Tribunal Suprême, 19 janvier 2006, Dame K. P. épouse W. c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Recours pour excès de pouvoir

Étranger. Décision de refoulement. Information insuffisante de la juridiction

Procédure

Réouverture de l'instruction. Communication de documents. Arrêt avant dire droit


Motifs🔗

Le Tribunal suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête présentée par M. R. W. enregistrée au Greffe général de la Principauté de Monaco le 1er avril 2005 et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision en date du 7 janvier 2005 par laquelle le Ministre d'État a édicté à son encontre une mesure de refoulement du territoire monégasque.

Ce faire,

Attendu que M. R. W. de nationalité autrichienne s'est installé à Monaco en 1996, qu'il a été entendu dans une affaire d'import-export de cigarettes sur commission rogatoire du Procureur général de Hambourg et a ensuite fait l'objet d'une mesure de refoulement notifiée le 3 février 2005 sur ordre du Ministre d'État de Monaco ; qu'il a décidé de regagner son pays d'origine ; que cependant il a saisi le Tribunal suprême en annulation de la mesure qui le frappe, exposant par sa requête ce qui suit : que, si la décision administrative considérée n'a pas à être explicitement motivée, néanmoins, selon l'interprétation jurisprudentielle de l'article 22 de l'Ordonnance souveraine n° 3153 du 19 mars 1964 et par application de l'article 13 du pacte international relatif aux droits civiques et politiques, un certain contrôle peut être exercé sur les raisons pour lesquelles elle a été prise, selon d'ailleurs une jurisprudence ultérieure ;

Que la nécessité d'une motivation résulte des principes dégagés de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de ses protocoles (articles 5, 7 et 13) ;

Qu'il en résulte que la mesure incriminée devrait être annulée, étant au surplus contraire à l'article 32 de la Constitution qui fixe les droits des étrangers dans la Principauté ;

Que la requérante sollicite en outre une indemnisation de 10 000 euros en réparation de ses préjudices matériel et moral ;

Vu la contre-requête déposée par le Ministre d'État et enregistrée le 2 juin 2005, par laquelle il expose que M. W. a été inculpé en Allemagne pour contrebande de cigarettes, qu'une perquisition a été effectuée à son domicile monégasque et qu'à la suite de ces circonstances il s'est vu notifier une mesure de refoulement ;

Que le ministre d'État soutient que les arguments de texte exposés ne sont pas pertinents, l'article 13 du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques n'obligeant pas l'autorité administrative à motiver les décisions d'expulsion ; que la jurisprudence du Tribunal suprême pose le principe d'un certain contrôle des décisions de refoulement, tout en rappelant que la motivation n'a pas à être exigée et que la Convention européenne invoquée par la requérante n'a pas encore été ratifiée par l'État de Monaco ;

Qu'enfin l'article 32 de la Constitution ne saurait s'appliquer en l'espèce ; qu'en effet si ce texte accorde aux étrangers les mêmes droits qu'aux citoyens monégasques, c'est dans la mesure où ceux-ci n'ont pas d'activités répréhensibles :

Que M. W. a été inculpé pour avoir participé à un important trafic de cigarettes ainsi qu'il est apparu après une perquisition à son domicile, des fonds importants ayant circulé à cette occasion, passant par des comptes monégasques ; qu'ainsi on ne saurait dire que ces activités n'étaient pas de nature à compromettre la tranquillité et la sécurité publiques comme étant incompatibles avec la politique de lutte contre le blanchiment de capitaux menée par la Principauté ;

Que Mme W. ne pouvait ignorer les activités de son mari ;

Que le rejet de la requête en cours ne pourrait qu'entraîner celui de la demande d'indemnisation ;

Vu la réplique déposée par Mme W. et enregistrée le 29 juin 2005, par laquelle elle conteste l'inculpation en Allemagne de son époux pour contrebande de cigarettes ; qu'en réalité les autorités judiciaires monégasques ont été simplement informées de l'ouverture d'une enquête préliminaire contre diverses personnes dont le requérant qui était seulement soupçonné et que, contrairement à ce qui était prétendu la perquisition qui s'est ensuivie n'a apporté aucun autre élément ;

