Tribunal Suprême, 6 décembre 2006, Sieur F. N. c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours en cassation - Acte juridictionnel

Recours en cassation

Ordre professionnel - Ordre des architectes - Conseil de l'Ordre statuant comme juridiction en dernier ressort - Infliction d'une sanction à un membre de l'Ordre - Prétendre méconnaissance d'une disposition légale juridiquement inexistante - Erreur de droit - Sanction illégale (oui)

Procédure

Annulation de la sanction - Renvoi devant le Conseil de l'Ordre


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête présentée par M. F. N., enregistrée au Greffe général de la Principauté, le 31 mars 2006 et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir, d'une décision, en date du 18 janvier 2006, par laquelle le Conseil de l'Ordre, statuant comme juridiction disciplinaire, a infligé à son encontre un blâme ;

Ce faire,

Attendu qu'à l'issue d'une première et précédente procédure disciplinaire, Monsieur F. N. a été sanctionné par un blâme prononcé le 12 juin 2003 par le Conseil de l'Ordre des architectes au motif qu'il aurait dû, avant de contracter avec un client, la SCI Annonciade B, consulter son confrère C. J., intervenu avant lui dans le même projet de construction ; que saisi en appel, par jugement en date du 6 janvier 2005, le Tribunal de première instance, a décliné sa compétence ; que sur appel du requérant, la Cour d'appel, par arrêt en date du 21 mars 2006, a réformé le jugement du Tribunal de première instance du 6 janvier 2005 et, statuant à nouveau, s'est déclarée compétente pour statuer sur l'appel dirigé contre la décision disciplinaire rendue par le Conseil de l'Ordre le 12 juin 2003 ; que, si cette décision a par nature l'autorité et même la force de chose jugée, elle n'est pas irrévocable tant que le délai du pourvoi en révision ne sera pas expiré ou tant que cette voie de recours n'aura pas été utilisée et le pourvoi rejeté ; que c'est donc pour sauvegarder ses droits qu'est exercé le présent recours devant le Tribunal Suprême contre le second blâme infligé à tort au requérant par le Conseil de l'Ordre le 18 janvier 2006 sanctionnant sa prétendue méconnaissance du respect des dispositions du règlement intérieur de l'Ordre des architectes, du contrat-type, et de l'Ordonnance 2726 modifiée, au regard du contrat de maîtrise d'œuvre du 10 juillet 2002 qu'il a passé avec la SCI Annonciade B et de son avenant du 30 mars 2004 ;

Que la mesure prise a méconnu le principe des droits de la défense consacré notamment par la Convention européenne des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; que le contrat-type qu'il est reproché au requérant de violer n'est pas versé au dossier ; que les faits reprochés n'ont été ni portés à la connaissance du requérant, ni qualifiées nettement ; que la décision n'est pas motivée ; qu'en tout état de cause, le contrat-type est dépourvu de base légale ; que les griefs sont infondés en ce que le requérant a satisfait au cadre légal réglementant les honoraires des architectes ; qu'il est normal que le taux de rémunération global soit inférieur au seuil minimum recommandé par le contrat-type ; que les honoraires du requérant pouvaient être librement fixés ; que l'assiette de leur calcul est conforme aux dispositions légales en vigueur ;

