Tribunal Suprême, 29 novembre 1978, dame B.-B. c/ Directeur des Services Judiciaires
Abstract🔗
Procédure
Demande nouvelle - Rejet - Décision confirmative (non) - Recevabilité d'une requête en annulation
Recours pour excès de pouvoir
Violation de la loi - Annulation de la décision attaquée - Indemnité - Existence et montant du préjudice - Preuve à la charge du requérant - Indemnité - Mesure d'instruction à ordonner par le Tribunal Suprême - Mesure subordonnée à un commencement de preuve apporté par le requérant
Motifs🔗
Le Tribunal Suprême
Siégeant et délibérant en Assemblée Plénière,
Vu la requête présentée par la dame B.-B., le 18 avril 1978, et tendant à ce qu'il plaise au Tribunal Suprême annuler la décision implicite par laquelle le Directeur des Services Judiciaires a refusé d'appliquer l'Ordonnance Souveraine n° 21-41 du 29 mars 1938 instituant un roulement annuel des huissiers pour procéder aux ventes publiques mobilières ;
Ce faire, attendu :
que cette disposition a été observée jusqu'à ce qu'en 1963 il n'y ait plus eu qu'un huissier mais qu'à partir de la nomination, le 11 février 1976, de la requérante, le roulement prévu par l'Ordonnance devait être rétabli, ce que demande la dame B.-B. au Directeur des Services Judiciaires par lettre du 19 octobre 1977 ;
que la requête, dirigée contre la décision implicite de rejet résultant du silence gardé, pendant plus de quatre mois, par le Directeur sur ladite demande, fait valoir que ce rejet est illégal, la requérante ayant droit au bénéfice des prérogatives résultant de l'Ordonnance du 9 février 1878 sur les attributions des notaires et des huissiers ;
que la carence de l'Administration lui a causé un préjudice dont elle demande réparation par une indemnité tenant compte du montant des ventes qu'elle n'a pu effectuer et des émoluments alloués aux huissiers par l'Ordonnance Souveraine n° 48/50 du 6 janvier 1977 ;
qu'elle demande au Tribunal Suprême d'ordonner une mesure d'instruction en application de l'article 35 de l'Ordonnance Souveraine n° 29/84 du 16 avril 1963 en vue de fixer le montant de cette indemnité ;
Vu la contre-requête du Directeur des Services Judiciaires en date du 14 juin 1978, tendant au rejet de la requête par le motif qu'elle est irrecevable comme tardive ;
Qu'en effet :
la première demande de la requérante, formulée le 3 mai 1976, a été renouvelée les 27 septembre 1976 et 19 octobre 1977 ; ces demandes ayant été implicitement rejetées, la requête devant le Tribunal Suprême du 18 avril 1978, dirigée contre la décision implicite de rejet de la demande du 19 octobre 1977, a été présentée après l'expiration, le 27 mars 1977, du délai de recours de deux mois ouvert par la décision implicite du 27 janvier 1977, rejetant la demande du 27 septembre 1976 ;
le second recours gracieux du 19 octobre 1977 n'a pu, en application de l'article 15 de l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963, sauvegarder le délai du recours contentieux ;
la décision implicite de rejet de la demande du 19 octobre 1977, étant, en outre, confirmative de celle du 27 janvier 1977, la requête, est également, irrecevable comme tardive ;
cette irrecevabilité entraîne celle des conclusions en indemnité, en application de l'article 90 B de la Constitution ;
au surplus, la requérante n'apporte pas la preuve d'un préjudice et n'en chiffre pas le montant et il n'appartient pas au Tribunal Suprême de se substituer à elle ; ce préjudice n'est d'ailleurs pas établi, la requérante ayant été en mesure, à l'égal de son confrère, de procéder aux ventes publiques mobilières ; ce préjudice est éventuel, dès lors qu'elle ne prouve pas que le chiffre des ventes auxquelles elle aurait, à elle seule, procédé, aurait été au moins égal à celui réalisé par le second huissier ; enfin, les émoluments perçus par les deux huissiers ont été versés dans une bourse commune dont le montant a été partagé entre eux par moitié ;
