Tribunal Suprême, 5 décembre 2007, Sieur S. G. c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Recours pour excès de pouvoir

Étranger - Décision de refoulement - Loi n° 1.312 relative à la motivation des actes administratifs du 29 juin 2006 - Décision assortie de deux motifs - Premier motif formulé en termes généraux et imprécis - Second motif imprécis et dépourvu du document justificatif - Conformité aux dispositions législatives (non) - Décision illégale (oui)


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête enregistrée le 23 avril 2007 par Maître Jean-Pierre Licari, avocat, défenseur près la Cour d'appel, au nom de M. S. G., tendant à l'annulation de la décision du Ministre d'État en date du 26 février 2007 refusant d'abroger la mesure de refoulement prise à son encontre.

CE FAIRE :

Attendu que M. G. a fait l'objet d'une mesure de refoulement prise le 26 juin 2000 mais qui ne lui a été notifiée que le 6 décembre 2002 ; que depuis le 9 août 2001 il est marié à une citoyenne monégasque dont il a eu un premier enfant en 2003 ; que Mme G. habitant Monaco, cette mesure de refoulement empêche les époux d'habiter et vivre ensemble ; que M. G. a présentée diverses demandes d'abrogation de la mesure de refoulement, et en dernier lieu, le 2 janvier 2007 en raison de la nouvelle grossesse de son épouse ; que le Ministre d'État a rejeté cette demande le 26 février 2007 au motif que « les circonstances de fait qui ont présidé à l'édiction de la mesure de refoulement et la condamnation de justice dont vous avez fait l'objet en date du 3 mars 2006 justifient son maintien » ;

Attendu que cette décision viole la présente loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ; qu'en effet, d'une part les motifs de la mesure de refoulement prise en 2000 ne lui ont jamais été communiqués, de sorte qu'une condamnation intervenue en 2006 ne peut justifier une décision prise en 2000 et, d'autre part, que la condamnation mentionnée du 3 mars 2006 n'est pas une condamnation pénale mais une simple condamnation civile pour parasitisme au préjudice du gouvernement princier résultant de l'usage, sur un site internet créé par M. G., de la dénomination « Monaco modern art museum » ainsi que de signes (drapeau, emblèmes, armoiries) distinctifs de la Principauté ;

Que de plus la rédaction de la décision du 26 février 2007 ne permet à M. G. de connaître ni les considérations de droit, ni les considérations de fait, ni le raisonnement qui a permis de passer de ces considérations à la décision, qui ont précédé à l'édiction de cette dernière ;

Attendu que la décision viole aussi l'article 2 du protocole n° 4 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et plus particulièrement son droit à la liberté de circulation alors qu'elle ne précise pas en quoi sa présence à Monaco serait une mesure pour la sûreté publique ou l'ordre public.

Vu la contre-requête, enregistrée le 22 juin 2007, du Ministre d'État tendant au rejet de la requête par les motifs :

– que M. G. ne peut prétendre ignorer les faits qui avaient justifié la mesure de refoulement prise en 2000 ni la condamnation prononcée à son encontre par la Cour d'appel de Paris le 3 mars 2006 ;

– qu'ainsi, à la seule lecture de la décision, il en comprenait les motifs, de sorte que la motivation est régulière ;

– qu'il résulte au surplus de la jurisprudence récente du Tribunal Suprême que le Ministre d'État n'était pas tenu de réexaminer une mesure de refoulement antérieurement prise ;

– que l'abrogation de cette mesure n'aurait pu intervenir que si M. G. avait modifié son comportement répréhensible ;

– qu'il n'en a pas été ainsi comme le démontrent non seulement sa condamnation civile pour parasitisme au détriment du Gouvernement Princier mais aussi l'exploitation frauduleuse d'un réseau internet, l'utilisation illicite de symboles représentatifs de l'État monégasque et la création d'un nouveau site interne de nature à porter atteinte à la réputation de Monaco ;

– que M. G., qui mène une vie familiale normale à Menton, sera autorisé à accompagner sa femme pour qu'elle accouche au Centre Hospitalier Princesse Grâce, ainsi qu'à conduire et rechercher ses enfants à l'école de Monaco où ils sont scolarisés pendant le séjour de leur mère à la maternité ;

– que le droit de circulation consacré par l'article 2 du Protocole n° 4 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme peut être restreint pour des raisons tenant au maintien de l'ordre public ; que c'est bien pour de telles raison que M. G. a fait l'objet d'une mesure de refoulement puis d'un refus d'abrogation de cette mesure, de sorte que ledit article 2 n'est nullement violé.

