Tribunal Suprême, 5 décembre 2007, Sieur D. C. c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Recours pour excès de pouvoir

Étranger - Décision de retrait de la carte de séjour - Décision devenue définitive

Procédure

Connaissance de la décision - Recours gracieux hors délai - Recours contentieux - Tardiveté du recours - Irrecevabilité


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête de M. D. C. déposée au greffe général le 28 mars 2007 tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision de retrait de sa carte de séjour ainsi qu'à la condamnation de l'État aux dépens.

CE FAIRE,

Attendu que M. C., de nationalité suisse résident depuis 1990 à Monaco et titulaire d'une carte de séjour renouvelée en dernier lieu en juin 2005 et valable jusqu'au 3 mai 2008, a été convoqué dans les locaux de la Sûreté Publique, à l'automne 2006, afin de remettre sa carte de séjour ; qu'il n'a été informé que de manière informelle de la non-restitution de sa carte et qu'il n'a appris la neutralisation de cette dernière « pour éléments graves et concordants » que par la lettre de Monsieur le Conseiller de Gouvernement pour l'Intérieur, en date du 28 novembre 2006, en réponse à la lettre qu'il avait écrite, par son avocat, défenseur, au Conseiller de Gouvernement pour les Finances le 10 novembre 2006.

Attendu que le 19 décembre de la même année, il a adressé une nouvelle lettre, toujours par l'intermédiaire de son avocat défenseur, à Monsieur le Conseiller de Gouvernement pour l'Intérieur pour demander des précisions sur ces « éléments graves et concordants » et que le 4 janvier 2007, la réponse de Monsieur le Conseiller de Gouvernement pour l'Intérieur précisait que la décision avait été prise à la suite de « faits graves et concordants commis dans le cadre de ses diverses activités ».

Attendu que, considérant le caractère manifestement imprécis de cette indication et avançant le fait qu'il n'a jamais été condamné ni inculpé, M. C. a formé, le 25 janvier 2007, un recours gracieux à la fois devant Monsieur le Ministre d'État et Monsieur le Conseiller de Gouvernement pour l'Intérieur, recours rejeté le 12 février 2007 par lettre de Monsieur le Ministre d'État sous les mêmes motifs que ceux figurant dans la lettre précitée de Monsieur le Conseiller de Gouvernement pour l'Intérieur en date du 4 janvier 2007.

Attendu que la décision de neutralisation de sa carte de séjour manque de base légale, l'Ordonnance souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté de Monaco ne prévoyant le retrait d'un titre de séjour qu'à la suite d'une décision de refoulement ou d'interdiction de séjour ; que la décision attaquée de « neutralisation » de la carte de séjour apparaît entachée d'illégalité et constitutive d'une voie de fait dès lors que cette décision ne trouve pas son fondement dans un pouvoir accordé par la Loi à l'Administration.

Attendu qu'à titre subsidiaire, la décision attaquée viole la Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs qui dispose, en son article 1er, que doivent être motivés à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui retirent ou abrogent une décision créatrices de droits ; que la « neutralisation » de la carte de séjour constitue le retrait d'une décision créatrice de droits, en l'espèce l'attribution à son profit d'un titre de séjour jusqu'à son échéance en mai 2008 et lui refuse en avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes remplissant les conditions légales pour l'obtenir, c'est-à-dire la possibilité de résider effectivement en Principauté de Monaco conformément au titre dont elles sont titulaires ; que l'article 6 de ladite loi, dispensant de la motivation, ne s'applique pas au retrait d'un titre de séjour en cours de validité et qu'enfin, ladite loi était entrée en vigueur au moment du rejet du recours gracieux le 12 février 2007 et que cette dernière décision, en tant qu'elle abrogeait une décision créatrice de droit, devait donc contenir une motivation précise ; que cette irrégularité affecte la décision initiale qui n'est pas non plus motivée et doit être annulée.

Attendu enfin que la décision attaquée, au-delà de l'examen de la légalité externe, ne peut procéder que d'une erreur manifeste d'appréciation ; que M. C. n'a jamais commis aucun fait répréhensible et qu'il n'existe aucune circonstance de nature à laisser penser que sa présence sur le territoire de la Principauté de Monaco et le fait qu'il dispose d'un titre de séjour soient de nature à provoquer un risque de trouble pour l'ordre public, la sécurité ou la tranquillité publique ;

Vu la contre-requête présentée au nom de l'État, déposée le 30 mai 2007 au greffe général, concluant au rejet de la requête aux motifs qu'elle est irrecevable comme tardive, le délai de recours contentieux expirant au plus tard le 11 janvier 2007, soit deux mois après la lettre de M. C., en date du 10 novembre 2006, par laquelle il demandait à Monsieur le Conseiller de Gouvernement pour les Finances les motifs de la décision ; que le recours gracieux formé le 27 janvier 2007 ne pouvait donc proroger un délai déjà expiré.

