Tribunal Suprême, 30 juin 1976, sieur R. c/ Ministre d'État
Abstract🔗
Procédure
Délai de recours - Prorogation - Recours gracieux successifs - Recours non susceptibles de conserver le délai - Délai de recours - Point de départ - Décision notifiée par une autorité autre que celle l'ayant prise - Décision inexistante en raison d'une incompétence manifeste (non)
Motifs🔗
Le Tribunal Suprême
Siégeant et délibérant en section administrative,
Vu la requête présentée par le sieur R., le 21 novembre 1975 et tendant à ce qu'il plaise au Tribunal Suprême, annuler les décisions, en date des 18 août 1975 et 22 septembre 1975, et, en tant que de besoin, la décision en date du 27 juin 1975, par lesquelles lui a été refusée l'autorisation de continuer à exercer son activité professionnelle ;
Ce faire, attendu :
Q'en réponse à une demande en date du 6 mai 1975, tendant au renouvellement d'une autorisation d'exercer l'activité de « Bureau de Secrétariat Administratif et Commercial », le requérant s'est vu refuser ce renouvellement par lettre du Directeur du Répertoire du Commerce et de l'Industrie en date du 6 mai 1975 ; que ce refus n'était pas pris par l'autorité compétente, à savoir le Ministre d'État ou, sur délégation, le Conseiller du Gouvernement pour les Finances, qu'en conséquence, ce refus ne peut pas être considéré comme une décision administrative faisant courir les délais de recours ;
Que le requérant demanda au Conseiller du Gouvernement pour les Finances de statuer sur sa demande, que cette autorité, par lettre datée du 18 août 1975, maintint le refus précédemment notifié, prenant ainsi une décision qui a fait courir les délais de recours ;
Que le requérant ayant, le 31 août 1975 formé contre cette décision un recours gracieux auprès du Ministre d'État, ce recours fut rejeté par lettre en date du 23 septembre 1975 par le motif que, malgré plusieurs rappels à l'ordre, le requérant a continué à se présenter à ses clients comme conseiller juridique et fiscal, errements qui ne peuvent être admis, ce titre étant susceptible de les abuser ;
Qu'en réalité, le requérant n'a reçu qu'une seule mise en garde contre l'utilisation du titre de « Conseiller juridique et Fiscal » ; qu'à la suite de cette mise en garde en date du 11 juillet 1973, le requérant a modifié son papier à lettres qui, d'ailleurs ne mentionnait pas la qualité de conseil juridique et fiscal, mais indiquait seulement « Bureau de Secrétariat Administratif et Commercial, Fiscalités, Sociétés, Membre de la Confédération Nationale des Conseils juridiques et fiscaux » ; qu'ainsi la motivation du refus du renouvellement est inexacte ;
Que, par ailleurs et surabondamment, l'usage du titre de conseil juridique n'apparaît pas illicite ; qu'en effet :
1° il n'existe pas à Monaco de législation concernant l'utilisation du titre et les diplômes qui seraient requis à cette fin ;
2° l'autorisation d'exercer une activité professionnelle porte sur le droit à l'exercice de cette activité et non à l'usage d'un titre ;
3° l'activité autorisée au requérant était nécessairement, non pas une activité commerciale comme l'aurait été une pure activité de prestation de services, mais la profession libérale de Secrétariat-Conseil, correspondant en fait à l'activité de conseil fiscal, ce qui fait que le service des Statistiques et des Études Économiques a classé le requérant sous la rubrique « Bureau de Secrétariat Administratif et Commercial, Conseiller Fiscal. Spécialiste en matière de sociétés » ;
Vu la contre-enquête de Monsieur le Ministre d'État en date du 23 janvier 1976 tendant au rejet de la requête par les motifs que :
1° la requête est irrecevable comme tardive. En effet :
a) le délai de recours contentieux était expiré lorsque l'intéressé, le 21 novembre 1975 s'est pourvu devant le Tribunal Suprême contre la décision du 27 juin 1975 ;
b) à supposer que, malgré ses termes exprès, la demande de « sursis à exécution » présentée le 9 juillet 1975 par le requérant puisse s'analyser en un recours administratif contre la décision du 27 juin 1975, ce recours a donné lieu le 18 août 1975 à une décision expresse de rejet contre laquelle le délai de recours était également venu à expiration avant le 21 novembre 1975 ;
c) le second recours gracieux formé le 31 août 1975 n'a pas pu conserver le délai du recours contentieux et le rejet de ce recours n'a constitué qu'une décision confirmative ;
2° si l'on examine subsidiairement le fondement du recours, il apparaît que la décision attaquée n'est entachée d'aucune illégalité. En effet :
a) l'autorisation d'exploiter un bureau de secrétariat administratif et commercial ne s'appliquait qu'aux services normalement assurés, au sein d'une entreprise industrielle et commerciale, par le secrétariat administratif et commercial de celle-ci. Les services d'un bureau de secrétariat administratif et commercial ne pouvaient donc consister qu'à décharger les commerçants et petites entreprises de l'accomplissement des diverses démarches et formalités administratives ou juridiques nécessitées par leur activité professionnelle. Il en était ainsi, notamment, en matière de constitution de sociétés, les particuliers trouvant difficilement à Monaco des personnes susceptibles de les aider à préparer leur dossier et à les représenter éventuellement auprès des différents services administratifs compétents.
