Tribunal Suprême, 18 février 2008, Sieur N. B. c/ Ministre d'État

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Recours pour excès de pouvoir

Étranger - Décision de retrait de la carte de résident privilégié - Loi n° 1.312 relative à la motivation des actes administratifs, du 26 juin 2006 - Applicabilité (non) - Décision antérieure - Constitution - Principe de sûreté individuelle - Décision contraire (non) - Constitution - Droits octroyés aux étrangers - Décision contraire (non) - Décision fondée sur des faits matériellement exacts (oui) - Erreur manifeste d'appréciation (non) - Décision illégale (non)


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête de M. N. B., enregistrée au greffe du Tribunal Suprême le 12 février 2007, et tendant à l'annulation de la décision portant retrait de sa carte de séjour de résident privilégié, telle qu'elle résulte des courriers de Monsieur le Conseiller de Gouvernement pour l'intérieur en date du 30 octobre et 14 décembre 2006 ; et subsidiairement, à ce qu'il soit enjoint à l'État de fournir au Tribunal Suprême toutes pièces justificatives des raisons pour lesquelles cette décision a été prise.

CE FAIRE,

Attendu que M. B., demeurant à Monaco depuis 1976 et titulaire d'une carte de résident privilégié, ayant été convoqué le 6 octobre 2006 par le service des étrangers de la sûreté publique afin de vérifier ladite carte, celle-ci fut remise à un préposé qui refusa de la lui restituer sans donner la moindre explication ;

Attendu que le même jour, M. B. adressait donc un courrier à Monsieur le Conseiller de Gouvernement, demandant que lui soient fournies « toutes précisions » sur les raisons ayant conduit à envisager le retrait de sa carte. Et que par courrier du 30 octobre 2006, Monsieur le Conseiller de Gouvernement fit savoir au conseil de M. B., que ce retrait était fondé sur « des faits à caractère économique et financier » ;

Que suite à un nouveau courrier du conseil de M. B., Monsieur le Conseiller de Gouvernement pour l'intérieur, rejetant le recours gracieux formé par ce dernier, confirma qu'il ne pouvait « envisager de revenir sur la décision des autorités monégasques de neutralisation de la carte de séjour » de M.B. ;

Attendu que l'illégalité de cette décision tient d'abord au fait que, les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en Principauté étant réglementés par l'Ordonnance souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964, M. N. B. ne se trouve pas dans les conditions envisagées par l'article 14 de ladite Ordonnance comme pouvant entraîner le retrait de la carte de résident ;

Que de surcroît, la jurisprudence et la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs, exigeant que soit motivée toute décision administrative retirant ou abrogeant une décision créatrice de droits, se trouvent également transgressées – M. N. B. s'étant vu privé de sa carte sans explication, si ce n'est référence à des « faits de caractère économique et financier » ;

Que M. N. B. n'ayant jamais fait l'objet d'aucune condamnation pénale, il y a par ailleurs, dans le fait de le priver de sa carte pour les motifs invoqués, une erreur manifeste d'appréciation de la part de l'État ;

Qu'enfin, M. N. B. pouvant se voir enjoindre par décision du Ministre d'État de quitter immédiatement le territoire monégasque sur le fondement de l'article 22 de l'Ordonnance de 1964, ont été violés les droits fondamentaux qu'il tire des articles 19 et 32 de la Constitution.

Vu la contre-requête présentée par le Ministre d'État, enregistrée le 13 avril 2007, et tendant au rejet de la requête, aux motifs que le grief fait à la décision contestée de n'être pas motivée en méconnaissance de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006, n'est pas fondé, la loi n'étant entrée en vigueur que postérieurement à la décision contestée ; que cette décision ne méconnaît pas non plus les dispositions de l'article 14 de l'Ordonnance souveraine du 19 mars 1964 ; que la décision de retrait, fondée sur des éléments « graves et concordants » relatifs à « des faits à caractère économique et financier », n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation ; qu'enfin, les droits fondamentaux de M. N. B. tels qu'ils résultent des articles 19 et 32 de la Constitution n'ont pas été violés par la décision contestée ;

Vu la réplique présentée par M. N. B., enregistrée le 16 mai 2007, tendant aux mêmes fins et par les mêmes moyens que sa requête, et soulignant notamment, l'inexactitude des informations sur le fondement desquels a été prise la décision de retrait ; le non-respect de l'exigence de motivation ; le fait qu'en l'absence des « éléments graves et concordants » invoqués par l'État, la décision est bien entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; et qu'enfin, la décision va bien à l'encontre des articles 19 et 32 de la Constitution, le fait de ne pouvoir séjourner sans la carte qui lui a été retirée durant plus de trois mois sur le territoire monégasque n'étant pas sans incidence sur la situation de M. N. B ;

Vu la duplique présentée par le Ministre d'État, enregistrée le 15 juin 2007, et tendant au rejet de la requête par les mêmes motifs que précédemment : précisant en particulier que les documents produits par M. N. B. à l'appui de sa réplique traduisent « un comportement incompatible avec le maintien de la carte de résident » : d'où, l'absence d'erreur manifeste d'appréciation ; et constatant que la violation des articles 19 et 32 de la Constitution est invoquée à tort, la décision de retrait ne valant pas interdiction de séjourner sur le territoire ;

Vu l'Ordonnance du Président du Tribunal Suprême du 29 août 2007 disant n'y avoir lieu d'accorder un ultime délai à M. N. B. à fin de triplique ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu l'Ordonnance du 21 novembre 2007 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience du Tribunal Suprême du 4 février 2008 ;

Ouï Monsieur Frédéric Rouvillois, membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Escaut, avocat-défenseur, pour M. B. ;

Ouï Maître Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'État de Monaco ;

Ouï le Ministère public en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré ;

Considérant que la loi du 26 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs n'est devenue applicable qu'à la date du 1er janvier 2007 ; que, par conséquent, la décision de retirer à M. B. sa carte de résident privilégié n'avait pas à faire l'objet d'une motivation, laquelle n'est pas exigée par l'ordonnance souveraine du 19 mars 1964 ; qu'il appartient toutefois au Tribunal Suprême de contrôler l'exactitude et la légalité des motifs donnés par l'administration à l'appui de sa décision ;

Considérant que la décision de retirer à M. B. sa carte de résident privilégié, même si elle n'était pas sans conséquence sur sa situation personnelle, ne portait atteinte ni au principe de sûreté individuelle, garanti par l'article 19 de la Constitution, ni aux droits que M. B. tenait, en tant qu'étranger, de l'article 32 de cette même Constitution ;

Considérant que les autorités peuvent, au titre de leurs pouvoirs de police, procéder au retrait de la carte de séjour d'un résident étranger dès lors que le comportement de celui-ci le justifie ; que c'est donc à tort qu'il a été reproché à la décision de retrait de la carte de résident privilégié de M. B., de n'avoir pas tenu compte du fait que celui-ci ne se trouvait pas dans les conditions exigées par l'article 1er de l'Ordonnance pour procéder au retrait d'une carte de résident ;

Considérant qu'il résulte des faits, et notamment, de l'inculpation de M. B. par les juridictions répressives italiennes en 2004, que l'autorité administrative n'a pas entaché sa décision de retrait d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

La requête de M. N. B. est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens sont à la charge de M. N. B.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise à Monsieur le Ministre d'État.

  • Consulter le PDF