Tribunal Suprême, 15 mars 1988, Époux R. S.

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Abstract🔗

Appréciation de validité - Compétence - Acte administratif ne faisant pas grief - Décisions administrative à caractère pécuniaire

Recours en appréciation de validité après sursis à statuer et renvoi de la juridiction judiciaire saisie d'une demande d'indemnisation à raison de décisions administratives entachées d'illégalités.

Compétence en matière administrative

Compétence limitée au cadre du renvoi et conséquemment non validité de conclusions subsidiaires en annulation des décisions administratives et en indemnisation.

Décision administrative refusant une indemnisation et prévoyant l'attribution d'une indemnité déterminée. Décision à caractère purement pécuniaire faisant suite au recours préalable à l'instance indemnitaire relevant du plein contentieux.


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière,

Vu le jugement en date du 5 juin 1987 par lequel le Tribunal civil de Monaco a sursis à statuer et invité les parties à saisir le Tribunal Suprême d'un recours en appréciation de validité ;

Vu la requête en date du 21 juillet 1987 présentée par les époux R. S. et tendant à ce qu'il plaise au Tribunal Suprême :

1- Déclarer illégales la décision du Ministre d'État du 4 juin 1984 et l'Ordonnance Princière n° 4422 du 14 mars 1970 ;

2- Annuler ladite décision du 4 juin 1984 ;

3- Condamner l'État monégasque à leur verser une indemnité de 53 000 000 frs avec les intérêts de droit à dater du 8 février 1984 capitalisés à la date du 6 mai 1985 et à celle du dépôt de la présente requête ;

Ce faire,

Attendu que les conclusions d'appréciation de validité sont seules présentées à titre principal par les requérants en exécution du jugement du Tribunal civil de Monaco en date du 5 juin 1987 qui, décidant de surseoir à statuer sur leur demande d'une indemnisation de 53 000 000 francs en réparation du préjudice que leur ont causé la démission forcée de son office notarial de Me R. S. et la suppression de cette étude sans indemnité, a renvoyé les demandeurs à saisir le Tribunal Suprême d'un recours en appréciation de validité portant sur la décision du Ministre d'État du 4 juin 1984 et l'Ordonnance Souveraine n° 4422 du 14 mars 1970 ;

Attendu que les autres conclusions tendant à l'annulation de la décision du 4 juin 1984 et à la condamnation de l'État par le Tribunal Suprême au paiement de la réparation demandée au tribunal civil ne sont présentées qu'à titre subsidiaire ;

Attendu que, en ce qui concerne la décision du Ministre d'État du 4 juin 1984 qui dénie toute faute de la puissance publique et tout droit des requérants à une autre indemnisation que le paiement de l'indemnité consécutive à la suppression de l'office en précisant que la date à retenir pour fixer le montant de celle-ci ne peut être que celle de la suppression de l'étude, les requérants fondent leurs conclusions d'illégalité d'une part sur l'obligation méconnue par l'Administration de liquider cette indemnité dès que la mesure de suppression est prise, soutenant que, dès lors, le retard de cette liquidation est constitutif d'une faute génératrice de responsabilité ; d'autre part, sur le refus par le Ministre d'État de procéder à une nécessaire réévaluation de cette indemnité qu'il se déclare prêt à déterminer alors que celle-ci relève du régime de l'expropriation, et que ce refus porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques ;

Attendu, en ce qui concerne l'Ordonnance Princière du 14 mars 1970, que les requérants fondent leurs conclusions d'illégalité d'une part, sur le détournement de pouvoir et en tout cas l'irrégularité de la suppression d'un office sans aucun motif d'intérêt général et d'utilité publique, d'autre part sur les circonstances de la démission de Me R. S. intervenue sous la contrainte de l'Administration, ce qui en fait une sanction déguisée illégale entraînant la responsabilité de la puissance publique ;