Vu la réplique présentée par la requérante, le 14 juillet 1978, tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens, et, en outre, par les motifs suivants :
par sa demande du 3 mai 1976, elle s'est bornée à prendre position sur le roulement annuel des huissiers, sans présenter de demande formelle d'application de l'Ordonnance de 1938, ne connaissant d'ailleurs pas, à la date de cette demande, la décision du Directeur qui ne pouvait intervenir, selon l'Ordonnance, que le 1er octobre suivant ; la lettre du 27 septembre 1976, se bornant à demander à être reçue, n'est pas un recours gracieux ;
à supposer même qu'il en soit autrement, la requête contentieuse est recevable dès lors que la demande du 19 octobre 1977 tendait à l'application de l'Ordonnance de 1938 pour une nouvelle année judiciaire et que son rejet a fait courir un nouveau délai, sinon le droit de réclamer à l'avenir le bénéfice de cette Ordonnance serait refusé à la requérante seule et le Directeur pourrait se soustraire à l'application du texte ;
les conclusions d'indemnisation sont, par suite, recevables et également fondées : d'une part, le Président du Tribunal, à qui elle avait demandé l'autorisation de consulter les livres du Service de l'Enregistrement a, par Ordonnance du 10 juillet 1978, laissé au Tribunal Suprême le soin d'en décider par une mesure d'instruction qui, par suite, s'impose ; d'autre part, le préjudice ne peut être contesté en raison du droit, refusé à la requérante, de procéder, une année sur deux, aux ventes publiques mobilières dont le nombre et l'époque ne varient pas en fonction de la personnalité de l'huissier. Enfin, deux Sociétés viennent de procéder à deux ventes d'un montant de 1.500 000 francs ;
Vu la duplique en date du 11 août 1978, tendant aux mêmes fins que la contre-requête, par les mêmes motifs, et, en outre, par les moyens tirés de ce que :
la lettre du 3 mai 1976 contient une demande expresse de nomination de l'huissier chargé des ventes publiques mobilières, implicitement rejetée à l'expiration du délai de quatre mois. La lettre du 27 septembre 1976 constitue un premier recours gracieux contre cette décision de rejet et, si on ne la considère pas comme tel, la décision serait définitive deux mois après son intervention et le recours gracieux du 19 octobre 1977 serait irrecevable comme tardif, ainsi, par suite, que le recours contentieux du 18 avril 1978 dirigé contre la décision de rejet de ce recours gracieux ;
la requérante ne saurait soutenir, en outre, que la demande du 19 octobre 1977, formant recours gracieux et le rejet implicite de ce recours, auraient fait courir de nouveaux délais par le motif que l'arrêté du Directeur, prévu par l'Ordonnance de 1938, doit être pris chaque année le 1er octobre. Cette thèse est contraire à la jurisprudence du Conseil d'État Français selon laquelle une seconde décision définitive de rejet, confirmative de la première, ne réouvre pas le délai du recours contentieux, sauf lorsque la seconde requête étant fondée sur une cause juridique différente, constitue une demande nouvelle. Or, le recours gracieux du 19 octobre 1977 et le recours contentieux du 18 avril 1978 sont fondés sur le même moyen de droit que les recours gracieux précédents et aucune circonstance de fait nouvelle n'est alléguée. Enfin, l'obligation de désigner un huissier le 1er octobre de chaque année ne peut être invoquée, dès lors que l'intéressée a demandé non sa nomination mais l'application de l'ordonnance dans son principe ;
les conclusions indemnitaires sont irrecevables et, en outre, non fondées, ni l'existence, ni le montant du préjudice n'étant justifiés et la requérante pouvant, comme son confrère, procéder aux ventes publiques mobilières. La différence éventuelle de leurs honoraires serait due à leur personnalité et non à l'absence de roulement, la requérante ne contestant d'ailleurs pas que ces honoraires, versés dans une bourse commune soient partagés.