Vu la contre-requête présentée par le Conseil de l'Ordre des architectes, enregistrées, enregistrées au Greffe général de la Principauté, le 1er juin 2006 et tendant au rejet de la requête pour les motifs que les droits de la défense ont bien été respectés, les faits reprochés ayant bien été portés à la connaissance du requérant ; que la lettre de notification de la sanction comportait en post-scriptum la proposition de consulter le procès-verbal de la réunion du 18 janvier 2006 ; qu'en matière disciplinaire, le Conseil de l'Ordre n'a compétence que pour sanctionner les manquements aux règles de la profession ; que les sanctions susceptibles d'être prononcées en matière disciplinaire sont limitativement énoncées par l'article 22 de l'Ordonnance-loi n° 341 du 24 mars 1942 ; que le requérant n'a pas respecté le cadre légal du calcul des honoraires, fixé notamment par le contrat-type régulièrement adopté par l'Ordre des architectes dont le requérant a eu connaissance et qui n'apporte aucune dérogation à la loi ; que le requérant ne pouvait déroger contractuellement aux conditions générales s'agissant du seuil minimum des honoraires ; que ni le contrat initial ni son avenant du 30 mars 2004 ne respectent le seuil minimum fixé par le contrat-type, dont l'existence est établie par l'article 1-23 du règlement intérieur, texte approuvé par le Gouvernement princier, le 21 novembre 1991 ; que l'avenant précité contient une clause de plafonnement des honoraires qui est contraire aux dispositions légales et au contrat-type ; que l'assiette du calcul des honoraires est établie sur la base d'un budget non actualisable à l'avancement des missions et de laquelle semblent avoir été extraits tous les travaux de finition des parois et l'équipement intérieur des locaux ;

Vu, enregistrée comme ci-dessus le 3 juillet 2006, la réplique présentée par M. F. N. tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et en outre par les motifs que c'est bien le requérant qui a été contraint de produire lui-même le contrat-type alors qu'il appartenait au Conseil de l'Ordre de le faire pour justifier ses poursuites ; qu'il lui appartenait dans la lettre de convocation citation d'indiquer quels étaient les textes qu'il estimait avoir été violés ; qu'en vertu des dispositions légales, le contrat-type n'a qu'une valeur de recommandation ; qu'en valeur relative, le taux de rémunération global n'est pas inférieur au seuil fixé par le contrat-type ; que les honoraires du requérant n'étaient pas plafonnés mais forfaitaires ; que l'Ordre des architectes n'a ni démontré ni même allégué que les travaux objet du contrat litigieux et de son avenant sont des contrats exclusivement ordinaires ; qu'en conséquence, les honoraires étaient bien libres ;

Vu, enregistrée comme ci-dessus le 27 juillet 2006, la duplique présentée par le Conseil de l'Ordre des architectes, tendant aux même fins que la requête par les mêmes moyens et en outre par les motifs que le requérant reconnaît lui-même l'existence d'une motivation ; que l'absence de reproduction des motifs dans la lettre de notification ne constitue ni un vice de forme ni une violation des droits de la défense dès lors que la motivation est tenue à la disposition de l'intéressé ; que le requérant reconnaît que la sanction infligée relève bien de celles prévues à l'article 22 de l'Ordonnance-loi n° 341 ; que sur le calcul de ses honoraires, il est constant que celui retenu dans le contrat du 10 juillet 2002 et son avenant du 30 mars 2004 prévoit un taux global, en méconnaissance de l'Ordonnance n° 2726 (article 16-B-1°) qui dispose que le montant des honoraires est dégressif en fonction de tranches successives et, d'autre part, que le taux fixé par les conventions susmentionnées est inférieur à celui le plus bas de la dernière tranche de prix ; qu'enfin, s'agissant de l'assiette du calcul des honoraires, l'exclusion générale et constante du coût des interventions de bureaux extérieurs, réduit à néant le raisonnement du requérant et ne saurait justifier que le taux de sa rémunération globale soit inférieur au minimum requis ; qu'enfin, au plan sémantique, la distinction entre plafonnement et forfait n'est pas déterminante dès lors que dans les deux cas un prix fixé par avance d'une manière invariable, exclut toute possibilité de réévaluation ;

Vu les décisions attaquées ;

Vu les autres pièces jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B 2° ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance-loi n° 341 du 24 mars 1942 réglementant le titre et la profession d'architecte et instituant l'Ordre des architectes dans la principauté ;

Vu l'Ordonnance n° 2736 du 11 février 1943 portant approbation du Code des devoirs professionnels des architectes ;

Vu le règlement intérieur pris en application de l'Ordonnance-loi n° 341 du 21 mars 1942 approuvé par l'Ordre des architectes de Monaco le 3 septembre 1991 et le Gouvernement princier le 21 novembre 1991 ;

