Tribunal Suprême, 15 décembre 2006, Association des locataires de Monaco c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours pour excès de pouvoir - Acte administratif réglementaire

Recours pour excès de pouvoir

Acte administratif - Mode de détermination de l'augmentation annuelle du montant du loyer des appartements soumis à la loi n° 1291 du 21 décembre 2004 modifiant la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 - Information insuffisante de la juridiction - Sursis à statuer

Procédure

Demande de communication de documents permettant l'exercice du contrôle - Arrêt avant dire droit


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête formée par l'Association des locataires de Monaco, enregistrée le 3 janvier 2006 et tendant à l'annulation de l'acte édité sur le site Internet du Gouvernement monégasque, relatif à l'application des articles 14 et 18 de la loi n° 1291 du 21 décembre 2004 ;

Ce faire,

Attendu que la Direction de l'habitat a donné comme variation des loyers au 1er janvier 2006 la moyenne sur quatre trimestres de l'indice INSEE des prix à la consommation (hors tabac), le taux de 1,91 % pour l'ensemble des ménages ;

Que l'Association des locataires a formé un recours hiérarchique contre cet acte par lettre du 12 janvier 2006, en soutenant que la Direction de l'habitat avait fondé son calcul sur les cinq derniers trimestres et non sur quatre comme il est prescrit ; que la Direction de l'habitat a précisé son interprétation à l'intention de l'Association des locataires en indiquant que son calcul se fondait sur cinq trimestres de référence aux fins de déterminer l'évolution entre le trimestre du début et celui de la fin de la période considérée ; que le recours hiérarchique a été rejeté le 1er février 2006 en reprenant cette argumentation ;

Qu'au fond, l'acte attaqué, qui est un acte administratif informel pris en application d'un texte de loi, s'apparentant à une circulaire, concerne une loi d'ordre public (art. 42) pris dans le cadre de l'exécution d'une mission de service public ; que sous couvert d'interprétation, il dénature la loi considérée ; qu'en se fondant pour effectuer son calcul sur cinq trimestres au lieu de quatre, l'Administration aboutit à un taux d'augmentation de 1,91 % au lieu de 1,82 % ;

Que le calcul est effectué en comparaison des quatre trimestres 2004 et 2005, abstraction étant faite des trois premiers trimestres 2005 ; que la moyenne est donc calculée non sur quatre mais sur deux trimestres ;

Qu'en conséquence l'Association requérante dénonce une illégalité qui devrait entraîner une annulation et l'octroi d'une indemnisation de 20 000 euros ;

Vu la contre-requête formée par le Ministre d'État et enregistrée le 2 juin 2006, par laquelle il soutient que les prescriptions des articles 14 et 18 de la loi du 21 décembre 2004 n'ont pas été méconnues quant au mode de calcul utilisé pour déterminer l'indice de 1,91 % ; qu'en effet ce qui est à déterminer, c'est la variation moyenne pour quatre trimestres des prix à la consommation qui doit être prise en compte et non l'indice moyen des prix ; qu'ainsi il convient de comparer le résultat du premier trimestre 2005 avec celui du dernier trimestre 2004 et ainsi de suite ; que c'est bien seulement la variation sur quatre trimestres qui est prise en compte ; que telle est d'ailleurs la méthode de l'INSEE pour calculer la variation de l'indice de référence des loyers pour l'application de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ; que c'est à cette méthode que le Ministre d'État s'est référé pour que soit fixée à 1,91 % la variation de l'indice des prix à la consommation ;

Que, de la même façon, l'Association requérante ne peut soutenir que le calcul retenu ne prend en compte que les moyennes des deux trimestres au lieu de quatre contrairement aux exigences légales ; que là encore la loi ne détermine pas un indice traduisant des moyennes mais un indice traduisant des variations ainsi qu'il apparaît au tableau figurant sur le site officiel du Gouvernement ; que par suite le pourvoir devrait être rejeté ;

Que par voie de conséquence la demande d'indemnisation formée par l'Association, dont on ne voit d'ailleurs pas quel préjudice elle aurait pu subir, devrait être rejetée ;

