Tribunal Suprême, 19 mai 1971, sieurs P. S., M. M., J. R. et dame S. A. c/ Ministre d'Etat
Abstract🔗
Droits et libertés constitutionnels
Égalité devant la loi - Champ d'application - Personnes se trouvant dans des situations identiques
Urbanisme et construction
Permis de construire - Dérogations - Erreur manifeste d'appréciation (non) - Détournement de pouvoir (non) - Permis de construire - Atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants et au site (non) - Hauteur de l'immeuble, coefficient d'occupation au sol, indice de construction - Calcul inexact (non)
Motifs🔗
Le Tribunal Suprême :
Vu les requêtes en date du 31 août 1970, présentées par les sieurs P. S., J. R., M. M. et par la dame S. A., épouse G. B., lesdites requêtes tendant ; d'une part à l'annulation d'un arrêté de M. le Ministre d'État, en date du 22 juin 1970, publié le 8 juillet 1970, qui a accordé une autorisation de construire à M. l'Administrateur des Domaines, en vue de la construction d'un immeuble d'habitation sur des terrains situés entre le Boulevard du Jardin Exotique et le Boulevard de Belgique et comprenant, notamment, la Villa G., d'autre part à ce que soit ordonné le sursis à exécution de l'arrêté attaqué, enfin à ce que l'État monégasque soit condamné aux dépens ;
Motifs pris de ce que :
par ses dimensions, et notamment sa hauteur, l'immeuble privera les requérants de soleil, d'éclairement et d'aération ;
les dérogations accordées sont illicites, en raison de leur nombre et de leur amplitude ; la loi et l'article 17 de la Constitution ont été violés et le Ministre a commis une double erreur manifeste d'appréciation et de droit ; les dérogations ayant été accordées à une administration, l'arrêté est entaché de détournement de pouvoir ;
l'article 7 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966 est violé, l'immeuble portant, par sa hauteur et par son implantation, atteinte au site et à l'intérêt des lieux avoisinants ;
les dérogations ont été accordées au vu de renseignements et calculs inexacts, en ce qui concerne la hauteur qui aurait dû être calculée à partir de la cote 87,62 entraînant un dépassement de 4,68 m et non de 1,55 m et le coefficient d'occupation du sol qui est de 83,11 % et non de 74,9 %, un escalier public ayant été, à tort, inclus dans la surface totale de la propriété ; quant à l'indice de construction qui est de 16,01 et non de 14,75, il aurait dû faire l'objet d'une dérogation ainsi que certains reculs par rapport aux limites ;
Vu la déclaration de M. le Procureur Général, en date du 10 septembre 1970, faisant connaître qu'il n'a pas d'observation à présenter sur la demande de sursis ;
Vu l'ordonnance en date du 14 septembre 1970, par laquelle M. le Président du Tribunal Suprême fait droit aux demandes de sursis ;
Vu la contre-requête de M. le Ministre d'État en date du 30 octobre 1970, tendant au rejet des requêtes, motifs pris de ce que :
la jurisprudence du Tribunal Suprême conduit au rejet du moyen tiré de l'article 17 de la Constitution ;
en ce qui concerne l'erreur d'appréciation et de droit, sur les cinq dérogations accordées, celles qui portent sur le recul, le coefficient d'occupation du sol et les surfaces plantées concernent des ouvrages souterrains et ne peuvent porter atteinte au caractère des lieux ; les dérogations sont, en réalité, peu importantes ; il n'y a donc pas d'erreur manifeste d'appréciation ; il n'y a pas non plus, d'erreur de droit, les dérogations ayant été accordées conformément à l'avis du comité supérieur d'urbanisme ;
il n'y a pas détournement de pouvoir, l'immeuble devant être construit dans un intérêt social ;
les dérogations ont été exactement calculées ; la cote de référence choisie pour la hauteur de l'immeuble est celle déterminée par le Comité consultatif pour la construction, en application de l'article 16, alinéa 4 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, l'indice de construction est inférieur à 15, le volume bâti au-dessus du terrain naturel ayant été exactement calculé et la surface de la propriété devant comprendre l'escalier public, déclassé du domaine public, par une loi du 10 juin 1966 ; le coefficient d'occupation du sol est, compte tenu de ce déclassement, de 74,90 % et non de 83,11 % toutes les dérogations nécessaires ont été accordées en ce qui concerne le recul ;
Vu le mémoire en réplique présenté par les requérants le 26 novembre 1970, persistant dans les conclusions de leurs requêtes par les mêmes motifs, et, en outre, motifs pris de ce que :
ce sont, en réalité, huit dérogations qui ont été accordées sans compter la dérogation à l'indice de construction qui a été omise ; la loi a donc été réduite à néant :
le détournement de pouvoir résulte de ce que les dérogations ont été accordées, non pour des considérations d'urbanisme mais pour l'exécution d'un accord entre les domaines et un particulier, comportant l'échange de 2.660 m2 au quartier de l'Annonciade, contre 2 900 m2 dans l'immeuble projeté ;
l'atteinte au caractère des lieux avoisinants est évidente, en raison des dimensions de l'immeuble ;
en ce qui concerne les erreurs de calcul des dérogations, les requérants maintiennent leurs dires ; notamment, l'escalier public figure sur l'état des lieux et a été incorporé au domaine public par une loi du 23 mai 1966 ;