Vu l'Ordonnance en date du 6 octobre 2006 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience du 4 décembre 2006 ;

Ouï M. Dominique Chagnollaud, membre du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Jean-Pierre Licari, avocat-défenseur près de la Cour d'appel de Monaco pour Monsieur N. ;

Ouï Maître Jacques Sbarrato, avocat-défenseur près la Cour d'appel, pour le Conseil de l'Ordre des architectes ;

Ouï Madame le Procureur général, en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré ;

Sur la compétence du Tribunal Suprême :

Considérant qu'aux termes de l'article 90 B de la Constitution, « Le Tribunal Suprême statue souverainement :

sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives (...) ;

sur les recours en cassation formés contre les décisions des juridictions administratives statuant en dernier ressort ;

sur les recours en interprétation et les recours en appréciation de validité des décisions des diverses autorités administratives » ;

Considérant qu'il résulte de l'Ordonnance-loi n° 341 du 24 mars 1942 réglementant le titre et la profession d'architecte et instituant l'Ordre des architectes dans la Principauté, que cet ordre professionnel, s'il n'est pas un établissement public, concourt au fonctionnement du service public chargé d'assurer le respect des lois et règlements dans l'exercice de la profession d'architecte et que les décisions qu'il prend en vertu de prérogatives de puissance publique peuvent faire l'objet de recours au Tribunal Suprême en application de l'article 90 B de la Constitution ;

Considérant qu'aux termes de l'article 22 de l'Ordonnance-loi n° 341 susvisée :

Les architectes reconnus coupables de manquements aux devoirs de leur profession sont passibles des peines disciplinaires suivantes :

Le blâme prononcé en chambre du conseil ;

L'avertissement donné par le Conseil de l'Ordre avec inscription au dossier de l'intéressé ;

La suspension temporaire pour une durée maximum d'une année ;

La radiation du tableau comportant l'interdiction d'exercer la profession.

La suspension temporaire et la radiation définitive sont prononcées par arrêté du Ministre d'État, sur rapport du Conseil de l'Ordre et après que les intéressés ont été mis en mesure de présenter, dans un délai de un mois, un mémoire écrit pour leur défense « ;

Que, lorsque le Conseil de l'Ordre prononce des peines en vertu du 1° et 2°, il a le caractère d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, alors même que le législateur a confié au Ministre d'État le pouvoir de prononcer les peines prévues aux 3° et 4° ;

Considérant que, si en vertu de l'article 1.20 du règlement intérieur de l'Ordre des architectes, le blâme n'est susceptible d'aucun recours, cette disposition n'a ni pour objet ni pour effet d'exclure le recours en cassation ouvert par l'article 90 B, 2° de la Constitution ;

Considérant que, par suite, le Tribunal Suprême est compétent pour statuer sur le recours dirigé contre la décision du 18 janvier 2006 par laquelle l'Ordre des architectes a infligé un blâme à M. N. ;

Au fond :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'aux termes du 2e alinéa de l'article 7 de l'Ordonnance-loi n° 341 susvisée : » Le montant des honoraires de l'architecte est fixé par les règlements de la profession, tels qu'ils seront établis par le Conseil de l'Ordre et approuvés par le Gouvernement " ;

Considérant que pour infliger à M. N. un blâme, le Conseil de l'Ordre s'est principalement fondé sur la violation du contrat-type déterminant le montant des honoraires des architectes ;

Considérant qu'il est constant que le contrat-type n'a pas été approuvé par le Gouvernement ; qu'en se fondant sur la violation du contrat-type pour infliger un blâme à M. N., le Conseil de l'Ordre a commis une erreur de droit ;

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

La décision est annulée.

Article 2🔗

L'affaire est renvoyée devant le Conseil de l'Ordre.

Article 3🔗

Les dépens sont mis à la charge du Conseil de l'Ordre.

Article 4🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

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