Tribunal de première instance, 3 juillet 2025, a.A et autres c/ État de Monaco
Abstract🔗
International - Gel des fonds et des ressources économiques en application de sanctions économiques internationales - Guerre en Ukraine - Mesures de déblocage - Dépenses quotidiennes - Révision du montant - Prise en compte de l'état de fortune de la personne concernée
Résumé🔗
Dans le contexte de la guerre en l'Ukraine, l'Union européenne a pris des mesures de gel des fonds et ressources économiques à l'encontre de certaines personnes de nationalité russes. L'État de Monaco a gelé les fonds et ressources du demandeur concernée par lesdites mesures, qui a fait des demandes de déblocage de fonds sur le fondement de l'Ordonnance Souveraine n° 8.664 du 26 mai 2021. Le Ministre d'État a autorisé le déblocage de la somme mensuelle de 2 500 € pour les dépenses quotidiennes de la famille du demandeur. Celui-ci demande la révision de la somme. Le Tribunal relève que cette somme n'est destinée qu'à couvrir les dépenses quotidiennes de la famille, le déblocage des fonds nécessaires pour couvrir les autres besoins essentiels (eau, électricité, téléphone, frais de scolarité, prêts, assurances, charges …) ayant été autorisé. La circonstance que ce montant ne soit pas proportionné à la fortune du demandeur n'est pas de nature, à lui seul, à établir une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Toutefois, l'état de fortune de la personne concernée et, conséquemment, les habitudes de cette dernière et de sa famille préalablement aux mesures restrictives, s'agissant des dépenses de leur vie courante ne peuvent être totalement occultés.
En l'espèce, la somme de 2 500 € correspond, pour la famille du demandeur composée de cinq personnes (dont 3 enfants mineurs) à 500 € par personne (16,50 € par jour par personne environ). Le Tribunal considère que ce montant place la famille dans une situation difficile pour le paiement des dépenses quotidiennes, et occulte totalement l'état de fortune du demandeur, peu important que ce montant soit supérieur au salaire minimum français ou corresponde au plafond permettant d'obtenir des aides sociales à Monaco. Le Tribunal octroie la somme mensuelle de 10 000 €, montant qui, sans priver d'effet utile les mesures restrictives prises à l'encontre du demandeur, n'occulte pas totalement son niveau de fortune et, conséquemment, le niveau de vie préalablement aux mesures restrictives.
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2024/000139 (arrêt de la Cour d'Appel du 28 septembre 2023)
JUGEMENT DU 3 JUILLET 2025
En la cause de :
1- a.A, né le jma à Kirov (Russie), de nationalités russe et chypriote, demeurant X2 ;
2- La société civile de droit français dénommée Société Civile Immobilière ZA WA, dont le siège social se trouve X1, prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
3- La société civile immobilière de droit français dénommée Société Civile Immobilière ZA WB, dont le siège social se trouve X1, prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
4- La société civile immobilière de droit français dénommée Société Civile Immobilière ZA WC, dont le siège social se trouve X1, prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
5- La société civile immobilière de droit français dénommée Société Civile Immobilière ZZ ZA W, dont le siège social se trouve X1, prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
6- La société civile immobilière de droit français dénommée E, dont le siège social se trouve X3, prise en la personne de son représentant légal, demeurant en cette qualité audit siège ;
DEMANDEURS, ayant tous élu domicile en l'étude de Maître Pierre-Anne NOGHES-DU MONCEAU, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
L'ÉTAT DE MONACO, représenté conformément aux dispositions de l'article 139 du Code de procédure civile par Son Excellence Monsieur le Ministre d'Etat, sis au Ministère d'Etat, Place de la Visitation à Monaco, étant pour ce dans les bureaux de la Direction des Affaires Juridiques, 13 avenue des Castelans à Monaco ;
DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Yvon GOUTAL, avocat au barreau de Paris ;
d'autre part ;
En présence du :
PROCUREUR GÉNÉRAL, près la Cour d'Appel, séant en son Parquet, Palais de Justice, 5 rue Colonel Bellando de Castro à Monaco ;
Visa🔗
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 8 juin 2022, enregistré (n° 2022/000487) ;
Vu le jugement du Tribunal de première instance en date du 23 février 2023 s'étant déclaré incompétent pour connaître du recours formé par a.A, la société Société Civile Immobilière ZA WA, la SCI Société Civile Immobilière ZA WB, la SCI Société Civile Immobilière ZA WC, la SCI Société Civile Immobilière ZZ ZA W et la SCI E à l'encontre de la décision du Ministre d'Etat du 8 avril 2021 (en réalité 2022), et les ayant renvoyés à mieux se pourvoir ;
Vu les conclusions d'appel sur la compétence de Maître Pierre-Anne NOGHES-DU MONCEAU, avocat-défenseur pour a.A, la société Société Civile Immobilière ZA WA, la SCI Société Civile Immobilière ZA WB, la SCI Société Civile Immobilière ZA WC, la SCI Société Civile Immobilière ZZ ZA W et la SCI E, en date du 9 mars 2023 ;
Vu l'arrêt de la Cour d'Appel de Monaco en date du 28 septembre 2023 ayant notamment infirmé le jugement du Tribunal de première instance rendu le 23 février 2023 en toutes ses dispositions, déclaré compétent ledit Tribunal pour connaître des demandes présentées et ordonné le renvoi de l'affaire devant ce dernier pour la suite de la procédure ;
Vu les convocations en date du 10 octobre 2023 renvoyant la cause et les parties à l'audience du jeudi 2 novembre 2023 à 9 heures ;
Vu l'enrôlement de la cause sous le numéro 2024/000139 pour l'audience du 2 novembre 2023 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, au nom de l'ÉTAT DE MONACO, en date du 2 juillet 2024 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Pierre-Anne NOGHES-DU MONCEAU, avocat-défenseur, au nom d'a.A, la société civile Société Civile Immobilière ZA WA, la SCI Société Civile Immobilière ZA WB, la SCI Société Civile Immobilière ZA WC, la SCI Société Civile Immobilière ZZ ZA W et la SCI E, en date du 28 novembre 2024 ;
À l'audience du 11 juin 2024, le Ministère Public s'en est rapporté sur le fond ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 18 avril 2025 ;
À l'audience du 24 avril 2025, tenue à huis clos, les conseils des parties ont plaidé et déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 3 juillet 2025 par mise à disposition au greffe.
Motifs🔗
FAITS ET PROCÉDURE :
Le Conseil de l'Union Européenne a adopté le 17 mars 2014 une décision 2014/145/PESC qui impose des restrictions en matière de déplacements, ainsi qu'un gel des fonds et des ressources économiques à certaines personnes responsables d'actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté ou l'indépendance de l'Ukraine, y compris d'actions concernant le statut futur d'une quelconque partie du territoire qui sont contraires à la constitution ukrainienne, ainsi qu'aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés.
Un Règlement (UE) n° 269/2014 du même jour fixe le régime des mesures appliquées ainsi que la liste des personnes concernées.
Le 25 février 2022, le Conseil de l'Union Européenne a adopté un Règlement (UE) n° 2022/330 qui a modifié les critères de désignation des personnes visées par des mesures de gel afin d'inclure les personnes et entités qui soutiennent le gouvernement de la Fédération de Russie et en tirent profit, les personnes et entités qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, ainsi que les personnes physiques ou morales associées aux personnes ou entités figurant sur la liste.
Par application de ces nouveaux critères, a.A a été ajouté à l'annexe du Règlement (UE) n° 269/2014, à compter du 15 mars 2022 par le Règlement d'exécution (UE) n° 2022/427, du même jour.
Le Ministre d'État, en application des engagements internationaux de l'ÉTAT DE MONACO, a ajouté a.A à la liste des personnes et entités visées par des mesures de gel des fonds et des ressources économiques en Principauté de Monaco, par une décision n° 2022-23 du 15 mars 2022, modifiant la décision n° 2021-1 du 4 juin 2021 prise en application de l'Ordonnance Souveraine n° 8.664, publiée sur le site du Gouvernement Princier le 15 mars 2022.