b) c'est seulement ce double rôle d'assistance matérielle et technique que le requérant était autorisé à remplir, ainsi que cela résulte des termes formels de l'autorisation délivrée le 16 mai 1967 qui exclut « tous travaux comptables », de tels travaux comportant en effet, une part d'initiative personnelle incompatible avec l'exercice d'un simple secrétariat administratif et commercial. Une activité de conseil juridique et fiscal était a fortiori exclue des activités autorisées ;
c) bien que les limites de l'autorisation lui aient été rappelées par le département des Finances le 11 juillet 1973, le requérant a persisté, en dépit des assurances données, à exercer ses activités
d) le requérant ne saurait prétendre que l'exercice de la profession de conseil juridique et fiscal par une personne non monégasque n'est pas subordonné, comme l'exercice de toute profession quelconque, à une autorisation préalable ;
e) de surcroît, le Gouvernement Princier estime inopportune l'activité de conseils juridiques et fiscaux, le domaine où s'exercerait cette activité relevant des avocats ;
Vu le mémoire en réponse présenté le 23 février 1976 par le requérant, tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et, en outre, par les motifs suivants :
1° Sur la recevabilité de la requête.
La décision réputée prise le 27 juin 1975 émanait d'une autorité radicalement incompétente puisqu'elle a été prise par le Directeur du Service de la Propriété Industrielle et du Répertoire du Commerce et de l'Industrie, alors qu'une telle décision ne pouvait être prise que par le Ministre d'État ou, par délégation de celui-ci, par le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie ; la décision du 27 juin 1975 doit donc être tenue pour nulle et non avenue et elle n'a pu faire courir aucun délai de recours. La première décision intervenue est celle qui a été prise le 18 août 1975 par le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie et par rapport à laquelle aucune tardiveté ne peut être opposée aux recours, administratif et contentieux du requérant.
2° sur le fond. L'argumentation de la contre-requête ne peut dissimuler l'illégalité de la décision attaquée. En effet :
a) sur la nature des activités exercées par le requérant.
La distinction faite par la requête entre des activités de secrétariat administratif et commercial, d'une part, et celles de conseil juridique et fiscal n'est pas admissible. La contre-requête considère que le secrétariat administratif doit consister en une assistance matérielle et technique donnée en matière commerciale ou administrative aux commerçants et petites entreprises et que ce secrétariat peut comprendre des travaux de constitution de sociétés, or, c'est bien là l'activité normale d'un conseil juridique et fiscal laquelle exclut normalement l'exécution de travaux comptables, que le requérant n'a jamais pratiqués.
Sur l'exercice à Monaco des activités de conseil juridique et fiscal, le requérant a seulement entendu remarquer que cette profession n'est pas, à Monaco, réglementée en tant que telle et qu'elle n'a fait l'objet d'aucune définition légale.
b) sur le motif tiré de ce que le requérant aurait méconnu plusieurs avertissements de l'autorité compétente.
