Tribunal Suprême, 29 juin 2007, Sieur G. K. c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Recours en indemnisation - Acte administratif individuel

Recours pour excès de pouvoir

Étranger - Décision de retrait de la carte de résident monégasque - Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales - Pacte international relatif aux droits civils et politiques - Inapplicabilité du principe de la présomption d'innocence aux mesures administratives de police des étrangers - Exactitude matérielle des faits - Décision illégale (non) -

Recours en indemnisation

Légalité de la décision - Rejet de la demande d'indemnité

Procédure

Mesure d'instruction sollicitée - Motifs de la décision exposés dans les mémoires des parties


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête présentée par M. G. K. enregistrée au Greffe général de la Principauté de Monaco le 4 décembre 2006 et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision en date du 6 octobre 2006 par laquelle le Ministre d'État lui a retiré sa carte de résident monégasque.

Ce faire,

Attendu que M. K., de nationalité suisse, titulaire d'une carte de résident monégasque s'est vu retirer cette qualité compte tenu de l'ouverture d'une instruction pénale en Suisse, le 26 janvier 2006, dans laquelle il été inculpé ; qu'il serait soupçonné d'avoir été l'intermédiaire financier de la famille du général nigérian A. qu'il aurait aidé à dissimuler des fonds, produit de la corruption ; que M. K. conteste dans sa requête les faits qui lui sont reprochés ; que sa réputation est intacte ; qu'il réside à Monaco depuis 1980 et de façon permanente à l'hôtel Hermitage depuis 1981 ; qu'il entretient les meilleurs rapports avec la Principauté ; que le retrait de son titre de séjour ne lui paraissant pas justifié, il en a sollicité le 2 octobre 2006 la restitution ; que, le 6 octobre suivant, le Conseiller de Gouvernement pour l'Intérieur ayant rejeté cette demande, M. K. a formé devant le Tribunal Suprême un recours contre la décision considérée qui serait entachée d'illégalité ; que le requérant fait grief à l'État de Monaco de n'avoir pas motivé sa décision ou du moins de n'avoir pas mis le Tribunal Suprême en mesure d'en contrôler la légalité ; qu'en conséquence il demande que soit ordonnée une mesure d'instruction de nature à permettre d'apprécier la légalité de la décision attaquée ; qu'il devrait ainsi apparaître que le retrait du titre de séjour a été pris arbitrairement et injustement ; qu'en effet M. K. ignore les motifs de ce retrait ; qu'au surplus l'ouverture d'une information en Suisse ne constitue pas un motif valable en la circonstance puisque tant la Convention Européenne des Droits de l'Homme que le Pacte de New York proclament la présomption d'innocence de tout inculpé jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie ; que la décision attaquée lui cause un préjudice matériel et moral en réparation duquel il sollicite l'octroi de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Vu la contre-requête déposée par le Ministre d'État et enregistrée le 6 février 2007, par laquelle il est énoncé que M. K. a été inculpé en Suisse pour blanchiment aggravé, faux et usage de faux ; qu'il indique que celui-ci a été incarcéré dans cette affaire puis libéré moyennant une caution ; que ces faits ont entraîné le retrait de sa carte de résident puis le refus par le Conseiller de Gouvernement de la restitution de ce document ce contre quoi il a formé un recours devant le Tribunal Suprême ; que c'est à tort que M. K. sollicite une mesure d'instruction ; qu'en effet le Ministre d'État a fait savoir que la mesure attaquée avait pour origine l'inculpation de l'intéressé en Suisse pour l'aide apportée au général nigérian A. dans la dissimulation de produits de corruption ; qu'il n'y a donc pas lieu d'ordonner des recherches complémentaires ; que d'autre part, il ne convient pas en l'espèce d'invoquer la présomption d'innocence s'agissant d'une mesure administrative à laquelle ce principe ne s'applique pas ainsi qu'il a été jugé et par le Tribunal Suprême et par le Conseil d'État français ; qu'enfin les faits qui sont reprochés au requérant relèvent chez celui-ci un comportement incompatible avec la qualité de résident monégasque ; qu'il résulte de ces éléments que la demande d'indemnisation présentée par M. K. ne peut qu'être rejetée ;