Saisi par les demandes successives de déblocage de fonds formées par a.A sur le fondement de l'article 9 de l'Ordonnance Souveraine n° 8.664 du 26 mai 2021 relative aux procédures de gel des fonds et des ressources économiques en application de sanctions économiques internationales, le Ministre d'État a pris :
• le 8 avril 2022, une décision autorisant le déblocage et l'utilisation des fonds nécessaires pour payer les dépenses quotidiennes de la famille pour un montant forfaitaire de 2.500 euros par mois, les intérêts du prêt hypothécaire consenti par la banque NL KD NT (Monaco) à la SCI E (d'un montant de 592.111,10 euros), les factures correspondant aux frais d'entretien courant des habitations (d'un montant total de 187.232,10 euros),
• le 22 avril 2022, une décision autorisant le déblocage et l'utilisation des fonds nécessaires pour payer les salaires des membres d'équipage des bateaux « ZB » et « ZB II » d'un montant total de 24.432,64 euros, et les factures correspondant aux frais de gestion, d'entretien et de stationnement de ces bateaux pour un montant total de 143.895,16 euros,
• le 27 avril 2022, une décision autorisant le déblocage et l'utilisation des fonds nécessaires au paiement de factures correspondant aux dépenses courantes d'un montant total de 10.381 francs suisses et 73.756,31 euros, et les prélèvements automatiques permanents pour le paiement des factures d'énergie et de télécommunication, à partir des comptes de la société Société Civile Immobilière ZA WA, de la SCI E et du compte personnel d'a.A,
• le 12 mai 2022, une décision autorisant le déblocage et l'utilisation des fonds nécessaires au paiement des honoraires des prestataires de services juridiques et comptables, la poursuite des paiements des loyers dus à la société Société Civile Immobilière ZA WA (104.119,88 euros par mois) et à la SCI E (95.874,18 euros par mois) ainsi que la poursuite des paiements correspondant aux dépenses courantes (telles que téléphonie, électricité, eau, charges locatives, assurances, télésurveillance, impôts, honoraires comptables…) des sociétés Société Civile Immobilière ZA WA (dépenses annuelles d'un montant total de 1.455.000 euros), Société Civile Immobilière ZA WB (dépenses annuelles d'un montant total de 89.000 euros), Société Civile Immobilière ZA WC (dépenses annuelles d'un montant total de 24.650 euros), Société Civile Immobilière ZZ ZA W (dépenses annuelles d'un montant total de 23.600 euros) et E (dépenses annuelles d'un montant total de 792.512 euros).
Par courrier électronique en date du 11 mai 2022 adressé au Chef de la Division financière de la Direction du Budget et du Trésor, a.A a sollicité, par l'intermédiaire de son conseil, la révision de la décision du 8 avril 2022 précitée concernant l'allocation fixée forfaitairement à 2.500 euros par mois pour couvrir les dépenses de la vie courante de l'ensemble de la famille A et l'obtention de l'autorisation de règlement des dépenses de sécurité.
Le 18 mai 2022, le Chef de ladite Division a répondu uniquement s'agissant des dépenses de sécurité, pour lesquelles il a demandé la copie des contrats annuels mentionnés dans les deux factures préalablement adressées.
Le 23 mai 2022, le conseil d'a.A a communiqué ce contrat et sollicité une réponse concernant les modalités d'obtention de l'allocation de vie courante.
Suivant acte en date du 8 juin 2022, a.A, la société Société Civile Immobilière ZA WA, la SCI Société Civile Immobilière ZA WB, la SCI Société Civile Immobilière ZA WC, la SCI Société Civile Immobilière ZZ ZA W et la SCI E ont fait citer l'ÉTAT DE MONACO devant le Tribunal de première instance auquel il était demandé, selon leurs dernières conclusions récapitulatives du 25 novembre 2022, de :
À titre préliminaire,
• ordonner que les débats se tiennent à huis clos ;
À titre principal,
• ordonner la révision de la décision du Ministre d'État du 8 avril 2022 ;
• ordonner le déblocage des fonds d'a.A, la société Société Civile Immobilière ZA WA, la SCI ZA WB, la SCI ZA WC, la SCI ZZ ZA W et la SCI E en Principauté de Monaco ;
• autoriser la libre utilisation par a.A, la société Société Civile Immobilière ZA WA, la SCI Société Civile Immobilière ZA WB, la SCI Société Civile Immobilière ZA WC, la SCI Société Civile Immobilière ZZ ZA W et la SCI E de tous moyens de paiement à cet effet, dont la mise à disposition d'une carte bancaire ;
À titre subsidiaire,
• ordonner la révision de la décision du Ministre d'État du 8 avril 2022 ;
• ordonner le déblocage des avoirs d'a.A pour un minimum de 50.000 euros par mois hors mesures accessoires pour assurer la sécurité de la famille et les frais de scolarité des enfants ;
• autoriser l'utilisation par a.A et des sociétés Société Civile Immobilière ZA WA, Société Civile Immobilière ZA WB, Société Civile Immobilière ZA WC, Société Civile Immobilière ZZ ZA W et E de tout moyen de paiement à cet effet, dont la mise à disposition d'une carte bancaire dans les limites de ces proportions ;
En tout état de cause,
• débouter l'ÉTAT DE MONACO de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
• ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel ou opposition conformément à l'article 202 du Code de procédure civile ;
• condamner l'ÉTAT DE MONACO à lui payer la somme de 35.000 euros au titre des frais et ce conformément à l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
• condamner l'ÉTAT DE MONACO à tous frais et dépens, lesquels comprendront notamment les frais et accessoires, frais d'huissier, d'expertises et traductions éventuels dont distraction au profit de Maître Pierre-Anne NOGHES-DU MONCEAU, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
L'ÉTAT DE MONACO sollicitait du Tribunal, aux termes de ses conclusions récapitulatives du 7 novembre 2022, de :
In limine litis et à titre principal,
- se déclarer incompétent pour connaître des demandes d'a.A et des sociétés demanderesses ;
À titre subsidiaire,
- débouter a.A et les sociétés demanderesses de l'ensemble de leurs demandes ;
En tout état,
- condamner a.A et les sociétés demanderesses à lui verser la somme évaluée provisoirement à 10.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens conformément à l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
- condamner a.A et les sociétés demanderesses aux entiers dépens, en ce compris tous frais et accessoires tels que frais d'huissier, procès-verbaux de constat, sommations, frais d'expertise et de traduction éventuels, dont distraction au profit de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, sous son affirmation de droit.
Le 24 novembre 2022, le Procureur Général s'en remettait aux conclusions déjà prises le 7 septembre 2022 aux termes desquelles il demandait au Tribunal de :
- à titre principal, constater l'irrecevabilité de la requête et se déclarer incompétent ;
- à titre subsidiaire, déclarer mal fondées les demandes d'a.A.
Le Procureur Général s'en rapportait pour le surplus à l'argumentaire développé par l'ÉTAT DE MONACO.
Par jugement en date du 23 février 2023, le Tribunal s'est déclaré incompétent pour connaître du recours formé par a.A, la société Société Civile Immobilière ZA WA, la SCI Société Civile Immobilière ZA WB, la SCI Société Civile Immobilière ZA WC, la SCI Société Civile Immobilière ZZ ZA W et la SCI E à l'encontre de la décision du Ministre d'État du 8 avril 2021 (en réalité 2022), et les a renvoyés à mieux se pourvoir.
À la suite de l'appel interjeté par a.A et les sociétés demanderesses, la Cour d'appel, par arrêt du 28 septembre 2023, a infirmé le jugement du 23 février 2023 précité, en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, a déclaré la Tribunal de première instance compétent pour connaître des demandes présentées et ordonné le renvoi de l'affaire devant le Tribunal de première instance pour la suite de la procédure.
Par courrier adressé aux conseils des parties le 10 octobre 2023, ces derniers étaient informés de la remise au rôle de l'affaire à l'audience du Tribunal du 2 novembre 2023 à 9h00.