Vu la réplique de M. G., enregistrée le 24 juillet 2007, concluant à l'annulation de la décision attaquée par les mêmes motifs que précédemment, et précisant :

– que M. G. n'a été poursuivi et condamné en France pour recel de chèque volé que postérieurement et la mesure de refoulement prise en 2000 ;

– que, si en 2002, il a fait l'objet de poursuites pénales à Monaco, celles-ci ne sont terminées par une ordonnance de non-lieu en 2003 ;

– qu'il ne saurait être accusé d'escroquerie au détriment d'artistes puisque ceux-ci ont retiré leur plainte ;

– qu'il n'a pas créé sans autorisation des sites internet mais seulement acheté des noms de domaines libres, du reste cédés ensuite gratuitement ; qu'il n'a d'ailleurs été condamné à Monaco qu'à une peine d'amende pour contrefaçons et usage de marques sans autorisation ;

– que la création du site de Monaco Scandale n'est qu'une juste réaction à l'injustice et à l'animosité dont l'État a fait preuve à son égard.

Vu la réplique du Ministre d'État enregistrée le 23 août 2007 concluant au rejet de la requête par les mêmes motifs que précédemment et, au surplus :

– que la motivation critiquée ne peut concerner que la mesure prise en 2007 ;

– que M. G. n'a demandé l'abrogation de la mesure de refoulement que comme une mesure de bienveillance liée à la grossesse de sa femme ;

– que le Ministre d'État est habilité à tenir compte du comportement de M. G. qui, depuis la mesure de refoulement prise en 2000, cherche perpétuellement à tromper le public sur ses relations avec la Famille Princière et l'État monégasque.

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B 1° ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu l'Ordonnance n° 3.153 du 19 mars 1964 modifiée sur les conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et ses libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, telle qu'amendée par le protocole n° 11, ainsi que son protocole additionnel n° 4 et l'Ordonnance n° 408 du 15 février 2006 qui les ont rendus exécutoires ;

Vu l'Ordonnance du 1er octobre 2007 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 21 novembre 2007 ;

Ouï M. Jean-Michel Lemoyne de Forges, Vice-président du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Jean-Pierre Licari, Avocat, défenseur, pour M. S. G. ;

Ouï Maître Jacques Molinié, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'État de Monaco ;

Ouï Madame le Procureur général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré,

Considérant que M. G. a demandé le 2 janvier 2007 au Ministre d'État l'abrogation de la mesure de refoulement du territoire monégasque prise à son encontre le 26 juin 2000 ; que, par lettre du 26 février 2007, le Ministre d'État a rejeté cette demande ;

Considérant que, aux termes de l'article 1er-2 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006, doivent être motivées les décisions administratives individuelles qui « restreignent l'exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police » ; qu'ainsi la décision attaquée figure au nombre de celles qui doivent être motivées ;

Considérant que, aux termes de l'article 2 de la même loi n° 1.312, « la motivation doit être écrite et comporter, dans le corps de la décision, l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ;

Considérant que la décision attaquée par M. S. G. comporte l'énoncé de deux motifs ; que le premier motif, qui se borne à renvoyer aux circonstances de fait qui ont présidé à l'édiction de la mesure de refoulement prise le 26 juin 2000, est formulé en termes trop généraux et imprécis au regard des exigences de l'article 2 précité de la loi n° 1.312 ; que le second motif renvoie à une condamnation de justice dont M. S. G. a fait l'objet le 3 mars 2006 ; que, cependant, le texte de cette décision n'était pas joint à la lettre du Ministre d'État ; que, dès lors, celle-ci devait préciser en quoi la condamnation visée était de nature à justifier le rejet de la demande ; qu'à défaut cette seconde motivation n'est pas davantage conforme aux prescriptions de la loi n° 1.312 précitée ;

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

La décision du Ministre d'État du 26 février 2007 rejetant la demande formée le 2 janvier 2007 par M. S. G. est annulée ;

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de l'État ;

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

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