Vu la réplique formée par M. K. et enregistrée le 5 mars 2007 par laquelle il réitère son souhait de voir ordonner une mesure d'instruction par le Tribunal Suprême en notant que l'État de Monaco ne fournit aucun élément de nature à appuyer sa thèse ; qu'il expose que si le juge d'instruction de Genève l'a inculpé c'était par souci de prendre une mesure purement conservatoire ; qu'ensuite la remise en liberté démontre que l'atteinte à l'ordre public invoquée par l'État de Monaco n'a pas été considérée comme établie ; qu'au surplus M. K. n'a été entendu qu'une fois en une année par le juge d'instruction ; qu'ainsi les autorités monégasques méconnaissent les principes de présomption d'innocence et d'égalité devant la loi, que seule une instruction pourrait permettre de démontrer la réalité des faits dénoncés par le requérant ; qu'au fond le retrait du titre de séjour de M. K. est une mesure arbitraire et injuste ; que pareille décision constitue une atteinte à la présomption d'innocence affirmée par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, par la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; que ce principe doit s'appliquer aux mesures administratives ainsi d'ailleurs qu'il résulte de l'analyse d'un arrêt du Tribunal Suprême du 14 juin 2005 (G.) ; qu'en outre les autorités judiciaires monégasques n'ont reçu des autorités suisses aucune commission rogatoire concernant M. K. ; qu'au surplus si le Pacte précité du 16 décembre 1966 limite la présomption d'innocence aux seules affaires pénales, il n'en va pas de même pour la Convention Européenne des Droits de l'Homme qui a vocation par son article 6 à s'appliquer à tout contentieux étant ajouté que le Conseil d'État français a affirmé le principe du strict respect de ce texte par les autorités administratives ; que par suite les mesures administratives doivent être prises en respectant la présomption d'innocence sauf atteinte manifeste et caractérisée à l'ordre public ; que cette atteinte n'a pas été portée comme il a été dit précédemment ; qu'il en résulte que la décision attaquée fondée sur une erreur de fait devrait être annulée ; qu'il en résulte aussi que la demande d'indemnisation ne pourrait qu'être accueillie ;

Vu la duplique déposée par le Ministre d'État enregistrée le 4 avril 2007 par laquelle il maintient que le retrait de la carte de résident dont était titulaire M. K. est justifié par l'inculpation de celui-ci en Suisse qu'il ne conteste pas ; que la mesure d'instruction sollicitée qui tiendrait à obtenir des éclaircissements à son sujet ne s'impose nullement puisque le Ministre en a clairement indiqué les motifs ; que d'autre part le requérant ne saurait invoquer l'atteinte au principe de la présomption d'innocence qui ne s'applique pas aux mesures administratives ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence du Tribunal Suprême, la décision G. à laquelle il est fait référence à cet égard étant de portée générale et ne se limitant pas aux procédures suivies à Monaco ; qu'il convient au surplus de se reporter à une décision ultérieure (Dalla Corte 14 juin 2006) qui confirme la portée de ce principe que la présomption d'innocence ne peut au surplus être invoquée puisque M. K. ne fait pas l'objet d'un refoulement mais du simple retrait de sa carte de résident qui le laisse libre de ses déplacements à Monaco dans la limite de trois mois ; que M. K. ne peut non plus se prévaloir des articles 14 du Pacte international relatif aux droits civils et 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et les Libertés fondamentales ; que la référence à un arrêt du Conseil d'État n'est pas pertinente à ce sujet s'agissant de sanctionner un comportement contraire à l'ordre public ; que le Ministre d'État maintient ses précédentes conclusions aux fins de rejet de la requête de M. K. et de sa demande d'indemnisation étant ajouté qu'aucun lien n'apparaît entre la décision attaquée et l'éventuel préjudice qu'il subirait ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B 1° ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 2006, rendu exécutoire par l'Ordonnance souveraine n° 13.330 du 12 février 1998 ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 408 du 15 février 2006 rendant exécutoire la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 3153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;

Vu l'Ordonnance du 8 mai 2007 par laquelle le Président du Tribunal suprême a renvoyé la cause à l'audience du 28 juin 2007 ;

Ouï M. Jean Michaud, membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Arnaud Zabaldano, avocat, substituant Maître Richard Mullot, avocat-défenseur, pour G. K. ;

Ouï Maître Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'État de Monaco ;

Ouï Madame le Procureur Général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré ;

Sur la demande de renvoi :

Considérant qu'en l'état de l'instruction ce renvoi n'est pas nécessaire au sens de l'article 30 de l'Ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 ;

Sur les conclusions de la requête tendant à ce que le Tribunal Suprême ordonne une mesure d'instruction :

Considérant que le requérant a lui-même exposé les motifs sur lesquels se fonde la décision attaquée qui ont été exposés par le Ministre d'État dans sa contre requête ; qu'il n'y a donc pas lieu d'ordonner la mesure d'instruction sollicitée ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision du Ministre d'État en date du 6 octobre 2006 :

Considérant que le principe de la présomption d'innocence énoncé par la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et par le Pacte international relatif aux droits civiles et politiques ne s'applique pas aux mesures administratives de polices des étrangers ; que dès lors le moyen tiré de la violation de ce principe est inopérant ;

Considérant que M. K. est l'objet selon ses propres déclarations d'une inculpation en Suisse du chef de dissimulation de produits de corruption ;

Qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les faits qui ont motivé cette inculpation soient matériellement inexacts ;

Que par suite, en refusant de lui restituer sa carte de résident le Ministre d'État n'a pas commis d'erreur de fait ;

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

Considérant que le rejet au fond par la présente décision des conclusions de la requête aux fins d'annulation entraîne par voie de conséquence le rejet des conclusions aux fins d'indemnisation ;

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

La requête de M. K. est rejetée.

Article 2🔗

La demande de dommages-intérêts formée par M. K. est rejetée.

Article 3🔗

Les dépens sont mis à la charge de M. K.

Article 4🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

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