Aux termes de leurs dernières conclusions récapitulatives, datées du 28 novembre 2024, a.A, la société Société Civile Immobilière ZA WA, la SCI Société Civile Immobilière ZA WB, la SCI Société Civile Immobilière ZA WC, la SCI Société Civile Immobilière ZZ ZA W et la SCI E sollicitent du Tribunal de :
- les recevoir en leurs demandes, les déclarer recevables et bien fondés ;
Préliminairement,
- ordonner que les débats se tiennent à huis clos ;
À titre principal,
- ordonner la révision de la décision du Ministre d'État du 8 avril 2022 ;
- ordonner le déblocage partiel des fonds d'a.A à hauteur d'un montant de 393.789 euros par mois correspondant aux dépenses de la famille A tel qu'il en a été justifié, hors mesures accessoires prises afin d'assurer la sécurité de la famille, leurs frais de santé et les frais de scolarité des enfants ;
- autoriser la libre utilisation par a.A et des sociétés demanderesses de tout moyen de paiement à cet effet, dont la mise à disposition d'une carte bancaire ;
À titre subsidiaire,
- ordonner la révision de la décision du Ministre d'État du 8 avril 2022 ;
- ordonner le déblocage partiel des avoirs d'a.A pour un montant supérieur à celui autorisé actuellement par le Ministre d'État et estimé par le Tribunal en tenant compte du train de vie historique de la famille A, hors mesures accessoires prises afin d'assurer la sécurité de la famille, leurs frais de santé et les frais de scolarité des enfants ;
- autoriser la libre utilisation par a.A et des sociétés demanderesses de tout moyen de paiement à cet effet, dont la mise à disposition d'une carte bancaire dans les limites de ces proportions ;
En tout état de cause,
• débouter l'ÉTAT DE MONACO de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
• ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel ou opposition conformément à l'article 202 du Code de procédure civile ;
• condamner l'ÉTAT DE MONACO au paiement de la somme de 50.000 euros au titre des frais et ce conformément à l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
• condamner l'ÉTAT DE MONACO à tous frais et dépens, lesquels comprendront notamment les frais et accessoires, frais d'huissier, d'expertises et traductions éventuels dont distraction au profit de Maître Pierre-Anne NOGHES-DU MONCEAU, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
À l'appui de leurs demandes, a.A, la société Société Civile Immobilière ZA WA, la SCI Société Civile Immobilière ZA WB, la SCI Société Civile Immobilière ZA WC, la SCI Société Civile Immobilière ZZ ZA W et la SCI E font valoir en substance que :
• a.A, homme d'affaires de nationalités russe et chypriote, résident britannique, est l'unique source de revenus de sa famille, comprenant son épouse et leurs trois enfants mineurs, demeurant à Paris ;
- sur la recevabilité des demandes, l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine n° 8.664 du 26 mai 2021 prévoit un délai de deux mois à compter de la publication de la décision pour l'introduction d'un recours devant le Tribunal de première instance et que le recours a été introduit par voie d'assignation le 8 juin 2022 soit dans le délai de deux mois prévus par l'Ordonnance précitée ;
- sur le bien-fondé des demandes, la décision du Ministre d'État du 8 avril 2022 ne motive aucunement et ne démontre pas le bien-fondé de l'absence de déblocage des fonds d'a.A ;
- l'unique motif sur lequel ce dernier peut se baser pour se défendre repose sur un « copié-collé » effectué par le Ministre d'État au sein de l'Annexe de sa décision n° 2022-23 sur le Règlement d'exécution (UE) n° 2022/427 ;
- or, a.A n'était plus actionnaire d'wz Group au moment de l'application des sanctions, et n'était auparavant qu'un actionnaire minoritaire passif, n'ayant jamais été au conseil d'administration d'wz NL et n'ayant aucun pouvoir décisionnel lié à une fonction d'administrateur (si bien qu'il ne peut être considéré comme ayant une influence quelconque à quelque titre que ce soit sur la stratégie d'entreprise) ;
- préalablement à l'application des mesures restrictives le 15 mars 2022, il n'était plus lié à LetterOne, co-fondé avec les autres associés d'wz NL, ayant démissionné de ses fonctions le 8 mars 2022 ;
- il n'est plus actionnaire dans aucune autre société du groupe wz ;
- ainsi, n'ayant aucune fonction ou pouvoir exécutif dans le groupe wz, il n'a aucun impact sur la conduite des affaires de ce groupe et ne peut exercer aucune pression sur le gouvernement russe et les décideurs russes ;
- le Tribunal de première instance de l'Union Européenne a considéré dans son arrêt du 10 avril 2024 qu'aucune des justifications données dans l'argumentaire sur lequel se fondait la mise sous sanction de m.H, co-fondateur et actionnaire important du groupe wz, sanctionné sur la base d'une justification quasi similaire à celle reprise pour a.A, ne reposait sur des faits suffisamment motivés, ledit Tribunal étant arrivé à la même conclusion concernant p.J alors que l'argumentaire le concernant était plus développé et concernait ses liens avec Poutine et le Gouvernement Russe ;
- les liens d'a.A avec le pouvoir ne sont que des supputations, sans preuves aucunes, alors qu'il est depuis de nombreuses années résident britannique sans aucun lien avec le pouvoir russe en place ;
- la référence au fait que « la fille aînée de v.k, M, a animé un projet caritatif, ii, qui était financé par wz NL » est factuellement anecdotique pour justifier une décision aussi grave mais au surplus matériellement erronée, ces affirmations ayant été abandonnées lors de l'audience devant le Tribunal de l'Union Européenne le 27 avril 2023 ;
• il a fait part de son opposition à la guerre en Ukraine avant que les mesures restrictives ne soient prises à son encontre ;
• aucune preuve ni aucun commencement de preuve ne justifie donc la prise de mesures restrictives à l'encontre d'a.A et l'absence de déblocage total de ses fonds, caractérisant ainsi une violation des articles 6 et 13 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (CESDH) et de l'article 8 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme des Nations unies (DUDH) ;
• cette violation ne saurait être légitimée par l'article 15 de ladite Convention, la Principauté de Monaco n'étant ni un Etat en guerre, ni en présence d'un danger public menaçant la vie de la nation ;
• à supposer que l'article 15 précité soit applicable, les mesures prises ne peuvent être en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international, dont l'article 8 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme des Nations unies ;
• lors de son placement sur la liste des personnes et entités visées par les mesures de gel des fonds en Principauté le 8 avril 2022, pas plus qu'au moment de l'introduction du recours, a.A n'avait été inclus par l'Ukraine dans ses propres listes de personnes sanctionnées, la Banque nationale d'Ukraine, sollicitée en qualité d'autorité compétente, ayant attesté le 19 juillet 2022 qu'il n'était aucunement inclus dans les personnes à sanctionner au titre de la guerre subie par le pays, si bien qu'il est difficilement compréhensible que la Principauté ait décidé de prendre des sanctions à son égard dès 2022 ;
• il n'a été ajouté à la liste des sanctions ukrainiennes qu'à la suite d'un décret du 19 octobre 2022 ayant réformé la loi applicable jusqu'alors en y intégrant toute personne contribuant au conflit par (i) leur seule situation de fortune et (ii) l'impôt payé qui contribue indirectement à l'effort de guerre russe ;
• aucun reproche objectif ou factuel ne lui est fait par les autorités ukrainiennes autre que le fait d'être riche et partant de financer la guerre par l'impôt ce qui est faux puisqu'il n'est plus résident en Russie depuis 2015 ;
• les mesures prises à l'encontre d'a.A sont ainsi mal-fondées, et il est impérieux de débloquer certains de ses actifs afin que sa famille puisse retrouver une vie décente et conforme ;
• s'il était considéré que la preuve du bien-fondé des mesures prise à son encontre était apportée, les montants alloués par la décision du 8 avril 2022, tout comme la mise en oeuvre de celle-ci, portent atteinte à la nature même des mesures restrictives et de leurs dérogations ainsi qu'au principe de proportionnalité et à la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant ;
• une mesure restrictive est par nature temporaire, revêt une fonction conservatoire et a pour unique objet d'empêcher dans l'esprit de l'élaboration d'une telle norme de PESC contre la Russie, d'empêcher le soutien à l'effort de guerre russe et de protéger la population ukrainienne ;
• une mesure restrictive ne doit en aucun cas être assimilée à une sanction répressive et punitive et, lorsque l'État prévoit une dérogation, celle-ci doit être en ligne avec ce postulat et ne peut avoir un but punitif ;
• or, accorder à a.A et sa famille (non soumise aux mesures restrictives) l'équivalent des minima sociaux a pour effet de contourner l'interdiction de voir en cette mesure restrictive une sanction à caractère punitif ;
• l'ÉTAT DE MONACO ne justifie aucunement le choix d'un seuil aussi bas qui n'a aucun rapport objectif avec la situation des intéressés, le Règlement européen ne retenant pas comme critère d'appréciation le niveau du minima social dans le pays requis ;
• la jurisprudence citée par l'ÉTAT DE MONACO du Tribunal de première instance de l'Union Européenne n'exclut pas de tenir compte du train de vie antérieur aux sanctions mais précise seulement que les dérogations accordées ont « pour vocation de garantir (…) un niveau de vie digne, ce qui ne correspond pas nécessairement au train de vie que ces personnes connaissaient avant (…) », la nuance « pas nécessairement » étant importante ;
