Tribunal Suprême, 28 juin 2007, Dame O. K. divorcée N. c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Recours pour excès de pouvoir

Étranger - Décision de refoulement du territoire monégasque - Décision non motivée - Loi relative à la motivation des actes administratifs postérieure à la décision - Protocole n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales - Inapplicabilité des dispositions à une décision administrative fondée sur un motif d'ordre public - Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales - Atteinte disproportionnée au droit à une vie familiale normale (non) - Exactitude matérielle des faits - Décision illégale (non)

Procédure

Ordonnance du président rejetant une demande de sursis à exécution - Contestation jointe à un recours en annulation d'un décision administrative - Recevabilité (non)


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête déposée au Greffe général le 13 décembre 2006, par laquelle Madame O. K. a saisi le Tribunal Suprême aux fins d'annulation de la décision de refoulement du territoire monégasque prise à son encontre par le Ministre d'État le 21 novembre 2006 ;

Ce faire,

Attendu que la loi n° 1312 du 30 juin 2006 impose la motivation des décisions administratives à caractère individuel ; que l'article 1er du protocole n° 7 à la Convention européenne des Droits de l'Homme impose aussi manifestement l'obligation d'informer de ces motifs ; que Madame K. a été convoquée par la Sûreté publique qui lui a notifié son refoulement sans que le moindre motif lui soit explicité ; que la mesure de refoulement méconnaît aussi le deuxièmement de cet article, en ce que l'expulsion n'était pas nécessaire dans l'intérêt de l'ordre public ou de la sécurité nationale ; qu'elle méconnaît aussi la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme qui, dans un arrêt Lupsa/Roumanie du 8 juin 2006, exige « l'accessibilité et la prévisibilité de la loi, ainsi qu'une certaine protection contre les atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention » ; que cette jurisprudence semble confirmer la lecture inévitable de l'article 1er du protocole n° 7, laquelle impose dans tous les cas une motivation concernant les faits reprochés ; qu'au surplus, aucun élément, aucun indice concernant les faits qui lui sont reprochés n'a été fourni à l'exposante à l'occasion de la décision de refoulement ou de sa notification ; que les motifs de fait qui ont servi de base à la décision administrative sont tout aussi entachés d'illégalité, étant relevé que l'État avait autorisée Madame K. à exploiter un fonds de commerce en Principauté le 6 octobre 2006, après avis favorable du Directeur de la Sûreté publique et des Services fiscaux monégasques, ce qui démontre à l'évidence qu'à cette date, Madame K. présentait toutes garanties exigées d'un étranger résidant en Principauté et ne compromettait pas, par sa présence, la sécurité ou la tranquillité publique ; que l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme dispose que toute personne a droit au respect de sa vie familiale ; que le refoulement de Madame K. du territoire monégasque a pour effet de porter une atteinte disproportionnée à ce droit ;

Vu, enregistrée comme ci-dessus le 14 février 2007, la contre-requête par laquelle le Ministre d'État expose que la requérante ne peut pas se prévaloir même « à titre de simple référence » des dispositions de la loi n° 1312 du 29 juin 2006, qui n'était pas entrée en vigueur à la date de la décision de refoulement, laquelle n'avait pas à être motivée ; que l'obligation d'information prévue par l'article 1er du protocole n° 7 à la Convention européenne des Droits de l'Homme ratifié par la Principauté de Monaco est écartée précisément dans le cas où l'expulsion de l'étranger trouve son fondement dans les nécessités de l'ordre public ; que les renseignements concernant la requérante et portés à la connaissance du Parquet général et qualifiés de « très sérieux » par ce dernier, ont conduit le Procureur général à ouvrir une information judiciaire contre X... des chefs d'association de malfaiteurs et de blanchiment ; que la décision de la Cour européenne des Droits de l'Homme citée par la requérante est relative à l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé l'étranger expulsé de bénéficier après son expulsion des garanties énoncées au paragraphe 1 de l'article 1er du protocole n° 7 ; qu'en l'occurrence, contrairement à ce qui s'était passé dans l'affaire précitée, Mme K. n'est nullement privée de ses garanties après la décision de refoulement du 21 novembre 2006, puisqu'elle a pu former une requête en annulation et une requête aux fins de sursis à exécution ; que la requérante n'est pas fondée à contester l'exactitude des faits qui lui sont reprochés au regard des éléments très sérieux portés à la connaissance du Parquet et à l'origine de l'ouverture de l'information judiciaire ;