Vu le mémoire en duplique présenté par M. le Ministre d'État le 24 décembre 1970, persistant dans ses précédentes conclusions pour les mêmes motifs et en outre par les motifs que :
les requêtes ne contestent ni que le Gouvernement a une entière liberté d'appréciation pour accorder les dérogations ni que celles-ci n'auront pas d'incidence sensible sur le site et l'environnement ;
L'échange indiqué à l'appui du moyen de détournement de pouvoir n'a pas de caractère spéculatif ; il n'a pas entraîné les dérogations puisque la surface accordée est de 2 900 m2 sur une surface totale de 7 433 m2 ;
En ce qui concerne les erreurs de calcul invoquées, il a été démontré qu'elles n'existaient pas ; même si, pour l'indice de construction, on admettait le calcul des requérants, cet indice ne serait que de 15,04 ne justifiant pas de dérogation ; quant à l'escalier public peu importe qu'un autre escalier public soit envisagé, car c'est la situation au jour de la décision attaquée qui doit être retenue ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu l'Ordonnance constitutionnelle du 17 décembre 1962 et notamment ses articles 17 et 90 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963, modifiée sur l'Organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu l'Ordonnance loi n° 674 du 3 novembre 1959 concernant l'Urbanisme, la construction et la voirie, modifiée par la loi n° 718 du 27 décembre 1961 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2120 du 16 novembre 1959, modifiée notamment par l'Ordonnance Souveraine n° 3647 du 9 septembre 1966, concernant l'urbanisme, la construction et la voirie ;
Ouï M. Louis Pichat, Membre du Tribunal Suprême en son rapport ;
Ouï Maître Biasca et Maître George en leurs plaidoiries ;
Ouï Monsieur le Procureur Général, en ses conclusions ;
Considérant que les requêtes susvisées des sieurs P. S., J. R., M. M. et de la dame S. A. épouse B., présentent à juger les mêmes questions, qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;
Considérant que pour demander l'annulation de l'arrêté du 22 juin 1970, délivrant un permis de construire à l'Administrateur des Domaines, les requérants se fondent essentiellement sur l'illégalité des dérogations accordées par ledit arrêté ; qu'à l'appui de leurs conclusions, les requérants soutiennent, d'une part, que par leur nombre et leur amplitude, ces dérogations font apparaître une erreur manifeste d'appréciation ; qu'elles constituent, d'autre part, une violation du principe de l'égalité des citoyens devant la loi affirmée par l'article 17 de la Constitution et qu'elles sont entachées de détournement de pouvoir ; que lesdites dérogations font, en outre, échec, notamment en ce qui concerne la hauteur et l'implantation de l'immeuble, aux prescriptions de l'article 7 de l'Ordonnance Souveraine du 3 septembre 1966 ; qu'elles sont, enfin illégales en tant que certains des éléments pris en considération pour les calculer sont inexacts ;
Sur le moyen tiré de ce que, par leur nombre et leur amplitude, les dérogations feraient apparaître une erreur manifeste d'appréciation :
Considérant que le nombre et l'amplitude des dérogations accordées par l'arrêté attaqué permettant au constructeur d'excéder les normes fixées pour les immeubles édifiés dans la zone à gabarit moyen, ne sont pas, par eux-mêmes, de nature à constituer une erreur manifeste d'appréciation de la part de l'autorité compétente, dès lors que ladite autorité a reçu de la réglementation même qui concerne ces normes, le pouvoir d'y déroger pour tenir compte des exigences propres à chaque construction ; qu'il n'est pas établi par les requérants que l'appréciation faite, en l'espèce, par le Ministre d'État, de l'importance et du nombre des dérogations accordées pour des motifs de caractère technique et correspondant à des préoccupations d'urbanisme, repose sur une erreur manifeste de nature à entraîner l'annulation de l'arrêté attaqué ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 17 de la constitution :
Considérant que le principe de l'égalité des citoyens devant la loi, institué par l'article 17 de la Constitution, n'a d'effet qu'à l'égard de personnes se trouvant dans des situations identiques ; que les requérants ne sont, par suite, pas fondés à l'invoquer contre une décision qui fixe, en considération des éléments propres à une opération d'urbanisme déterminée, les conditions dans lesquelles celle-ci est autorisée ;
Sur le moyen de détournement de pouvoir :
Considérant qu'à l'appui de ce moyen, les requérants font valoir que les dérogations incriminées auraient été accordées pour permettre l'exécution d'un accord conclu entre l'Administration des Domaines et un particulier portant sur l'échange de 2 660 m2 situés quartier de l'Annonciade avec 2.900 m2 de surface de plancher dans l'immeuble à construire ;
Considérant que cette circonstance, que l'Administration ne conteste pas, n'apparaît pas, en l'état des pièces du dossier, comme le motif déterminant de l'arrêté attaqué ;