• le niveau de vie d'a.A et de sa famille, antérieurement aux sanctions, correspondait à 600.000 euros mensuels, dont 393.789 euros de dépenses de la vie courante, hors mesures de sécurité, montant que l'ÉTAT DE MONACO a décidé de ramener à 2.500 euros par mois, ce qui a un caractère punitif et place la famille A dans une situation encore plus défavorable ou précaire que si elle avait été condamnée pénalement par une juridiction monégasque ;
• il doit être envisagé d'augmenter le montant alloué dès lors que les mesures ne doivent pas empêcher la famille A de vivre une vie normale et décente considérant sa normalité propre avant son inscription sur les listes, aucune confusion ne devant être effectuée entre le fait de proportionner le montant alloué à la fortune et la volonté de faire respecter les mesures restrictives adoptées à titre conservatoire, édictées sur une temporalité limitée ;
• le cas d'a.A, personne physique, dont la vie et celle de sa famille est en jeu, ne peut décemment être assimilé à la situation d'une personne morale sanctionnée au titre de son activité économique dont les sanctions portent sur cette même activité ;
• l'efficacité des mesures de gel n'est pas remise en cause par l'appréciation de la proportionnalité d'une dérogation accordée ;
• le montant alloué par l'ÉTAT DE MONACO annihile la raison même de l'existence de dérogations, dans une espèce contextuelle où il reconnaît lui-même l'impossibilité de l'exécution des autres dérogations qu'il lui a octroyées ;
• une entorse temporaire et exceptionnelle au droit de propriété reconnu comme un droit fondamental par l'article 24 de la Constitution et protégé par l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, doit répondre au principe de proportionnalité entre la mesure prise et l'objectif visé ;
• en n'autorisant le déblocage des fonds qu'à hauteur de 2.500 euros par mois (soit 99,50% du train de vie de la famille), sous forme de retrait en espèces directement auprès de la banque, la décision du 8 avril 2022 entraîne des privations drastiques, portant ainsi gravement atteinte à la propriété d'a.A et sa famille, mais aussi à leur vie privée et familiale, dont la protection est garantie par l'article 8 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, et les expose à un traitement inhumain et dégradant, au sens de l'article 3 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
• la décision du 8 avril 2022 n'est ni nécessaire, ni appropriée au regard de l'objectif poursuivi d'empêcher le demandeur d'apporter, par sa fortune, un soutien matériel ou financier direct ou indirect à l'effort de guerre russe, puisque les dépenses courantes d'a.A et de sa famille sont étrangères à un quelconque intérêt russe, les créanciers visés étant tous étrangers à la Russie ;
• à titre d'illustration, le déblocage accordé correspond à 19,5% du revenu médian global (train de vie moyen) de l'année 2019 dans le septième arrondissement de Paris, où sont scolarisés les enfants du demandeur, à 10,57% du revenu médian troisième quartile (correspondant au 25% les plus aisés) et à 35,4% du revenu médian de la population la plus pauvre de la zone d'habitation considérée, démontrant le caractère punitif, confiscatoire, humiliant, dégradant, contraire à la dignité humaine et, en tout état de cause, disproportionné de la mesure ;
• le montant de 15 euros par jour, fixé par l'Arrêté ministériel n° 2019-267 du 15 mars 2019, auquel fait référence l'ÉTAT DE MONACO, correspond au plafond en dessous duquel une personne seule est considérée dans une situation « grave et précaire », soit le seuil de pauvreté ;
• la position adoptée par l'ÉTAT DE MONACO revêt ainsi un caractère éminemment punitif, confiscatoire et non restrictif et est loin de s'inspirer du guide de bonne conduite relatif à la mise en oeuvre des sanctions économiques et financières établi par la Direction du Trésor de la République française lequel révèle, d'une part, qu'il est possible d'honorer, sans solliciter l'avis favorable de l'administration, certains paiements listés au sein du guide (dont les dépenses liées à la scolarité des enfants et à la santé), à condition qu'ils s'inscrivent dans une continuité historique et que la somme soit remise directement par la banque au créancier, d'autre part, que s'agissant des dépenses liées au maintien du ménage (habillement, nourriture), il y a lieu de calculer une enveloppe à partir des dépenses constatées dans le passé (sur une période ne pouvant dépasser un an, en écartant les dépenses manifestement excessives) ;
• les montants débloqués par l'ÉTAT DE MONACO, visés dans ses conclusions, concernent des dépenses liées à la gestion des avoirs et s'inscrivent dans la continuité des dépenses historiques, étant précisé que ces fonds n'ont toujours pas pu être utilisés du fait de la confusion qui préside dans la mise en oeuvre des décisions nationales de déblocage au sein des États qui ont mis en place le dispositif européen et du système bancaire ;
• à ce jour, la famille A se trouve dans une situation excessivement précaire et vit d'expédients, sans être en mesure de payer son électricité, sa nourriture, l'éducation et les soins qu'elle doit procurer aux enfants ;
• les mesures prises ont été adoptées indépendamment de toute considération pour les trois enfants mineurs du couple A qui se voient inéluctablement affectés tant par l'affaissement drastique, brutal et totalement disproportionné de leurs conditions de vie sans même avoir à évoquer l'impact psychologique dévastateur qu'ont pour eux les présentes circonstances et la mise en cause de leur père, contrevenant ainsi aux dispositions des articles 2 et 3 de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant.
Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives, datées du 2 juillet 2024, l'ÉTAT DE MONACO sollicite du Tribunal de première instance de :
- débouter a.A et les sociétés demanderesses de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamner a.A et les sociétés demanderesses à lui verser la somme évaluée provisoirement à 10.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens conformément à l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
- condamner a.A et les sociétés demanderesses aux entiers dépens, en ce compris tous frais et accessoires, tels que frais d'huissier, procès-verbaux de constat, sommations, frais d'expertise et de traduction éventuels, dont distraction au profit de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, sous son affirmation de droit.
L'ÉTAT DE MONACO fait valoir au soutien de ses demandes que :
• les procédures de « gel de fonds » prévues par l'Ordonnance Souveraine n° 8.664 du 26 mai 2021 trouvent leur source dans les obligations que la Principauté a souscrites en matières de sanctions financières internationales ;
• des Ordonnances Souveraines ont été adoptées pour intégrer en droit interne les décisions de « gel de fonds » prises au niveau international, et notamment l'Ordonnance n° 8.664 du 26 mai 2021 applicable en l'espèce, qui confère une compétence liée au Ministre d'État pour rendre opposables à Monaco les listes figurant dans les règlements européens ;
• l'article 9 prévoit, à l'instar du droit européen, qu'une autorisation de déblocage ou l'utilisation des fonds ou de ressources économiques gelés puisse être délivrée dans le respect des conditions prévues par les sanctions économiques décrétées par l'ONU, l'Union Européenne ou la République française ;
• l'Ordonnance Souveraine a instauré en son article 13 un recours de plein contentieux devant le Tribunal de première instance, à l'encontre des décisions de gel des fonds et des ressources économiques, qui doit être introduit dans le délai de 2 mois suivant la date de la publication, ce recours venant s'ajouter aux garanties offertes au niveau européen consistant en la possibilité d'adresser au Conseil européen une demande de réexamen de la décision par laquelle une personne a été inscrite sur la liste en question, et en la faculté pour cette même personne de contester la décision du Conseil devant le Tribunal de l'Union Européenne ;
• a.A, qui a précisé sur ses premières conclusions avoir contesté devant les juridictions européennes son inscription sur la liste annexée au Règlement (UE) n° 269/2014 du 17 mars 2014, n'a pas exercé à l'encontre de la décision du 15 mars 2022, le recours de plein contentieux devant le Tribunal de première instance prévu par l'Ordonnance Souveraine ;
• a.A a formulé plusieurs demandes de déblocage sur le fondement de l'article 9, la première fois le 27 mars 2022, qui ont donné lieu à plusieurs décisions du Ministre d'État, et notamment celle du 8 avril 2022 qu'il conteste dans le cadre de la présente instance ;
• depuis la promulgation du Règlement d'exécution (UE) 2022/427 du Conseil du 15 mars 2022, la situation individuelle d'a.A a été réexaminée à plusieurs reprises par le Conseil de l'Union Européenne, lequel a maintenu son inscription sur la liste de l'annexe I du règlement (UE) n° 269/2024, l'ÉTAT DE MONACO ayant en application de ses engagements internationaux, modifié la décision n° 2021-1 du 4 juin 2021, par décisions ministérielles maintenant a.A sur la liste des personnes et entités visées par les mesures de gel des fonds et des ressources économiques en Principauté de Monaco ;
• postérieurement à l'introduction du recours, 35 autorisations de déblocage partiel des fonds gelés d'a.A ont été délivrées par le Ministre d'État, soit un montant global d'environ 7 millions d'euros ;
• le moyen tiré de l'absence de justification des mesures restrictives de gel des fonds et des ressources économiques prises à l'encontre du demandeur s'analyse comme une exception d'illégalité ;