Le requérant n'a reçu qu'une seule demande d'explication, et non plusieurs rappels à l'ordre. A la suite de cette demande d'explication, il a, immédiatement, procédé à une modification de la présentation de son activité, en supprimant notamment certaines mentions de son papier à lettres professionnel, sans transformer pour autant les conditions de son activité, qui restait conforme à l'autorisation initiale ;
Vu la duplique en date du 24 mars 1976 tendant aux mêmes fins que la contre-requête par les mêmes motifs et, en outre, par les motifs tirés de ce que :
1° la décision initiale du 25 juin 1975, même imputée à la Direction du Commerce et de l'Industrie ne serait pas entachée d'une incompétence qui serait suffisamment manifeste pour que cette décision doive être tenue pour inexistante. Le requérant ne s'y est d'ailleurs pas trompé puisque, par sa requête du 9 juillet 1975, il attire l'attention du Conseiller du Gouvernement pour l'Économie et les Finances sur le refus à lui opposé et demande qu'il soit sursis à l'exécution des conséquences de ce refus. Mais en l'occurrence, des termes mêmes de la décision du 27 juin 1975, informant le requérant que « l'autorisation n'a pu être accordée par le Gouvernement Princier », il résulte que le Directeur du Service de la Propriété Industrielle et du Répertoire du Commerce et de l'Industrie s'est borné à notifier la décision prise en l'espèce par le Conseil de Gouvernement ;
2° la seule modification de la « présentation » d'une activité professionnelle et de l'entête du papier à lettres n'est pas de nature à faire disparaître l'infraction résultant de l'exercice effectif d'une profession. Et le requérant a continué à faire figurer sur son papier à lettres la mention « Membre de la Confédération Nationale des Conseils juridiques et Fiscaux », qui était de nature à abuser la clientèle en lui laissant croire qu'il existe à Monaco une telle confédération, que le requérant en était membre et qu'il avait reçu l'agrément du Gouvernement Princier et qu'il était, par suite, en droit d'exercer régulièrement la profession de conseil juridique et fiscal ;
Vu les décisions attaquées ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu l'Ordonnance Constitutionnelle du 19 décembre 1962, notamment ses articles 89 à 92 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963, modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu l'article 11 de l'Ordonnance du 6 juin 1867 sur la Police Générale ;
Vu l'Ordonnance en date du 30 mars 1976 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause devant le Tribunal Supérieur délibérant en section administrative ;
Ouï Monsieur Alfred Potier membre du Tribunal Suprême en son rapport ;
Ouï Maître Ravetta J. M., avocat, et Maître H. George, avocat au Conseil d'État français et à la Cour de Cassation, en leurs observations ;
Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;
Considérant qu'en réponse à sa demande adressée le 6 mai 1975 au Ministre d'État en vue d'obtenir le renouvellement d'une autorisation d'exploiter un bureau de secrétariat administratif et commercial, le requérant a reçu une lettre du Directeur du Service de la Propriété Industrielle et du Répertoire du Commerce et de l'Industrie en date du 27 juin 1975, l'informant que « l'autorisation sollicitée n'a pu être accordée par le Gouvernement Princier » ; que le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision ainsi notifiée, parce qu'elle n'émanerait pas du Ministre d'État ou du Conseiller de Gouvernement pour les finances, serait entachée d'une incompétence si manifeste qu'elle serait inexistante et ne pourrait par suite, constituer le point de départ du délai de recours contentieux ;
Considérant que la lettre adressée le 9 juillet 1975 par le requérant au Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie à la suite du refus susmentionné contient, en premier lieu, une contestation des motifs de la décision de refus, en second lieu, une demande de sursis à l'exécution des conséquences de cette décision, en troisième lieu, une demande d'un « examen indulgent » du cas du requérant et d'une permission de poursuivre une « activité professionnelle sincère et loyale au service de la Principauté, dans les conditions, formes et restrictions » qui seront fixées : que cette lettre, qui tend, en définitive, à ce que la décision critiquée soit rapportée, constitue un recours gracieux ;
Considérant qu'à défaut d'un accusé de réception, la décision de refus du 27 juin 1975 doit être regardée comme ayant été notifiée au requérant au plus tard le 9 juillet 1975, date du recours gracieux susmentionné : que ce recours a été rejeté par une décision du Conseiller de Gouvernement en date du 18 août 1975 qui, à défaut d'un accusé de réception, doit être réputée avoir été notifiée au requérant au plus tard le 31 août 1975, date à laquelle il a adressé au Ministre d'État un recours gracieux qui, formé postérieurement au précédent recours gracieux susmentionné, n'a pu sauvegarder une seconde fois le délai de recours ; qu'ainsi le délai du recours contentieux ouvert à l'intéressé contre la décision de refus du 27 juin 1975 expirait le 31 octobre 1975 ; que par suite, la requête présentée par le requérant devant le Tribunal Suprême le 21 novembre 1975 était tardive et donc irrecevable ;