Attendu qu'à titre subsidiaire, le retrait de la carte de séjour trouve bien un fondement légal dans les dispositions de l'alinéa 1er de l'article 17 de l'Ordonnance souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 qui permet le retrait non seulement d'une carte devenue périmée mais aussi d'une carte en cours de validité et que cette décision de retrait n'est pas nécessairement la conséquence d'une décision préalable de refoulement ou d'interdiction du territoire ; qu'en deuxième lieu, la décision contestée étant intervenue avant l'entrée en vigueur de la loi précitée sur la motivation des actes administratifs n'avait pas à être motivée ; qu'enfin, les pièces produites à l'appui de la décision de retrait établissent que celle-ci a été prise après que le Gouvernement de Monaco a été informé par un rapport du Procureur de Bastia sur la criminalité organisée en Corse, corroboré par des informations données par des services spécialisés, du rôle qu'avait joué M. C. dans le projet frauduleux d'urbanisation de l'Île de C. en Corse ; qu'ainsi ce rapport mentionne les liens de M. C. avec la S. C. et les filiales de cette société, au sein de laquelle il a, à une certaine époque, occupé le poste de président directeur général ; que selon le rapport L., la C. a versé 4 500 000 F à la Société H. I. LTD dirigée par M. C. et deux filiales de la C. ont bénéficié de transferts de fonds émanant d'Irak et de Suisse en provenance de sociétés également dirigées par M. C. ; qu'enfin, plusieurs services spécialisés étrangers ont également informé les autorités monégasques que M. C. était lié à la mafia italienne qui avait joué un rôle important dans l'accord conclu avec une organisation nationaliste corse pour le vaste projet de construction sur l'Île de C., consistant à créer des sociétés entre ressortissants italiens et résidents corses, les seconds garantissant la possibilité de bâtir en contrepartie des fonds apportés par les premiers.

Vu la réplique présentée au nom de M. C. et enregistrée au greffe général le 2 juillet 2007, tendant aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens et en outre relevant, d'abord concernant l'éventuelle forclusion, qu'il n'a vraiment été informé de la décision attaquée que par la lettre précitée du 28 novembre 2006 ; qu'en effet lors de la convocation dans les locaux des services de Police le 13 octobre 2006, le retrait de la carte n'a été accompagné d'aucune explication et que la lettre adressée le 10 novembre à Monsieur le Conseiller de Gouvernement pour les Finances utilisait le conditionnel pour obtenir des informations ; que le point de départ du délai de recours doit donc être fixé le 28 novembre et non le 10 ; qu'il ajoute que l'Administration, à l'occasion du recours gracieux, formé le 27 janvier 2007, n'a fait aucune réserve à ce sujet ;

Attendu qu'en deuxième lieu, la loi précitée n° 1.312 étant entrée en vigueur le 1er janvier 2007 doit s'appliquer à l'ensemble des décisions prises par l'Administration et donc à celle par laquelle Monsieur le Ministre d'État a rejeté le recours gracieux ;

Attendu qu'ensuite M. C. conteste que l'Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 précitée donne au Gouvernement le pouvoir de retirer à tout moment et sans respecter de formalisme particulier une carte de séjour ; que l'article 17 alinéa 1 permet le retrait seulement dans deux cas, soit après constatation que le titre de séjour est périmé et n'a pas été renouvelé soit en cas de refoulement ou d'interdiction de séjour ; que faute de disposition légale expresse, la décision autonome de « neutralisation » d'une carte de séjour constitue bien un excès de pouvoir ;

Attendu qu'enfin, sur le fond, l'Administration a commis une erreur manifeste d'appréciation des informations reçues du Procureur de Bastia et de certains services ; que s'agissant du rapport du Procureur, outre diverses erreurs matérielles relevées, ce dernier ne met en aucun cas en cause M. C. ni les actionnaires des diverses sociétés dont il a assuré la gestion comptable et administrative comme ayant participé à des opérations de blanchiment ou plus généralement des opérations frauduleuses ; que M. C. exerce au travers de sa société C. F. SA, depuis 1974, l'activité de gestion de structures fiduciaires en Suisse ; que la Société C. (C. des îles L. pour l'aménagement de C.) a été constituée en 1973 par M. J. C., en association avec une filiale de la banque Paribas et que la reprise des actions de la Société C. par cinq investisseurs italiens a été vérifiée par la Banque de France ; que M. C. a été nommé dans le Conseil d'administration de la Société C. où il représentait la Société H., actionnaire majoritaire et ceci seulement entre 1980 et 1988 ; qu'à partir de 1988, la Société H. a cédé ses participations à M. C. avec lequel M. C. n'aura aucun rapport ; que dans le cadre de cette cession, la Société H. se trouvait créancière de la Société C. à concurrence de 50 millions de francs français, créance qui a continué à être remboursée jusqu'en 1993 ; qu'il est curieux que Monsieur le Ministre d'État ait pu être informé d'agissements frauduleux de M. C. dans le cadre de la gestion de C. postérieurement à l'année 2005 alors même que M. C. n'a plus en aucun rapport avec cette société depuis l'année 1988 ; que le rapport fait seulement état de soupçons portant non sur M. C. qui n'a jamais été inquiété ni condamné mais sur une personne entrée dans la Société C. huit ans après son départ ; que s'agissant de faits remontant à plus de dix-sept ans, il est constant que si M. C. avait été impliqué d'une manière quelconque il n'aurait pas manqué d'être poursuivi, ce qui n'a pas été le cas.