• il résulte de la jurisprudence administrative française, transposable à défaut de jurisprudence monégasque en la matière, que l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative que si cette dernière a été prise pour son application ou s'il en constitue la base légale ;
• la décision de déblocage des fonds du 8 avril 2022 est expressément fondée sur l'article 9 de l'Ordonnance Souveraine n° 8.664 permettant d'obtenir une autorisation d'utiliser des fonds gelés par dérogation à une mesure de gel édictée sur le fondement de l'article 2 du même texte et n'a ainsi été prise ni sur la base légale, ni pour l'application de la décision n° 2022-23 dont les motifs sont critiqués par le demandeur ;
• la décision d'inscrire a.A sur la liste des personnes faisant l'objet d'une mesure de « gel des fonds » résulte de l'application des critères de désignation posés par le Règlement (UE) n° 2022/330 tenant à grands traits au soutien direct ou indirect à la guerre menée par la Fédération de Russie en Ukraine et plus largement au gouvernement de la Fédération de Russie alors que la décision de déblocage partiel des fonds gelés a, quant à elle, été prise au regard de la demande formulée par le demandeur le 25 mars 2022 examinée au prisme des conditions prévues par le Règlement (UE) n° 269/2014, lesquels ont trait aux besoins essentiels des membres de la famille à la charge de la personne visée par des mesures restrictives ;
• la délivrance d'une autorisation de déblocage partiel de fonds gelés ne suppose pas d'apprécier le bienfondé de l'inscription de la personne concernée sur la liste des personnes faisant l'objet d'une mesure de « gel des fonds » mais seulement de déterminer les montants qui doivent être débloqués au regard des besoins essentiels ;
• les arguments du demandeur visant à contester le bienfondé de son inscription sur la liste des personnes faisant l'objet des mesures restrictives prévues par le Règlement (UE) 2022/330 sont donc inopérants ;
• le moyen tiré du défaut de motivation de la décision défendue, à le supposer soulevé, est inopérant au regard de l'objet du présent litige dès lors qu'il n'appartient pas au Tribunal, en sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner les droits de l'intéressé sur lesquels le Ministre d'État s'est prononcé ;
• le moyen tiré du défaut de motivation de la décision défendue est au surplus mal fondé, dès lors que l'énonciation du fondement juridique de la décision et des faits qui la justifient, suffit à considérer l'obligation de motivation satisfaite ainsi que le Juge le Tribunal Suprême ;
• la décision du 8 avril 2022 fait clairement apparaître les textes qui constituent son fondement dans ses visas et considérants ;
• s'agissant des faits, la décision a été prise en réponse à une demande de déblocage non chiffrée en date du 25 mars 2022, formée au titre des dépenses de la vie courante et il ressort de la décision que le Ministre d'État a considéré que dans les circonstances de l'espèce, le déblocage de la somme forfaire de 2.500 euros par mois pouvait être autorisé car « répondant aux conditions prévue par le règlement (UE) 269/2014, modifié » en tant que « nécessaire pour payer les dépenses quotidiennes de la famille » ;
• s'agissant du respect du principe de proportionnalité des atteintes aux droits du demandeur et de sa famille, le montant contesté a été déterminé par application de dispositions de droit interne et européen, l'ÉTAT DE MONACO ne pouvant, conformément à l'article 9 de l'Ordonnance Souveraine n° 8.664, accorder d'autorisation de déblocage que dans le respect des conditions prévues par le Règlement (UE) 269/2014 ayant instauré la mesure restrictive mise en oeuvre ;
• il résulte des dispositions de l'article 4 paragraphe 1, point a) du Règlement (UE) 269/2014, qu'une autorisation de déblocage des fonds ne peut intervenir sur leur fondement que dans la mesure des besoins essentiels des membres de la famille qui sont à la charge de la personne physique visée par des mesures restrictives, sans qu'il ne soit aucunement prévu que le montant alloué par dérogation soit proportionné à la fortune de la personne visée par la mesure ;
• la jurisprudence la plus récente du Tribunal de première instance de l'Union Européenne souligne que « Cette dérogation (…) a (…) pour vocation de garantir aux personnes physiques visées par une mesure restrictive (…) un niveau de vie digne, ce qui ne correspond pas nécessairement au train de vie que ces personnes connaissaient avant l'inscription de leur nom sur les listes en cause » ;
• la fortune et le train de vie précédemment mené par les personnes visées par les mesures restrictives et leurs familles ne sauraient servir de référence pour la détermination du montant nécessaire pour répondre à leurs besoins essentiels, ce qui concerne les vivres, l'habitat et la santé ;
• octroyer une enveloppe supérieure irait à l'encontre de la lettre du Règlement précité et des objectifs visés par la mesure restrictive, qui sont d'accroître la pression sur la Russie ainsi que le coût des actions de cette dernière visant à compromettre l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine ;
• le fait que la mesure de gel ainsi limitée porte d'importantes atteintes au droit de propriété voire à la vie privée et familiale des personnes concernées n'est pas de nature à remettre en cause sa validité, au regard de l'importance de l'objectif d'intérêt général poursuivi, ainsi qu'en a jugé la CJUE concernant tant une personne morale qu'une personne physique ;
• le déblocage d'un montant mensuel de 2.500 euros payable en espèces autorisé par la décision défendue (en complément des sommes considérables débloquées pour les loyers des résidences principale et secondaire, prêts hypothécaires, et autres postes essentiels, pour un montant supérieur à 1 million d'euros par mois) a précisément été calculé afin de répondre, ni plus, ni moins, aux besoins essentiels du demandeur et de sa famille au regard des informations disponibles ;
• les autres décisions de « déblocage » avaient déjà vocation à permettre à la famille du demandeur de conserver la jouissance du domicile familial à Paris et de régler ses factures d'eau, d'électricité, de santé, de sécurité et de télécommunication, et les nouvelles demandes de déblocage partiel des fonds correspondant à ces postes de dépenses adressées par le demandeur à l'État ont systématiquement fait l'objet de décisions d'autorisation ;
• les difficultés d'exécution des paiements autorisés par le Ministre d'État ne sont pas imputables à l'ÉTAT DE MONACO mais aux seuls établissements bancaires dont le demandeur et ses créanciers sont clients ;
• la somme de 2.500 euros n'a pas pour objet de couvrir les frais de scolarités des enfants, dont le paiement a été autorisé à hauteur de 73.647 euros pour l'année scolaire 2023/2024 ;
• les seuls postes de dépenses ayant vocation à être couverts par le montant de 2.500 euros concernent la nourriture et l'habillement, le montant étant supérieur au salaire minimum en France, lequel s'élève à 1.400 euros net, le demandeur ne démontrant pas qu'il serait concrètement insuffisant pour répondre aux seuls besoins essentiels de la famille en matière de dépenses courantes de nourriture et d'habillement ;
• pour ce type de dépenses, de faible montant, un paiement en espèces est à la fois pertinent et usuel ;
• la circonstance que les décisions d'autorisations de déblocage obtenues ne soient toujours pas effectives n'est pas de nature à justifier la révision du montant alloué aux dépenses courantes à un niveau supérieur ;
• la décision de déblocage du 8 avril 2022 respecte totalement les conditions posées par le Règlement (UE) n° 269/2014 ;
• les arguments du demandeur tenant au non-respect des stipulations de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et de la Convention des Nations Unies sur les Droits de l'enfant reviennent à soutenir que ledit Règlement porterait par lui-même une atteinte disproportionnée aux droits invoqués que ces conventions consacrent, ce que le demandeur ne démontre pas ;
• lorsque ces moyens sont soulevés à l'encontre des mesures restrictives prises sur le fondement dudit Règlement, ils sont systématiquement écartés par les juridictions européennes ;
• le demandeur n'explique pas en quoi l'insuffisance des sommes débloquées au titre des dépenses courantes porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale ou l'exposerait avec sa famille à un traitement inhumain et dégradant ;
• il est exclu que les inconvénients consécutifs à la prétendue insuffisance des fonds débloqués pour l'habillement et la nourriture des membres de la famille présentent le niveau de gravité requis par la Cour européenne des droits de l'homme pour être constitutifs de traitements inhumains et dégradants ;
• le demandeur ne saurait soutenir que les sommes dont le déblocage a été autorisé par le Ministre d'État ne sont pas de nature, dans leur ensemble, à permettre que les enfants de la famille du demandeur disposent d'un niveau de vie suffisant pour permettre leur développement physique et moral ;
• s'agissant du prétendu caractère punitif de la décision d'autorisation de déblocage défendue, l'on peine à comprendre comment une décision qui accorde une dérogation par rapport à une interdiction totale d'usage de fonds pourrait constituer une sanction, les juridictions européennes considérant, en outre, que les mesures restrictives, en tant qu'elles n'entraînent pas une confiscation des avoirs mais seulement leur gel à titre conservatoire, ne constituent pas une sanction.
