Tribunal Suprême, 3 mars 1971, sieur W. c/ Ministre d'Etat

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Abstract🔗

Droits et libertés constitutionnels

Égalité devant la loi - Champ d'application - Personnes se trouvant dans des situations identiques

Procédure

Intervention - Intérêt au maintien de la décision attaquée - Recevabilité

Urbanisme et construction

Permis de construire - Dérogations - Octroi éventuel - Obligation pour l'Administration de se conformer à l'intérêt général - Condition nécessaire et suffisante


Motifs🔗

Le Tribunal Suprême

Statuant en matière administrative ;

Vu la requête en date du 26 juin 1970, présentée par le sieur W. et tendant à ce qu'il plaise au Tribunal Suprême :

  • annuler l'arrêté n° 70-1658 pris par M. le Ministre d'État le 28 avril 1970 ;

  • ordonner le sursis à exécution de l'arrêté attaqué ;

  • condamner le Gouvernement Princier aux dépens ;

motifs pris de ce que :

  • l'article 17 de la Constitution a été méconnu ;

  • l'accord du sieur W. n'a pas été demandé ;

  • les dérogations ne sont pas motivées par l'intérêt général ;

  • la collectivité n'en profitera pas puisqu'elles ont été consenties sans contreparties ;

  • les dérogations ont été accordées au vu de fausses déclarations ; en effet, dans la surface de la propriété a été compris un chemin d'accès, ce qui a entraîné la minoration du coefficient d'occupation du sol et de la surface plantée ;

Vu l'arrêté attaqué ;

Vu les observations présentées le 7 juillet 1970 par M. le Ministre d'État en réponse aux conclusions de sursis à exécution de l'arrêté attaqué et tendant au rejet desdites conclusions par le motif que le moyen de la requête fondé sur les risques que l'édification de l'immeuble pourrait comporter pour la sécurité de la villa du sieur W. ne peut être pris en considération ;

Vu les observations présentées le 8 juillet 1970 par le sieur C., ayant Me Sanita, pour avocat-défenseur et tendant au rejet desdites conclusions pour le même motif ;

Vu la déclaration de M. le Procureur Général, en date du 7 juillet 1970, faisant connaître qu'il n'a pas d'observation à présenter sur la demande de sursis ;

Vu l'ordonnance en date du 20 juillet 1970, par laquelle M. le Président du Tribunal Suprême fait droit à la demande de sursis ;

Vu la contre-requête de M. le Ministre d'État en date du 19 août 1970, tendant au rejet de la requête, motifs pris de ce que ;

  • l'article 17 ne peut être invoqué que par des personnes se trouvant dans des situations identiques ;

  • l'article 12 de l'ordonnance-loi du 3 novembre 1959 ne soumet l'octroi de dérogations ni à l'accord des propriétaires voisins ni à des contreparties ;

  • les appréciations de l'Administration ne peuvent, en cette matière, être discutées au contentieux, sauf si elles reposent sur des faits matériellement inexacts ou sont entachées d'erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ; il suffit qu'elles ne soient pas contraires à l'intérêt général ; or, le projet est conforme à l'intérêt général dès lors qu'il accroît le nombre des locaux, qu'il comporte la cession gratuite d'une parcelle à l'État, qu'il nécessite d'importants travaux de terrassement et qu'il s'inscrit parfaitement dans le secteur considéré ;

  • il ressort de l'article 13, 5°, de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, que la surface bâtie au sol doit être calculée par rapport à la surface totale de la propriété ; cette solution est d'ailleurs conforme au but de salubrité poursuivi par cette disposition ; il en est de même en ce qui concerne la surface plantée ;

Vu la requête en intervention présentée le 24 août 1970 par la société civile immobilière « Le Praxitèle », représentée par son gérant, le sieur C., ayant Me J.-C. Marquet, pour avocat-défenseur, ladite requête tendant d'une part à ce que l'intervention soit déclarée recevable et, d'autre part, au rejet de la requête par les motifs développés par la contre-requête et, en outre, par le motif que les dérogations accordées n'aggravent pas la situation du requérant ;

Vu le mémoire en réplique présenté par le sieur W. le 16 septembre 1970, persistant dans les conclusions de sa requête par les mêmes motifs et, en outre, motifs pris de ce que :

  • l'erreur d'appréciation de la décision attaquée est manifeste dès lors qu'en violation de l'article 7 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, le site et le caractère des lieux avoisinants seront atteints et que la sécurité sera menacée par d'importantes fouilles ;

  • les dérogations sont exorbitantes du droit commun par leur nombre, leur importance et leur gratuité et constituent, par suite, un détournement de pouvoir ;

  • l'expression « propriété », employée par l'article 13, 5°, de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966 est synonyme de terrain sur lequel l'autorisation de construire est demandée, ainsi que cela résulte de l'énumération des pièces exigées par l'article 3 de l'Ordonnance ;

Vu le mémoire en duplique présenté par M. le Ministre d'État, le 16 octobre 1970, persistant dans ses précédentes conclusions pour les motifs que :

