Tribunal Suprême, 20 mars 2006, Sieur V. G. c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif. Recours en annulation. Acte administratif

Recours pour excès de pouvoir

Décision de refoulement. Obligation pour l'autorité administrative de mettre le juge à même de contrôler la légalité de la décision attaquée (oui)

Procédure

Mesure d'instruction. Arrêt avant dire droit


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative ;

Vu la requête présentée par M. V. G., enregistrée au greffe général de la Principauté de Monaco le 14 juin 2005 et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision en date du 3 novembre 2004, par laquelle le Ministre d'État a édicté à son encontre une mesure de refoulement du territoire monégasque ;

Ce faire,

Attendu que, selon le requérant, les motifs du refoulement ne sont précisés ni dans la lettre du 3 novembre ni dans celle du 17 février ; que si, selon la jurisprudence du Tribunal Suprême, la motivation n'est pas exigée faut-il au moins contrôler les éléments qui ont conduit à la décision en cause ; qu'il soutient qu'il ne menace en aucune manière l'ordre public de la Principauté ni la sécurité des biens et des personnes n'ayant jamais été condamné ni poursuivi ; que sa moralité et son comportement n'ont fait l'objet d'aucune critique ; que la mesure prise à son encontre est illégale et devrait être annulée ;

Vu la contre-requête déposée par le Ministre d'État et enregistrée le 17 août 2005 ; qu'il y est exposé que M. G. est connu comme l'un des dirigeants de l'organisation criminelle « Solntsevo » et associé d'un chef mafieux qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt international pour blanchiment de fonds et escroquerie ; qu'il a utilisé plusieurs identités et servi d'intermédiaire entre divers acteurs du crime organisé ; que ces circonstances l'ont incité à s'établir à Monaco avec son épouse ; qu'il a été estimé que sa présence en Principauté étant de nature à compromettre la tranquillité ou la sécurité publique ou privée devait entraîner une mesure de refoulement ;

Vu la réplique enregistrée le 19 septembre 2005 par laquelle M. G. conteste les différentes allégations le concernant ; qu'il a exercé plusieurs activités tant en Israël qu'aux États-Unis ; qu'il n'a jamais été impliqué dans une action criminelle, ni fait l'objet d'une quelconque procédure judiciaire ; qu'ainsi sont erronées les affirmations proférées contre lui ; que d'ailleurs aucun document ne vient appuyer la contre requête du Ministre d'État tant en ce qui concerne la procédure invoquée que les liens qu'il aurait entretenu avec les milieux criminels ; qu'il en va de même quant aux différentes identités qu'il aurait utilisées ainsi d'ailleurs qu'il résulte du passeport versé aux débats ; que la jurisprudence du Tribunal Suprême devrait conduire à annuler la mesure de refoulement prise à son encontre ; qu'en effet aucun élément ne permet de considérer que M. G. présente un danger pour l'ordre public ou la sécurité des biens ou des personnes et qu'au contraire il est établi qu'il a toujours respecté la loi et n'a jamais été poursuivi pour ses activités professionnelles ;

Vu la duplique déposée par le Ministre d'État et enregistrée le 21 octobre 2005 ; qu'il y énonce que l'argumentation du requérant n'est pas convaincante soutenant que les documents que celui-ci a produits ne valent pas preuve et que les témoignages rédigés en termes généraux qu'il invoque sont sans valeur ; qu'il ajoute que son casier judiciaire a été délivré par les autorités hongroises en 2005 alors qu'il a quitté la Hongrie depuis plus de trente ans pour acquérir sa double nationalité actuelle ; qu'il n'est donc nullement exclu qu'il ait pu être impliqué dans des affaires criminelles en Europe ; qu'ainsi le Ministre d'État a pu légalement considérer que les informations qu'il a recueillies sur la présence de M. G. en Principauté étaient de nature à compromettre la tranquillité et la sécurité publique ou privée ; que le Ministre d'État considère en conséquence que la décision entreprise n'était pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B 1° ;

Vu l'ordonnance souveraine n° 3153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;

Vu l'ordonnance en date du 27 janvier 2005 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience du 20 mars 2006 ;

Ouï M. Jean Michaud, membre du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Frank Michel, avocat-défenseur au nom de V. G. ;

Ouï Maître Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'État de Monaco ;

Ouï Mme le Premier Substitut du Procureur général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré,

Considérant que, selon la décision attaquée de refoulement de M. G. du territoire de la Principauté, « la présence de cet étranger sur le territoire monégasque est de nature à compromettre la tranquillité ou la sécurité publique ou privée » ; qu'en réponse au moyen tiré par le requérant de l'inexactitude des faits retenus pour lui enjoindre de quitter le territoire monégasque, le Ministre d'État s'est borné à énoncer dans sa contre-requête que M. G., connu comme dirigeant d'une association criminelle et associé d'un chef mafieux, a utilisé plusieurs identités et a servi d'intermédiaires entre divers acteurs du crime organisé ;

Considérant que le Ministre d'État n'a versé au dossier aucun document de nature à corroborer ses affirmations, qui sont contredites par M. G. ; qu'ainsi il n'a pas mis le Tribunal Suprême à même d'exercer son contrôle de légalité sur la décision attaquée ; qu'il y a lieu, dès lors, en application de l'article 32 de l'Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 susvisée, de prescrire une mesure d'instruction aux fins d'inviter le Ministre d'État à produire tous éléments permettant au Tribunal Suprême d'exercer son contrôle ;

Dispositif🔗

Décide

Article 1er🔗

- Le Ministre d'État est invité à produire dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision tous éléments permettant au Tribunal Suprême d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée.

Article 2🔗

- Les dépens sont réservés.

Article 3🔗

- Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

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