La clôture de l'instruction est intervenue le 18 avril 2025, par ordonnance rendue le même jour par le Vice-Président du Tribunal de première instance.
À l'audience du 24 avril 2025, les conseils des parties ont plaidé puis déposé leur dossier et l'affaire a été mise en délibéré au 3 juillet 2025.
SUR CE,
• Sur la demande de huis clos
À la demande d'a.A qui invoquait des risques pour sa sécurité et celle de sa famille au regard du contexte géopolitique, et sans opposition de l'ÉTAT DE MONACO, le Tribunal a ordonné le huis clos des débats qui se sont tenus le 24 avril 2025, en application des dispositions de l'article 189 du Code de procédure civile.
L'huissier a veillé au respect de cette mesure jusqu'à la clôture des débats.
• Sur la demande de révision de la décision du Ministre d'État du 8 avril 2022 et de déblocage partiel des avoirs d'a.A en Principauté de Monaco
i) Sur la recevabilité :
Aux termes du premier alinéa de l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine n° 8.664 du 26 mai 2021 relative aux procédures de gel des fonds et des ressources économiques en application de sanctions économiques internationales, dans sa version applicable à la date d'introduction du recours, « Les décisions du Ministre d'État prises dans les formes prévues à l'article 2, peuvent faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant le Tribunal de première instance, dans un délai de deux mois suivant la date de leur publication au sein d'une rubrique dédiée accessible depuis le site Internet du Gouvernement princier. ».
Le Tribunal note que l'ÉTAT DE MONACO, en réponse aux développements des demandeurs quant à la recevabilité de leur demande en révision de la décision du Ministre d'État du 8 avril 2022 (points 16 à 32 de leurs dernières écritures), ne conteste pas celle-ci.
Le Tribunal relève en tout état de cause, avec les demandeurs, que ladite demande en révision a été sollicitée par exploit d'assignation signifié le 8 juin 2022, soit dans le délai de deux mois visés par l'article 13 précité.
Le Tribunal déclarera donc recevable la demande en révision de la décision du Ministre d'État du 8 avril 2022 formée par a.A et les sociétés demanderesses.
ii) Sur le bien-fondé :
Il est communément admis qu'eu égard à son office lorsqu'il est saisi d'un recours formé contre une décision sur laquelle il doit statuer comme juge de pleine juridiction, il appartient au Juge de se prononcer non sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais seulement sur les droits que le requérant peut revendiquer, en se plaçant à la date à laquelle il rend sa décision. Dans cette perspective, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux, sont sans incidence sur la solution du litige.
Ainsi, concernant le moyen tenant à ce que la décision du Ministre d'État du 8 avril 2022 portant application de l'article 9 de l'Ordonnance Souveraine n° 8.664 du 26 mai 2021 relative aux procédures de gel des fonds et des ressources économiques en application de sanctions économiques internationales, modifiée, n'est aucunement motivée, au regard de l'absence de déblocage des fonds d'a.A, le Tribunal ne le considère pas comme opérant. En effet, le recours de plein contentieux diligenté par les demandeurs vise à réformer ladite décision dans le sens d'un déblocage partiel plus important des avoirs, à l'aune des éléments produits par ceux-ci.
S'agissant du moyen tenant à ce qu'aucune preuve ni aucun commencement de preuve ne justifie la prise de mesures restrictives à l'encontre du demandeur et l'absence de déblocage total de ses fonds, comme celui consistant à soutenir que les mesures prises à l'encontre d'a.A sont mal fondées, caractérisant selon les demandeurs une violation des articles 6 et 13 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et de l'article 8 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme des Nations unies, ceux-ci ne sont pas plus opérants, pour les mêmes motifs, le Tribunal étant effectivement saisi d'une demande de rectification de la décision dans le sens d'un déblocage partiel plus important des avoirs d'a.A.
Ces moyens, par ailleurs, s'analysent, ainsi que le suggère l'ÉTAT DE MONACO, comme une exception d'illégalité, puisqu'en critiquant l'absence de preuve justifiant la prise de mesures restrictives à l'encontre d'a.A, ou le bien-fondé de celles-ci, les demandeurs, en définitive, contestent la légalité de la décision préalable, n° 2022-23, du 15 mars 2022 l'ayant inscrit sur la liste nationale.
Sans qu'il soit besoin d'étudier le caractère opérant de cette exception d'illégalité, il est constant, en tout état de cause, que l'exception d'illégalité des actes non réglementaires n'est recevable que tant que l'acte n'est pas devenu définitif.
En l'espèce, les demandeurs ne contestent pas que la décision n° 2022-23 du 15 mars 2022 ayant inscrit a.A sur la liste nationale n'a fait l'objet d'aucun recours, ni administratif, ni contentieux, dans le délai de deux mois à compter de sa publication, le même jour, sur le site du Gouvernement Princier dédié, ou, à compter, au plus tard, du 25 mars 2022, date à laquelle il est établi qu'a.A avait connaissance de ladite décision puisque son conseil a pris à cette date l'attache de la Direction du Budget et du Trésor pour ouvrir un dossier de dérogation, ainsi qu'en atteste la pièce n° 13 des demandeurs.
Ces moyens, inopérants, sont donc, au surplus, irrecevables, étant ici surabondamment observé qu'a.A est toujours inscrit sur la liste établie par l'Union Européenne, des personnes, entités et organismes visés par des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine, conformément à la décision 2014/145/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 17 mars 2014, modifiée.
Le Tribunal considère, par conséquent, que seuls les moyens visant à critiquer le quantum alloué par la décision du 8 avril 2022 sont opérants au regard des prétentions des demandeurs de déblocage partiel des fonds d'a.A à hauteur d'un montant de 393.789 euros ou, subsidiairement, d'un montant supérieur à celui autorisé par la décision du 8 avril 2022.
Aux termes de l'article 9 de l'Ordonnance Souveraine n° 8.664 du 26 mai 2021 relative aux procédures de gel des fonds et des ressources économiques en application de sanctions économiques internationales, modifiée, « Une autorisation de déblocage ou d'utilisation de fonds ou de ressources économiques gelés peut être délivrée par décision du Ministre d'État, dans le respect des conditions prévues par les sanctions économiques décrétées (…) par l'Union européenne (…) Cette autorisation peut être accordée si le pétitionnaire établit que sa demande répond aux conditions prévues par les sanctions économiques décrétées (…) par l'Union européenne (…). ».
Conformément à l'article 2, paragraphe 3, de la décision 2014/145/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 17 mars 2014, modifiée, « 3. L'autorité compétente d'un État membre peut autoriser le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, ou la mise à disposition de certains fonds ou ressources économiques, dans les conditions qu'elle juge appropriées, après avoir établi que les fonds ou les ressources économiques concernés sont: a) nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux des personnes dont la liste figure à l'annexe et des membres de leur famille qui sont à leur charge, notamment pour couvrir les dépenses liées au paiement de denrées alimentaires, de loyers ou de remboursement de prêts hypothécaires, de médicaments et de traitements médicaux, d'impôts, de primes d'assurance et de redevances de services publics; (…) ».
De même, selon l'article 4, paragraphe 1, du Règlement (UE) n ° 269/2014 du Conseil du 17 mars 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine, modifié, « 1. Par dérogation à l'article 2, les autorités compétentes des États membres peuvent autoriser le déblocage ou la mise à disposition de certains fonds ou ressources économiques gelés, aux conditions qu'elles jugent appropriées, après avoir établi que ces fonds ou ressources économiques sont: a) nécessaires pour répondre aux besoins essentiels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes énumérés à l'annexe I et des membres de la famille des personnes physiques qui sont à leur charge, notamment pour le paiement des vivres, des loyers ou des mensualités de prêts hypothécaires, des médicaments et des traitements médicaux, des impôts, des primes d'assurance et des factures de services d'utilité publique ; (…) ».
