procès-verbal de ladite réunion du Comité consultatif pour la construction de n'avoir pas respecté la lettre de l'article 9 de l'Ordonnance souveraine n° 1.440 du 17 décembre 1956, dès lors qu'il résulte de l'instruction que ledit procès-verbal, après avoir mentionné les nom, prénom et qualité du Président dudit Comité consultatif, désigne chacun des membres présents par l'initiale de son prénom, son nom et sa qualité ; qu'il ne peut dès lors y avoir de doute sur l'identification des membres ayant participé à l'émission de l'avis ;

Qu'ainsi le moyen tiré de ce que l'Ordonnance souveraine n° 831 du 14 décembre 2006 serait illégale, pour être intervenue sur une procédure irrégulière, doit être rejeté.

Au fond

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 24 de la Constitution

Considérant que la reconnaissance du caractère « inviolable » de la propriété par l'article 24 de la Constitution n'a, ni pour objet ni pour effet, de s'opposer à l'adoption de dispositions d'urbanisme réglant dans l'intérêt général les conditions de construction ;

Considérant que la substitution de dispositions de l'Ordonnance souveraine du 9 septembre 1966 modifiée, par l'Ordonnance souveraine n° 831 du 14 décembre 2006 créant notamment le quartier ordonnancé de Saint-Roman dans lequel est incluse la villa L. B. n'a entraîné aucune dépossession ; que les restrictions posées à une modification à l'état antérieur des lieux sont tout à la fois minimes et compensées, au moins partiellement, par des possibilités nouvelles ; que dès lors lesdites restrictions ne sont point disproportionnées ; qu'en tout état de cause, ces restrictions résultant d'un impératif de conservation du patrimoine architectural et paysager représentatif d'un moment de l'histoire de Monaco, sont inspirées par des considérations d'intérêt général ; qu'enfin, nul ne peut justifier d'un droit acquis au maintien d'une réglementation ; que dès lors les restrictions alléguées au droit de propriété ne portent pas atteinte au caractère inviolable de celle-ci, garanti par l'article 24 de la Constitution ;

Que le moyen sera donc rejeté.

Sur la violation de la loi n° 84 du 3 juillet 1925 relative à l'établissement et à la publicité des servitudes administratives

Considérant que le moyen tiré de la violation de l'article 1er de la loi n° 84 du 3 juillet 1935 manque en fait comme en droit dès lors que, en application de l'article 2 de la loi n° 33 du 16 juin 1920 le règlement général de voirie, prévu par ledit article 1er, a fait l'objet d'une ordonnance du 3 avril 1930.

Sur l'erreur manifeste d'appréciation

Considérant que c'est légitimement que la villa L. B. a été incluse dans le secteur de protection d'un ensemble de sept villas de style Belle Époque, de remarquable facture, édifiées avant 1910, témoin d'un moment de l'histoire architecturale de Monaco et relevant, à ce titre, de son patrimoine ; que les travaux dont cette villa a fait l'objet en 1983, loin d'altérer ce caractère, l'ont au contraire clairement maintenu, par la reprise des éléments décoratifs existants, leur restitution à l'identique, leur fabrication toute spéciale à cette fin, voire le remplacement de panneaux décoratifs par des plaques en terre cuite émaillées de récupération ; qu'au surplus, la protection des villas du quartier Saint-Roman ne concerne pas leur seule architecture, mais procède ainsi que l'indique le rapport de présentation, d'une approche globale, intégrant un ensemble de considérations, prenant en compte la place de ces villas dans leur environnement et leur participation à la qualité résidentielle du quartier ; qu'enfin et surtout, la villa L. B. figure sur un socle commun avec les villas Les Flots et la Vague, dont la dénomination est d'inspiration manifestement commune et que dès lors elle pouvait être classée dans le même secteur de protection ;

Que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ne peut donc qu'être rejeté.

Sur le détournement de pouvoir et de procédure

Considérant que, si le projet de vente à des fins de promotion immobilière de la villa Trotty, propriété de la République française, a pu donner un caractère d'urgence à la réflexion urbanistique menée sur la partie Nord-Est du territoire de la Principauté de Monaco, elle n'a en rien retiré aux mesures de protection arrêtées leur caractère d'intérêt général, lequel ressort des travaux du Comité consultatif pour la construction.

Que le détournement de procédure allégué n'est pas établi dès lors que dans les quartiers ordonnancés les dispositions particulières d'urbanisme peuvent déroger, pour des motifs d'intérêt public, aux dispositions d'urbanisme générales ;

Qu'ainsi le moyen tiré du détournement de pouvoir et de procédure ne peut qu'être rejeté.

Sur les conclusions à fins indemnitaires

Considérant que la requête vise à obtenir la réparation du préjudice causé par l'illégalité de l'Ordonnance souveraine attaquée ; que dès lors le rejet par la présente décision des conclusions à fin d'annulation entraîne, par voie de conséquence, le rejet des conclusions à fin d'indemnisation.

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

La requête de la SCI L. B., Mme S. B. et M. P. R., est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens sont mis solidairement à la charge de la SCI L. B., Mme B. et M. R.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise à Monsieur le Ministre d'État.

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