Vu la réplique, enregistrée le 7 juillet 2006, de l'Association des locataires, qui soutient que le mode de calcul qu'elle a utilisé est en réalité identique à celui qui a été retenu par l'État, ayant cependant pris comme assiette quatre trimestres au lieu de cinq ; que, si le pourcentage d'augmentation n'est pas le même, c'est parce qu'est pris en compte un trimestre de plus, à savoir le quatrième de 2004 ; que, pour effectuer son calcul, l'État se réfère à la variation de l'indice des prix pour chacun des trimestres ; qu'ainsi il conviendrait de considérer l'indice du dernier trimestre 2004 pour calculer la variation du premier trimestre 2005 ; que ce calcul doit se faire en référence aux mois qui composent le trimestre et non pas, contrairement à la loi, à ceux du trimestre précédent ; que c'est ainsi d'ailleurs que l'Administration avait procédé jusqu'en janvier 2006, cela résultant d'une lettre adressée par la Direction de l'habitat à un administré, et apparaissant sur le tableau publié sur le site internet du Gouvernement ; que, contrairement à ce que soutient l'État, la loi française n° 94-624 du 21 juillet 1994 va dans le même sens, la référence étant quatre trimestres et non cinq ;

Qu'au surplus le taux aurait dû être fixé par un texte réglementaire délibéré en conseil de Gouvernement et publié au Journal officiel de Monaco, pour devenir opposable aux tiers, conformément à l'article 69 de la Constitution tel qu'analysé par les Professeurs V., B. et W., seule la publication au Journal officiel de Monaco entraînant l'opposabilité aux tiers ; que l'acte a été édité seulement sur Internet ;

Que l'Association des locataires maintient sa requête en annulation de l'acte attaqué ;

Vu la duplique du Ministre d'État enregistrée le 9 août 2006 par laquelle il soutient d'abord que la requête de l'Association des locataires n'est pas recevable comme s'opposant à une simple mesure qui n'avait pas à être déterminée par un texte réglementaire ; que cette interprétation avait d'ailleurs été indiquée par le Ministre d'État au Président de l'Association par une lettre du 28 février 2006 ; qu'ainsi le document incriminé ne fait pas grief ; que l'Association ne produisant aucun élément nouveau, le Ministre persiste dans ses conclusions tendant au rejet de la requête ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90, B 1° ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1235 du 20 décembre 2000, modifiée par la loi n° 1291 du 21 décembre 2004 ;

Vu l'ordonnance du 6 octobre 2006 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé l'affaire à l'audience du 4 décembre 2006 ;

Ouï M. Jean Michaud, membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Jean-Pierre Licari, avocat-défenseur, pour l'association des locataires de Monaco ;

Ouï Maître Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'État de Monaco ;

Ouï Madame le Procureur général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré ;

Sur la recevabilité :

Considérant que la publication par la Direction de l'habitat sur le site Internet du Gouvernement monégasque de la majoration de 1,91 % du montant des loyers au 1er janvier 2006 révèle une décision d'évaluer ce montant, devant avoir un effet sur les loyers en cours ; que cette décision constitue un acte administratif faisant grief ; que, par suite, la requête de l'Association des locataires de Monaco est recevable ;

Au fond :

Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 20 de la loi du 28 décembre 2000 susvisée : « L'augmentation annuelle du montant du loyer ne peut excéder la variation de la moyenne sur quatre trimestres de l'indice des prix à la consommation (hors tabac) pour l'ensemble des ménages (France entière) publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques français » ;

Considérant que les modalités du calcul qui ont conduit la Direction de l'habitat à fixer à 1,91 % la variation prévue par la disposition précitée n'ont été indiquées ni par la Direction de l'habitat sur le site Internet ni par le Ministre d'État devant le Tribunal Suprême ; qu'en l'état du dossier, le Tribunal Suprême n'est pas en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée ; qu'il y a lieu dès lors, en application de l'article 32 de l'Ordonnance souveraine du 16 avril 1963 susvisée, de prescrire une mesure d'instruction ;

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

Le Ministre d'État est invité à produire dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, tous éléments du calcul permettant au Tribunal Suprême d'exercer son contrôle.

Article 2🔗

Les dépens sont réservés.

Article 3🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

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