Vu la réplique de Madame K. enregistrée le 14 mars 2007 où elle expose que le principe du contradictoire consacré par l'article 6.1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme a été bafoué dès lors que la contre-requête déposée par l'État sur la question du sursis à exécution n'a pas été notifiée par voie de greffe conformément aux dispositions générales de l'Ordonnance relative à l'organisation et au fonctionnement du Tribunal Suprême du 16 avril 1963 modifiée, lesquelles prévoient que toutes les pièces procédurales et de fond sont communiquées par voie de greffe aux parties ; que la Cour européenne des Droits de l'Homme distingue d'une part la mise en œuvre de l'expulsion et, d'autre part, les droits de la défense de l'étranger, ces droits étant susceptibles d'être exercés postérieurement à la mesure dans le cas prévu au deuxième paragraphe de l'article premier du protocole n° 7, c'est-à-dire lorsque l'expulsion est nécessaire dans l'intérêt de l'ordre public ou est basée sur les motifs de sécurité nationale ; qu'il appartient au Tribunal Suprême de contrôler la légalité de ces motifs, ce qui correspond parfaitement à la deuxième condition posée par le paragraphe 1 du protocole n° 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, la première étant le respect de dispositions légales lorsqu'elles s'entendent au sens large ; que dès lors qu'aucun motif n'a été donné lors de la mise en œuvre du refoulement de Madame K. si ce n'est la formule de style habituellement consacrée, la décision de refoulement encourt l'annulation ; que, dans l'hypothèse où Madame K. n'aurait pas choisi d'engager la double procédure de sursis à exécution et d'annulation, le Ministre d'État n'aurait produit aucun document à l'appui de sa contre-requête au fond pour valider la réalité des motifs soutenus à l'appui du refoulement ; que le Ministre d'État se réfère à l'argumentation du Ministère public, qui lui-même se réfère à celle de l'État de Monaco, qui n'apporte aucun élément quant à la justification des motifs ayant présidé à la mesure de refoulement, pas plus que la contre-requête quant aux liens de la requérante avec le crime organisé international ; qu'il appartient au Ministre d'État de démontrer à ce stade qu'entre la date à laquelle l'autorisation de séjour a été délivrée à Madame K., voire la date à laquelle son autorisation commerciale a été délivrée, soit le 6 octobre 2006, et le 28 novembre 2006, date à laquelle le refoulement a été opéré, les motifs dont il se prévaut pour justifier la mesure de refoulement ont été portés à sa connaissance ; qu'aucun élément objectif ni même subjectif d'ailleurs n'a été apporté par le Ministre d'État de nature à expliquer que le 6 octobre 2006, Madame K. a pu être autorisée à exploiter le commerce après avis du Directeur de la Sûreté publique, alors que l'information contre X soit disant directement liée au prétendu blanchiment dont elle se rendrait coupable sur le territoire monégasque a été ouverte en mars 2006, la requérante n'ayant, avant le mois de mars 2007, jamais été entendue ou concernée par ce genre d'affaires ;

Vu la duplique, enregistrée le 13 avril 2007, par laquelle le Ministre d'État expose que la critique de la régularité d'une procédure distincte est inopérante, une prétendue irrégularité procédurale n'affectant en rien la requête en annulation au fond ; qu'en toute hypothèse, l'application de l'article 40 de l'Ordonnance souveraine du 16 avril 1963, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ne prévoit pas la communication au requérant de la contre-requête du défendeur dans le cadre des instances de sursis à exécution ; que la Cour européenne des Droits de l'Homme n'a pas dit dans l'arrêt précité que la décision d'expulsion elle-même aurait dû être motivée ; que les conclusions du Procureur général indiquent expressément que « la mesure de refoulement (est) justifiée par le souci de préserver l'ordre public sur le territoire de la Principauté » ; que le train de vie fastueux de Mme K., rappelé dans la contre-requête, mis en relation avec ses liens familiaux, constituent autant d'éléments objectifs révélant que les revenus exceptionnels dont dispose l'intéressée proviennent de sources illicites ; que la mesure de refoulement prise à l'encontre de Mme K. est intervenue dans l'intérêt de l'ordre public ; que par suite, la circonstance que Mme K. n'ait été entendue qu'en mars 2007 au titre de l'information pénale ouverte en mars 2006 est inopérante ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B 1° ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, notamment son article 8, rendue exécutoire par l'Ordonnance souveraine n° 408 du 15 février 2006 ainsi que le protocole n° 7 notamment son article 1er, rendu exécutoire par l'Ordonnance souveraine n° 411 du 15 février 2006 ;

Vu la loi n° 1312 du 29 juin 2006 sur la motivation des actes administratifs, et notamment son article 9 ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 3153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;

Vu l'Ordonnance du 16 février 2007 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a rejeté la demande de sursis à exécution ;

Vu l'Ordonnance du 8 mai 2007 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience du 28 juin 2007 ;

Ouï M. Dominique Chagnollaud, membre du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Me Christine Pasquier-Ciulla, avocat-défenseur, pour Mme K. ;

Ouï Me Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'État de Monaco ;

Ouï Mme Le Procureur général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré ;

Sur la régularité de l'Ordonnance du 16 février 2007 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a rejeté la demande de sursis à exécution (V. texte, infra)

Considérant qu'une Ordonnance statuant sur une demande de sursis à exécution d'une décision administrative ne peut être contestée à l'occasion de conclusions tendant à l'annulation de cette décision ; que par suite la requérante n'est pas recevable à contester la régularité de l'Ordonnance du 16 février 2007 ;

