Tribunal Suprême, 10 février 1982, dame D. F. c/ Ministre d'Etat
Abstract🔗
Étranger
Expulsion - Exigence d'une motivation (non) - Expulsion - Absence de dispositions législatives prescrivant une procédure contradictoire - Décision non soumise au respect d'une telle procédure - Atteinte aux droits de la défense (non) - Expulsion - Appréciation de l'opportunité - Incompétence du Tribunal suprême
Motifs🔗
Le Tribunal Suprême
Siégeant et délibérant en section administrative ;
Vu la requête présentée par la dame D. F., le 26 mai 1981, tendant à l'annulation de l'arrêté ministériel n° 81/115 du 10 mars 1981, signifié le 1er avril 1981 et qui prescrit son expulsion de la Principauté de Monaco, et à l'attribution d'une indemnité de 50 000 francs en raison du préjudice matériel et moral qui lui a été causé :
Ce faire
Attendu que la requérante a loué un appartement à Monaco en 1979 et demandé en conséquence une carte de résident : qu'à la date du 10 février 1981, son époux E. F. a porté plainte contre les sieurs V. et I. du chef d'escroquerie : qu'à cette date la procédure administrative d'attribution de la carte de résident était toujours en cours ;
l'arrêté attaqué est intervenu le 10 mars 1981 et lui cause un immense préjudice :
la requérante affirme qu'il n'y a aucun motif qui ait justifié son expulsion :
l'arrêté attaqué a été pris en violation du principe fondamental du droit des gens puisque le juge ne peut en contrôler la motivation : il s'agit d'un imprimé préétabli sur lequel le nom de la requérante a été seulement porté avec une motivation également préimprimée « Considérant que la présence de cet étranger dans la Principauté de Monaco est de nature à compromettre la tranquillité ou la sûreté publique ou privée » :
le Conseil d'État français contrôle actuellement les faits sur lesquels est fondée une décision d'expulsion : que l'arrêté attaqué ne permet au juge de vérifier ni la validité, ni l'existence des motifs de la décision :
la seule motivation éventuellement applicable serait une atteinte à des intérêts privés mais cette « atteinte » serait constituée par une procédure pénale régulièrement engagée ;
Vu la contre-requête, en date du 28 juillet 1981, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la dame D. F. aux entiers dépens, pour les motifs que :
selon le droit monégasque, l'article 22 de l'Ordonnance n° 3153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ne subordonne à aucune condition particulière le pouvoir d'expulsion et n'exige aucune indication des motifs de la décision ;
la jurisprudence du Tribunal Suprême est dans ce sens :
les allégations de la requérante selon lesquelles son expulsion serait en relation avec la plainte déposée par son mari sont dénuées de tout fondement :
Vu la réplique de la requérante, en date du 25 août 1981, persistant dans ses conclusions pour le motif qu'un principe général du droit, celui du respect des droits de la défense impose à l'administration de motiver sa décision et de justifier son bien-fondé ;
Vu la duplique, en date du 21 septembre 1981, par laquelle le Ministre d'État considère que la décision d'expulsion : en droit monégasque, ne peut faire l'objet d'un contrôle juridictionnel touchant l'exactitude des faits ou leur appréciation par l'autorité compétente : que le moyen tiré d'une prétendue violation des droits de la défense est irrecevable ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 3153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté, notamment, son article 22, alinéa 1er :
Vu l'Ordonnance constitutionnelle du 19 décembre 1962, notamment ses articles 17, 25, 89 à 92 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine modifiée du 16 avril 1963 sur l'Organisation et le Fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu l'Ordonnance de M. le Président du Tribunal Suprême en date du 19 octobre 1981 par laquelle le Président a ordonné le renvoi de la cause en section administrative ;
Ouï M. Roland Drago, Membre du Tribunal Suprême en son rapport ;
Ouï Maîtres Hélène Marquilly, avocat-défenseur et J.-Ch. Marquet, avocat-défenseur, en leurs observations ;
Ouï M. le Procureur Général en ses conclusions :
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué :
Considérant que la dame D. F., de nationalité helvétique, demande l'annulation d'un arrêté en date du 10 mars 1981, notifié le 1er avril 1981, par lequel le Ministre d'État a prononcé son expulsion du territoire monégasque ; qu'elle fait valoir que cet arrêté, rédigé à partir d'une formule imprimée, n'indique pas les faits sur la base desquels sa présence dans la Principauté est de nature à compromettre la tranquillité ou la sûreté publique ou privée ;
Considérant qu'aux termes de l'article 22, alinéa 1er de l'Ordonnance Souveraine du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté, « le Ministre d'État pourra, par mesure de police ou en prenant un arrêté d'expulsion, enjoindre à tout étranger de quitter immédiatement le territoire monégasque ou lui interdire d'y pénétrer » ;
Considérant, d'une part, que ce texte ne fait aucune obligation au Ministre d'État de motiver la mesure d'expulsion qu'il prononce ; que, par suite, la requérante ne peut utilement soutenir que la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
Considérant, d'autre part, qu'en l'absence d'une disposition législative qui le prescrive, une décision rendue en matière de police n'est pas soumise, qu'elle qu'en soit la forme, à la règle de la procédure contradictoire ; que la requérante n'est donc pas fondée à prétendre que l'arrêté d'expulsion a été pris en violation des droits de la défense ;
Considérant enfin que le Tribunal Suprême n'a pas à apprécier l'opportunité de la décision attaquée ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation de dommages intérêts :
Considérant que la demande en annulation de l'arrêté étant rejetée par la présente décision, il n'y a pas lieu à l'octroi de dommages intérêts ;