  • l'atteinte à la sécurité prévue par l'article 7 de l'Ordonnance ne vise que les risques que peuvent comporter les immeubles dont la construction est achevée et non les risques de chantier tels que les fouilles contre lesquels les promoteurs doivent se prémunir et qui n'ont pas, en l'espèce, entraîné le juge civil à désigner un expert comme le lui demandait le requérant ;

  • les atteintes au site n'existent pas en raison des modifications apportées au projet initial ;

  • le requérant ne reprend pas les moyens tirés de la violation de l'article 17 de la Constitution et de l'absence d'accord des voisins ;

  • le détournement de pouvoir allégué par le requérant n'est pas établi ;

  • l'appréciation des obligations mises à la charge du constructeur relèvent de la seule opportunité et ne sont pas soumises au contrôle du Juge de l'excès de pouvoir ;

  • le sieur W. reconnaît que la surface bâtie au sol sera inférieure à la surface autorisée ;

  • l'article 3, 1°, de l'Ordonnance Souveraine ne fait pas de distinction entre les différentes parties de la propriété ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu l'ordonnance constitutionnelle du 17 décembre 1962 et notamment ses articles 17 et 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'ordonnance-loi n° 674 du 3 novembre 1959 concernant l'urbanisme, la construction et la voirie, modifiée par la loi n° 718 du 27 décembre 1961 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2120 du 16 novembre 1959, modifiée notamment par l'Ordonnance Souveraine n° 3647, du 9 septembre 1966, concernant l'urbanisme, la construction et la voirie ;

Oui M. Louis Pichat, Membre du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Oui Maîtres Biasca et Georges en leurs plaidoiries ;

Oui M. le Procureur Général en ses conclusions ;

Sur l'intervention de la Société « Le Praxitèle » :

Considérant que la société « Le Praxitèle » a intérêt au maintien de l'arrêt attaqué ; qu'ainsi son intervention est recevable ;

Sur la requête du sieur W. :

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 17 de la Constitution :

Considérant que le principe de l'égalité des citoyens devant la loi, institué par l'article 17 de la Constitution, n'a d'effet qu'à l'égard de personnes se trouvant dans des situations identiques ; que le requérant n'est, par suite, pas fondé à l'invoquer contre une décision qui fixe, en considération des éléments propres à une opération d'urbanisme déterminée, les conditions dans lesquelles celle-ci est autorisée ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 7 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966 :

Considérant, d'une part, que le requérant se borne à affirmer que l'immeuble dont la construction est autorisée porterait, contrairement aux prescriptions de l'article 7 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, atteinte, en raison de l'importance de son gabarit, au site ainsi qu'au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants et par là même à l'intérêt général ; qu'il résulte, au contraire, du dossier que, loin de méconnaître ces prescriptions, l'Administration a entendu les respecter en imposant au constructeur la diminution du nombre des étages et de la hauteur maximale de l'immeuble ; qu'ainsi ce moyen, à l'appui duquel le sieur W. n'apporte aucun commencement de preuve, ne saurait être retenu ;

Considérant, d'autre part, qu'il n'est pas établi par le requérant que la construction porterait atteinte à la sécurité publique au sens de l'article 7 précité ; qu'en effet, la circonstance invoquée à cet égard et tirée des risques que ferait courir la profondeur des fondations prévues, ne saurait être prise en considération s'agissant des conditions techniques d'exécution des travaux et non des caractéristiques des constructions achevées seules envisagées par ledit article 7 ;

Sur les moyens tirés de l'illégalité des dérogations accordées par l'arrêté attaqué :

Considérant, d'une part, qu'aucune disposition des textes en vigueur et notamment de l'article 12 de l'Ordonnance-loi du 3 novembre 1959, n'impose à l'Administration de subordonner l'octroi de dérogations à l'accord des propriétaires voisins, ni à la mise à la charge du constructeur d'obligations d'intérêt public ; que l'autorité compétente est seulement tenue, en vertu de l'article 7 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, de se conformer à l'intérêt général ; que le requérant, qui n'apporte pas la preuve que l'intérêt général n'aurait pas été, en l'espèce, respecté, ne peut davantage soutenir que c'est à tort qu'il n'a pas été consulté avant l'octroi des dérogations ni que ces dérogations auraient dû être accompagnées d'obligations à la charge du constructeur ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 13, 5°, de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, il devra être prévu une superficie non bâtie dont une partie devra être complantée conformément à l'article 56 de ladite Ordonnance, étant précisé que la surface bâtie au sol sera fixée par rapport à la surface totale de la propriété ; qu'ainsi le requérant ne saurait à bon droit soutenir que les dérogations concernant la surface d'occupation au sol et celle des espaces devant être plantés auraient été inexactement calculées par suite de la prise en compte dans la superficie de la propriété de la partie d'un chemin d'accès appartenant au constructeur ;

Considérant enfin que si le requérant soutient que l'Administration a entendu, par l'octroi des dérogations au constructeur, favoriser celui-ci, il n'apporte aucune preuve à l'appui de ce moyen de détournement de pouvoir qui ne saurait par suite être retenu ;

Dispositif🔗

DÉCIDE :

Article 1er🔗

L'intervention de la Société « Le Praxitèle » est admise ;

Article 2🔗

La requête du sieur W. est rejeté ;

Article 3🔗

Les dépens sont mis à la charge du sieur W. ;

Article 4🔗

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

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