Sur l'application des dispositions de la loi n° 1312 du 29 juin 2006

Considérant qu'aux termes de son article 9, la loi n° 1312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs « entrera en vigueur à l'expiration d'un délai de six mois à compter de sa publication au Journal de Monaco » ; qu'elle a été publiée au Journal de Monaco le 20 juin 2006 ; que dès lors elle n'était pas applicable à la date de la décision attaquée ;

Sur la violation de l'article 1er du Protocole n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales

Considérant qu'aux termes de l'article 1er du Protocole n° 7 :

Un étranger résidant régulièrement sur le territoire d'un État ne peut être expulsé qu'en exécution d'une décision prise conformément à la loi et doit pouvoir :

a) faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion ;

b) faire examiner son cas ;

c) se faire représenter à ces fins devant l'autorité compétente ou une ou plusieurs personnes désignées par cette autorité.

Un étranger peut être expulsé avant l'exercice des droits énumérés au paragraphe 1.a, b et c de cet article lorsque cette expulsion est nécessaire dans l'intérêt de l'ordre public ou est basée sur des motifs de sécurité nationale « ;

Considérant que Madame K. a été refoulée de la Principauté dans l'intérêt de l'ordre public ; que par suite, elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait dû bénéficier avant l'intervention de la décision attaquée des garanties prévues au paragraphe 1 de l'article précité ;

Sur la violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales :

Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou la protection des droits et libertés d'autrui » ;

Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la requérante serait dans l'impossibilité d'emmener ses enfants mineurs avec elle, ni qu'elle serait désormais sans liens familiaux avec son pays d'origine ; que, par suite, elle n'est pas fondée à se prévaloir d'une atteinte disproportionnée au droit à une vie familiale normale ;

Sur le caractère matériellement inexact des faits sur lesquels repose la décision attaquée

Considérant que les faits qui ont motivé la décision de refoulement attaquée ont été présentés avec une grande précision dans la contre-requête du Ministre d'État, selon laquelle les conditions de vie de Madame K. ne permettent pas de justifier les revenus exceptionnels dont elle dispose ; qu'au surplus, il résulte des observations du Procureur général en date du 26 janvier 2007 que : « les renseignements obtenus sur les conditions d'installation suspectes d'O. K. sur le territoire de la Principauté de Monaco » ont conduit à « l'ouverture d'une information judiciaire contre X. ... des chefs d'association de malfaiteurs et blanchiment » ; que les informations données au Procureur général complètement et confirment les informations du Ministre d'État ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les faits invoqués par le Ministre d'État soient matériellement inexacts ; qu'en se fondant sur eux pour prendre la mesure de refoulement attaquée, le Ministre d'État n'a pas commis d'erreur de fait ;

Annexe

Ordonnance du 16 février 2007

Nous, Roland Drago, Président du Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, Grand Officier de l'Ordre de Saint-Charles, assisté de Madame Béatrice Bardy, Greffier en chef ;

Vu la requête présentée par Madame O. K. enregistrée au greffe du Tribunal Suprême le 13 décembre 2006 et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision en date du 21 novembre 2006 par laquelle le Ministre d'État a édicté à son encontre une mesure de refoulement du territoire ;

Vu la requête déposée le même jour par la requérante tendant à obtenir une décision de sursis à exécution de la mesure attaquée en application des articles 39 à 44 de l'ordonnance du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu le texte de cette requête déposée par Maître Pasquier-Ciulla, avocat-défenseur ;

Vu la contre-requête déposée par le Ministre d'État le 16 janvier 2007 ;

Vu les conclusions déposées par le Procureur général le 26 janvier 2007 ;

Vu l'Ordonnance du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté de Monaco ;

Vu le Protocole n° 7 à la Convention européenne des Droits de l'Homme ratifiée par la Principauté de Monaco et, notamment, son article 1er, paragraphe 2 ;

Vu la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des décisions administratives individuelles ;

Vu la Constitution du 17 décembre 1962 ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême et notamment ses articles 39 à 44 ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Sur l'application de la loi du 29 juin 2006 :

Considérant que cette loi n'était pas applicable à la date de la décision attaquée ;

Sur le sursis :

Considérant que les faits qui ont justifié la décision de refoulement de la requérante et qui n'avaient pas été indiqués dans la décision attaquée ont été présentés avec une grande précision dans la contre-requête du Ministre d'État ; que ces faits justifiaient une mesure prise dans l'intérêt de l'ordre public et constituaient des motifs de sécurité nationale au sens de l'article 1er, paragraphe 2, du Protocole n° 7 à la Convention européenne des Droits de l'Homme ratifiée par la Principauté de Monaco ; que le sursis à exécution ne peut donc être décidé ;

Décide :

Article 1er. La demande du sursis à exécution est rejetée ;

Article 2. Les dépens sont réservés ;

Article 3. Expédition de la présente Ordonnance sera transmise au Ministre d'État.

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

La requête est rejetée.

Article 2🔗

Les dépens sont mis à la charge de Madame O. K.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

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