En application de ces dispositions, le Ministre d'État, par la décision du 8 avril 2022, a autorisé le déblocage et l'utilisation des fonds gelés appartenant, possédés, détenus ou contrôlés par a.A, nécessaires, notamment, pour payer les dépenses quotidiennes de la famille pour un montant forfaitaire de 2.500 euros par mois, payable mensuellement en espèces, le premier jour ouvrable de chaque mois.
Les demandeurs estiment que ce montant, qui correspond à 0,5% du train de vie de la famille avant la prise de mesures restrictives à l'encontre d'a.A, entraîne des privations drastiques, portant ainsi gravement atteinte à la propriété d'a.A et de sa famille, droit fondamental consacré par l'article 24 de la Constitution et protégé par l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales.
Le Tribunal rappelle que le Protocole additionnel à la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (STE n° 009), dont l'article 1er traite de la protection de la propriété, n'a pas été ratifié par l'ÉTAT DE MONACO et n'est donc pas applicable. En application cependant de l'article 24 de la Constitution, « La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi. ».
En l'espèce, la décision du Ministre d'État du 8 avril 2022 a été rendue à la suite d'une demande formulée par a.A de déblocage partiel de ses avoirs, lesquels ont été gelés par décision n° 2022-23 du 15 mars 2022.
Le Tribunal considère, liminairement, que les dispositions, notamment, des articles 1er et 6-1 de l'Ordonnance Souveraine n° 8.664 du 26 mai 2021, précitée, en application desquelles a été rendue applicable à Monaco la mesure de gel des avoirs prononcée par l'Union Européenne à l'encontre d'a.A conformément au Règlement (UE) n° 269/2014, modifié, placent le Ministre d'État, en respect des engagements internationaux pris par l'ÉTAT DE MONACO en cette matière, en situation de compétence liée relativement aux décisions de gel de fonds prises par l'Union Européenne, qui doivent être rendues applicables à Monaco.
Il en résulte que la restriction apportée au droit de propriété d'a.A à travers d'abord la décision ayant rendu applicable à Monaco la mesure de gel de ses avoirs prononcée par l'Union Européenne, puis celle querellée de déblocage partiel de ses avoirs, est justifiée par la nécessité pour l'ÉTAT DE MONACO de respecter ses engagements internationaux en cette matière, dans le cadre de laquelle il a choisi, en définitive, de faire siens les objectifs poursuivis par l'Union Européenne.
Or il est constant que ces mesures restrictives répondent à un objectif d'intérêt général, reconnu comme tel par l'Union Européenne, ainsi qu'en a jugé le Tribunal de l'Union Européenne le 15 novembre 2023, dans le cadre d'un recours en annulation contre la décision n° 2022/429 du 15 mars 2022 et le règlement d'exécution (UE) 2022/427 du même jour, diligenté par une personne, à l'instar d'a.A, directement concernée par ces actes. Le Tribunal précise, à cet égard, « Dès lors il apparaît que l'Union cherche à réduire les revenus de l'Etat russe et à mettre la pression sur le gouvernement russe, afin de diminuer sa capacité à financer les actions de celui-ci compromettant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine et d'y mettre fin en vue de la préservation de la stabilité européenne et mondiale. Or, il s'agit là d'un objectif qui relève de ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune et visés à l'article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, tels que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale. » (pièce n° 2 de l'ÉTAT DE MONACO).
Le Tribunal de l'Union Européenne poursuit, néanmoins, en estimant qu'« il est vrai que le droit de propriété [du requérant] est restreint par les actes attaqués, dès lors qu'il ne peut notamment pas disposer des fonds lui appartenant (…). Toutefois, les inconvénients causés au requérant ne sont pas démesurés par rapport à l'importance de l'objectif poursuivi par les actes attaqués. En effet ces actes prévoient de réviser l'inscription sur les listes litigieuses périodiquement en vue d'assurer que les noms des personnes et des entités ne répondant plus aux critères pour figurer sur ces listes soient radiés. En outre, (…), les actes attaqués prévoient la possibilité d'autoriser l'utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et d'accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds (…) ».
Si le Tribunal de l'Union Européenne estime, in fine, que les actes attaqués (qui ont placé le requérant sur la liste de gel des avoirs européenne) n'ont pas enfreint le principe de proportionnalité et n'ont pas porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété, c'est précisément parce qu'il est prévu, notamment, une procédure permettant à une personne concernée par une mesure de gel des avoirs de bénéficier d'une autorisation de déblocage pour faire face, notamment, à ses besoins essentiels.
Corrélativement, si le déblocage des avoirs pour répondre aux besoins essentiels, est autorisé pour un montant trop faible, la mesure, bien que poursuivant un objectif légitime, d'ordre public, conformément aux engagements internationaux pris par l'ÉTAT DE MONACO en cette matière, porterait une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la personne concernée par la mesure.
Il convient ainsi d'examiner si le montant accordé par la décision ministérielle permet, dans les circonstances de l'espèce, et conformément aux dispositions de l'article 2, paragraphe 3, de la décision 2014/145/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 17 mars 2014, modifiée, et de son règlement d'application, de satisfaire les besoins fondamentaux ou essentiels d'a.A et de sa famille.
Le Tribunal relève, à cet égard, que la décision du 8 avril 2022 accorde à a.A le déblocage de ses avoirs à hauteur de 2.500 euros par mois pour payer les dépenses quotidiennes de la famille, dans le contexte où la demande de déblocage présentée par a.A n'a pas été concrètement chiffrée, son conseil évoquant dans les courriers électroniques adressés à la Direction du Budget et du Trésor un mode de calcul sur lequel il aurait été convenu de travailler (la moyenne sur les six derniers mois des débits des cartes bancaires rattachés aux comptes courant) mais qui n'apparaît toutefois pas expressément confirmé dans les courriers électroniques adressés par la Direction du Budget et du Trésor.
Le Tribunal note que la décision contestée, au-delà de ce montant de 2.500 euros mensuel, autorise également le déblocage nécessaire au paiement des intérêts du prêt hypothécaire consenti par la banque NL KD NT (MONACO) à la SCI E d'un montant total de 592.111,10 euros ainsi que les factures correspondant aux frais d'entretien courant des habitations d'un montant total de 187.232,10 euros.
De plus, postérieurement à la décision du 8 avril 2022, l'ÉTAT DE MONACO justifie avoir rendu trente décisions autorisant le déblocage, au total, de plus de six millions et demi d'euros entre le 30 juin 2022 et le 10 juin 2024 pour le paiement, notamment, des frais de sécurité et de protection de la famille, des factures de travaux effectués à Paris et à Saint-Tropez, des salaires des membres d'équipage, des frais de gestion, d'entretien et de stationnement des yachts, des factures d'électricité et de fibre pour les biens immobiliers de Saint-Tropez et Paris, des factures de téléphone fixe, mobile, internet et des charges pour la résidence principale de Paris, des taxes foncière et d'habitation, des intérêts prêts hypothécaires (biens immobiliers de Paris et Saint-Tropez), des factures d'eau (Paris), des frais de scolarité des écoles privées pour les trois enfants d'a.A pour l'année 2023/2024, des assurances des résidences principale et secondaire, des honoraires d'avocat ainsi que des honoraires du cabinet comptable et du cabinet d'audit.
Il en résulte que la somme de 2.500 euros mensuel n'est destinée, dans les faits, qu'à couvrir les dépenses quotidiennes de la famille, puisque le Ministre d'État a autorisé le déblocage des fonds nécessaires pour couvrir les autres besoins essentiels (eau, électricité, téléphone, frais de scolarité, prêts hypothécaires, assurances, charges, impôts fonciers et locaux etc…) au sens des dispositions de l'article 2, 3. de la décision 2014/145/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 17 mars 2014, modifiée, et de son règlement d'application, sans préjudice d'autres demandes qui pourraient, le cas échéant, être formulées.
La circonstance que le montant alloué par le Ministre d'État pour les dépenses quotidiennes ne soit pas proportionné à la fortune d'a.A, ce qui est indiscutable et indiscuté, n'est pas de nature, à lui seul, à établir une atteinte disproportionnée au droit de propriété.