Attendu, enfin, que l'indemnisation sollicitée fixée à 53 000 000 francs en fin 1983 se décompose en 15 000 000 frs au titre de la valeur de la charge notariale « confisquée », à 37 000 000 frs au titre de la perte de revenus qu'aurait procurés le fonctionnement de la charge jusqu'à la fin de 1983 et 1 000 000 frs au titre du préjudice moral ;

Vu la contre-requête présentée par le Ministre d'État le 22 septembre 1987 et à laquelle s'est associé le directeur des services judiciaires, concluant d'une part à l'irrecevabilité des demandes d'annulation et d'indemnisation qui sont exclues dans le cadre du recours en appréciation de validité sur renvoi du juge judiciaire et qui en l'espèce sont tardives, les précédents recours des requérants n'ayant pu conserver les délais, et rappelant en outre l'incompétence du Tribunal Suprême statuant en matière administrative pour connaître des recours dirigés, comme celui-ci, contre une décision à caractère purement pécuniaire ; concluant d'autre part au mal fondé des conclusions d'appréciation de validité de l'Ordonnance Princière du 14 mars 1970 et de la décision du Ministre d'État du 4 juin 1984 motif pris que :

En ce qui concerne la décision du Ministre d'État les requérants ne peuvent se prévaloir de la réparation d'un préjudice comportant les divers éléments qui composent sa demande, alors qu'en l'absence de toute faute de l'Administration, ils ne peuvent prétendre qu'au prix de l'office supprimé déterminé à la date de la suppression ;

En ce qui concerne la légalité de l'Ordonnance Souveraine, la contestation relative à la suppression de l'office ne saurait non plus être accueillie alors que d'une part la décision de suppression d'office relève du pouvoir discrétionnaire de S.A.S. le Prince, et que de simples affirmations ne sauraient faire la preuve d'une erreur matérielle quant à l'appréciation de l'intérêt public ou a fortiori d'un détournement de pouvoir et que d'autre part l'allégation d'une contrainte qui ferait de la démission de Me S. une sanction déguisée est vaine alors qu'il résulte des pièces du dossier que cet officier ministériel n'a pris cette décision qu'en vue d'éviter des poursuites disciplinaires qu'il savait inéluctables ;

Vu le mémoire en réplique en date du 29 octobre 1987 par lequel les requérants d'une part en ce qui concerne la décision du 4 juin 1984 contestent les conclusions d'irrecevabilité prises par le Ministre d'État du caractère purement pécuniaire de celle-ci et soutiennent que le Tribunal Suprême doit se prononcer sur la décision de renvoi du Tribunal civil qui est revêtue de l'autorité de la chose jugée, persistant au fond dans leurs conclusions relatives à l'évaluation de leur indemnisation et d'autre part, en ce qui concerne l'Ordonnance du 14 mars 1970, soutiennent à nouveau l'illégalité de la démission et de la suppression d'office qui en font l'objet, et réaffirment la recevabilité de leurs conclusions subsidiaires à fin d'annulation et d'indemnisation ;

Vu le mémoire en duplique en date du 2 décembre 1987 par lequel le Ministre d'État persiste dans ses conclusions relatives à la compétence et conteste l'obligation pour le Tribunal Suprême de statuer sur une question préjudicielle qu'il estime hors de sa compétence, puis se réfère à sa contre-requête quant à la légalité de la décision du 4 juin 1984, rejette l'argumentation des requérants niant toute faute de Me S. et conclut à l'irrecevabilité des conclusions à fin d'annulation et d'indemnisation ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 4422 du 14 mars 1970 acceptant la démission de Me R. S. et supprimant son office notarial ;

Vu la décision du Ministre d'État du 4 juin 1984 ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu l'Ordonnance Constitutionnelle du 19 décembre 1962 notamment son article 90 B ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance du 16 décembre 1987 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a ordonné le renvoi de la cause devant l'assemblée plénière du Tribunal Suprême ;

Ouï Monsieur Félix Boucly, membre du Tribunal, en son rapport ;

Ouï Maître A. Lyon-Cæn et la S.C.P. Piwnica et Molinié en leurs observations orales ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

