Tribunal Suprême, 14 octobre 1981, dame C. c/ Ministre d'État
Abstract🔗
Procédure
Désistement - Désistement formé moins de trente jours avant la date fixée pour les débats - Condamnation à amende
Motifs🔗
Le Tribunal Suprême
Siégeant et délibérant en matière administrative,
Vu la requête présentée par la dame C., le 10 mars 1981 et tendant à ce qu'il plaise au Tribunal Suprême déclarer les articles 6 et 44 de l'Ordonnance Loi n° 669 du 17 septembre 1959 contraires à l'article 24 de la Constitution ;
Ce faire, attendu
Que la dame C. est poursuivie correctionnellement pour avoir à Monaco, depuis le 8 janvier 1980, omis, dans les délais fixés par la loi, d'occuper régulièrement l'appartement vacant à Monaco, en suite de l'exercice de son droit de rétention, fait qui constituerait le délit prévu et réprimé par les articles 6 et 44 de l'Ordonnance Loi n° 669 du 17 septembre 1959 ;
Qu'aux termes des articles 3, 4 et 5 de l'Ordonnance précitée, les propriétaires des locaux soumis aux dispositions de ladite ordonnance sont tenus d'en proposer la location à des personnes figurant sur une liste établie par l'Administration, avec la possibilité pour celle-ci d'attribuer d'office le logement ;
Que l'article 6 de l'ordonnance écarte l'application de ces dispositions si le propriétaire a fait connaître dans la déclaration de vacance qu'il entend occuper le local pour lui même en raison de besoins normaux ; que le propriétaire doit alors occuper effectivement le local avant l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la date de la vacance ; que, sans décider de surseoir à statuer, le Tribunal correctionnel a accepté de renvoyer l'affaire afin de permettre à la requérante de saisir le Tribunal Suprême ;
Que les articles 3, 4, 5, 6 et 44 de l'Ordonnance Loi du 17 septembre 1959 sont entachés d'inconstitutionnalité, car les obligations faites aux propriétaires constituent une atteinte grave au droit de propriété tel qu'il est garanti par l'article 24 de la Constitution du 17 décembre 1962 ;
Qu'en effet, d'une part, l'inviolabilité de la propriété vise non seulement une privation proprement dite de la propriété, mais également toute restriction ou atteinte au droit de propriété, qui se définit comme le droit de jouir et de disposer librement de son bien de la manière la plus absolue ; qu'ainsi, les dispositions critiquées entrent bien dans le champ d'application de l'article 24 de la Constitution ;
Que, d'autre part, ce dernier texte subordonne la licéité d'une restriction au droit de propriété à la double condition que cette restriction ait pour cause l'utilité publique légalement constatée et qu'elle donne lieu à une juste indemnité établie et versée dans les conditions prévues par la loi ;
Que si la requérante n'entend pas contester le caractère d'utilité publique attaché à des restrictions du droit de propriété qui sont commandées par la crise du logement elle s'estime fondée à soutenir en revanche que les dispositions des articles 6 et 44 de l'Ordonnance Loi n° 669 du 17 septembre 1959 sont entachées d'inconstitutionnalité en ce qu'elles n'instituent aucune compensation, soit d'ordre pécuniaire soit d'ordre juridique ou administratif en faveur des propriétaires concernés, alors que ces derniers, contrairement à la règle de l'égalité des citoyens devant la loi, subissent un préjudice de nature spéciale, puisque les dispositions critiquées atteignent seulement les propriétaires de locaux d'habitation du secteur réglementé, dont les loyers sont bloqués, à l'exclusion des propriétaires des locaux du secteur libre, qui sont libres de ne pas louer ces locaux ou d'en choisir les locataires en convenant librement du loyer ;
Vu la contre requête du Ministre d'État du 4 mai 1981 tendant au rejet de la requête par les motifs
En premier lieu, que le recours en appréciation de validité ne peut être formé que sur renvoi par une juridiction judiciaire, ainsi que cela résulte de l'article 16 de l'Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ; qu'en l'occurrence le Tribunal de Première Instance jugeant correctionnellement, non seulement n'a pas sursis à statuer en renvoyant la prévenue à se pourvoir devant le Tribunal Suprême, mais au contraire, par jugement du 24 mars 1981, s'est prononcé au fond et a condamné la prévenue à 3 000 F d'amende ; qu'il s'ensuit que le Tribunal Suprême n'est pas régulièrement saisi ;