Si les demandeurs justifient de dépenses moyennes de la vie courante, sur les six derniers mois précédent la mesure, à hauteur de 393.789 euros (hors frais de sécurité, de santé et de scolarité des enfants), accorder un tel montant mensuel au titre des dépenses quotidiennes, reviendrait, selon le Tribunal, à rigoureusement priver de sens et de portée la décision de gel des avoirs, prise au niveau européen et rendue applicable à Monaco, ce qui serait contraire aux engagements internationaux pris en la matière par l'ÉTAT DE MONACO.
Les demandeurs ne peuvent au demeurant qu'avoir pleinement conscience de cet aspect puisque, ainsi que le révèle leur pièce n° 28, leur conseil a adressé, à la suite de la décision querellée, un courrier électronique à la Direction du Budget et du Trésor le 11 mai 2022 sollicitant que l'allocation au titre des dépenses de la vie courante soit portée, hors frais de sécurité, à hauteur, non pas de 393.789 euros, mais de 50.000 euros.
Toutefois, et s'il est constant que la décision 2014/145/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 17 mars 2014, modifiée, comme son règlement d'application n° 269/2014, modifié, ne prévoient nullement que le montant débloqué pour répondre aux besoins fondamentaux de la famille doit être proportionné à la fortune de la personne visée par la mesure, et que les mesures restrictives sont, par définition, de nature à justifier, au regard de l'objectif poursuivi ci-avant évoqué, des conséquences négatives, même considérables, il est tout aussi constant que la dérogation accordée, qui permet, selon le quantum, d'éviter que la restriction portée au droit de propriété occasionné par la mesure de gel des avoirs soit disproportionnée, ne saurait totalement occulter l'état de fortune de la personne concernée et, conséquemment, les habitudes de cette dernière et de sa famille préalablement aux mesures restrictives, s'agissant des dépenses de leur vie courante.
La somme de 2.500 euros allouée mensuellement par la décision du Ministre d'État, correspond, pour la famille A composée de cinq personnes, à 500 euros par personne, soit à un budget d'environ 16,50 euros par jour par personne. Le Tribunal considère que ce montant place effectivement le demandeur, son épouse et leurs trois enfants mineurs dont un est âgé de 16 ans et deux de 6 ans, dans une situation difficile concernant le paiement des dépenses quotidiennes, et occulte par ailleurs totalement l'état de fortune d'a.A.
Le Tribunal estime que le montant de 2.500 euros mensuel n'apparaît en effet pas suffisant, au regard du coût de la vie à Paris, pour couvrir les dépenses quotidiennes d'a.A et de sa famille, comprenant non pas seulement les habits (étant précisé que les enfants ne gardent par définition pas les mêmes habits d'une année sur l'autre eu égard à leur croissance) et la nourriture, mais aussi, le cas échéant, de petits frais médicaux, ou encore des frais de déplacement. Il importe peu que ce montant soit supérieur au salaire minimum français ou corresponde au plafond permettant d'obtenir des aides sociales à Monaco.
Le Tribunal considère que l'octroi d'une somme de 10.000 euros par mois à compter du 15 juillet 2025, permet, au sens des dispositions de l'article 2, 3. de la décision 2014/145/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 17 mars 2014, modifiée, et de son règlement d'application, de répondre aux besoins essentiels d'a.A et de sa famille, concernant leurs dépenses quotidiennes, sans priver d'effet utile les mesures restrictives prises à l'encontre d'a.A, et tout en n'occultant pas totalement son niveau de fortune et, conséquemment, le niveau de vie préalablement aux mesures restrictives.
La restriction ainsi portée au droit de propriété par la mesure de gel des avoirs d'a.A, ensemble avec la révision ainsi accordée de la décision du 8 avril 2022, n'apparaît, selon le Tribunal, pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi et permet à a.A, ainsi qu'à sa famille, de vivre, en outre, dans des conditions qui respectent leur droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant.
La décision sera ainsi révisée afin d'autoriser, pour l'avenir, le déblocage et l'utilisation des fonds gelés appartenant, possédés, détenus ou contrôlés par a.A, sur les comptes ouverts dans les livres de l'établissement bancaire NL KD NT (MONACO), nécessaires pour payer les dépenses quotidiennes de la famille pour un montant forfaitaire de 10.000 euros par mois, payable mensuellement en espèces ou selon toute autre modalité, le 15 de chaque mois, à compter du 15 juillet 2025.
S'agissant des modalités de mise à disposition effective des fonds, le Tribunal ne fera effectivement pas droit à la demande de carte bancaire présentée par les demandeurs afin de laisser à l'établissement bancaire ainsi que, le cas échéant, à l'ÉTAT DE MONACO, toute liberté pour rendre la présente décision effective, d'où la précision « ou selon toute autre modalité ».
• Sur les mesures de fin de jugement
Aux termes de l'article 231 du Code de procédure civile, tous jugements, autres que les jugements d'instruction, condamneront même d'office aux dépens la partie qui aura succombé.
L'ÉTAT DE MONACO, succombant à l'instance, sera condamné aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Pierre-Anne NOGHES-DU MONCEAU, avocat-défenseur, sous son affirmation de droit.
Aux termes de l'article 238-1 du Code de procédure civile, le Juge condamnera la partie tenue aux dépens ou qui perdra son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il déterminera, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le Juge tiendra compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il pourra, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
L'ÉTAT DE MONACO, condamné aux dépens, devra verser aux demandeurs, une somme qu'il est équitable de fixer à 10.000 euros.
Succombant, la demande de l'ÉTAT DE MONACO à l'encontre des demandeurs sera rejetée.
• Sur la demande d'exécution provisoire du jugement
Selon l'article 202 du Code de procédure civile :
« Hors les cas dans lesquels la décision en bénéficie de plein droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, par la décision qu'elle est destinée à rendre exécutoire, sous réserve des dispositions de l'article 203.
(…)
L'exécution provisoire peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi. Elle peut aussi être accordée pour le paiement de l'amende civile, de l'indemnité de l'article 238 et des dépens et des frais non compris dans les dépens. ».
En l'espèce, le Tribunal considère que l'exécution provisoire de la présente décision, qui concerne les besoins essentiels ou fondamentaux d'une personne faisant l'objet d'une mesure de gel des avoirs, ainsi que de sa famille, est nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, et en premier ressort,
Déclare a.A, la société Société Civile Immobilière ZA WA, la SCI Société Civile Immobilière ZA WB, la SCI Société Civile Immobilière ZA WC, la SCI Société Civile Immobilière ZZ ZA W et la SCI E, recevables en leur action visant à réviser la décision du Ministre d'État en date du 8 avril 2022 portant application de l'article 9 de l'Ordonnance n° 8.664 du 26 mai 2021 relative aux procédures de gel des fonds et des ressources économiques en application de sanctions économiques internationales, modifiée ;
Dit qu'a.A, la société Société Civile Immobilière ZA WA, la SCI Société Civile Immobilière ZA WB, la SCI Société Civile Immobilière ZA WC, la SCI Société Civile Immobilière ZZ ZA W et la SCI E sont fondés à solliciter la révision de ladite décision, s'agissant du montant alloué au titre des dépenses quotidiennes de la famille ;
Dit qu'à compter du mois de juillet 2025, sont autorisés le déblocage et l'utilisation des fonds gelés appartenant, possédés, détenus ou contrôlés par a.A, sur les comptes bancaires ouverts dans les livres de l'établissement bancaire NL KD NT (MONACO), nécessaires pour payer les dépenses quotidiennes de la famille pour un montant forfaitaire de 10.000 euros par mois, payable mensuellement en espèces ou selon toute autre modalité, le 15 de chaque mois, la première fois le 15 juillet 2025, à prélever sur le compte n° 5101383 ;
Condamne l'ÉTAT DE MONACO à payer à a.A, la société Société Civile Immobilière ZA WA, la SCI Société Civile Immobilière ZA WB, la SCI Société Civile Immobilière ZA WC, la SCI Société Civile Immobilière ZZ ZA W et la SCI E la somme de 10.000 euros en application de l'article 238-1, 1°) du Code de procédure civile ;
Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision ;
Condamne l'ÉTAT DE MONACO aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Pierre-Anne NOGHES-DU MONCEAU, avocat-défenseur, sous son affirmation de droit ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en Chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Après débats à huis clos en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement ;
Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 3 JUILLET 2025, par Madame Evelyne HUSSON, Vice-Président, Madame Anne-Sophie HOUBART, Juge, Monsieur Maxime MAILLET, Juge, assistés de Madame Clémence COTTA, Greffier, en présence du Ministère public.