Considérant que le Tribunal de Première instance de Monaco, saisi du recours en indemnité des époux S. tendant à obtenir la réparation du dommage résultant pour eux de l'Ordonnance Souveraine du 14 mars 1970 qui a accepté la démission de Me R. S. et supprimé son office notarial a, par jugement du 21 mai 1987, renvoyé les demandeurs à saisir le Tribunal Suprême d'un recours en appréciation de validité portant à la fois sur cette Ordonnance Souveraine et sur la décision du Ministre d'État du 4 juin 1984 qui a rejeté leur demande ; qu'en exécution de ce jugement, les requérants ont saisi le Tribunal Suprême de conclusions d'appréciation de validité auxquelles ils ont joint à titre subsidiaire les conclusions d'annulation et d'indemnisation pendantes devant le Tribunal de Première Instance ;

Sur les conclusions contestant la validité de l'Ordonnance Souveraine n° 4422 du 14 mars 1970 :

Considérant d'une part, qu'en ce qui concerne la démission acceptée par cette Ordonnance, le grief des requérants soutenant que la contrainte alors exercée sur Me S. a fait de cette démission une sanction déguisée prise dans des conditions illégales manque en fait au regard des pièces du dossier ;

Considérant, d'autre part, en ce qui concerne la suppression de l'office, que les affirmations des requérants sont insuffisantes pour établir qu'elle est entachée d'une erreur de droit, d'une erreur manifeste d'appréciation de l'intérêt public ou d'un détournement de pouvoir ;

Qu'il suit de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'Ordonnance Souveraine du 14 mars 1970 ne serait pas conforme à la loi ou à la Constitution ;

Sur les conclusions contestant la validité de la décision du Ministre d'État du 4 juin 1984 :

Considérant qu'en attribuant compétence au Tribunal Suprême pour apprécier la validité des « décisions des diverses autorités administratives », l'article 90 B 3 ° de la Constitution ne considère que les véritables décisions faisant grief aux requérants ; que tel n'est pas le cas de la décision contestée du Ministre d'État qui, d'une part refuse aux époux S. l'indemnisation demandée et d'autre part leur annonce qu'au vu de la requête, il va être procédé à la fixation jusque-là différée, de l'indemnité traditionnelle de suppression d'office, en spécifiant que la valeur de celui-ci prise en compte pour la détermination du montant de cette indemnité sera celle qu'il avait lors de la suppression ; qu'en effet, sur le premier point, il s'agit de la décision à caractère purement pécuniaire provoquée par le recours préalable à l'instance indemnitaire qui relève du plein contentieux et que, sur le second point les indications relatives à la fixation seulement annoncée de l'indemnité de suppression d'office ne présentent pas le caractère de décisions administratives au sens de l'article 90 B de la Constitution ; que les conclusions relatives à l'appréciation de validité de la décision du Ministre d'État doivent donc être rejetées ;

Sur les conclusions subsidiaires tendant à l'annulation de la décision du Ministre d'État du 4 juin 1984 et à l'indemnisation du préjudice allégué :

Considérant que le Tribunal Suprême est appelé à statuer sur renvoi du Tribunal de Première Instance sur la validité de l'Ordonnance Souveraine du 14 mars 1970 et de la décision du Ministre d'État du 4 juin 1984, que le Tribunal Suprême ne saurait excéder le cadre de ce renvoi, que, par suite, les conclusions des époux S. tendant en outre à l'annulation de cette décision et à l'allocation d'une indemnité ne sont pas recevables et doivent être rejetées ;

Dispositif🔗

Décide :

Article 1er🔗

Les conclusions de la requête contestant la validité de l'Ordonnance Souveraine n° 4.422 du 14 mars 1970 et de la décision du Ministre d'État du 4 juin 1984 sont rejetées.

Article 2🔗

Les conclusions subsidiaires d'annulation de la décision du Ministre d'État du 4 juin 1984 et d'indemnisation sont rejetées.

Article 3🔗

Les dépens sont mis à la charge des requérants.

Article 4🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

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