Que les opérations de blanchiment d'argent qui en seraient résultées sont donc alléguées à tort ; qu'il est également faux de qualifier de « criminelles » des activités qui ne pouvaient être qualifiées que de « délictuelles » ;

Que d'autre part l'interprétation des textes invoqués par l'État est critiquable ;

Que sur l'article 13 du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques, il n'est fait aucune référence à la procédure en conformité de laquelle la mesure incriminée a été prise, alors que la disposition précitée fait référence à une décision « prise conformément à la loi », l'intéressé n'ayant pas eu la possibilité de faire examiner son cas par l'autorité compétente ;

Que si la Principauté n'a pas encore ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle a contracté des obligations morales qui ne sauraient méconnaître l'esprit d'un traité qui devrait être ratifié avant le 5 octobre 2005 ;

Que l'intéressée ne saurait se prévaloir de l'article 32 de la Constitution, ayant démontré qu'il n'avait porté atteinte ni à la tranquillité ni à la sécurité publiques ou privées de Monaco ;

Que Mme W. maintient sa demande d'indemnisation et conclut en sollicitant de l'Administration qu'elle produise les motifs réels qui sont à la base de son refoulement ;

Vu la duplique enregistrée le 29 juillet 2005, par laquelle l'État considère que l'article 13 du Pacte ne contient aucune disposition obligeant l'Administration à motiver ses décisions de refoulement ; qu'au surplus la décision en cause est conforme à la réglementation en vigueur ; que d'autre part l'État monégasque n'est pas lié par les engagements qu'il aurait souscrits lors de sa demande d'adhésion au Conseil de l'Europe, engagements moraux et politiques et non pas juridiques, et ce en l'absence de ratification actuelle de la convention ;

Que, si M. W. n'a jamais été inculpé ni condamné pour les faits dont il est fait état, au moins la perquisition effectuée à son domicile l'a été pour une affaire de contrebande de cigarettes, qu'à la suite de cette opération l'intéressé n'a pas été mis hors de cause, l'absence d'inculpation étant due aux lenteurs de la procédure ;

Que l'État rappelle que la contrebande de cigarettes est un délit dont l'auteur peut compromettre la sécurité et la tranquillité publiques, qu'ainsi pouvait être prise la mesure de refoulement qui atteint M. W. et son épouse, qui ne pouvait ignorer les activités auxquelles ce dernier se livrait ;

Vu le procès-verbal de clôture de la procédure établi le 9 août 2005 ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B 1 ° ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal suprême ;

Vu l'Ordonnance souveraine du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;

Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 et notamment son article 13 rendu exécutoire par l'Ordonnance souveraine n° 13330 du 12 février 1998 ;

Vu l'Ordonnance en date du 24 octobre 2005 par laquelle le Président du Tribunal suprême a renvoyé la cause à l'audience du 17 janvier 2006,

Ouï M. Jean Michaud, membre du Tribunal suprême en son rapport ;

Ouï Maître Gerd O. Ziegenfeuter, avocat aux barreaux de Nice et Paris, pour Mme Kristina W. ;

Ouï Maître Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le Ministre d'État ;

Ouï Madame le Procureur général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré ;

Considérant qu'aux termes du 3e alinéa de l'article 30 de l'Ordonnance souveraine du 16 avril 1963 susvisée, « S'il l'estime nécessaire à une bonne administration de la justice, le Tribunal suprême peut, soit d'office, soit à la demande de l'une ou l'autre des parties, renvoyer l'examen de l'affaire » ;

Considérant que lors de l'audience du 17 janvier 2006, ont été produits par Mme W. des documents relatifs à sa situation judiciaire émanant du parquet de Hambourg ; que le Ministre d'État ne s'est pas opposé à ce que ces documents soient versés au dossier ; que ces documents rendent nécessaires à une bonne administration de la justice le renvoi de l'affaire et la réouverture de l'instruction ;

Dispositif🔗

Décide

Article 1er🔗

- L'affaire est renvoyée.

Article 2🔗

- L'instruction est réouverte.

Article 3🔗

- Les dépens sont réservés.

Article 4🔗

- Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

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