Attendu que s'agissant de l'affirmation selon laquelle M. C. entretiendrait des liens avec la Mafia italienne, aucun élément précis n'est fourni à l'appui de cette thèse invraisemblable et offensante alors que M. C. jouit, en Suisse, d'une excellente réputation et qu'il a effectué, à la demande de juridictions helvétiques, plusieurs missions.

Vu la duplique, présentée et enregistrée au greffe général le 3 août 2007, tendant aux mêmes fins que la contre-requête, par les mêmes moyens et en outre précisant que, sur la recevabilité, le procès-verbal dressé le 29 mai 2007 par le Commandant-Inspecteur H. et contresigné par le Commissaire principal, chef de la Division de police administrative C. établit que le 13 octobre 2006 M. C. a été informé de la décision de Monsieur le Conseiller de Gouvernement pour l'Intérieur de lui retirer sa carte ; que M. C. a donc été informé verbalement de la décision prise le 13 octobre 2006 et doit être regardé comme en ayant eu connaissance au plus tard à la date à laquelle il en a demandé les motifs, le 10 novembre suivant ; que la requête enregistrée le 28 mars 2007 est donc tardive, faute pour le délai de recours contentieux d'avoir été prorogé par un recours gracieux présenté tardivement.

Attendu ensuite que, s'agissant de l'obligation de motiver les actes administratifs, celle-ci ne peut concerner que la décision attaquée – le retrait de carte – et non le rejet du recours gracieux et que la légalité doit s'apprécier au jour où la décision a été prise, en l'espèce avant l'entrée en vigueur de la Loi n° 1.312 précitée ;

Attendu qu'en ce qui concerne l'application de l'article 17 alinéa 1 de l'Ordonnance souveraine du 19 mars 1964, cette disposition autorise l'autorité administrative à annuler un titre de séjour en cours de validité lorsque le comportement du ressortissant étranger s'avère incompatible avec la détention de ce titre, sans pour autant que ce retrait soit la conséquence d'une décision préalable de refoulement ou d'interdiction de territoire ;

Attendu qu'en dernier lieu, il est établi que, même indirectement et même s'il n'a jamais été poursuivi, M. C. est fortement suspecté d'être intervenu dans le projet frauduleux d'urbanisation de l'Île C. et de graviter dans l'entourage immédiat de la Mafia ;

Attendu enfin que la simple décision de retrait, à la différence d'une expulsion ou d'un refoulement, permet à l'intéressé de séjourner sur le territoire de la Principauté par périodes de trois mois et qu'une telle mesure de police ne porte pas atteinte à la liberté d'aller et venir.

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B 1° ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 3.153 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté du 19 mars 1964 modifiées ;

Vu la Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs,

Vu le procès-verbal de clôture de la procédure en date du 6 septembre 2007 ;

Vu l'Ordonnance du 1er octobre 2007 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce tribunal du 21 novembre 2007 ;

Ouï Monsieur Michel Roger, Membre titulaire du Tribunal, en son rapport ;

Ouï Maître Frank Michel, Avocat défenseur, pour M. C. ;

Ouï Maître François Moliné, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'État de Monaco ;

Ouï Madame le Procureur général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré ;

Sur la recevabilité de la requête

Considérant que l'alinéa 2 de l'article 13 de l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 précitée, dispose qu'«en toute autre hypothèse, le recours doit, à peine d'irrecevabilité être formé dans les deux mois à partir du jour où le fait sur lequel il est fondé a été connu de l'intéressé. En cas de contestation la preuve de cette connaissance incombe à la partie défenderesse » ;

Considérant que, si la date de la décision prise par Monsieur le Conseiller de Gouvernement pour l'Intérieur ne peut être établie avec certitude, le titre a été retiré lors de la convocation dans les locaux de la Sûreté publique le 13 octobre 2006 ; qu'à partir de cette date et en tout cas lorsqu'il écrit à Monsieur le Conseiller de Gouvernement pour les Finances le 10 novembre 2006, M. C. connaissait la décision lui retirant sa carte, même s'il en ignorait les motifs ; que la connaissance acquise est établie par la formule même employée dans cette lettre qui demande « les raisons pour lesquelles sa carte de séjour a été retirée » ;

Considérant qu'ainsi Monsieur le Ministre d'État apporte la preuve que M. C. connaissait la décision au plus tard le 10 novembre 2006 ; que le point de départ du délai du recours doit donc être fixé à cette date et que le recours gracieux formé le 25 janvier 2007 n'a pu proroger le délai expiré depuis le 11 janvier 2007 ; que le recours est dans ces conditions tardif et donc irrecevable.

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

La requête de M. D. C. est rejetée ;

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de M. D.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise à Monsieur le Ministre d'État.

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