Considérant, d'autre part, que contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'arrêté attaqué pouvait, sans être, de ce fait, entaché de détournement de pouvoir, accorder des dérogations à l'administration des Domaines en vue de procéder à la construction projetée dès lors que le but recherché par cette administration est conforme à l'intérêt général ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le détournement de pouvoir allégué par les requérants n'est pas établi ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 7 de l'ordonnance souveraine du 3 septembre 1966 :
Considérant qu'aux termes de cette disposition « les constructions, par leur situation, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, ne doivent pas porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales » ;
Considérant qu'à l'appui du moyen tiré de la violation de ce texte, les requêtes se bornent à soutenir que l'immeuble projeté « est manifestement de nature, tant par sa hauteur que par son implantation, à porter atteinte au caractère du site et à l'intérêt des lieux avoisinants », que, " large de près de 50 m, il doit comporter quatorze niveaux dont huit (plus les attiques de sortie sur le toit terrasse), au-dessus du Boulevard du Jardin Exotique, formant ainsi un écran formidable à un endroit où la vue panoramique est encore sauvegardée ; que par cette affirmation qui n'est accompagnée d'aucune démonstration fondée sur des documents d'urbanisme appropriés, les requérants n'apportent pas la preuve que cette construction ne respecterait pas les conditions posées par l'article 7 de l'Ordonnance Souveraine du 3 septembre 1966 ; qu'il ressort, au surplus, de l'examen du dossier que les caractéristiques de l'immeuble, telles qu'elles apparaissent au-dessus du sol, comportent, par rapport aux normes réglementaires, des dépassements bien inférieurs à ceux découlant des calculs qui, pour respecter les prescriptions réglementaires, doivent porter sur les dimensions totales de l'immeuble, y compris la partie de celui-ci située au-dessous du sol ;
Sur le moyen tiré de ce que certaines dérogations auraient été inexactement calculées et de ce que l'indice de construction aurait dû faire l'objet d'une dérogation :
Considérant que les requérants soutiennent que la hauteur de l'immeuble, l'indice de construction et le coefficient d'occupation du sol, sont, en fait, plus importants que ceux admis par l'administration, qui, pour les déterminer, aurait inexactement calculé le niveau du terrain naturel, le volume bâti au-dessus de ce terrain et la surface de la propriété ;
Considérant, en premier lieu, que le niveau du sol naturel au-dessus duquel est calculée la hauteur de l'immeuble, a été déterminé conformément à l'article 16 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, qui prévoit qu'en cas de difficultés, le Ministre d'État fixe, sur proposition du Comité consultatif pour la construction, lors de la délivrance de l'autorisation de bâtir, le niveau de référence à adopter ; qu'il résulte du dossier, qu'une telle difficulté étant survenue et ne permettant pas de déterminer le niveau du sol naturel au point de croisement des deux axes de la construction, ainsi que le prévoit, en règle générale, le même article 16, l'administration, se référant à l'avis du Comité consultatif pour la construction, a retenu, comme niveau de référence, la cote 90,75 ; que les requérants n'apportent pas la preuve que la cote 87,62 aurait dû être retenue de préférence à celle choisie par l'administration, sur la base d'éléments dont les plans joints au dossier, attestent l'exactitude ;
Considérant, en second lieu, que la fixation du coefficient d'occupation du sol, et de l'indice de construction résulte, d'une part, du rapport entre la surface de la propriété et la surface de l'immeuble au sol et, d'autre part, du rapprochement du volume bâti au-dessus du terrain naturel et de la surface de la propriété ;
Considérant, en ce qui concerne la surface de la propriété, que celle-ci doit être prise en considération dans sa totalité ainsi que l'exige l'article 13, 5° de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966 ; que par suite, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'escalier occupant 95 m2 de cette propriété doit, au jour de l'octroi de l'autorisation de construire, être considéré comme faisant partie de celle-ci, dès lors que la loi n° 805 du 10 juin 1966, a déclassé du domaine public ledit escalier qui est, par suite, entré dans le domaine privé de l'état ;
Considérant, en ce qui concerne le calcul du volume bâti au-dessus du terrain naturel, qu'à supposer même que ce volume soit de 23 619 m3 comme le prétendent les requérants, ce chiffre, rapproché de la surface totale de la propriété, dont l'administration a fait, comme il a été dit ci-dessus, une exacte évaluation, ferait apparaître un indice de construction de 15,04, très voisin de l'indice 15, fixé par l'article 13, 3° de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, lui-même légèrement supérieur à l'indice retenu par l'administration ; que l'écart entre ces différents indices est trop faible pour constituer un fait matériellement inexact, susceptible d'entacher la régularité de la décision attaquée ; que cet écart ne saurait, en outre, pour la même raison, nécessiter l'octroi d'une dérogation à l'indice de construction fixé par l'article 13, susmentionné de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la hauteur de l'immeuble, le coefficient d'occupation du sol et l'indice de construction, auraient été inexactement calculés ;