Vu les lettres adressées par la dame B.-B. au Directeur des Services Judiciaires les 3 mai 1976 et 27 septembre 1976, ainsi que celle du 19 octobre 1977, contre la décision implicite de rejet contre laquelle est dirigée la requête ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu l'Ordonnance Constitutionnelle du 19 décembre 1962 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 29-84 du 16 avril 1963, modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la loi n° 783 du 15 juillet 1965 portant organisation judiciaire ;
Vu l'Ordonnance Souveraine du 9 février 1978 sur les attributions des notaires et huissiers et les droits de greffe ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 21-41 du 29 mars 1938 établissant un roulement annuel des huissiers pour procéder aux ventes publiques mobilières ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 48-50 du 6 janvier 1972 fixant les tarifs des huissiers ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 57-70 du 11 février 1976 portant nomination d'un huissier près la Cour d'appel et les Tribunaux ;
Vu l'Ordonnance du 18 septembre 1978, par laquelle le Président du Tribunal Suprême, a renvoyé la cause devant le Tribunal Suprême, délibérant en formation plénière ;
Ouï Monsieur Louis Pichat, Membre du Tribunal Suprême, en son rapport ;
Ouï Maîtres Sbarrato, avocat, et G.H. George, avocat au Conseil d'État Français et à la Cour de Cassation, en leurs observations ;
Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des conclusions aux fins d'annulation :
Considérant que, par le recours gracieux du 19 octobre 1977, implicitement rejeté par la décision attaquée, la requérante a demandé au Directeur des Services Judiciaires de désigner, par arrêté, l'huissier chargé, en application de l'Ordonnance Souveraine susvisée du 29 mars 1938, de procéder aux ventes publiques mobilières pendant l'année judiciaire ;
Considérant que le Directeur des Services Judiciaires oppose à la requête une fin de non-recevoir tirée de sa tardiveté par le motif que la décision implicite du 19 février 1978, rejetant la demande du 19 octobre 1977, et contre laquelle la requête est dirigée, se serait bornée à confirmer les décisions des 3 septembre 1976 et 27 janvier 1977, rejetant implicitement les précédentes demandes des 3 mai 1976 et 27 septembre 1976 qui tendaient également à ce qu'intervienne l'arrêté prévu par l'Ordonnance sus-visée du 29 mars 1938 ; que les décisions des 3 septembre 1976 et 27 janvier 1977, qui n'ont pas été attaquées dans le délai du recours pour excès de pouvoir, celui-ci n'ayant pu être conservé par la demande du 19 octobre 1977 considérée comme un second recours gracieux, seraient, ainsi devenues définitives ;
Considérant qu'aux termes mêmes de l'article 3 de ladite Ordonnance : « le 1er octobre de chaque année... un arrêté du Directeur des Services Judiciaires désignera l'huissier qui, en conformité des articles 1 et 2 ci-dessus, sera chargé de procéder aux ventes publiques mobilières pendant toute l'année judiciaire » ; qu'il résulte de cet article que la durée de validité, prévue par lui, ne peut excéder un an, ni comporter de renouvellement tacite dès lors qu'à l'expiration de ce délai, l'Administration est tenue de procéder à un nouvel examen de la situation en vue de désigner l'huissier chargé d'instrumenter ;
Considérant, dans ces conditions, que les demandes successives que la dame B.-B. a présentées séparément pour chacune des années judiciaires 1976/1977 et 1977/1978, doivent être regardées comme indépendantes et que les deux premières ayant été rejetées, la dernière constituait une demande nouvelle que l'Administration devait examiner, compte tenu de la situation existant au 1er octobre 1977 ; que la décision rejetant cette demande ne peut, par suite, être tenue comme confirmative des précédentes et que la requête en annulation, présentée dans les deux mois qui ont suivi la décision implicite de rejet intervenue dans les quatre mois de la demande, est recevable ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
Considérant que les dispositions de l'Ordonnance Souveraine sus-visée du 29 mars 1938 sont impératives et que, si l'Administration a pu s'y soustraire dans le cas, qui s'est produit avant la nomination comme huissier, le 11 février 1976, de la dame B.-B., où un seul huissier était en fonction, il n'en était pas ainsi lors de la demande présentée, le 19 octobre 1977, par la requérante et que le Directeur des Services Judiciaires ne pouvait, par suite, se dispenser de nommer, au titre du roulement annuel prévu à l'article 1er de ladite Ordonnance Souveraine, un huissier chargé de procéder aux ventes publiques mobilières pour l'année judiciaire considérée ;
Qu'en n'y procédant pas, la décision attaquée, a été prise en violation des dispositions susvisées et doit, par suite, être annulée ;
Sur les conclusions tendant à l'octroi d'une indemnité :
Considérant qu'il résulte de l'illégalité de la décision attaquée que la requérante est recevable à demander une indemnité en réparation du préjudice allégué ;
Considérant qu'il appartenait à la dame B.-B. d'apporter la preuve de l'existence et du montant de ce préjudice ; que la mesure d'instruction, qui est demandée par la requête à cet effet, au Tribunal Suprême, ne serait justifiable que si un commencement de preuve était apporté par la requérante ; qu'en l'absence de tels éléments de preuve les conclusions doivent être rejetées ;
Dispositif🔗
DÉCIDE :
Article 1er🔗
la décision implicite du 19 février 1978 rejetant la demande présentée le 19 octobre 1977 par la dame B.-B., tendant à ce que soit pris par le Directeur des Services Judiciaires, l'arrêté prévu par l'article 3 de l'Ordonnance Souveraine sus-visée du 29 mars 1938, est annulée,
Article 2🔗
le surplus des conclusions de la requête tendant à l'octroi d'une indemnité est rejeté ;
Article 3🔗
les dépens sont mis à la charge de l'État,