En second lieu, subsidiairement, au fond, que la requérante, qui ne va pas jusqu'à alléguer que l'article 6 de l'Ordonnance Loi priverait les propriétaires de leur droit, ne saurait soutenir que l'article 24 de la Constitution est méconnu par les dispositions critiquées ;
Qu'à cet égard, d'une part, la requérante elle-même reconnaît que l'article 6 s'inspire de motifs légitimes présentant un caractère d'intérêt général ;
Que, d'autre part, il ne peut être soutenu que les dispositions critiquées devraient être tenues pour inconstitutionnelles dans la mesure où, portant atteinte à l'exercice du droit de propriété, elles ne comportent pas une suffisante compensation telle que l'entend la jurisprudence du Tribunal Suprême ; qu'en effet le préjudice dont il s'agirait ne présenterait pas le caractère de spécialité puisque la requérante se trouve, au regard des dispositions qu'elle critique, dans la même situation que tous les autres propriétaires d'immeubles autres que ceux dont la construction ou l'achèvement sont postérieurs au 31 août 1947 ; qu'ainsi les dispositions critiquées ne peuvent être regardées comme inconstitutionnelles faute de prévoir une « compensation suffisante » en faveur des propriétaires concernés ;
Qu'au surplus, un préjudice découlant de l'application d'une loi doit, pour constituer une violation du droit de propriété garanti par l'article 24 de la Constitution être anormalement grave, ce qui ne serait nullement le cas en l'occurrence, les dispositions critiquées n'imposant d'autre obligation aux propriétaires concernés que de se mettre en mesure de tirer, par la location, un revenu normal de leur propriété à moins qu'ils ne préfèrent l'occuper personnellement, un terme pouvant être mis, de surcroît, à la location par l'exercice du droit de reprise en vue d'une telle occupation ; qu'ainsi les dispositions critiquées ne font pas subir aux propriétaires concernés une charge excédant celles qui sont susceptibles de leur incomber dans l'intérêt général ;
Qu'il résulte de ce qui précède qu'à aucun égard l'atteinte portée par l'article 6 de l'Ordonnance Loi à l'inviolabilité de la propriété garantie par l'article 24 de la Constitution ne saurait être regardée comme incompatible avec cette disposition, alors même qu'aucune indemnisation n'est allouée de ce chef ; que le Ministre d'État est donc fondé à conclure que le recours en appréciation de validité présenté par la dame C. soit rejeté comme irrecevable et, subsidiairement, que les articles 6 et 44 de l'Ordonnance Loi n° 669 du 17 décembre 1959 soient déclarés compatibles avec le principe de l'inviolabilité de la propriété privée consacré par l'article 24 de la Constitution ;
Vu le procès-verbal dressé par le Greffier en Chef, le 15 juin 1981, constatant que Maître J.-E. Lorenzi, avocat-défenseur n'a pas déposé de réplique dans le délai de la loi et prononçant en conséquence la clôture de la procédure ;
Vu la déclaration de désistement de la dame C. en date du 6 octobre 1981 ;
Vu le mémoire en date du 8 octobre 1981, par lequel le Ministre d'État déclare ne pas s'opposer à ce qu'il soit fait droit à ce désistement ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu l'Ordonnance constitutionnelle du 19 décembre 1962 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963, modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu l'Ordonnance Loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiant et codifiant la législation relative aux conditions de location des locaux à usage d'habitation, notamment ses articles 6 et 44 ;
Vu l'Ordonnance du 16 mars 1981 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause devant le Tribunal Suprême délibérant en section administrative ;
Ouï Monsieur Alfred Potier, membre du Tribunal Suprême en son rapport ;
Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;
Considérant que l'article 27 modifié de l'Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 susvisée dispose que « si le désistement est formé moins de trente jours avant la date fixée pour les débats, le Président ou le Tribunal Suprême peut condamner le demandeur à l'amende prévue par l'article 36 » ;
Considérant qu'alors que le procès-verbal de clôture des débats a été dressé le 15 juin 1981 et que la date des débats a été fixée au 12 octobre, c'est seulement le 6 octobre qu'est intervenu le désistement ;